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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Quelle République pour quels citoyens ?

Patrick Weil, Liberté, égalité, discriminations. L’« identité nationale » au regard de l’histoire, 2008.

Image1Actualisant des articles parus de manière isolés [1], Patrick Weil prend part à la discussion sur les questions d’immigration et de mémoire nationale. Il analyse le présent à travers différents moments clés de l’histoire des politiques d’immigration françaises, et entend ainsi participer à la critique de la politique actuelle d’immigration fondée sur une sélection des nouveaux immigrants par origine géographique. Grâce à un exposé argumenté de la législation mise en place depuis les années 30 en matière mémorielle et d’immigration, l’auteur interroge le lecteur sur ce qui définit la communauté nationale. Il entend appuyer sur le fait que la France est d’abord et avant tout une nation qui a une diversité et que « c’est en France que les immigrés et leurs enfants s’identifient le mieux à leur pays d’adoption » (p. 13). C’est bien cette diversité-là qui fait de la France ce qu’elle est aujourd’hui, à savoir un pays uni, où « l’égalité devant la loi » est un acquis pour tous, une terre d’immigration plurielle. Selon lui, la politique fermée et obtuse prônée aujourd’hui au nom de l’« identité nationale », tend à faire sortir les fantômes du placard et risque de créer des dommages éthiques et diplomatiques irréversibles. Tout au long de son argumentaire, Patrick Weil déroule de façon claire, en assumant ses choix, les pratiques françaises en matière d’immigration, nous ramenant sans cesse au prisme de l’actualité. Il rappelle que, par deux fois déjà, en 1945 ― lors de la réflexion pour la mise en place de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui dotait pour la première fois la France d’une politique d’immigration — et à la fin des années 70 ‑ lors de la fin du septennat de Valérie Giscard-d’Estaing —, la France a risqué de basculer dans la sélection de ses immigrés par origine géographique.

Une République de quotas ?

Plongeant le lecteur dans les faits historiques, Patrick Weil fait apparaître la politique d’immigration actuelle ― à savoir l’immigration choisie ― comme une redite de celle qui a failli voir le jour en 1945. Il est difficile de ne pas faire ce lien, tant les deux volontés politiques sont proches, si ce n’est réellement dans le contenu, du moins dans la forme. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle souhaite pour la France une réelle politique d’immigration : « la France est depuis plus d’un demi-siècle un pays d’immigration mais elle n’a pas encore de politique d’immigration » (p. 27). L’homme du 18 juin fait alors appel au spécialiste de l’époque, Georges Mauco, alors secrétaire général du gouvernement provisoire. Ce dernier révèle vite ses intentions racistes en privilégiant la « qualité ethnique » [2], calquée sur le modèle américain de l’époque. Weil souligne que ses propositions en matière de quotas ethniques ne seront pas acceptées du fait d’opposants au sein même de la présidence du Conseil. L’ordonnance du 2 novembre 1945, qui structure cette première politique d’immigration, dessinera « une immigration quantitative et temporaire et une immigration qualitative et permanente » [3] (p. 65). Patrick Weil montre que, suite à de nombreux débats et la suppression de toute « référence à un quelconque contrôle de l’origine ethnique ou de l’affectation géographique des étrangers » (p. 72), l’ordonnance signée par le général de Gaulle élude dans son texte toute mention de quotas ethniques. Le « principe de préférence ethnique » avait pourtant, dès les années 30, une place hégémonique chez les principaux acteurs politiques. Mais pour beaucoup, ce principe était secondaire, la « priorité [étant alors] donnée à l’égalité formelle » (p. 81). Pour expliquer ce revirement, l’auteur insiste tout particulièrement sur l’état d’esprit de l’époque, marqué par le nazisme. Il était mal vu de mettre en place un système similaire ― prévoyant une hiérarchie selon les origines ― à celui qui venait d’être renversé. Mais l’auteur ne s’arrête pas là, il complète le tableau d’une République dont les fondements de la politique d’immigration peuvent clairement être qualifiés de racistes, avec la présentation de la politique de Valérie Giscard-d’Estaing. Durant les dernières années de son septennat, celui-ci s’efforça de mettre en place une politique de non-renouvellement des titres de séjours des étrangers en situation légale. L’objectif, qui échouera, était alors de faire repartir cent mille Algériens par an. Cette politique trouve son pendant dans l’actualité et les objectifs du tout nouveau ministère de l’Immigration et de l’identité nationale. La force de Patrick Weil est de montrer que l’union de personnes, la mobilisation contre tel ou tel projet destructeur arrive à déstabiliser une politique indigne. Mais il appelle également à la vigilance puisque, même en France, où prévaut le « respect de l’égalité devant la loi et la neutralité devant les origines à l’entrée comme sur le territoire national » (p. 13), le préjugé d’innassimilabilité d’une partie des immigrés subsiste.

Citoyens et discrimines.

Le principe d’égalité français fait en quelque sorte le lien entre les deux parties. Quoi de plus fort que ce principe républicain appartenant au triptyque des valeurs républicaines françaises ? C’est d’ailleurs derrière cette égalité que la France et ses différents gouvernements ont pris l’habitude de se replier pour fermer les yeux sur les discriminations, lesquelles n’ont été « inventé » (Fassin, 2002) que très récemment. En effet, refuser de reconnaître les discriminations, c’est nier l’existence d’inégalités en se persuadant que la société française ne peut enfermer en son sein des comportements de rejet de « l’autre » citoyen français du fait de sa couleur, de son handicap, de son origine ou de son sexe. Reconnaître ces faits, c’est avouer ses fautes et les failles d’un système, d’un modèle qui ne fonctionne plus. Au-delà des discriminations toujours existantes aujourd’hui [4], l’auteur nous renvoie au passé lorsqu’il souligne qu’en 1875, lorsque « la république [devient] le régime politique de la France, quatre catégories de Français ont subi, en matière de nationalité, des discriminations inscrites dans la loi : les femmes, les musulmans d’Algérie, les naturalisés et les juifs » (p. 112).

  • Pour ce qui concerne les femmes françaises, de 1803 à 1927, Patrick Weil rappelle que celles-ci perdraient leur nationalité française et prenaient, au mariage, celle de leurs maris lorsque ceux-ci étaient étrangers. Elles devenaient de fait étrangères à leur tour. « Elle perd son emploi si elle est fonctionnaire, elle est soumise à la loi nationale de son mari » (p. 115).

  • « Par la loi du 26 juin 1889, l’enfant né en France d’un parent déjà né en France est français à la naissance. Si les parents sont à l’étranger, l’enfant sera français à sa majorité » (p. 116). Par cette loi, l’État français modernise sa politique en matière de nationalité en favorisant le droit du sol, mais il poursuit dans un même temps sa politique de discrimination envers les musulmans d’Algérie. Français dans la forme, ils ne sont aux yeux de la France qu’un ersatz des citoyens pleinement français. Ces musulmans d’Algérie, bien qu’ayant la possibilité de faire la demande de naturalisation « furent dissuadés par l’administration coloniale de déposer [une telle demande] » (p. 117). Au final, seulement 7000 d’entre eux devinrent pleinement français avant 1962.

  • De 1927 à 1984, la possibilité d’être naturalisé français se fait en contrepartie d’une inégalité dans les droits du citoyen français. À l’impossibilité d’être élu et de voter, s’ajoute l’incapacité d’exercer le métier d’avocat ou de devenir fonctionnaire.

  • Pour ce qui est des juifs, ces derniers eurent à subir les plus importantes discriminations sous Vichy. Après l’abrogation de décret Crémieux de 1870 qui avait accordé la nationalité française à tous les juifs d’Algérie, ils furent la cible d’une politique antisémite leur interdisant, de fait, la pratique de certains corps de métiers pour ensuite être les victimes des rafles les menant dans les camps de la mort nazis.

Si, comme le souligne l’auteur, la mémoire collective des femmes et des naturalisés issue de ces discriminations s’est perdue dans les affres du temps, il en va différemment concernant les juifs et les musulmans dont les traumatismes ont subsisté alors même que l’égalité des droits leur été attribué. Pour expliquer cela, l’auteur fait alors appel à la psychanalyse pour expliquer ce qu’il nomme « la névrose traumatique », c’est-à-dire, selon lui, « l’obsession mémorielle de la Shoah » (p. 130) chez les juifs et le rejet de la France de la part de la jeune génération de Français d’origine algérienne entre 1985 et 1995. L’auteur arrive à nous convaincre pour ce qui concerne les jeunes musulmans qui, bien que non concernés par la mesure de 1993 [5], se sentent visés symboliquement par celle-ci. On comprend qu’ils en viennent à revivre l’expérience traumatique de leurs parents et grands-parents, leur faisant ainsi rejeter une France qui se refuse à les reconnaître comme pleinement Français. En revanche, Patrick Weil est moins convaincant pour ce qui concerne les juifs. Selon lui, ces derniers se seraient plongés dans une « obsession mémorielle » pour la Shoah, du fait de l’impossibilité de critiquer ouvertement les propos et la personne du général de Gaulle [6], héros et père de la Nation. Rappelons tout de même que le procès Eichmann en 1961 a été vécu comme un événement déclencheur pour la mémoire collective juive [7]. Avant ce procès, la mémoire de la Shoah était une mémoire honteuse pour beaucoup et ce procès « marque l’avènement du témoin. […] Il a libéré la parole des témoins. Il a créé une demande sociale de témoignages […] » (Wieviorka, 1998, pp. 82-83). À partir de là, la Shoah s’internationalise, la mémoire se libère dans l’espace public au sein des sociétés occidentales. Ces éléments rendent ainsi la pertinence des propos de Patrick Weil moins évidente, lesquels peinent à convaincre le lecteur.

Une question de mémoire.

Patrick Weil s’interroge sur les visages de la République et de son acception des citoyens à travers trois politiques fortes des 20e et 21e siècles, à savoir le « racisme et la discrimination dans la politique française de l’immigration entre 1938 et 1945 puis entre 1974 et 1995 » (p. 23) ; les discriminations faites aux juifs, aux femmes, aux musulmans et aux naturalisés et enfin les politiques de la mémoire mises en place. En rappelant les évènements de 2005 et 2006 et l’importante polémique qui a eu lieu avec les lois dites mémorielles [8] et principalement celle du 23 février 2005, Patrick Weil met à jour les malaises d’une République en mal d’amour envers une partie de ses minorités. Face aux levers de boucliers des historiens craignant que ces lois restreignent leur liberté, l’auteur déroule un argumentaire efficace et assumé pour dire la nécessité et la légitimité des deux principales lois Gayssot et Taubira. Par ailleurs, il insiste sur la non-nouveauté de ces « types d’intervention » étatique par « des créations durables d’interdits et de commémoration ou de reconnaissance » (p. 175) comme cela a été le cas avec l’interdiction de l’esclavage et son abolition de 1848 mais également avec l’installation définitive de la république comme régime politique de la France et l’interdiction de tout autre type de régime. La loi Gayssot aborde le même schéma de construction du « couplage de la commémoration et d’interdiction » (p. 189). Face à un antisémitisme vivace dans les années 70, différentes mesures ont été mises en place jusqu’à la loi du 13 juillet 1990 pour commémorer le génocide juif et, dans le même temps, interdire toute dérive antisémite et/ou négationniste. Patrick Weil refuse de voir dans les deux lois mémorielles de 1990 et de 2001 « la victoire de mémoires minoritaires et victimisées » (p. 207). Sans revenir sur la nécessité et l’importance des deux lois, la manière dont ont été instrumentalisées ces dernières par certains groupes issus des minorités françaises ― mais également par l’État ― nous apparaît cependant dangereuse. La position de la victime en tant que nouvelle catégorie sociale attise la lutte et la concurrence victimaire. Le débat sur la mémoire de l’esclavage a clairement mis cela en relief. Nous avons pu observer comment des individus et des groupes se revendiquant de la population noire française se sont offusqués de l’hégémonie de la mémoire de la Shoah. Sans affirmer l’existence d’une communauté noire à proprement parlé, nous soulignons cependant l’affirmation de la part de certains Noirs français de l’existence d’une population noire à la française soucieuse de reconnaissance et d’égalité de traitement pour ce qui concerne les questions de mémoire, des discriminations et de visibilité. C’est donc à la classe politique d’arrêter de faire de la « victime » le citoyen par excellence et d’éviter de mettre en place des mesures qui n’auront pour résultat, essentiellement, que d’envenimer les débats sur la mémoire et de se faire affronter certaines minorités dans le seul but non avoué que celles-ci s’auto-neutralisent.

Le lien, pas toujours évident, fait par Patrick Weil entre les trois parties du livre dessine l’image d’une république réconciliée pour partie avec ses mémoires mais toujours en déliquescence par rapport à certains groupes qui la composent. C’est aussi l’image de citoyens qui peinent à trouver une place, hésitant sans cesse entre un désir de choisir leur propre définition personnelle sans aide d’un groupe ou d’un individu auto-proclamé porte-parole de telle ou telle minorité.

Patrick Weil, Liberté, égalité, discriminations. L’« identité nationale » au regard de l’histoire, Grasset, Paris, 2008.

Résumé

Actualisant des articles parus de manière isolés1, Patrick Weil prend part à la discussion sur les questions d’immigration et de mémoire nationale. Il analyse le présent à travers différents moments clés de l’histoire des politiques d’immigration françaises, et entend ainsi participer à la critique de la politique actuelle d’immigration fondée sur une sélection des nouveaux ...

Bibliographie

Didier Fassin, « L’invention française de la discrimination », Revue Française de Sciences Politiques, n°4, août 2002, pp. 403-423.

Patrick Weil, La République et sa diversité. Immigration, intégration, discriminations, Seuil, La République des Idées, Paris, 2005.

Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Plon, Paris, 1998.

Notes

[1] Patrick Weil a en effet publié chaque partie de l’ouvrage sous la forme d’articles indépendants les uns des autres entre 1995 et 2007.

[2] Mauco souhaite 50% d’Européens du Nord, 30% de « méditerranéens » (principalement des Espagnols, des Portugais et des Italiens) et 20% de Slaves (Polonais, Tchécoslovaques et Yougoslaves). Les Africains et les Juifs étaient exclus.

[3] In Lettre du 7 avril 1945 du ministre des Affaires étrangères au ministre de l’Intérieur, AN, MI 35 347.

[4] Voir P. Weil, La République et sa diversité. Immigration, intégration, discriminations, Paris, Seuil, La République des Idées, 2005, chap. 3.

[5] Patrick Weil souligne que celle-ci est une « réforme du code la nationalité qui obligeait les enfants des autres étrangers à demander à être Français, plutôt que la nationalité leur soit attribuée automatiquement à leur majorité », p. 153.

[6] Patrick Weil tente d’expliquer que « la cause réelle de l’obsession » est la déclaration faite par le général de Gaulle le 27 novembre 1967 lorsque celui-ci a parlé du peuple juif comme « (…) un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur […] », p. 153.

[7] Annette Wieviorka le souligne très justement : « Avec lui s’ouvre une ère nouvelle : celle où la mémoire du génocide devient constitutive d’une certaine identité juive tout en revendiquant fortement sa présence dans l’espace public », in L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998, p. 81.

[8] La loi du 13 juillet 1990 dite « loi Gayssot » qui « tend à réprimer tout propos raciste, antisémite ou xénophobe », la loi du 29 janvier 2001qui affirme que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 », celle du 21 mai 2001 dite « loi Taubira » qui reconnaît « la Traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité » et la loi du 23 février 2005 qui indiquait (parce qu’abrogée en janvier 2006) que les « programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoire la place éminente à laquelle ils ont droit ».

Auteurs

Yoann Lopez

Yoann Lopez est doctorant en sociologie à l’université Victor Ségalen de Bordeaux 2, il est rattaché au Laboratoire d’Analyse des Problèmes Sociaux et de l’Action Collective (Lapsac). Il prépare une thèse sous la direction de François Dubet. Il travaille sur les problèmes sociaux, aussi bien de mémoire que de visibilité, que rencontre la population noire en France ainsi que les divisions internes à cette dite population.

Partenariat

Sérendipité.

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