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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Société mobile : vers une politique des mobilités ? Une exploration autour de cinq enjeux.

Les dimensions politiques de la mobilité quotidienne sont encore peu traitées par les sciences humaines et sociales. Ainsi, Claudia Aradau et Jef Huysmans notent : « […] mobility as a condition of possibility of democraty and democratic practice is not analysed » (Aradau et Huysmans 2009, p. 589). Matthieu Flonneau, Léonard Laborie et Arnaud Passalacqua ont de leur côté une belle formule quand ils évoquent « l’impensé démocratique » de la mobilité (Flonneau, Laborie et Passalacqua 2014, p. 14).

Cette affirmation peut être précisée sur deux plans, a minima. D’abord, les traditions nationales de recherche ont des prismes problématiques différents. Les travaux anglo-saxons construisent plus souvent des approches mobilitaires à partir de théories critiques qui accordent d’emblée une grande attention au politique, alors que le corpus de recherches françaises, héritier, pour une part notable, de la socio-économie des transports, a plutôt développé ses connaissances dans le domaine de l’aménagement des espaces et de la compréhension des modes de vie mobiles. De ce fait, sans être totalement absentes, les problématiques politiques sont marginales dans les travaux français.

La distinction des registres politiques s’impose ensuite. Des travaux fondateurs examinent les liens entre le développement historique des mobilités et les reconfigurations du fonctionnement des États, les redéfinitions de la citoyenneté et l’apparition d’un nouvel ensemble de droits ; c’est le cas de Michel Foucault dans sa dialectique des espaces isotopiques et hétérotopiques (1967), d’Isaac Joseph saisissant le passant aux prises avec la ville disciplinaire (1984), de John Urry à la recherche des formes de citoyenneté d’un monde mobile (2000) ou encore de Tim Cresswell (2010). Ces travaux, dont la liste pourrait être allongée, se situent au niveau de l’appréhension de formes socio-historiques des pratiques mobilitaires. Il reste que la mobilité, comme référentiel à même de structurer les débats sociaux et d’orienter l’action publique, est encore, globalement, un champ en friche.

Cet article propose quelques éléments d’identification de ce qui pourrait constituer, en France, une politique des mobilités. Cette exploration prend son sens au regard du changement, au cours des dernières décennies, du statut sociétal des questions mobilitaires. La période allant des années 1960 aux années 1990 fut celle de la « conquête joyeuse de la mobilité » (Orfeuil 2010), de la part des ménages comme des territoires qui s’équipaient à marche forcée en infrastructures et matériels roulants. Le référentiel dominant d’alors est d’ordre technico-scientifique[1][1]. Au tournant du siècle, cette conception cède le pas avec le surgissement de fronts critiques engageant une mutation de la question mobilitaire, projetée dans de nouvelles arènes de questionnement. D’un côté, des voix mettent en question l’étalement urbain et l’allongement des distances, qui font craindre l’épuisement des ménages et la rupture des capacités collectives à assumer des modes de vie coûteux en aménagements et en énergie. D’un autre côté, le développement durable ouvre un registre d’interrogations autour des pollutions, de la gestion énergétique et des inégalités environnementales. Enfin, un front critique s’empare des tensions nouées entre la mobilité et la justice sociale, à partir d’une mise en cause de la théorie du trickle down (le « ruissellement » des richesses) qui éclaire l’action aménagiste des pouvoirs publics, particulièrement des collectivités locales. La question est : est-il certain que les gains de mobilité rapide des métropoles (TGV, avions et autoroutes) profitent à tous ou simplement à une minorité de métropolitains (Fainstein 2010) ?

La question mobilitaire s’est, en quelques décennies, singulièrement compliquée. Elle constitue aujourd’hui la scène de débats engageant de nombreux acteurs économiques et politiques, diverses institutions, de même que des lobbys. Nous souhaitons identifier certains de ces débats en les appréhendant à travers l’approche cognitive théorisée notamment par Pierre Muller (Muller 2000). Cette approche est attentive aux « visions du monde » et aux problèmes critiques qui balisent les espaces de débats partagés par les protagonistes d’un domaine[2][2]. La politique de la ville, au sens français de l’expression, illustre cette conception d’une politique comme arène de débats et de conflits autour de représentations du monde et du cadrage des problèmes à traiter. En l’espèce, la politique de la ville est sous-tendue par une certaine conception des articulations entre ville et société – c’est la problématique de la « nouvelle question urbaine » (Donzelot et Jaillet 2001) – et par les problèmes critiques, c’est-à-dire qui condensent de multiples enjeux, que sont la ségrégation résidentielle, le spatial mismatch, la concentration sur les mêmes territoires des difficultés éducatives, de santé, de formation, etc. Dans cette perspective analytique, qu’en est-il des éléments-clé du référentiel d’une possible politique des mobilités ?

À ce titre, nous retenons ici cinq problèmes, critiques en cela qu’ils sont discutés publiquement par des élus et des experts, mais aussi par des associations de citoyens et des médias. Ces controverses, au sens courant du mot – à savoir des débats argumentés – sont : l’accessibilité des périphéries, la garantie d’une mobilité générique pour tous, la régulation du travail mobile, le droit d’être préservé du flux et la démocratie de multi-appartenance.

Selon les multiples points de vue qui s’entrecroisent désormais dans le champ des mobilités, d’autres enjeux peuvent être distingués. Certains explorent, par exemple, le plan de l’analyse idéologique, en posant la question de savoir si la mobilité est de nature néo-libérale ou non (Borja, Courty et Ramadier 2013). D’autres se focalisent sur l’innovation technologique (voir le débat autour de la voiture autonome) et d’autres considèrent que ce sont les lourds enjeux du financement des transports qu’il faut inscrire en priorité à l’agenda des débats publics (Crozet 2016).

Nos regards portent ailleurs, sans que nous puissions avancer de véritable justification scientifique à nos choix. En ce sens et sur ce plan, ce texte exprime un point de vue personnel et propose une « vision du monde », non exclusive d’autres visions du monde. Notre regard procède de notre prisme disciplinaire de sociologue, qui nous amène à être plus attentif à tel et tel problème. La trajectoire personnelle compte aussi. Nous avons travaillé sur chacune des questions explorées. Mais ces éclairages personnels ne disent pas l’essentiel d’une observation et d’une analyse de l’actuelle structuration sociétale des enjeux mobilitaires. Les problèmes critiques que nous projetons, articulés dans une possible politique des mobilités, sont définis par des caractéristiques partagées. Ils sont investigués par les sciences humaines et sociales. Des responsables politiques locaux et nationaux s’en saisissent et engagent à leur propos des travaux réglementaires et législatifs. Ils font l’objet de la mobilisation, plus ou moins institutionnalisée, d’acteurs de la société civile. Enfin, chacun de ces problèmes critiques donne lieu à un traitement médiatique.

Nous proposons une mise en forme synthétique des cinq problèmes critiques évoqués, en tentant d’y discerner, plus spécialement, certaines dimensions au cœur de controverses publiques. Ce faisant, nous avançons l’idée qu’un champ politique relativement unifié est en cours de structuration autour des mobilités. Il n’y a là, d’une certaine manière, rien de nouveau. Voilà plus de vingt ans que les sciences humaines et sociales démontrent le « travail » d’une société mobile impulsant, dans un même mouvement historique, la reconfiguration transversale de tous les secteurs de la vie sociale. Nous explorons ici l’hypothèse selon laquelle s’organise, autour des enjeux mobilitaires, un registre d’action collective à la fois politique et axiologique. Politique parce que la mobilité – pas seulement le transport – est désormais au cœur de choix de gouvernance ; axiologique parce que ces choix impliquent des débats sur des orientations morales entre lesquelles il faut arbitrer – pour déterminer, par exemple, à quel niveau les différentiels de mobilité des populations deviennent inacceptables, ou dans quelle mesure un salarié pourrait refuser un trop-plein de mobilité professionnelle.

Inégalités mobilitaires et périphéries.

En simplifiant une réalité complexe et mouvante, nous dirons que les inégalités mobilitaires scindent la société française en trois populations[3][3]. La première est celle, qu’avec Laure Gherardi et Philippe Pierre (2010), nous appelerons les ubiquistes. Leur territoire est le plus étendu et chevauche les espaces régionaux, nationaux et internationaux, fortement appropriés à partir de multiples lieux de travail et d’habitation (Vincent-Geslin, Ravalet et Kaufmann 2016). La seconde population est celle des navetteurs, dont l’espace de vie est organisé autour des allers-retours quotidiens entre le travail et la vie familiale, les courses et les loisirs. L’espace des navettes est en extension depuis les années 1970. En 2010, l’Insee a cartographié les aires urbaines sur la base de l’indicateur des déplacements domicile-travail. Une première carte agrégeait les communes, dont 40% au moins des actifs travaillaient au pôle urbain central. Les « tâches » urbaines excédaient largement les territoires d’agglomération. Mais une seconde carte agglomérait les communes sillonnées par 25% au moins des actifs. La France des navettes quotidiennes prenait un visage inédit, celui d’une agglomération parisienne intégrant Tours et Rouen, Amiens et Le Havre. Nantes et Rennes d’un côté, Toulouse et Bordeaux par ailleurs fusionnaient presque. Cette carte, qui a semblé exagérée à beaucoup, nous semble pertinente pour montrer la dilatation des territoires de vie quotidienne et la consolidation de la population des « actifs interurbains » (Conti 2016). Pour le reste, les navetteurs sortent, en diverses occasions, des espaces quotidiens. Des statistiques font état, par exemple, d’une hausse des déplacements en avion des ouvriers, entre 1994 et 2008 (Setra 2010, p. 18). Mais l’accès à l’avion ou au TGV une fois de temps en temps ne modifie pas l’inscription territoriale des navetteurs. La troisième et dernière population est celle des insulaires, au sens de personnes et de ménages peinant, pour de multiples raisons, à franchir les bornes de territoires resserrés autour du domicile, dans lesquels les formations et les emplois, les services de vie quotidienne et les ressources statutaires sont rares, voire nulles.

La production des logiques mobilitaires inégalitaires relève de registres déjà repérés (Urry 2007), mais d’autres apparaissent, accompagnant le déploiement de la société mobile, à commencer par l’apprentissage. La comparaison de deux enfants, de milieux ubiquiste et insulaire, dans leurs rapports aux déplacements, dans leurs expériences des lieux-mouvements ou du voyage à l’étranger, amène à distinguer deux backgrounds mobilitaires, aussi socialement différenciants que le rapport à la lecture et à l’art. Ces apprentissages sont d’autant plus discriminant que les pratiques sont investies par une galaxie de services « de » et « à la » mobilité : les distributeurs de titre, les sites internet et les applications, les plans interactifs, les vélos et les voitures en libre-service, les smartphones, les TGV, les Ouigo ou les cars « Macron »… Ces services offrent de la fluidité aux ubiquistes, mais se présentent comme autant d’obstacles à une partie de la population. Un autre registre de différenciation est celui de « l’embarquement ». Une bonne partie des mobilités ubiquistes s’opère à partir de la sphère du travail et des emplois métropolitains. Les entreprises et les institutions ont un intérêt immédiat à ces déplacements et elles mettent à disposition de leurs personnels « en mission » un ensemble d’aides. Les voyages sont organisés et payés par les entreprises, environnés de services (salons « grand-voyageur », coupe-file, etc.). Les ubiquistes voyagent donc « embarqués » dans des dispositifs institutionnels. Les navetteurs ont accès à quelques dispositifs d’embarquement, par exemple les titres de transports collectifs payés par les employeurs. Les insulaires n’ont accès à rien.

L’apprentissage, la fracture servicielle[4][4] et l’embarquement sont des opérateurs du cloisonnement des univers mobilitaires les uns par rapport aux autres. Les pratiques ubiquistes sont inaccessibles aux insulaires, qui n’en connaissent que les avions survolant leurs cités ou les lignes TGV qui traversent leurs espaces de vie. Ces pratiques se superposent ainsi dans une nouvelle ségrégation, verticale, qui projette sur les distances les ségrégations de voisinage bien connues (Le Breton 2017).

Cette partition des univers mobilitaires ubiquiste, navetteur et insulaire est considérablement amplifiée par la métropolisation. Voilà quarante ans que les métropoles et les armatures métropolitaines captent la quasi-totalité (pour ne pas dire la totalité) des innovations mobilitaires (tramways et métros, aéroports et plateaux piétonniers, vélos en libre-service et gares TGV, rocades et voitures électriques partagées), mais aussi des moyens économiques et des expertises affectées à ce domaine. La légitimation de ces préférences métropolitaines s’appuie sur la théorie du dynamisme économique et du « ruissellement » de la richesse produite. Mais l’analyse des données montre un découplage, de plus en plus marqué, à deux niveaux : celui de la captation des richesses par les métropoles au détriment des villes petites et moyennes (CGET 2016) ; et celui de la captation des richesses par les centres au détriment des couronnes.

Des voix appellent à une réorientation des innovations mobilitaires et de leurs moyens techniques, financiers et humains vers les périphéries urbaines et territoriales (Terra Nova 2012) (Fondation Nicolas-Hulot 2014a) (Fondation Nicolas-Hulot 2014b). Réduire les « sur-budgets » des ménages, qui consacrent parfois 20% à 25% de leurs ressources à la mobilité, améliorer le confort et la sécurité de leurs déplacements et leur accès à l’emploi, simplifier l’organisation quotidienne de plusieurs millions de ménages : tout cela devrait devenir le chantier des prochaines décennies.

Une mobilisation et des actions pour la mobilité générique.

Un problème critique a pris une forme publique en une petite vingtaine d’années, avec la prise de conscience des empêchements de mobilité d’une population enclavée dans des espaces mal dotés en services de vie quotidienne (Le Breton 2005). Cet enclavement procède de la combinaison de la fragmentation des territoires, d’une part, et de la fragmentation du travail, d’autre part. Les emplois précaires (bas niveaux de qualification, bas niveaux de salaire et désynchronisation) sont plus souvent que d’autres éloignés sur les périphéries. C’est notamment le cas du BTP et de la logistique, de la grande distribution et du nettoyage industriel (IAU 2016). Dès lors, les appariements entre domicile et travail sont fragiles, voire impossibles. La double dynamique d’émiettement des espaces métropolitains et de précarisation de la partie « basse » du marché de l’emploi s’amplifie et va s’amplifier encore. L’insularité va s’amplifier avec elle.

Photo 1 : Mobilité-liberté et mobilité générique (Source : Eric le Breton).

Il n’existe aucune évaluation quantitative de la population « insularisée ». L’analyse des effectifs accueillis par les dispositifs sociaux de terrain est peu sûre, car les bénéficiaires y entrent et sortent rapidement. Les données globales nationales permettent d’approcher un ordre de grandeur. On compte deux millions d’allocataires du Revenu de solidarité active (RSA), un million de bénéficiaires de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) et un demi-million de bénéficiaires de l’allocation spécifique de solidarité. À ces minimas sociaux, nous additionnons 1,3 million de jeunes accueillis par les missions locales, 3,5 millions de salariés travaillant dans des formes particulières d’emploi[5][5] et 1,3 million d’actifs à temps partiel subi, soit un total de 9,6 millions de personnes (CNML 2012) (COE 2014) (DREES 2017) – sans compter leurs ayants-droits. Certes, toutes ces personnes ne sont pas en difficulté de mobilité, mais d’autres, y compris des salariés en CDI à temps plein, le sont. Le problème est alarmant et un chiffrage précis est nécessaire.

L’insularité est un phénomène repéré par des travailleurs sociaux de terrain, confrontés aux difficultés inédites que rencontrent les bénéficiaires des actions : formations et emplois inaccessibles, accentuation de problèmes de santé et de rupture familiale, isolement, dépressions et suicides (Observatoire National du Suicide 2014). Tous les territoires : les cœurs de ville et les « quartiers », le périurbain et le rural, établissent un diagnostic partagé, celui d’une privation de mobilité, désormais nichée au cœur des logiques métropolitaines de l’intégration sociale et de ses laissés-pour-compte.

Partout, les structures sociales de terrain conçoivent des dispositifs d’aide à la mobilité, qu’il s’agissent de locations de deux roues et de voitures, de transports à la demande et de covoiturages, d’auto-écoles sociales et de formations à la mobilité. Elles mobilisent des élus locaux, confrontés aux mêmes difficultés chez certains de leurs administrés. Des services de l’État sont impliqués et la problématique est inscrite à l’agenda des politiques publiques, par exemple en 2008, lors d’une journée du « Grenelle de l’insertion », consacrée à la mobilité. Puis des entreprises privées et publiques grossissent les rangs des bonnes volontés. Total, Renault, Michelin, Pôle Emploi, La Poste et d’autres s’intéressent désormais aux liens entre la mobilité quotidienne et l’intégration sociale et professionnelle. Mais les dispositifs d’aide restent fragiles et insuffisants. Les financements, les compétences et le cadre juridique font défaut. Cécile Féré (2013) établit qu’en 2009, 694 personnes ont bénéficié d’une aide à la mobilité sur l’agglomération lyonnaise, agglomération qui compte 90 000 personnes inscrites dans les dispositifs d’insertion, soit 0,8%. Cet ordre de grandeur est le même dans d’autres territoires ruraux et urbains.

Les inégalités mobilitaires ont une pénétration sociale singulière. Nous distinguons deux registres de mobilité : la mobilité-liberté et la mobilité générique. La mobilité-liberté est le droit politique qu’un individu a d’aller où bon lui semble. Ce droit est effectif en France. La mobilité générique désigne l’accès d’une personne aux aménités nécessaires à la vie quotidienne. Le terme « générique » insiste sur le fait que la mobilité est, dans des territoires de plus en plus fragmentés et étalés, une condition préalable à l’accès au logement et à la santé, à la formation et à l’emploi. Or, quand une mobilité générique n’est pas ou plus assurée, la mobilité-liberté est mise à mal : avoir le droit politique de se déplacer n’a de sens qu’à la condition d’avoir les moyens de le faire. Les inégalités mobilitaires impactent l’intégrité politique de certaines populations.

À travers la mobilisation de milliers de travailleurs sociaux et de leurs alliés des collectivités locales et des services de l’État, un mouvement collectif prend forme autour du déni de justice sociale et d’un appel au changement. Ces collectifs impliqués dans la mobilité pour l’insertion considèrent que l’insularité n’est pas un problème d’organisation des transports, mais un problème politique de partage des ressources territoriales. Dès lors, ils appellent à fonder un nouveau système d’acteurs à même de traiter ce problème, système dans lequel les transporteurs devraient partager la conception et la mise en œuvre de l’action publique avec d’autres opérateurs. Enfin, ils insistent sur l’urgence d’augmenter les capacités d’action mobilitaire des populations et des territoires confrontés à des déficits dans ce domaine. Globalement, le problème est de savoir comment traiter la marginalisation mobilitaire d’une partie significative de la population.

Les compétences mobilitaires au cœur du travail.

La société des Trente Glorieuses reposait sur le contrat salarial d’un emploi fixe dans un lieu fixe. Le mobility turn défait ce compromis et modifie les conditions de travail de plusieurs catégories de travailleurs, ainsi que le fonctionnement de leurs organisations (Le Breton 2007). À l’articulation du travail et de la mobilité, quatre configurations apparaissent. La première est celle des travailleurs nomades (Le Marchand 2011) : les marins, les forains, les ouvriers, les agents de maîtrise et les cadres des grands chantiers (lignes TGV, autoroutes, etc.) qui partent à longueur de semaines, logeant dans des camps de caravanes ou des chaînes d’hôtels bon marché. Cette pratique est identifiée par les organisations professionnelles sous l’intitulé de « grands déplacements » (Fédération Nationale des Travaux Publics 2016). Elle est réglementée par les conventions collectives, les accords de branche et le droit fiscal.

La seconde catégorie est celle des personnes qui ne sont pas « sur la route » en continu mais pour qui la mobilité est une condition d’activité. Sont concernés les artisans, un ensemble d’ouvriers, de techniciens et de commerciaux qui se déplacent chez leurs clients, mais aussi les professionnels – des femmes pour une grande proportion – des services à la personne et aux entreprises[6][6]. Pour tous, la mobilité est une pratique ancienne mais en expansion. En 2013, 45% des salariés hommes, toutes catégories confondues, devaient conduire un véhicule dans le cadre de leur activité professionnelle, contre 44% en 2005. La situation des femmes change plus significativement, puisqu’elles passent de 19% en 2005 à 23% en 2013 (Algava et Vinck 2015).

Le troisième cas est celui des activités professionnelles dont la dimension mobilitaire, longtemps faible ou nulle, se développe, parfois considérablement. Prises entre les volontés d’économies budgétaires et les réorganisations territoriales, des entreprises du tertiaire supérieur ont invité leurs consultants à travailler chez les clients, dans leurs voitures, dans les trains et les avions, ou dans les bureaux nomades. Les universitaires et les chercheurs vivent aussi l’injonction à l’élargissement territorial de leurs activités et de leurs mobilités (Meyer, Kaplan et Charum 2001).

Le dernier ensemble réunit les professionnels pour qui la mobilité constitue le cœur de métier : les chauffeurs routiers, les taxis et les conducteurs de véhicules de tourisme et des transports collectifs, les livreurs (en camionnette et en voiture, en scooter et en vélo), les ambulanciers… Ces activités enregistrent une nette progression de leurs effectifs, notamment le secteur d’emploi « Transports, logistique et tourisme » (DARES 2011).

Des enjeux structurent cette constellation proliférante, à commencer par l’articulation, chez ces professionnels, d’une compétence de métier et d’une compétence mobilitaire, laquelle excède le domaine du transport pour intégrer la maîtrise des temps, du repérage spatial, des sociabilités… Ces professionnels partagent aussi des tensions repérables au sein de plusieurs registres. Le premier registre est celui des liens entre le salarié et son organisation. La mobilité est-elle source de pouvoir, pour le travailleur mobile, ou de fragilité (Tarrius 2000) ? Un autre registre de tensions porte sur la mise en œuvre des outils mobiles : le téléphone, l’ordinateur et la messagerie, le GPS mais aussi le scanner et l’imprimante de petite taille. Quels sont les usages de ces dispositifs, qui confèrent de l’autonomie et de la liberté mais qui, simultanément, marginalisent et isolent le salarié travaillant dans sa voiture, sur une aire d’autoroute ? Comment s’organisent les relations avec la « base arrière », les collègues du siège, joints vingt ou trente fois dans la journée ? Voilà le télétravail ! Mais il se déploie, non pas entre le bureau et le domicile, mais entre les bureaux et la voiture ou la camionnette, la chambre d’hôtel ou la résidence hôtelière, l’aire d’autoroute ou l’espace de co-working (Fernandez et Marrauld 2012) (Fernandez, Guillot et Marrauld 2014).

Les travailleurs mobiles sont également pris dans le paradoxe de villes réglementant toujours plus finement les activités de service qui s’y multiplient, au risque de produire un espace impraticable. Il devient difficile d’exercer une activité mobile dans des territoires encombrés et surinvestis de normes, de contraintes et de réglementations régissant, entre autres choses, le stationnement, la circulation des véhicules écologiquement « propres » ou non, le poids maximal des camions autorisés dans les centres ou encore les modalités de prise et de dépose des clients des taxis et des VTC (Dablanc 1998).

Les liens du salarié mobile avec ses groupes d’appartenance privés constituent un autre plan de tension, mis en évidence par Paul-Henri Chombart de Lauwe (1959) qui, le premier, appréhendait les répercussions sur la vie personnelle de l’allongement des distances domicile-travail. Il montre alors que l’absence quotidienne du père et de la mère, à une période où les femmes accèdent au salariat, perturbe les vies familiale et conjugale. L’examen actuel de ces articulations dessine un paysage plus nuancé, dans lequel le travail mobile et les relations conjugales, éducatives et amicales relèvent d’arbitrages subtils reconfigurant les investissements interpersonnels (Bonnet et Collet. 2009) (Belton et Coninck 2007) (Ravalet, Dubois et Kaufmann 2014).

Le monde du travail mobile est en bouleversement : en témoignent les relations tumultueuses entre les taxis et les VTC, les protestations statutaires des livreurs à vélo, les accords, dans des entreprises comme Renault, autour de la modularité des temps de travail en fonction des contraintes de circulation ou les taux élevés de turn-over dans les secteurs d’activité où les mobilités contraintes sont importantes (comme les milieux du service). Une question s’esquisse entre de nombreux acteurs sociaux : quelle est la juste place de la mobilité dans le travail et comment l’aménager ?

Être préservé du flux.

Si la mobilité participe encore d’une vision enchantée du monde et de l’individu, le récit héroïque de la transformation « moderne » de soi s’assombrit d’une critique de ses dimensions déshumanisantes. Dans L’idéologie sociale de la bagnole, André Gorz avance que la justification de la mobilité des longues distances et des grandes vitesses, qui s’institue simultanément à la démocratisation de la voiture, vise uniquement la distinction sociale : « La bagnole, comme la villa sur la côte, n’a d’intérêt et d’avantages que dans la mesure où la masse n’en dispose pas. » (Gorz 1973). Ivan Illich porte sa critique sur deux autres points – d’abord la stratification sociale des portées de déplacement. Les riches vont loin grâce à des infrastructures qui mutilent les territoires des pauvres : « En une vie de luxueux voyages, une élite franchit des distances illimitées, tandis que la majorité perd son temps en trajets imposés pour contourner parkings et aérodromes. » (Illich 2004, p. 394). Enfin, Illich – c’est son argument le mieux connu – développe une critique des « seuils » de mobilité : les voitures toujours plus nombreuses génèrent des congestions qui réduisent à rien l’intérêt de leur possession. Alors « l’esclavage de la circulation commence » (Illich 2004, p. 393).

André Gorz et Ivan Illich comptent parmi les inspirateurs de l’écologie politique qui est, avec le développement durable, le fer de lance de la critique des mobilités et spécialement de la voiture, dont René Dumont, candidat écologiste aux élections présidentielles de mai 1974, disait : « la voiture, ça pue, ça pollue, ça rend con » – exigeant l’arrêt de la construction des autoroutes « en train de défigurer toute la France ». Un mouvement de protestation s’esquisse alors sur cette revendication (Zembri-Mary 1999) et des batailles sont gagnées contre les infrastructures automobiles à Nantes, à Lyon ou à Paris, contre la pénétrante Vercingétorix. Au-delà de la voiture, tous les équipements de mobilité passent aujourd’hui au crible des critiques écologistes (Vrignon 2012) : les routes et les autoroutes, les aéroports et les lignes aériennes… D’autres postures expriment une défiance à l’égard des mobilités, par exemple le mouvement des « villes lentes », en France et en Italie, qui promeut l’aménagement d’espaces locaux, soutient la multiplication des zones piétonnes, des commerces de proximité et le développement des coutumes locales (Le Breton 2016).

Le discours mobilitaire est aussi attaqué du côté de l’économie politique. Pour Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999), la mobilité incarne une nouvelle exigence « connexionniste » du capitalisme en réseau. Le cadre « à l’ancienne » laisse place au manager qui appartient à plusieurs réseaux, maîtrise plusieurs cultures d’entreprises et plusieurs cultures nationales. Dans le monde connexionniste, la première compétence des personnes comme des structures est de savoir tisser des liens, de se connecter : d’être mobile.

L’idéologie mobiliste fait enfin l’objet d’une critique politique en termes de « bougisme », selon le mot de Pierre-André Taguieff (2001). Le bougisme est l’injonction à la mobilité qui voudrait s’imposer à tous, dans tous les domaines de la vie sociale, de la consommation automobile au tourisme, de la valorisation par principe des mobilités lointaines à la dévalorisation par principe des déplacements locaux. En tant qu’idéologie, le bougisme disqualifie ceux qui ne sacrifient pas à ses standards de comportement. Le bougisme détruit les frontières qui abritent les espaces politiques, espaces des droits concrets et des sujets-citoyens. L’individu se retrouve à vivre dans un environnement parcellisé et dépolitisé. Les travailleurs, passant d’un contrat de travail à l’autre, d’un lieu de travail à l’autre, sont empêchés de participer à des collectifs de défense. Le bougisme est l’idéologie d’une minorité qui l’instille comme un moyen de destruction des collectifs et des appartenances, des repères et des défenses politiques ; on retrouve ici le regard de Zygmunt Bauman (2005).

La liste n’est pas close mais, on le comprend, l’injonction mobilitaire est attaquée de plusieurs côtés. Loin de la « conquête joyeuse », la mobilité aliène et détruit l’environnement, elle sert les intérêts du capitalisme mondialisé et liquide les identités politiques. Les protestations sont discursives, mais pas seulement. La mobilisation contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes peut être vue comme le rejet d’un type de mobilité. Le retour en grâce du vélo ou, dans un autre registre, les mobilisations des habitants de Venise ou de Barcelone contre les « invasions » touristiques expriment aussi un désir que l’on pourrait dire de « mise à distance de la distance ». Il faudrait, semble-t-il, des bornes à la mobilité. Ces perspectives donnent consistance à l’un des enjeux critiques d’une politique de la mobilité : le droit d’être préservé du flux. Verra-t-on bientôt un mouvement social se saisir de cette exigence ?

Le passant et la démocratie des multi-appartenances.

Dans le droit français, la citoyenneté est fondée sur l’habitant et plus précisément le résident, qui est l’entité de base du recensement général de la population (RGP). Le RGP est imposé par la loi et ses résultats ont une dimension réglementaire. C’est à partir d’eux que l’on dénombre et localise les résidents, ensuite inscrits sur les listes électorales. Or, nos concitoyens mobiles passent de plus en plus de temps loin de leurs communes de résidence et ils inscrivent des appartenances, des relations et des activités dans de multiples territoires. Alors, si les membres de la société mobile peuvent s’exprimer politiquement, en citoyens-habitants, sur leurs espaces de résidence, ils n’ont pas accès aux débats politiques dans leurs espaces de travail, de vacances et dans les autres lieux où s’ancrent des dimensions de leurs vies et de leurs identités. Si l’on fait du « passant » l’homme ou la femme typique de la société mobile, force est de constater que le passant n’existe pas en termes politiques et de citoyenneté.

Ce hiatus est exprimé dans cette « lettre à un maire », écrite par les habitants d’une commune, habitants qui font des courses, prennent le RER et garent leurs voitures sur une commune voisine. Et de déplorer :

« Nous sommes (…) de gros usagers de votre commune et nous contribuons significativement à son économie. Nous avons l’impression que nous en sommes aussi d’une certaine manière les habitants. (…) Mais nous souffrons (…) de ne pas être pris en compte. Personne ne nous demande notre avis sur des aménagements publics qui nous concernent pourtant directement. » (Ascher 2009, p. 100).

Ce décalage entre les espaces mobiles et les espaces résidentiels est observable dans d’autres configurations et à d’autres échelles.

Photo 2 : Le passant et la démocratie de multi-appartenance (source : Eric le Breton).

La Défense offre un bon analyseur du hiatus entre l’habitant et le passant. 20 000 personnes y résident. 200 000 personnes y travaillent. À longueur d’années, ces salariés mangent à La Défense, fréquentent les salles de sport, font leurs courses et confient leurs enfants aux crèches de leurs entreprises. Ces passants ont un usage quotidien et durable du site, sans accéder aux discussions publiques concernant ses aménagements et transformations, réservées aux habitants. Les établissements publics d’aménagement de La Défense et de gestion du quartier d’affaires de La Défense ont mis en place des forums défensiens, des moments de dialogue avec les habitants et les salariés[7][7]. Las, les procès-verbaux des rencontres montrent que les salariés sont absents et que ne sont abordés que des problèmes de résidents. Les cadres de La Défense demeurent en lisière des discussions sur les enjeux du site. Par contre, ils ont accès de plein droit aux débats dans leurs communes de résidence où, à longueur de semaine, ils ne font pas forcément grand chose.

La récente transformation du Forum des Halles à Paris offre un autre analyseur des tensions entre les figures du passant et de l’habitant. Le site réunit la gare de Châtelet-Les Halles, l’une des plus importantes d’Île-de-France, un centre commercial et les jardins situés au cœur de Paris, entre la Bourse de commerce et l’Église Saint-Eustache. Le quartier administratif des Halles compte 6 000 habitants. En élargissant au 1er arrondissement, on atteint 16 500 personnes. Voilà pour les habitants. Du côté des passants, 150 000 personnes fréquentent tous les jours le Forum des Halles, et 100 000 personnes utilisent quotidiennement les gares du métro et du RER. Pour qui et avec qui faut-il réaménager les Halles ? Pour les 6 000 habitants du quartier ? Pour les 16 500 résidents du 1er arrondissement ? Ou pour les centaines de milliers de passants parmi lesquels des touristes, des chalands, des SDF, des salariés, des jeunes en balade le samedi après-midi ? Quelle catégorie de population est la plus légitime à donner son point de vue et, partant, à fixer la nature des équipements et des aménagements du site ? (Baudouin et al. 2007).

Nous pourrions examiner d’autres exemples, tels que les débats publics organisés par Réseau Ferré de France dans le cadre de la détermination des tracés des lignes TGV, débats qui consistent toujours à arbitrer les positions des riverains-habitants et des passants. Le monde du tourisme illustre aussi ce hiatus, quand l’été multiplie par vingt la population d’une commune. Les touristes, « de passage » par principe, apportent du chiffre d’affaire au commerce local et parfois sauvent des territoires de la « mort » économique. Ces passants, malgré leur générosité, n’ont pas voix au chapitre des décisions concernant la vie de ces communes. Le paradoxe est encore plus frappant dans le cas des maisons secondaires. À Port-Tudy (Finistère) ou Pénestin (Morbihan), les maisons secondaires représentent 75% des logements. Les impôts de ces passants constituent une grande part des ressources des communes, mais leur implication dans les affaires publiques est limitée à cette contribution financière.

La société mobile est façonnée par la multi-appartenance, et sa figure centrale est celle d’un passant, qu’avec Isaac Joseph, l’on dira « considérable » (Joseph 1984), car il participe aux activités de territoires où il ne réside pas.

« Un espace traversé par des individus et des ménages mobiles ne se gouverne pas comme des communautés rurales d’Ancien Régime » (Estèbe 2008, p. 17). Quels fonctionnements institutionnels permettraient l’expression politique de la société mobile, faite d’identités individuelles et collectives ancrées bien sûr, mais aussi et au combien fluides et multi-appartenantes ? Comment appréhender la figure du passant dans sa complexité, entre les cadres internationaux et les migrants, les navetteurs et les touristes ? Tous comptent, mais quels droits du ou des passant(s) inventer, où chacun aurait sa juste place ? Quels dispositifs concevoir pour permettre aux passants de se faire entendre dans les débats publics ? Gerald Frug (1999) imagine d’accorder aux électeurs le droit de voter dans cinq communes différentes : les communes de résidence, de travail, d’étude des enfants, la commune de naissance et une dernière commune, au choix de la personne. Vont dans ce sens les réflexions françaises autour des parlements métropolitains, qui aboutiraient à la disparition des communes et permettraient aux citadins de s’engager sur des enjeux métropolitains. Comment représenter des populations de passants ? Peut-on imaginer l’élection, un jour, d’un élu représentant les utilisateurs des TGV, les touristes à Paris ou les réfugiés politiques ?

Nous revenons à la question d’une politique des mobilités, ou à ce que Jorgen Ole Baerenholdt dénomme governmobility » ou the government through mobility (Baerenholdt 2013, p. 30). L’idée renvoie à un fonctionnement politique qui prendrait en compte les dimensions mobilitaires, non pas uniquement comme des objets à traiter mais comme des cadres d’intervention et des supports de régulation du vivre ensemble. Il ne s’agirait plus de gouverner les mobilités, mais de gouverner la société à partir des mobilités instituées comme un cadre d’action sur autrui. Cette approche de Baerenholdt est utile pour comprendre ce qui s’opère à travers l’émergence des problèmes décrits plus haut, à savoir l’émergence, dans la société civile et les instances de la gouvernance politique, d’une nouvelle capacité à penser et à agir sur la société à partir des mobilités. Les transports étaient les objets de politiques publiques sectorielles. La mobilité devient une vison du monde partagée, une représentation de la société et de ses dynamiques, cristallisée autour d’enjeux spécifiques.

Les problèmes critiques examinés ici sont, avec d’autres, désormais constitués en débats publics. C’est le cas, clairement, de la question des périphéries et de la mobilité générique. Des experts, des politiques publiques et des programmes de recherche s’en saisissent dans des discussions structurées. D’autres problèmes critiques sont plus émergeants : le travail mobile et le droit de se retrancher du flux sont des questions débattues, mais encore assez nouvelles. La démocratie du passant est en cours de défrichage. Ces problèmes critiques intègrent tous une revendication spécifique, que nous avons essayé d’identifier : une demande d’innovations mobilitaires au profit des périphéries, une réflexion autour de la place de la mobilité dans le travail, etc. Plus globalement, tous expriment une demande de justice. La question des périphéries et de la mobilité générique s’inscrivent dans des préoccupations de solidarité entre les territoires et les populations. Ce sont des demandes de reconnaissance de conditions de vie difficiles, qui émanent des travailleurs écartelés par la mobilité, comme des habitants dont l’environnement est perturbé par les pollutions et les gênes occasionnées par les routes aériennes et les infrastructures de déplacement…

Au-delà des questions spécifiques qui se posent dans chacun des cinq domaines, une demande de justice mobilitaire engage à examiner les conditions de la cohésion sociale dans une nouvelle société – mobile.[8]

Endnotes:
  1. [1]: #_ftn1
  2. [2]: #_ftn2
  3. [3]: #_ftn3
  4. [4]: #_ftn4
  5. [5]: #_ftn5
  6. [6]: #_ftn6
  7. [7]: #_ftn7
  8. : #_ftnref1

Résumé

La question mobilitaire constitue aujourd’hui la scène de débats impliquant des acteurs économiques et politiques, diverses institutions, ainsi que des lobbys. Nous examinons des enjeux désormais sociétaux, et non plus seulement techniques, contribuant à l’émergence d’un champ de débats politiques et axiologiques en cours d’unification. Nous explorons cinq controverses : l’accessibilité des périphéries, la mobilité générique, la régulation du travail mobile, le droit d’être préservé du flux et la démocratie de multi-appartenance. S’esquisse alors la possibilité d’émergence d’une politique qui ferait des mobilités non plus un objet, mais un cadre de gouvernance.

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Notes

[1]  S’il était dominant, ce référentiel orienté vers les enjeux de la planification urbaine et territoriale n’était pas unique. Du côté du monde du travail (Montlibert 2013) ou des théories urbaines (Le Breton 2012), d’autres approches de la mobilité étaient en cours d’élaboration.

[2]  Caroline Gallez (2015) projette une analyse du même type, portant sur les enjeux de la mobilité quotidienne du ressort des collectivités locales.

[3] Les ubiquistes, les navetteurs et les insulaires ne sont que les catégories archétypales d’une constellation comptant de multiples autres figures, hybrides, telles que les professions intermédiaires « grands mobiles » (Ortar 2015) ou les travailleurs précaires experts en mobilité (Jouffe 2007).

[4] Comme construction sociale des inégalités d’accès (et d’usage) aux services « de » et « à la » mobilité. Le remplacement des personnels dans les stations de métro par des automates ou des personnels d’accueil téléphonique par des plateformes robotisées, mais aussi la multiplication des offres de service, des transporteurs par exemple, compliquent l’accès aux services et engendrent une fracture servicielle qui englobe la fracture numérique.

[5]  À savoir les CDD, le travail intérimaire, les apprentis et les emplois temporaires. Les formes particulières d’emploi représentaient 6,4% de l’emploi salarié en 1982, contre 13,5% en 2012.

[6] En 2010, 1,8 million de salariés (hors assistantes maternelles) ont travaillé au domicile de particuliers pour des services à la personne. 2,3 millions de salariés (équivalents temps plein) travaillent dans les services aux entreprises.

[7]  Le dispositif est lancé en 2007. Une brève présentation peut se trouver ici.

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