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Sérendipité.

Lieux, espaces, territoires et identités des grecs-orthodoxes du Proche-Orient.

Il n’est pas un écrit en géographie humaine sur le Proche-Orient qui n’évoque la religion de ses habitants. Elle est utilisée pour définir les identités culturelles des populations, pour démêler des allégeances politiques, pour borner des territoires ; elle sert de prétexte pour produire des cartes et pour proposer de doctes solutions aux crises géopolitiques. Tour à tour, il est question de « quartiers » chrétiens ou musulmans, de « banlieue » ou de « croissant » chiite, de « régions », de « montagne » druze, alaouite ou maronite ; il est également question « d’enclaves » orthodoxes, grecques-catholiques, ismaéliennes, arméniennes, voire mourshidies ; on relève également l’utilisation de « pays » (chrétien, druze, alaouite), de « cantons », de « régions », « d’archipels » étiquetés d’un qualificatif religieux.

Cette intrusion de la religion dans la toponymie et l’analyse spatiale pollue toute tentative de réflexion sur cette partie du monde, car il est péremptoirement postulé depuis plus de 200 ans, qu’ici, religion et espace sont interchangeables. Les conflits géopolitiques et les paysages, les « haines séculaires », les « oppositions plaine-montagne », les soubassements culturels et les identités « millénaires » s’expliquent limpidement par référence à la religion. Cette ingérence est d’autant plus troublante que convier la religion comme variable pertinente renvoie à accepter sans sourciller son imprécision sémantique et son unité ontologique improbable, en occultant très souvent les différences, les oppositions et les conflits internes à chaque religion ou croyance. L’approche élude à la fois d’autres variables bien plus performantes (Kehaila, 2008, p. 42) pour analyser l’espace du Proche-Orient, que toute velléité de pensée complexe ; elle conduit alors à une fragilité flagrante des énoncés produits sur l’espace ou sur le territoire (Chivallon 2008). Héritière des traditions cartésienne et positiviste d’analyse géographique qui commandent la distinction entre l’observation et le monde matériel (Claval 2007, Deneux 2006), l’approche ne peut maintenir que des relations conflictuelles avec la méthode dialectique (Lefebvre 2000, Merrifield 1993). Il en résulte une géographie du Proche-Orient traversée d’imprécisions et de confusions, sources de dérives scientifiques récurrentes, qui alimentent tant les médias friands de simplifications que les représentations de l’homme ordinaire.

Il paraît alors utile de clarifier la place de la religion dans la constitution de lieux, d’espaces et de territoires au Proche-Orient arabe, d’en identifier ses différents acteurs, en nous appuyant sur le cas des Arabes grecs-orthodoxes[1][1]. La prétendue continuité entre la religion dans la construction identitaire de ce groupe et les espaces ainsi produits sera confrontée aux faits observés. Nous montrerons que les cadres d’analyse qui hypostasient la religion sont inadaptés et ne peuvent constituer des assises crédibles pour apporter une valeur ajoutée scientifique à la recherche géographique.

Les grecs-orthodoxes arabes du Proche-Orient.

Les Arabes chrétiens de rite orthodoxe (Roûm orthodhodoks en langue arabe) représentent aujourd’hui moins de 10 % des populations de la Syrie, du Liban et de la Jordanie. Malgré la Nakba[2][2] de 1948, ils constituent encore le rite chrétien majoritaire en Palestine-Israël, bien que leur nombre soit en diminution constante notamment à Jérusalem et à Bethléem. On trouve encore des orthodoxes arabes dans le sud de la Turquie, notamment à Antioche (Antakya), Alexandrette (Iskenderun) et Mersin (Içel) ; la présence orthodoxe est maintenant pratiquement éteinte en Irak. En Syrie, au Liban et dans le sud de la Turquie, ils sont placés sous la juridiction du Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient ; le Patriarcat de Jérusalem[3][3] est responsable des fidèles de l’ex-Palestine (aujourd’hui Israël), des Territoires Autonomes Palestiniens et de la Jordanie.

Bien que cette communauté chrétienne soit numériquement la plus importante du Proche-Orient[4][4] — autour d’un million d’habitants résidants (Pacini 1998) — elle est invisible au plan de la recherche géographique. Par contre, les maronites, qui ont rallié le catholicisme, ou les druzes, une branche très minoritaire de l’islam, ont fait l’objet d’une attention académique soutenue et ont été mis en avant comme des acteurs centraux de l’histoire libanaise. Pour la Syrie, l’attention s’est focalisée sur les alaouites, les druzes, voire les grecs-catholiques, tous en petit nombre eu égard de la population sunnite et orthodoxe.

Les raisons de la fascination de l’Occident pour les minorités religieuses ont été nombreuses ; on retiendra d’abord leur utilité géopolitique depuis la Révolution industrielle pour la prise de contrôle politique et économique de la région, ensuite leur rôle de marchepied pour les missionnaires catholiques puis protestants dans leur stratégie de conversion des populations locales. Les groupes numériquement importants (les sunnites, les orthodoxes) n’avaient donc pas la même « utilité » pour le contrôle territorial de l’Occident de la Méditerranée orientale entre la fin du 18e et le début du 21e siècle. Par ailleurs, si l’islamologie s’est constituée en discipline scientifique pour étudier la religion et culture majoritaire dans le monde arabe, et si les groupes ralliés au catholicisme ont bénéficié d’une reconnaissance doctrinale et donc historique par l’Europe, les orthodoxes arabes étaient souvent relégués en tant que « schismatiques », à placer hors du temps historique et de l’espace. Enfin, présents dans tous les pays du Proche-Orient, ils affichaient souvent un fort attachement au monde arabe large, hésitant à embrasser les nationalismes étatiques étroits ; depuis la Révolution bolchevique, ils étaient en outre associés au monde orthodoxe russe — donc idéologiquement suspect — par les chrétiens proches de Rome ; enfin, héritiers de Byzance, ils étaient associés aux perdants locaux de la longue lutte entre le « vrai » christianisme européen et l’islam.

Autant de raisons, pensons-nous, qui expliquent cette invisibilité pour les chercheurs occidentaux auxquelles s’ajoutent celles propres à la discipline géographique : on ne peut en effet expliquer le silence des géographes quant à l’analyse de ce groupe et la surexposition d’autres qu’en identifiant les départs méthodologiques mis en œuvre. La prétendue place centrale de la religion dans la construction spatiale ou territoriale du Proche-Orient, l’expression cartographique du fait religieux, la question identitaire et ses rapports à l’espace, le regard occidental biaisé dans les sciences sociales, sont autant de points éludés qui ont contribué tant à scléroser la recherche que d’en produire qui soit en phase avec le politiquement correct du moment. Il en découle une géographie insatisfaisante, permettant toutes les dérives et instrumentalisations, notamment géopolitiques (Davie 2011).

Les grecs-orthodoxes dans la littérature géographique.

Aucun dénombrement ne permet de donner des chiffres fiables quant au nombre de grecs-orthodoxes au Proche-Orient. Au Liban, le dernier recensement général de la population date de 1932[5][5] ; depuis, les chercheurs doivent se contenter d’estimations grossières du pourcentage d’orthodoxes (Betts 1975, Pacini 1998). La Syrie a imposé la laïcité dans les domaines relevant de l’état civil et interdit de ce fait la comptabilité des adhérents aux différentes confessions. Enfin, le statut des Arabes chrétiens en Israël, majoritairement orthodoxes, est indissociable du débat autour de l’identité juive de ce pays et donc de la question palestinienne (Courbage 2000 ; Courbage et Fargues 1992).

Malgré ces obstacles statistiques, les grecs-orthodoxes constituent la communauté chrétienne majoritaire dans le monde arabe, exception faite des Coptes orthodoxes d’Égypte, tout en étant minoritaires par rapport à l’islam. Pourtant, eu égard des autres communautés minoritaires, les grecs-orthodoxes sont invisibles dans la littérature géographique du Proche-Orient, et l’on peut affirmer que les rares travaux scientifiques occidentaux produits depuis les années 1950 continuent celles de la période ottomane et mandataire (Davie 2010). Ainsi, Étienne de Vaumas produit la première étude innovante sur la population du Liban, cinq ans après l’indépendance de ce pays (de Vaumas 1953) ; trois ans plus tard, il en décrit sa situation confessionnelle (de Vaumas 1955). Son étude reposait sur des statistiques officielles et sur leur représentation cartographique par divisions administratives ; son analyse souligne les différences entre les communautés et surtout leur consignation dans des ensembles géographiques précis et hermétiques avec comme toile de fond les maronites et le mythe de la montagne refuge[6][6]. Aux minorités, la montagne, et aux confessions majoritaires, les plaines, les plateaux et la steppe (Birot et Dresch 1956, de Planhol 1997 et 1968, Fish 1944). Dès la fin des années 1950, la « question confessionnelle » au Liban devient taboue afin d’éviter toute contestation des modalités de constitution de l’édifice politique du pays et notamment la place des chrétiens, manifestement minoritaires[7][7]. Les géographes ont emboîté le pas, recyclant des estimations et des impressions, reprenant à leur compte des clichés percutants (« Suisse du Proche-Orient », « mosaïque de peuples et de religions »), mais sans revisiter les concepts, méthodes et finalités qui sous-tendaient ces affirmations. Pour les recherches sur la Jordanie, la Cisjordanie et Gaza, la question religieuse est largement passée sous silence ; pour Israël, seule la religion juive est mise en avant.

Pour le Liban, de nombreuses cartes ont ainsi été produites (Davie 2008), notamment durant la guerre civile et les différentes occupations du pays entre 1975 et 1990 ; Internet a permis leur large diffusion. Le mode de représentation par choroplèthes est privilégié, permettant de saisir d’un coup d’œil l’étendue « appartenant » à une confession ou religion. Par un raisonnement circulaire, la carte confirme que chaque religion est consignée dans un espace particulier, postulant au passage que les interfaces sont conflictuelles. Cette « géographie » produit à tour de bras des cartes, des atlas en tout genre, des analyses géopolitiques, qui, à force, sont devenus des vérités, marquant l’opinion publique et le monde académique. Une lecture plus rigoureuse s’impose donc des possibles relations entre religion, espace, identités et territoires pour le cas des grecs-orthodoxes du Proche-Orient ; les échelles et leurs imbrications, les territorialisations et reterritorialisations possibles, méritent en tous les cas un regard critique.

L’église, le lieu élémentaire de l’espace religieux chrétien.

Rappelons qu’un bâtiment géolocalisable acquiert la fonction d’église quand deux catégories d’acteurs l’utilisent pour établir un lien entre le monde matériel et spirituel. Ainsi, une église orthodoxe n’en devient une que si, d’une part, des croyants se réunissent en ce lieu délimité et consacré pour accomplir un rituel précis — une mise en scène codifiée — et d’autre part, qu’il soit officié par un prêtre. L’officiant met alors en relation le groupe très précisément cerné des croyants du monde matériel avec l’univers transhumain et céleste. Pour les grecs-orthodoxes, le ciel est peuplé d’anges, d’archanges, de chérubins et de séraphins et de prophètes. La mère de Dieu, Dieu Lui-même, et son Fils, né du Père, et l’Esprit-Saint qui procède du Père, complètent ce panthéon. Cette mise en relation ritualisée s’effectue dans le lieu de culte, certes précédemment consacré, mais qui acquiert un surcroît d’enchantement au moment de l’eucharistie. « These are the sacred places. They command awe » (Tuan, 1974, p. 234). C’est uniquement là et à ce moment seulement que l’on pourrait parler d’un espace religieux : « C’est là, dans ce lieu stable et clos qui est consacré à Dieu, et nulle part ailleurs, que les prières des hommes montent vers Dieu d’une manière qui plaît à celui-ci » (Auzépy 2001). Après tout, « le sacré n’est pas donné en soi ; c’est l’institution qui fait le sacré  » (Iogna-Prat, 2006, p. 56), car « la religion amarre les hommes au divin (religare) autant qu’elle les rassemble entre eux (religere) » (Pinet, 2002). Du sens est produit par l’interaction entre les pratiques et les objets, « dans un locus intermédiaire entre ciel et terre, comme l’église ou le monastère » (Lauwers 2005, p. 46). Plus précisément, cette relation verticale part de la table d’autel et monte droit au ciel et en retour, « Dieu transforme par son attention, par sa présence même, le bâtiment en espace sacré » (Auzépy, 2001, p. 16). Pour le croyant, c’est là que la théophanie ou la promesse eschatologique peuvent s’y manifester ; c’est là que l’église devient le miroir visible de la Jérusalem céleste.

Certes, l’architecture, l’organisation interne, l’ars sacra, les décors et leur désignation lexicale contribuent a priori à cette mise à l’écart symbolique de l’église (Baudry, 1999, p. 63) grâce à leur familiarité culturelle. Par une forme de rémanence, le bâtiment-église conserve pour le croyant une aura de sacralité même si la célébration cultuelle est absente. En ces moments profanes, l’église reste quand même un repère différent, exigeant du respect, même pour l’homme ordinaire, le touriste ou le flâneur, en quête de patrimoine, d’exotisme ou d’esthétique. De ce fait, l’église cumule un surplus de signification, empilant la dimension sacrée avec bien d’autres, concentrant ainsi l’enchantement et « l’affect » (Bonnemaison et al. 2004, Holloway 2006, Pile 2010, Thien 2005, Thrift 2004). Pour le non-croyant, l’indifférent, l’agnostique, ou le postmoderne, ce moment de transformation d’un lieu géographique en un « vrai » lieu sacré ne l’affecte pas : le bâtiment a certes toute l’apparence d’une église, mais il ne peut avoir la même signification « enchantée », ni susciter les mêmes émotions que pour un croyant. Elle ne projette pas la même « grille d’interprétation du monde [… c’est à dire un] système symbolique, pourvoyeur de sens, d’espoir, de valeurs et d’identité » (Barnavi, 2006, p. 19). Pour cette catégorie de visiteurs, leurs « webs of significance » (Geertz 1973, cité par Ivakhiv, 2006, p. 170) seront bien entendu différents, car chaque « formation cosmographique » (re)crée et comprend le monde différemment et, ce faisant, le transfigure (Dubuisson 1998, p. 288, Piolle 2002, Young 2001, citant Wright 1947). Le sens donné au monde — et au bâtiment « église » — par un athée est bien différent de celui d’un croyant, faisant de ce lieu un palimpseste de significations qui convergent pour contribuer à la construction d’identités (Graham 2009).

Ainsi, le sens donné à un lieu par d’aucuns n’étant pas le même pour d’autres, la question du rapport univoque de la géographie avec le sacré (maladroitement désignée « géographie religieuse ») est donc posée. Peut-on légitimement postuler que l’espace puisse être construit par la « religion », et donc regrouper dans une même catégorie les personnes qui pratiquent occasionnellement ou régulièrement un rite, ou qui adhèrent du bout des lèvres à une croyance par orthopraxie, ou qui revendiquent un rattachement à une confession par opportunisme, par force ou par conviction ? Peut-on affirmer une corrélation entre l’inégale densité de la population, la position d’un lieu de culte — l’église — et le caractère (ou l’identité) d’un espace plus vaste, nécessairement en continuelle mutation ? (Dumortier, 2002, p. 8 ; Ivakhiv, 2006, p. 169 ; Park, 2004, p. 7). Comment à ce titre alors délimiter des espaces religieux homogènes dans un cadre urbain ou a fortiori dans un Proche-Orient arabe multiconfessionnel ? Connaît-on, d’ailleurs, le nombre de véritables croyants, d’agnostiques ou d’athées ?

À ces interrogations, s’ajoute la gradation de la sacralité : lors des grands événements du calendrier liturgique (les Rameaux, Pâques), le clergé et les fidèles sortent de l’église en procession autour du monument. Cette circumambulation permet à l’espace sacré de s’étendre de manière aréolaire autour de l’église. Il peut s’étendre encore davantage, lors de processions dans la ville elle-même : l’église se vide momentanément de ses dévots qui remplissent alors les rues, créant ainsi des sortes de canyons de sacralité éphémère entre les bâtiments profanes qui les surplombent.

Cette observation pose alors le rôle de l’icône, un objet emblématique de l’univers orthodoxe, dans la constitution du lieu sacré. « L’icône […] se joue de l’espace et des espaces : par nature, […] elle est mobile et peut voyager avec qui la possède ; elle peut donc être partout, n’importe où dans l’espace public, dans les rue et aux carrefours , mais elle peut aussi bien être dans l’espace privé ». (Auzépy, 2001, pp. 14-15) Ostensiblement ou discrètement présente dans les domiciles, elle confère une forme de sacralité à un coin d’une pièce particulière, à une entrée d’immeuble, à un coin de jardin, à une ruelle, à un carrefour ; elle peut même être présente sur un tableau de bord de voiture, dans un ascenseur ou dans un portefeuille. Mais l’icône n’est consacrée par personne et son culte est accessible à tous et partout : elle n’a besoin ni de clergé ni d’église. Alors, l’espace privé et public se mêlent et se confondent et perdent de ce fait les distinctions qu’on leur accorde habituellement.

L’apparente confusion de types de lieux et d’espaces se prolonge par la présence des mazars, ces lieux de pèlerinage et de dévotion populaires non consacrés. Associés souvent à des saints protecteurs, (Arpoa 2011, Chiffoleau 2007, Chiffoleau et Madœuf 2005, Maraval 2004), ils jouissent d’un respect comparable à celui des églises, tout en étant combattus par la hiérarchie cléricale, qui y voit des survivances du paganisme. Néanmoins, l’espace se crée et se territorialise grâce à ces mazars, car les croyants venus de près ou de loin s’y rendent régulièrement (sans nécessairement faire un crochet préalable par l’église, et quelquefois même sans le prêtre, mais avec une icône en tête du pèlerinage), pour prier et pour sociabiliser. Le lieu — un arbre remarquable, quelques pierres taillées anciennes dans un champ, une grotte, un sommet de colline, une tombe isolée d’un saint homme — devient sacré au même titre et selon les mêmes protocoles et temporalités que l’église.

À ces lieux « religieux » s’ajoutent les cimetières. Espaces consacrés certes, précédemment contigus aux églises des villes, mais maintenant souvent implantés en banlieue, ils connaissent eux aussi des gradations et des temporalités de sacralité. Une géographie particulière les caractérise, les sépultures des familles les plus influentes ou riches étant localisées à proximité de la chapelle, plus proches donc du foyer de la mise en relation avec le divin. Visités occasionnellement, ces cimetières acquièrent une centralité urbaine claire lors de grandes fêtes liturgiques ou lors de la mise en terre d’une personne importante de la communauté. Alors toute la ville — ou du moins les croyants de la communauté — est affectée par ce moment de sacralité.

Cependant, et quel que soit le cas analysé, il s’agit de points sacrés (ou, exceptionnellement, de lignes) qui peuvent s’élargir pour produire des espaces éphémères momentanément plus vastes. Si cette observation n’a rien de novateur, car « l’espace […] est saturé de repères, de stations, de signaux et de balises » (Christin, 2006, p. 168), on constate pourtant que les travaux géographiques sur le Proche-Orient font la confusion entre les dimensions ponctuelle et aréolaire. Ainsi,

Les religions se trouvent le plus souvent [cartographiquement] représentées sous la forme de grands espaces de couleur, sans que ne soient exprimées ni l’intensité, ni la nature des phénomènes religieux en question, ni même leur empreinte géographique réelle… (Raisson 2002).

Et surtout sans que les géographes s’en émeuvent. La présence d’une église justifie par exemple le dessin d’une tache censée représenter l’identité de tout un quartier ; la fusion de toutes ces taches caractériserait l’identité de toute une région, voire de pans entiers de l’espace national (Davie 2008). La recherche géographique s’en ressent, car elle aboutit in fine à ne produire que de simples inventaires d’identités affirmées homogènes et prétendument spatialisées.

De l’église au territoire.

Si c’est l’officiant qui est le passeur entre les hommes croyants et le divin, ainsi que l’acteur fondamental de la production d’un lieu sacré, il est aussi celui qui permet la mise en réseau de tous les lieux sacrés, notamment lors de dates importantes du calendrier liturgique (Pâques, Noël, fête du saint protecteur de l’église, etc.). Simultanément, c’est la mise en réseau de tous les croyants du monde matériel, « en communion » avec le monde céleste lors de la liturgie. À ce moment, se cristallise la communauté des croyants orthodoxes, que l’on peut rapprocher de la ‘oumma, la communauté des croyants musulmans .

À cette lecture du territoire strictement « religieux » vient se greffer une autre, plus prosaïque. Par le prêtre transite l’information sur les paroissiens, l’organisation des activités spécifiquement religieuses comme la catéchèse, l’organisation de projets culturels lors des fêtes, les contacts avec les autres prêtres et paroisses. À l’occasion, il sert d’intermédiaire avec l’évêque, ou avec les évêques des autres diocèses dépendant du patriarcat orthodoxe d’Antioche, voire avec le Patriarche lui-même. Il sert, bien entendu, de relais premier et légitime lors des contacts avec les prêtres, pasteurs, imams et cheikhs des autres communautés. La Grande litanie de la Paix, prononcée au début de la messe orthodoxe, résume à merveille cette concaténation. L’officiant implore Dieu de protéger l’église, ceux qui y pénètrent avec foi, le patriarche ou le métropolite, les prêtres et le diaconat, le clergé et le peuple, le pays et ceux qui le gouvernent, la ville et sa contrée, ceux qui sont dans les airs, sur la mer et les voyageurs en général, les malades, les prisonniers et les autres affligés. Enfin, il implore la paix pour monde entier et l’union de tous ainsi que le salut des âmes.

La distance étant ainsi introduite, les relations étant identifiées, le lieu-église et son acteur principal deviennent le point de départ de la construction d’un territoire, non pas religieux, mais non plus profane, car la séparation de l’Église (de la Mosquée ou de la Synagogue) avec l’État n’a pas été effectuée au Proche-Orient. Le prêtre est l’un des relais de l’État, un intermédiaire administratif incontournable pour le citoyen, croyant ou non. Il participe activement à « l’identification » du citoyen, à la « mise en carte » des identités, à son attribution identitaire (Avanza et Laferté, 2005, p. 141). À titre d’exemple, un nouveau-né au Liban est péremptoirement rattaché à la communauté religieuse de son père et il est alors condamné, toute sa vie durant, à participer aux logiques particulières de l’édifice politique libanais, l’excluant constitutionnellement de certains postes administratifs ou de responsabilités politiques, ou le contraignant à élire des représentants choisis uniquement en fonction de leur appartenance confessionnelle — la répartition des sièges parlementaires est théoriquement calculée au prorata de chaque confession. Jusqu’à sa mort, il aura recours aux institutions religieuses et donc au clergé : s’il est de sexe masculin (après vérification qu’il a effectivement été baptisé), son mariage sera exclusivement célébré dans une église ; il aura recours au tribunal religieux pour un divorce. Son épouse devra formellement adopter la religion ou la confession de son mari. Il pourra changer de confession pour des convenances personnelles (le divorce est permis chez les orthodoxes, mais pas chez les maronites, qui suivent la doctrine catholique), mais toujours en transitant par le clergé. À sa mort, les cimetières laïcs n’existant pas, il sera obligatoirement enterré dans le cimetière de sa communauté, quelle que soit sa croyance (ou son incroyance) réelle. En l’absence d’une loi unique applicable à l’ensemble des citoyens, des statuts personnels différents régiront les successions ou les adoptions. On peut suivre avec Entrikin que ce visage totalitaire de l’appartenance confessionnelle est similaire à celle d’un État

Constructed on the myth of people-as-one, in which the private blends with the public, a political party is seen as the centre, and the party becomes interchangeable with the state. Difference is interpreted as alien to the organic unity of society and thus as foreign and dangerous […] a threat to social well-being (Entrikin, 2002, p. 21).

Ce réseau qui débute par une consignation dans une confession religieuse a des ramifications complexes, dont quelques-unes sont jugées positives. Le citoyen étiqueté d’une religion trouvera plus aisé d’avoir un appui, un « piston », des entrées dans le monde économique, politique, militaire, social ou judiciaire, une aide et un réconfort, s’il est recommandé auprès d’une personne de la même communauté (Bonne 1995, Davie 2006, Johnson 2001 et 1986, Makhoul & Harrison 2002, Naba 1999). Dans l’autre sens, un élément influent de la société, du monde politique ou les structures de l’État utiliseront le prêtre (ou les autres relais ecclésiastiques) de sa propre communauté pour atteindre les ouailles, lors d’élections, par exemple. Dans un autre article (Davie 2006), nous avions démontré le fonctionnement en réseau de membres de la communauté alaouite en Syrie ; les résultats peuvent être étendus pour affirmer que quelle que soit la religion ou la confession (dont la grecque-orthodoxe), la survie d’un individu ou d’une cellule familiale au Proche-Orient arabe passe par des réseaux organisés autour de la famille élargie, du lieu d’origine, de la « tribu » ou de l’ethnie, des relations professionnelles ou sociales. Mais tous ces réseaux se passent de l’étiquette religieuse stricto sensu, même si elle est néanmoins indirectement présente. Celle-ci n’est ni nécessaire, ni particulièrement efficace : au contraire, elle pourrait même être un obstacle pour des « fenêtres d’opportunité » qui se présenteraient, car la marge de manœuvre de chacun s’en trouverait emprisonnée dans les prétendus intérêts religieux d’une communauté strictement délimitée. Ainsi, les grandes familles, les commerçants, les militaires et les élites naviguent à l’échelle supérieure, comme l’homme ordinaire d’ailleurs, mobilisant indifféremment des membres de « leur » communauté ou ceux des autres, l’essentiel étant d’en tirer profit et pouvoir. Il se crée alors un véritable système d’intérêts réciproques bien compris et de coalitions conjoncturelles, communiquant par capillarité autant avec des réseaux diasporiques qu’avec les nationaux, instrumentalisant les échelles supérieures et inférieures, ignorant dans cette quête les catégories sociales, les conventions ou le politiquement honnête. Verrous incontournables, nœuds réticulaires, tous les points de passage obligé à toutes les échelles fonctionnent par le biais d’une pratique généralisée de corruption, de népotisme, de délits d’initiés, de services rendus. Il s’agit de trouver la meilleure connectivité, court-circuitant les synapses de blocage, fluidifiant la performativité des flux (Valente et Fujimoto 2010). Aucun individu, quelle que soit son appartenance à une confession, n’y échappe, les divers éléments du système s’étayant réciproquement, mais sans que la religion soit centrale, ni rendue ostentatoire. Le réseau « religieux » n’est alors qu’une des nombreuses cartes mises en concurrence par tout un panel d’acteurs dans des logiques de survie. Côté revers, l’étiquetage confessionnel servira d’excuse lors des nettoyages ethniques, de mises à l’écart, de recherche de boucs émissaires (Kehaila 2008), ou de répression de dissidents. Quoi qu’il en soit, on doit admettre que ces réseaux n’ont rien de consubstantiellement religieux ou de sacré, et donc que les espaces qui sont affectés par cette variable ne peuvent être étiquetés d’un attribut religieux, ni même cartographiés.

Ivakhiv s’interrogeait sur les imbrications entre les espaces sacrés et profanes (Ivakhiv, 2006, p. 171) ; on ne s’étonnera pas que des territoires issus d’acteurs et de maillages différents ne se superposent pas, n’étant ni à la même échelle, ni ne ciblant les mêmes objectifs, ni inscrits de la même manière dans l’Histoire (Amin 2004, pp. 33-34). Alors, l’espace territorialisé par des réseaux multiples et multiscalaires ne peut être exempt de rugosités (Bunge 1973) et de césures ; celles-ci affectent nécessairement les espaces territorialisés par la variable dite « religieuse ». Si, en principe, le prêtre peut mettre en réseau les autres membres du clergé d’un même diocèse, les limites de celui-ci butent souvent sur des frontières nationales ou des limites administratives. Ainsi, pour les orthodoxes, le diocèse du Akkar est coupé en deux par la frontière syro-libanaise ; ceux d’Alep et de Lattaquié sont traversés par la frontière syro-turque ; enfin, le diocèse de Bosra-Hawran sur le Joulân/Golan syrien est traversé par la ligne de séparation des forces syriennes et israéliennes, infranchissable. Par ailleurs, des ensembles topographiques, culturels ou historiques sont morcelés par des frontières d’origine coloniale : la frontière libano-syrienne sépare des villages orthodoxes proches sur les contreforts du Jabal el-Cheikh (Hermon) ; le Patriarcat d’Antioche voit sa juridiction s’arrêter à la frontière avec la Palestine-Israël et la Jordanie, tous deux maintenant dans le Patriarcat de Jérusalem. Les populations orthodoxes du nord de la Palestine ou de la Transjordanie sont séparées de leurs coreligionnaires situés à quelques kilomètres de là, en Syrie ou au Liban par des frontières hermétiques ; en Palestine même, des coreligionnaires sont séparés par la césure Israël-Territoires occupés (les « Palestiniens de l’intérieur » vs les « Palestiniens des Territoires »), et pour ces derniers, par des pans de la « Clôture de séparation », le Mur. Les réfugiés palestiniens orthodoxes dispersés dans les différents pays arabes d’accueil ou maintenant installés dans des pays d’émigration définitive constituent un autre groupe aux territoires clivés.

Ces obstacles administratifs induisent donc des perturbations profondes dans les réseaux « religieux » (au même titre d’ailleurs que les réseaux économiques, ethniques, sociaux, culturels ou linguistiques), car les logiques nationales priment maintenant sur les appartenances religieuses. À leur tour, les limites des diocèses à l’échelle intra-nationale, séparent les paroissiens plus qu’elles ne permettent leur intégration sans suture dans un monde indifférencié de croyants : on ne divorce pas de la même manière dans chacun des évêchés orthodoxes… Cette théorique intégration sans rugosité pose cependant problème, car dans de nombreux cas, les migrations vers les villes contraignent les hommes à changer de paroisse ; de nouveaux réseaux doivent être identifiés et consolidés avant de pouvoir y évoluer efficacement pour profiter des nouvelles connectivités offertes par le nouveau cadre d’adoption ; celles-ci, à leur tour, rencontrent les réseaux de la globalisation. (Amin 2004, p. 34)

Des identités orthodoxes multiples, opportunistes et aux contours flous.

Malgré cette confusion entre lieu, espace et territoire, on aurait pu s’attendre à un accord autour de l’identité des orthodoxes. Nous n’exposerons pas ici les longs débats sur l’identité personnelle ou sociale (Fearon 1999), ni des positions souvent contradictoires quant aux modalités d’appartenance à un groupe ou le débat sur les caractéristiques qui les singularise ; il est de fait un construit social historiquement daté, mouvant par nature et nécessairement polysémique (Bain, 2003, pp. 419-420). Sachant qu’il n’y a que des histoires enchevêtrées et des cultures différentes en un seul et même individu (Fearon 1999, Grossman 2009, Guérin-Pace 2006), comment s’accorder alors sur une identité orthodoxe commune consensuelle et de surcroît parfaitement spatialisée ? Comment concilier le fait que « dans les usages communs de la notion d’identité, il ne s’agit plus de présenter son identité comme une construction, mais, au contraire, comme une donnée intangible, non négociable » ? (Avanza et Laferté, 2005, p. 140).

Une identité orthodoxe monologique, existante a priori, créée d’elle-même, autosuffisante et autonome, immuable aux plans temporel et spatial, interpelle. Si cette « identité numérique » (Debarbieux 2006, Lenclud 2008) existait, on serait tenté d’affirmer qu’elle serait à la base d’une différentiation d’ensembles régionaux ou locaux (Guermond 2006). Mais cela reviendrait à affirmer que l’identité orthodoxe, quand bien même qu’elle existerait ontologiquement, nierait le rôle de la longue sédimentation historique et la place de l’espace dans sa constitution. L’identité sociale, celle attribuée ou imputée par d’autres à un individu ou à un groupe pour le situer dans une représentation de la société ou la prise de conscience de soi, façonnée par des expériences de lieux et par des trajectoires individuelles convergentes (Tuan 1974, 1975, 1976) exprime

La perception qu’un groupe a de lui-même et de son environnement. Elle comporte des dimensions affectives […] : c’est ce que les gens ont dans leur tête (les représentations d’autrui et de soi, la mémoire collective, les idéologies, interprétations des événements, perspectives d’avenir, valeurs, traditions religieuses…) et dans leur cœur (émotions, blessures, aspirations, tempéraments, mouvements d’identification) qui est déterminant pour leurs comportements, agressifs ou pacifiques (Herr, 2004, p. 23).

Traiter de la construction d’une identité orthodoxe, individuelle ou collective impliquerait également qu’elle puisse être observée et mesurée (Mendieta, 1997, p. 499). Si elle existait véritablement, on s’attendrait à une épiphanie de cette essence identitaire orthodoxe lors d’une recherche d’exemples. Et, ajouterions-nous, une fois révélée, à cartographier son aire d’extension, encore convaincus depuis les lectures vidaliennes que les identités collectives et sociales produisent ou coïncident avec des « entités géographiques », des « régions », aisément cartographiables. Cette carte « révèlerait » les identités pense-t-on ; quoi de plus facile, en effet, de classer les habitants du Proche-Orient selon leur religion puis de les localiser ? Le geste cartographique est à la fois simple à comprendre, facile à effectuer, et formellement « scientifique » et « neutre ». Mais fausse.

Les catégories ainsi définies puis cartographiées sont autant de déterminismes inavoués, « fixant » des populations sur un même espace, ignorant les densités démographiques et les compositions socio-économiques très variables. La construction de l’homogénéité permet alors de « tracer des frontières d’une coïncidence entre territorialité et identité » (Michel 2006, p. 228).

En personnifiant […] la communauté et son territoire, on lui attribue automatiquement des propriétés de l’individualité humaine : unité, cohésion, continuité dans le temps, etc. Par réciprocité, cette personnification du groupe favorise l’identification de l’individu à celui-ci (Di Méo, 2002, p. 178).

Cependant, nous avons vu que les orthodoxes, individus comme groupe, comme toutes les personnes appartenant par exemple à l’une des 16 autres communautés religieuses de la Syrie ou du Liban, sont intimement pris dans le brassage et la globalisation. L’angoisse de la perte de repères les a souvent poussés à rechercher des points de fixation, à consolider d’anciennes frontières entre « eux » et « nous », voire à en inventer de nouvelles, souvent sur le mode de la résistance (Paassi, 2003, p. 475). Cette redéfinition identitaire s’effectue souvent à l’échelle individuelle, et non plus par le biais de la nationalité, du nationalisme, de l’appartenance de classe ou d’origine géographique, de corps de métier ou autre. « Indeed, one not only chooses oneself, one chooses a self one wants to become » (Mendieta, 1997, p. 498). Le facteur religieux, assimilé ici à la foi intime, est réduit à l’invisibilité ; par contre le facteur religieux, confondu avec son expression politique à l’échelle de la société, sera surligné.

L’approche holistique de cette prétendue identité orthodoxe passe sous silence tout un jeu d’échelles et d’itinéraires complexes. Ainsi, un « orthodoxe » s’identifiera comme tel pour signifier qu’il s’oppose aux « maronites », ou aux « chiites » et à leurs orientations politiques. Cette position individuelle sera par la suite étendue pour englober tous les « orthodoxes » puis à l’espace : là où les « orthodoxes » sont nombreux, c’est un « pays orthodoxe ». Achrafiyyeh à Beyrouth, le Koura au Liban-Nord, le Metn dans le Mont-Liban, le Wadi al-Nassara, le Hosn, le Hawran et l’arrière-pays de Tartous en Syrie, seront « orthodoxes ». Et comme les « orthodoxes » sont prétendument de « de gauche », ou des nationalistes arabes, ou des « communistes », tous les « orthodoxes » seront consignés dans ces catégories, même si cela ne correspond pas aux prises de position individuelles. Les orthodoxes, dans des moments d’humour, souligneront leur identité lors de fêtes religieuses : s’il pleut le Vendredi saint, Dieu est affirmé irréfutablement orthodoxe, puisqu’au moment de la crucifixion, les Apôtres auraient relaté qu’il avait plu… Avec force preuves, ils s’affirmeront être les héritiers directs de l’Église originelle, la « vraie », pas celle des schismatiques et autres catholiques. Par la gastronomie, ils affirmeront leur identité culturelle particulière, les orthodoxes étant réputés pour la qualité de la cuisine ; les orthodoxes souligneront leur rationalité urbaine, l’ancienneté de leurs réseaux commerciaux, la richesse de leurs élites, leur tolérance, leur ouverture au monde. Ils revendiqueront une histoire distincte de celle des autres communautés, insistant davantage sur leur ancrage proche-oriental que localiste. Dans cette imbrication confuse d’identités affirmées, revendiquées, imposées, acceptées ou refusées, imaginées ou fantasmées, l’échelle locale se confond avec la régionale, la nationale ou l’internationale (Entrikin, 2002, p. 19). On passe alors du village d’origine, du quartier de résidence actuelle, vers la grande région, le pays tout entier puis vers le Monde arabe. À cela s’ajoutent des ramifications identitaires vers le monde orthodoxe plus large : les mondes hellène, russe, l’ancienne Byzance, la chrétienté. Selon la situation sociale, politique ou militaire, ou selon l’interlocuteur et le contexte, l’orthodoxe exprimera l’une de ces identités versatiles. L’espace « orthodoxe » est bien « l’ensemble du parcours géographique et le sens donné aux lieux, passés et présents, vécus, pratiqués ou même imaginaires, qui constituent un élément essentiel de compréhension des appartenances et des comportements individuels […] et qui permettent de comprendre les lieux plus subjectifs investis : lieu d’attachement, lieu de projet, lieu de sépulture et lieu d’origine » (Guérin-Pace 2006, p. 300).

De ce qui a été dit, réduire l’identité d’une personne ou d’un groupe au simple critère religieux, ou de son lieu d’origine ou d’une forme d’expression cultuelle, c’est postuler une identité homogène, uniforme, et strictement structurée par une variable unique. C’est également postuler que les identités reposent sur la délimitation de catégories discrètes et figées permettant de « tracer des frontières d’une coïncidence entre territorialité et identité » (Michel 2006, p. 228), sans interroger les nombreuses dimensions de la relation entre identité, culture, mouvement et espace. Nous avions affirmé que cette coïncidence renvoie à l’influence des Écoles géographiques européennes du 19e siècle et qui perdure dans la pensée géographique contemporaine dès qu’elle propose d’analyser le Proche-Orient (Davie 2010). À cela s’ajoute le regard cartésien, occidental et colonial sur le monde : les hommes doivent être systématiquement étiquetés et classés pour mieux être analysés et contrôlés (Said 1980). L’invention de « l’Orient »[8][8] est relayée par celle du concept de « montagne refuge » pour expliquer la présence de « minorités persécutées » (les maronites, druzes, alaouites et les ismaéliens) souvent « irrédentistes » ; les plaines, les plateaux, les steppes et des villes seraient alors les espaces des « sunnites dominateurs » (de Planhol 1968, 1997 ; Haddad 1981). À des échelles plus fines, on généralisera — à tort — que les quartiers urbains et les fonctions étaient ségrégués selon la religion (Davie 2005-2006).

Les diocèses et les lieux de culte grecs-orthodoxes au Proche-Orient (source : Arpoa 2011 et enquêtes personnelles).[9]

Les diocèses et les lieux de culte grecs-orthodoxes au Proche-Orient (source : Arpoa 2011 et enquêtes personnelles).

Le cas des grecs-orthodoxes serait l’exemple heuristique de la complexité des identités et des lieux d’implantation[9][10] d’un groupe « religieux » : ils sont présents aussi bien en haute et moyenne montagne[10][11] qu’en plaine ; autant dans les villes[11][12] que dans les campagnes ; dans la steppe semi-aride de l’intérieur[12][13] que dans les espaces copieusement arrosés du littoral. Ils coexistent avec toutes les autres communautés, sans exception, et ont intimement partagé leur histoire. Ils ont connu des guerres, massacres et exodes comme les autres communautés (le Chouf libanais en 1983, le Joulân/Golan en 1967, le drame palestinien en 1948 et à nouveau en 1967) ; ils ont subi l’exode rural impitoyable qui a affecté toutes les communautés, notamment suite au réchauffement climatique. Eux, comme les autres, ont profité de la Révolution agraire syrienne, ou ont perdu toutes leurs terres lors de cette même Révolution, ou lors de l’annexion du Sandjak d’Alexandrette par les Turcs à la veille de la Seconde Guerre mondiale ou celle du Golan par les Israéliens en 1982. Aujourd’hui, certains ont profité de l’ouverture de l’économie syrienne[13][14], d’autres pas ; certains émigrent définitivement vers le Canada, l’Australie, les Usa, d’autres choisissent les migrations provisoires de travail vers les émirats du Golfe, vers l’Afrique ou l’Amérique centrale et méridionale, retrouvant des Libanais, Syriens et Palestiniens de la même ou d’autres confessions. On trouve des grecs-orthodoxes milliardaires vivant dans les quartiers cossus des capitales nationales, comme d’autres vivant dans la misère abjecte dans des banlieues sordides ; des petits-bourgeois anonymes, des hommes et femmes ordinaires présents dans tous les corps de métiers, des fonctionnaires ou des filous notoires ; de brillants universitaires comme des illettrés ; des opposants comme des laudateurs du régime en place. Et dans toutes les milices et les groupuscules faisant usage de la violence, dans tous les partis politiques.

La réification de l’espace et de la religion interdit alors, de facto, toute hétérotopie et toute identité multiple : des grecs-orthodoxes peuvent épouser des thèses politiques de la gauche ou de l’extrême droite ; ils peuvent être de farouches libanistes ou œuvrer pour la Grande Syrie, ou collaborer activement avec les Israéliens, les Syriens ou tout autre occupant. Ils peuvent avoir des sympathies pour les Américains, les Iraniens, ou pour les Palestiniens. Des grecs-orthodoxes ont été des admirateurs du Tsar, de Staline, de Saddam Hussein, mais aussi des deux présidents Bush, de Nasser ou de Gaulle… Ils peuvent être de farouches soutiens du Baas syrien, tandis que d’autres sont dans l’opposition, manifestant dans la rue pour exiger la fin du régime ; ils soutiendront le Hezbollah, les Forces Libanaises, ou d’autres partis locaux ou étrangers. Au moment des coupes du monde de football, ils peuvent arborer les drapeaux des finalistes sur leurs automobiles, semant un flou sur leur attachement nationaliste. En cela ils n’ont jamais été différents de tous leurs concitoyens des autres communautés.

Modern nation states face the difficulty of accomodating this diversity within political discourses and governmental structures that have since the nineteenth century implied or assumed a culturally homogeneous nation of citizens (Entrikin, 2002, p. 19).

À ces identités politiques se mêlent des cosmopolitismes et des cultures issus de la diaspora et de la postmodernité. Des grecs-orthodoxes peuvent rejoindre une des nombreuses « tribus » polyculturelles (Maffesoli, 2000), voire s’inventer une « culture à la carte » que le trilinguisme (voire le polylinguisme) consolide : l’obtention d’un visa d’émigration vers des pays occidentaux s’en trouve par la suite indéniablement facilitée. Leurs préférences sexuelles, musicales, gastronomiques ou esthétiques permettent d’ajouter une autre couche identitaire à celle prétendument consignée par le « religieux ». Présents dans les mouvements d’appui aux droits des gays, d’autres luttent pour la laïcité « à la française » voire pour un « athéisme tranquille » (Deleuze, cité par Onfray, 2006, p. 83), alors que d’autres refusent de manière virulente ces choix ; admirateurs de hard rock ou de trash côtoient des amateurs de musique classique arabe ou occidentale… Par extension, il y aurait autant de galaxies de lieux ou d’espaces qui correspondraient à des identités individuelles ou de groupe, chacun en perpétuelle recomposition et en interconnexion avec des réseaux (Amin 2004, p. 33, Guérin-Pace, 2006, p. 308, Montgommery 2010). À l’assignation originelle par la religion s’est substituée une appartenance par le choix ; le processus de construction identitaire dépend alors entièrement des moyens mis à disposition (Bauman 2010). Inutile de rappeler enfin que cette multiplicité d’identités en perpétuelle (re)construction peut également servir d’excuse à la violence entre « eux » et « nous » (Yamine 2008)… Difficile, dans ces conditions, de penser qu’au Proche-Orient, l’identité et les espaces se construisent différemment qu’en Occident. D’autant plus que la pratique similaire du Web 2.0 redéfinit les contours à la fois de leur pratique religieuse et de leur identité évanescente et permet d’affirmer que même si une religion est dominante — comme l’islam au Proche-Orient — l’espace ne lui est pas assujetti.

Nous avons vu que les grecs-orthodoxes du Proche-Orient sont répartis sur plusieurs États, patriarcats et diocèses ; ils sont également répartis sur des espaces bien différents aux plans physiographique (plaines, montagnes, littoral, etc.), et morphologique (urbain, périurbain, rural etc.). À cette complexité, s’ajoute une très grande différenciation aux plans socio-économique (riches, pauvres ; petite, moyenne et grande bourgeoisie etc.), culturel (métissages historiques ou contemporains, cosmopolitanismes), voire identitaire (mythes fondateurs revendiqués, positionnements quant au genre, etc.). L’appartenance formelle à une même religion et confession (la chrétienté, l’orthodoxie) permet néanmoins une expression identitaire partagée en des lieux particuliers et à des moments précis : les espaces sacrés que sont les églises. Ailleurs, des stratégies de visibilité ou d’invisibilité de cette dimension religieuse, des pratiques de contournement, de dissimulation ou d’évitement, s’expriment selon les opportunités ou les circonstances du moment.

Par ailleurs, les limites nationales ou ecclésiales ne se superposent qu’occasionnellement, créant des césures dans les réseaux établis entre les éléments de ce groupe : traverser une frontière au Proche-Orient n’est pas chose aisée. En parallèle, à travers le mode de production du capitalisme contemporain mondialisé s’opèrent les mécanismes de reformulation et de démultiplication de ces identités — et donc des reterritorialisations qui consignent la religion à leur périphérie. Dans cet espace redéfini, et dans une relation évidemment dialectique, l’espace s’en ressent, d’autant plus que le jeu politique local ou national s’y exprime également (Avanza et Laferté, 2005, p. 148). De fait, on retrouve des identités hybrides et flexibles, et surtout incomplètes, de la modernité « liquide » (Bauman 2000). N’échappant pas au Mouvement postmoderne qui questionne la stabilité des certitudes et des identités, tous, quelles que soient leurs confessions et croyances, doivent

[…] continuously redefine their aims because if they aim for a particular goal, the likelihood is that not only will the goal have moved by the time they get there but the path they needed to follow to get there will have moved as well (Easthope, 2009, p. 32).

« Welcome to postnormal times » s’exclame Sardar (Sardar 2010).

Comment dans ces conditions, accepter l’idée d’une identité orthodoxe — ou de toute autre identité religieuse (Sen 2010) — parfaitement connue, temporellement stable et surtout spatialement délimitée ? Accepter l’existence d’un lien direct entre religion et espace, puis produire des cartes qui montrent la répartition d’une confession particulière, relève d’une forme de fétichisme de l’espace, voire de déterminisme (Racine et Walther, 2003, p. 194). De tels paradigmes sont datés, car les rôles et fonctions de la connaissance géographique ont changé dans le temps, tant dans leur relation, qu’en réponse aux besoins et configurations de la société (Harvey 1984). Il faut surtout s’inquiéter que les analyses sur l’espace du Proche-Orient soient encore ancrées dans des protocoles et postulats désuets, faisant fi des avancées théoriques et conceptuelles de la pensée géographique contemporaine.

Endnotes:
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Résumé

L’article questionnera la prétendue place de la religion dans la constitution des lieux, des espaces et des territoires de la communauté arabe chrétienne numériquement majoritaire du Proche-Orient, les grecs-orthodoxes. En proposant des exemples, l’article montrera la variété des échelles et des enjeux qui permettent à un large panel d’acteurs individuels ou institutionnels, présents dans tous les contextes géographiques, politiques et sociaux du Proche-Orient, d’inventer une identité orthodoxe polymorphe, opportuniste et aux contours flous. S’enchevêtrant avec d’autres, toutes aussi hybrides et flexibles, ces identités participent à la construction d’espaces qui ne peuvent être qualifiés de « religieux », leur bornage et cartographie étant irréalisables, sauf à changer de paradigme et de regard sur cette communauté et sur les espaces des différents états du Proche-Orient.

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Notes

[1] La dénomination « grec-orthodoxe » est à consonance ecclésiale, et ne renvoie à aucune référence ethnique : les fidèles appartiennent à la population chrétienne autochtone arabe, et suivent le rite byzantin. D’origines diverses, cette population a été progressivement arabisée par le poids de l’histoire ; elle est sous la juridiction du Patriarcat grec-othodoxe d’Antioche, dont le siège est à Damas (Syrie) depuis le XIVème siècle.

[2] La Nakba (plus exactement Yawm al-Nakba ou « Jour de la catastrophe ») est le nom donné par les Palestiniens à la déclaration de la naissance l’État d’Israël le 14 mai 1948 ; la conséquence principale de cet acte a été leur éviction de leur pays.

[3] Les autres patriarcats étant Constantinople, Alexandrie et Rome. Avec le schisme de 1054 consacrant la rupture de l’Occident avec l’Église originelle, le patriarche de Rome prend le titre de Pape de l’Église d’Occident.

[4] Dans cet article, « Proche-Orient » comprendra les États de Syrie, Liban, Palestine-Israël, Jordanie, Irak, et les différents États de la péninsule arabique. L’Égypte, la Turquie et l’Iran en seront exclus.

[5] « Beyrouth-est, chrétienne » et « Beyrouth-ouest, musulmane » sont des clichés géographiques heuristiques récurrents.

[6] Élaboré par des orientalistes puis repris par les auteurs chrétiens libanais — principalement maronites qui l’ont érigé au rang de mythe fondateur national — il postule que les hauteurs du Mont Liban, réputées inaccessibles, servaient de refuge aux minorités locales de l’Empire ottoman.

[7] Rappelons ici qu’il y a 18 communautés reconnues au Liban : cinq sont de confession musulmane (sunnite, chiite, alaouite, druze et ismaélienne), douze sont chrétiennes (maronite, grecque-orthodoxe, grecque-catholique, arménienne-orthodoxe (ou grégorienne), arménienne-catholique, syrienne-orthodoxe, syrienne-catholique, assyrienne orthodoxe, assyrienne catholique (chaldéenne), copte, latine et protestante (dont les anglicans, les luthériens, sans oublier les Arméniens évangélistes)) ; enfin, la communauté juive. Les autres communautés minoritaires présentes sont les bahaïs, les bouddhistes, les hindous et d’autres petits groupes protestants marginaux.

[8] Avec « Occident », ce toponyme entre dans la catégorie des « concepts nomades » (Prudhomme, 2010).

[9] En l’absence de données officielles, les informations qui ont servi à l’élaboration de la Fig. 1 ont été recueillies lors d’enquêtes sur le terrain, ou grâce à la base de données d’Arpoa (Arpoa, 2011).

[10] Le bourg de Chebaa, dans l’Hermon libanais est à 1200m d’altitude ; outre dans les villes, les grandes concentrations de grecs-orthodoxes se trouvent surtout dans les plateaux et moyennes montagnes situées entre 500 et 800m d’altitude (le Metn, le Akkar, la Békaa du Sud et le Chouf libanais ; en Syrie, les plateaux et collines des reliefs côtiers, le Hawran, les contreforts du Hermon et le Qalamoun). En Palestine et en Jordanie, ils sont présents aussi bien dans les villes du littoral que dans l’arrière-pays de collines (Galilée, région de Jérusalem, Monts de Ajloun…). Signalons la présence d’orthodoxes à Gaza, et des lieux de culte au niveau de la Mer Morte à -400m.

[11] Les grecs-orthodoxes sont présents dans toutes les grandes villes du Proche-Orient, mais également dans des bourgs éloignés des centralités nationales.

[12] Des grecs-orthodoxes résident à Tabaqa (sur l’Euphrate syrien) et au sud de la Jordanie entre Amman et Maan ainsi que sur les franges de la steppe à l’est de Homs.

[13] Ce n’est pas le lieu ici de décrire la situation sociale et économique actuelle des Syriens. Après « l’intermède socilaiste » (Dupret et al., 2007) on peut observer une nouvelle bourgeoisie très aisée qui s’affiche maintenant aux côtés de l’ancienne bourgeoisie urbaine, profitant de l’ouverture de l’économie syrienne à partir des années 1990 ; des grecs-orthodoxes, bien entendu, en font partie.

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