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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

La mobilité résidentielle, une nouvelle opportunité pour les territoires de tradition industrielle.

Sous le poids combiné de forces endogènes et de grands facteurs de changement, plus ou moins incertains, les territoires évoluent (DATAR, 2010). Le rythme de ces changements, internes et externes aux territoires, devient source d’inquiétude pour les espaces déjà fragilisés. Parmi eux, certains territoires se caractérisent par une vulnérabilité économique et sociale qui semble irréversible depuis le début des années 1970. En effet, après le choc conjoncturel des crises économiques des années 1970, les difficultés de ces territoires sont devenues progressivement structurelles, à mesure que le processus de désindustrialisation s’enracinait. Le déclin des activités industrielles qui avaient fait la force de ces territoires entraine de profonds bouleversements cumulatifs et dépressifs, sur lesquels nous allons revenir. Pour qualifier ces territoires, dont la structure économique industrielle était profondément inscrite dans l’ère fordiste, nous utiliserons le terme de territoires de tradition industrielle. Afin de mieux spécifier ces mutations post-industrielles par la mobilité, nous comparerons aussi ces espaces – non homogènes, comme nous le verrons – aux nouveaux territoires de production, ou bien encore aux territoires n’ayant jamais véritablement été « industriels ».

Au-delà d’un processus général de désindustrialisation (Bost 2014), ce sont principalement les gains de productivité, ainsi que l’externalisation d’une partie des activités, qui pénalisent l’emploi dans ces territoires (Leboutte 1997). Les activités productives à haute valeur ajoutée se concentrent de plus en plus dans les métropoles, devenues de véritables pôles de croissance pour les nations (Veltz 1997). En outre, les territoires de tradition industrielle peinent à trouver les ressorts d’un redéveloppement productif. Les crises économiques passées, tout comme celle de 2008, ont joué le rôle de révélateur des divergences territoriales, en mettant en lumière les difficultés encore bien réelles de ces territoires, profondément marqués par leur passé industriel (Davezies 2012).

Les difficultés économiques internes à ces territoires se traduisent bien souvent par un essor de la précarité sociale de la population, mais également par une baisse de cette même population (Fol, Miot et Vignal 2014). Elles questionnent, de fait, directement les mobilités résidentielles. Celles-ci peuvent être perçues comme un mécanisme d’ajustement entre espaces aux dynamiques d’emploi local différenciées. Nous reviendrons dans ce papier sur l’importante controverse, en sciences régionales, du « people follow jobs / jobs follow people », permettant de comprendre plus finement le lien entre développement économique et mobilités résidentielles, et son évolution.

Composante essentielle de nos sociétés modernes, la mobilité apparaît à la fois comme une conséquence et un facteur fondamental de changement pour ces espaces. Trop souvent appréhendés comme des entités fermées et repliées, ces territoires sont pourtant des systèmes ouverts, interdépendants et souvent complémentaires aux grandes métropoles voisines. La mobilité des ménages, qui jusque-là a plutôt accéléré leur déclin, peut-elle devenir une opportunité de développement ? L’analyse des mobilités résidentielles développée dans cet article nous permet d’apporter quelques éléments de réponse empiriques.

Impacts territoriaux du processus de désindustrialisation.

Depuis plusieurs décennies, le changement de paradigme économique alimente le processus de désindustrialisation et alimente de fait une vulnérabilité croissante des territoires de tradition industrielle. Le phénomène de désindustrialisation, plus complexe qu’il n’y paraît, s’est progressivement installé au cœur des débats politiques, économiques et sociaux, notamment du fait de ses multiples conséquences sur les territoires : fermetures d’usines, suppressions d’emplois, délocalisations d’activités (Bost 2014). Au niveau macroéconomique, deux vecteurs principaux – la valeur ajoutée et l’emploi – permettent d’en rendre compte (Le Blanc 2012). En 2012, la valeur ajoutée industrielle ne représentait plus que 13 % du PIB, contre 24 % en 1975. Le constat est similaire pour les emplois : sur la même période, la part des emplois industriels dans l’ensemble des emplois est passée de 28 % à 13 %.

Deux principales tendances, inextricablement liées, expliquent le recul de l’emploi industriel. Dès les années 1980, l’entrée dans une nouvelle phase de mondialisation des économies conduisit à un accroissement de la compétitivité internationale. L’émergence de nouveaux concurrents alimenta dès lors le processus de désindustrialisation (Fontagné et Lorenzi 2005). Sans surestimer son rôle, le phénomène de délocalisation est particulièrement emblématique de ce redéploiement des activités à l’échelle mondiale (Bouba-Olga 2009) (Messaoudi 2014). La division internationale du processus de production se redessina, tout comme la division internationale du travail. En parallèle à ce mouvement profond, d’importantes mutations structurelles se développèrent, à l’origine d’une évolution de l’industrie qui demande à relativiser sa disparition. D’une part, la diminution plus que proportionnelle des emplois industriels par rapport à l’évolution de la production industrielle en volume révèle l’existence d’importants gains de productivité, provenant principalement de la mécanisation et de l’automatisation (Leboutte 1997). Très variable d’un secteur industriel à l’autre en fonction de l’intensité en main-d’œuvre, cette augmentation de la productivité s’accompagne d’une montée des qualifications (Damette et Scheibling 2003). La proportion de cadres, d’ingénieurs, de techniciens croît au détriment de celle des ouvriers, notamment non-qualifiés. Ce constat pose la question de la fin de la classe ouvrière (Leboutte 1997), ce qui n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations en termes de qualifications, dans une optique de reconversions professionnelles. D’autre part, le recours à l’externalisation de certaines activités, auparavant incluses statistiquement dans le secteur industriel, a également fortement contribué au recul de l’emploi « industriel », même s’il a désormais ralenti. Initialement limitée à des activités de faible valeur ajoutée et qualification (nettoyage, restauration, sécurité…), des activités non stratégiques (Halbert 2004) (Gallois 2012), l’externalisation s’est progressivement élargie à de nombreux secteurs, englobant des fonctions plus complexes et stratégiques (systèmes d’information, conseil juridique…) (Le Blanc 2012). Dans les faits, cette externalisation engendre une contractualisation entre l’entreprise classée dans le secteur industriel et un prestataire externe appartenant à la branche de services aux entreprises. Un transfert de valeur ajoutée et d’emplois s’effectue alors vers le secteur des services. Le mouvement de tertiarisation de l’économie est donc à relativiser, l’externalisation ne correspondant pas à une perte d’emplois ni de qualifications. Il participe toutefois au mouvement de métropolisation de l’économie. Au final, alors que la contribution de la concurrence internationale est difficile à estimer, les gains de productivité semblent constituer le principal facteur de désindustrialisation (Fontagné, Mohnen et Wolff 2014).

Au travers des mutations industrielles structurelles développées – gains de productivité et recours à l’externalisation –, et conséquemment à l’exacerbation de la concurrence, nous comprenons qu’il ne s’agit pas uniquement d’un phénomène de désindustrialisation : le système productif évolue. Au sein de celui-ci, les activités péri-productives – autrement dit, les services d’accompagnement de la production (Halbert 2004) comme les transports, les activités financières, les activités scientifiques et techniques ou encore les services administratifs – sont en plein essor. Ce développement s’explique à la fois par l’exacerbation de la concurrence internationale, reléguant les activités de production à moindre valeur ajoutée dans des pays à moindres coûts de main-d’œuvre, et par :

(…) la mutation du schéma productif, des stratégies de gestion et d’organisation des firmes (externalisation, recours au travail intérimaire […]) et du redéploiement sectoriel et fonctionnel du capital aux échelles régionales, nationales et internationales. (Carroué 2013, p.173)

L’ensemble de ces mutations fragilisent les territoires de tradition industrielle, caractérisés historiquement par l’important poids de l’industrie dans leur économie. Ces territoires subissent de fait un lourd tribut sectoriel (Bost 2014). Ils peinent à trouver les ressorts d’un redéveloppement productif, tandis que cette économie industrielle et plus largement productive renouvelée s’installe dans de nouveaux espaces (Damette et Scheibling 2003). Les discours sur l’existence d’une fracture territoriale (Guilluy 2011), malgré les critiques légitimes dont ils font l’objet, et en s’extrayant de leur caractère parfois trop schématique, permettent la mise en évidence des recompositions territoriales sous l’effet de la mondialisation, et des mutations économiques ainsi que du processus de concentration des richesses dans les grandes métropoles. Plus généralement, Le Bras et Todd (2013) montrent comment le déclin industriel des 40 dernières années a pénalisé des espaces déjà exclus des grandes sphères éducatives privilégiées, situées dans les régions catholiques périphériques. De plus, les auteurs insistent sur le fait que :

(cette) zone qui souffre et se vide reste celle dont dépend l’équilibre économique extérieur de la France. Elle est économiquement exploitée et sacrifiée, et bien sûr culturellement dominée. (Le Bras et Todd 2013, p. 158)

La vulnérabilité des territoires de tradition industrielle est encore d’actualité, comme en témoigne la récente crise économique. Ses conséquences sur l’économie et les territoires français ont fait l’objet de plusieurs études (Davezies 2010) (Davezies 2012) (FNAU 2014). En accélérant le processus de désindustrialisation déjà à l’œuvre, elle est un puissant révélateur de divergences territoriales. Les territoires les plus industriels sont ainsi les plus affectés par la crise : ils ont enregistré 30 % des pertes d’emplois, alors même qu’ils ne regroupent que 15 % de la population (Davezies 2012). En décomposant les causes des évolutions de l’emploi industriel, la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme démontre que les pertes d’emplois industriels des territoires sont principalement liées à la structure sectorielle de leur industrie ; « les effets purement locaux sont rares » (FNAU 2014, p. 10).

L’analyse des disparités qui caractérisent la structure et les dynamiques socio-spatiales de ces territoires ne saurait pourtant se réduire à une approche seulement sectorielle ou structurelle[1][1]. Les territoires disposent de capacités endogènes pour s’adapter et conduire au mieux le changement. Mais s’ils sont effectivement des opérateurs de changement, il faut souligner que dans un contexte d’interconnexion territoriale croissante, ces facteurs endogènes spécifiques à chacun ne permettent pas d’expliquer entièrement leur développement (DATAR 2010). Mais il convient également de considérer ces territoires comme des systèmes ouverts, dans lesquels la mobilité des individus participe pleinement aux mutations observées.

Du changement aux mobilités, du changement par les mobilités.

Le processus de désindustrialisation et, plus largement, l’ensemble des mutations citées précédemment engendrent l’apparition d’importantes difficultés économiques dans les territoires de tradition industrielle. Celles-ci se traduisent bien souvent par un essor de la précarité sociale. De plus, de nombreux territoires métropolitains, ou de territoires situés dans le Sud et l’Ouest, affichent de forts taux de croissance de l’emploi (Davezies 2012) (Shearmur et al. 2013). Ces déséquilibres régionaux ne sont pas sans soulever d’importants enjeux en termes de politiques publiques. Se pose notamment la question d’un possible ajustement structurel de ces déséquilibres, à travers la mobilité géographique. Nous rejoignons dès lors un débat central en sciences régionales, l’une des plus « complex enigmas of contemporary social science » (Storper et Scott 2009, p.147), à savoir le jobs follow people ou le people follow jobs.

Depuis les travaux de Carlino et Mills (1987), de nombreuses études, principalement aux États-Unis, ont proposé des modèles économétriques afin de voir quel lien de causalité prédominait. Le débat n’est toujours pas tranché. Pour Partridge et Rickmann (2003), la principale difficulté tient à l’endogénéité des deux facteurs. La tendance semble toutefois montrer que pendant longtemps le people follow jobs aurait prévalu. Mais aujourd’hui, notamment aux États-Unis, la relation inverse s’observerait de façon croissante (Hoogstra, van Dijk et Florax 2011) et expliquerait le développement, par exemple, de la Sun Belt. De nombreux travaux témoignent du rôle croissant joué par les facteurs non-économiques et, plus précisément, par les aménités dans le choix de localisation des individus (Biagi, Faggian et McCann 2011) (Partridge 2010), notamment les plus qualifiés. Le changement de paradigme économique, s’opérant à travers le passage d’une société industrielle à une société de la connaissance, bousculerait les liens entre migrations et emplois. Depuis le début des années 2000, de nombreux auteurs insistent sur le rôle de la classe créative et du capital humain dans les dynamiques de développement économique (Florida 2002). Les incidences en termes de politiques publiques sont nombreuses puisque l’attractivité, et particulièrement celle des ménages les plus qualifiés, devient un enjeu essentiel du développement économique. Pour autant, ce sens de causalité ne fait pas consensus. Scott et Storper (2009) soulignent l’importance de la structure des activités productives locales. Pour les actifs, la recherche d’emploi prime dans les décisions de mobilités, y compris pour des personnes hautement qualifiées telles que les ingénieurs (Scott 2010). Finalement, les liens de causalité entre emplois et migrations évolueraient dans le temps, dans l’espace et selon la catégorie de personnes étudiées (Hoogstra, van Dijk et Florax 2011) (Partridge et Rickman 2003). Ces évolutions sont observables en France, où la tendance serait également à une déconnexion entre mobilités et difficultés économiques.

Historiquement, les liens entre mobilités spatiales et travail sont très forts en France, comme dans la majorité des pays ayant vu leur économie se développer à la faveur de la première révolution industrielle. Urbanisation et industrialisation sont allées de pair, les disparités économiques spatiales expliquant les migrations internes (Gonnard 2006). Mais la tendance est désormais à l’affaiblissement des liens entre migrations résidentielles et écarts de développement territoriaux. La géographie de la population, très dispersée, tend à s’éloigner de la géographie productive, concentrée de façon croissante dans les métropoles (Talandier, Jousseaume et Nicot 2016). Cela s’explique en partie par l’essor des migrations de retraités, et autres personnes non liées au marché du travail, mais aussi par une évolution des migrations d’actifs. Mais pour Le Bras et Todd (2013), le maintien des spécificités régionales, en parallèle d’une intensification des migrations internes, s’expliquerait par un mouvement sur place fréquent de ces dernières.

Les facteurs et freins à la mobilité (sociologiques, économiques, techniques…) sont nombreux et complexes (Debrand et Taffin 2005) (Kronenberg et Carree 2012). L’âge, le niveau de qualification, le sexe, la composition du ménage, le revenu, le secteur d’activité sont autant de facteurs entrant en jeu pour influencer l’ensemble de ces réactions individuelles potentielles. À courte distance, les mobilités résidentielles sont le plus souvent guidées par une modification de la structure familiale (Fol, Miot et Vignal 2014). À longue distance, les motivations d’ordre professionnel prévalent, mais elles ne sont plus les seules (Gonnard 2006). Les migrations d’actifs sont en rupture avec la géographie productive, mais elles sont toujours intimement liées aux dynamiques locales d’emploi, ceci en raison du développement d’une économie résidentielle.

Cusin (2014) a étudié spécifiquement les dynamiques des villes industrielles, au prisme des mobilités résidentielles longues. Les multiples peines que combinent les territoires industriels – travail peu qualifié, taux de chômage élevé, déficit d’image lié à leur passé industriel, au caractère très urbanisé et à leur situation géographique – les rendent peu attractifs et de fait, limitent la possibilité de compenser le déclin productif par le développement d’une économie résidentielle. Dans les villes industrielles, « le départ des industries [aurait] entraîné celui des ouvriers » (Le Bras et Todd 2013, p. 163). Mais la tendance caractéristique française réside justement dans un déclin démographique modéré de ces villes. Celui-ci s’explique par l’ancrage résidentiel et territorial de populations confrontées à la suppression ou à la délocalisation de leur emploi (à la différence des États-Unis) et souvent, par un solde naturel positif (à la différence de l’Allemagne).

Le poids des configurations résidentielles, les logiques familiales et professionnelles sont déterminants lorsqu’il est question de mobilité (Vignal 2003). L’ancrage local s’apparente à une ressource en vue de l’accès à l’emploi pour les classes populaires des territoires désindustrialisés, dans une logique de sécurisation. Pour les plus démunis, la mutation est en effet souvent trop coûteuse en termes affectifs et financiers, par rapport aux bénéfices auxquels ils pensent pouvoir prétendre. Nombreuses sont les inégalités sociales face à la mobilité. Alors que la mobilité est perçue comme une opportunité, une ressource sociale par les individus appartenant à des professions et catégories socioprofessionnelles supérieures, elle peut être considérée comme une contrainte voire une injonction pour les classes populaires (Fol, Miot et Vignal 2014). Si certaines tendances semblent se dégager en fonction des classes sociales, il faut souligner que la perception de la mobilité comme contrainte ou opportunité est fortement liée à des attitudes personnelles et familiales (Urry 2007).

Comme le rappelle Sigaud (2015) dans une étude récente, « les chiffres incitent à la prudence quant aux effets de la mobilité géographique sur le chômage et l’emploi », l’effet de celle-ci n’étant pas mécanique. Pour autant, mobilité ou immobilité ne sont pas sans conséquence pour les territoires de tradition industrielle. La suite de notre travail ne prétend pas résoudre la fameuse énigme du lien de causalité reliant mobilités des emplois et mobilités des populations. Elle vise à préciser de façon empirique la façon dont la mobilité résidentielle des ménages accompagne ce déclin économique localisé, et elle interroge également la capacité de rebond que pourraient en partie déterminer ces processus de mobilité des individus et les choix de politiques publiques les accompagnant.

Mobilité et trajectoires de changement des territoires de tradition industrielle.

La définition du terme « territoires de tradition industrielle » pose doublement question. Le contour de l’industrie est complexe à définir, et les mutations industrielles précédemment évoquées en modifient sans cesse les frontières. La notion de territoire étant elle-même extrêmement polysémique[2][2], nous proposons de la définir comme un système complexe de lieux, de liens et d’acteurs, à la fois construit et approprié. Il faut également souligner la diversité qui caractérise ces territoires. Celle-ci provient en partie de leur spécialisation sectorielle, mais aussi de leur situation géographique, de leur histoire, de leur culture… De plus, malgré une multiplicité de facteurs de changement commun les affectant, les territoires empruntent des trajectoires complexes et variées (Bergeret et al. 2015). La désindustrialisation ne s’est pas traduite par un déclin uniforme des territoires de tradition industrielle.

Établir une typologie qui reflète toute cette diversité est un exercice vain. La classification proposée dans ce papier vise donc plus spécifiquement à décrire les trajectoires industrielles de ces espaces entre 1975 et aujourd’hui. La littérature nous fournit quelques exemples de classifications. Dans le cadre de la démarche de la DATAR, Territoires 2040, Gilles Le Blanc distingue plutôt sur des critères dynamiques, sans échelle géographique définie a priori, les territoires de bases industrielles, les territoires en désindustrialisation et les territoires de nouvelles industries (Le Blanc 2012). Autre exemple, S. Edelblutte propose une typologie des territoires, qu’il qualifie encore d’industriels à l’échelle régionale, plutôt axée sur les origines du développement industriel, voire sur les types d’espaces industriels : vallées et axes industriels, bassins industriels, districts industriels et pôles de compétitivité distincts (Edelblutte, 2010).

Le caractère industriel de ces territoires est pris en compte via le poids que représente l’emploi industriel dans l’emploi total[3][3]. L’emploi est reconnu comme étant un instrument de mesure courant pour refléter l’industrialisation d’un territoire (Dézert et Verlaque 1978). Les limites du secteur industriel ont été définies en suivant l’analyse sectorielle opérée par Clark en 1947 (Holz & Houssel 2002). Sont incluses la production de matières premières, ainsi que les industries de transformation et celles de production d’énergie. L’échelle d’analyse choisie est celle du bassin de vie de l’INSEE. Contrairement à d’autres découpages territoriaux administratifs, il s’agit ici, de fait, d’un espace déterminé par la pratique des habitants,[4][4] à travers l’accès aux biens et services de consommation courante. Cette échelle relativement fine (on dénombre plus de 1600 bassins de vie en France) permet de mieux repérer les espaces industriels au sein de plus vastes ensembles économiques tels que les zones d’emploi[5][5] (304 zones en France), définies depuis 2012 uniquement à partir des flux domicile-travail, mais avec un seuil recommandé de 5000 actifs minimum. Ces zones d’emploi, couramment mobilisées lorsqu’il s’agit d’expliciter des dynamiques économiques, nous apparaissent comme une échelle trop large pour identifier clairement les espaces industriels, et cela d’autant plus lorsque l’on remonte dans le temps, comme c’est le cas dans cette étude. Plusieurs bassins de vie, industriels ou non, peuvent recouper une zone d’emploi, notamment lorsqu’il s’agit de zones d’emploi métropolitaines, très étendues. Prenons comme exemple la zone d’emploi de Grenoble : elle recoupe des bassins de vie aussi différents que celui de la Mûre (au lourd passé industriel), celui de Villard-de-Lans ou celui de Saint-Marcellin (bassins de vie ruraux très agricoles). Étant donnée la finesse d’analyse que nous souhaitons pour qualifier nos espaces d’industriels, l’échelle du bassin de vie paraît clairement la plus appropriée.

La classification s’établit à partir de l’appartenance à la catégorie des territoires les plus industriels, à deux dates-clés : 1975 et 2011. L’année 1975 se situe en effet entre les premiers grands chocs affectant l’industrie traditionnelle, aux prémices des mutations industrielles, de l’internationalisation de la production et de la prise de conscience du caractère durable de la crise. L’année 2011, quant à elle, correspondait jusqu’à récemment aux derniers résultats complets du recensement. Sans étonnement, les données de 1975 dévoilent une France encore très industrielle : presque un emploi sur trois (30,4%) est alors un emploi industriel. En 2011, l’emploi industriel ne représente plus que 13,2% des emplois français. Nous conservons à ces deux dates les territoires appartenant au quartile supérieur en termes d’emplois industriels (plus de 34,9% en 1975 ; plus de 22,4% en 2011), que nous considérons donc comme étant les plus industriels. La comparaison entre ces deux résultats nous permet d’établir quatre types de bassins de vie (cf. carte 1) mettant en lumière de premières trajectoires :

Les bassins néo-industriels : ils ne figuraient pas parmi les bassins les plus industriels en 1975, et le sont désormais. L’industrie en 2012 y représente 27% de l’emploi local (24% en 1975).

Les bassins post-industriels : ils l’étaient en 1975 et ne le sont plus en 2011. L’emploi industriel y pèse 15% de l’emploi total, alors que ce taux était de 41% en 1975.

Les bassins tradi-industriels : ils étaient et restent marqués par le poids de l’industrie, qui représente encore 29% de l’emploi local (50% en 1975).

Les bassins non-industriels : ils ne l’étaient et ne le sont toujours pas, l’emploi industriel ne pèse que 10% de l’emploi local, ce taux étant de 25% en 1975.

Les territoires de tradition industrielle s’apparentent à la fois aux bassins tradi-industriels et aux bassins post-industriels. Même si ces deux catégories de bassins ont suivi des trajectoires différentes, l’importance de l’industrie fordiste était comparable dans les années 1970.

Évolution de la localisation des territoires les plus industriels (1975 et 2011). Source : élaboration des auteurs, d'après INSEE, RGP 1975, 2011 – IGN 2014.[6]

Carte 1. Évolution de la localisation des territoires les plus industriels (1975 et 2011). Source : élaboration des auteurs, d’après INSEE, RGP 1975, 2011 – IGN 2014.

Géographiquement, un rééquilibrage régional s’opère : l’industrie se déplace vers l’Ouest de la France. Les bassins post-industriels et tradi-industriels se trouvent en effet majoritairement dans les régions de l’Est (Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes, Lorraine, Alsace…). À l’inverse, la Bretagne et les Pays de la Loire accueillent de nombreux bassins néo-industriels. L’implantation industrielle y est plus récente, les secteurs moins traditionnels. Dans les régions du Nord et Nord-Est de la France, les territoires encore industriels en 1975 étaient marqués par la présence de secteurs traditionnels tels que la sidérurgie, la fonderie, le textile. Ces secteurs et ces territoires ont été durement touchés par les difficultés structurelles (Minni, Maliverney et Amand-Madelin 1990). Pour certains, l’industrie s’est maintenue (bassins tradi-industriels), pour d’autres, elle a décliné (bassins post-industriels). Parmi ces derniers se trouvent les territoires métropolitains (Lyon, Grenoble, Lille). Nous pouvons faire l’hypothèse que cette situation résulte d’une diversification des activités économiques dans le secteur tertiaire. Cela ne signifie pas qu’ils ne sont plus productifs, mais simplement que l’industrie au sens strict n’y est plus aussi présente.

Le tableau 1 présente, dans les quatre types d’espaces définis, les dynamiques passées et récentes à la fois selon des critères démographiques et économiques. L’analyse conjointe des évolutions de la population dans sa composante naturelle et migratoire, et des variations de l’emploi total et industriel, permet de mieux comprendre les trajectoires de changement qu’ont connu ces territoires depuis 1975.

Variations démographiques et économiques entre 1975 et 2010, selon le type de bassins de vie industriels. Source : calcul des auteurs, d'après INSEE.[7]

Tableau 1. Variations démographiques et économiques entre 1975 et 2010, selon le type de bassins de vie industriels. Source : calcul des auteurs, d’après INSEE.

Tout d’abord, ce tableau souligne les difficultés auxquelles sont confrontés les territoires de tradition industrielle, qu’ils soient de profil « post » ou « tradi », avec néanmoins un décalage dans le temps entre les deux.

Dans les bassins qui étaient industriels en 1975 mais qui ne le sont plus aujourd’hui (les « post »), on observe un déclin très rapide des emplois industriels, et par voie de conséquence de l’emploi total, dès les années 1970. Cette désindustrialisation s’accompagne déjà d’un solde migratoire négatif. Cette double évolution négative des emplois industriels et des soldes migratoires s’observe jusqu’à la crise de 2007. Ces espaces n’ont, pour autant, pas perdu de population ou d’emplois globalement sur la période, mais ont tout de même subi une profonde mutation sociale et économique. Il s’agit pour une large part des villes industrielles (grandes et moyennes) et de leur périphérie, qui ont peu à peu diversifié et « tertiarisé » leur économie locale. Les mobilités résidentielles ont accompagné ce déclin industriel, les coefficients de corrélation calculés entre les soldes migratoires et les variations de l’emploi industriel dans ces bassins « post » sont positifs et très élevés (entre 0,7 et 0,9 selon les périodes intercensitaires). Après 2007, malgré la poursuite du déclin des emplois industriels, ces espaces plutôt urbains et denses résistent assez bien à la crise de 2008, comme en témoigne la croissance de l’emploi total entre 2007 et 2012. La reconversion industrielle y est achevée, les soldes migratoires, s’ils restent encore légèrement négatifs, témoignent cette fois plus d’une saturation foncière des centres urbains que d’une réelle perte d’attractivité. La corrélation entre dynamique industrielle et mobilité résidentielle n’est plus observée.

Dans les bassins tradi-industriels, qui se sont donc maintenus à de forts taux d’emploi industriel depuis 1975 dans l’économie locale, on observe un déclin plus tardif de l’industrie (à partir de 1982 globalement), mais également des évolutions négatives plus modérées de ces emplois jusqu’à la crise de 2007. En revanche, l’ajustement structurel à partir de 2007 y est particulièrement violent, dans l’industrie, mais par répercussion dans d’autres secteurs d’activité également. Les emplois totaux diminuent dans ces espaces de plus de 3% entre 2007 et 2012. Si l’on observe les mouvements migratoires, on constate comme précédemment que le déclin des emplois industriels s’accompagne d’un déficit migratoire, néanmoins plus modéré que celui des bassins post-industriels, jusqu’en 1999. Là encore, les coefficients de corrélation calculés entre ces deux variables, sur les périodes intercensitaires, sont positifs et significatifs (autour de 0,6). Après cette date, assez étonnamment, ces bassins présentent un solde migratoire légèrement positif et les corrélations entre ces deux variables n’existent plus (le coefficient tombe à 0.06 et 0.07).

Dans les bassins néo-industriels, qui apparaissent très peu denses, les emplois industriels ont toujours été en progression jusqu’en 2007, ils diminuent après. On y observe également une forte attractivité migratoire et une hausse plus rapide des emplois que dans les bassins post ou tradi-industriels.

Enfin, que ce soit en termes démographiques ou économiques, les bassins de vie qui n’ont jamais été spécialisés dans les activités industrielles apparaissent plus dynamiques que les autres. Les emplois industriels y sont en constante diminution, mais peu présents dans l’économie locale, ces baisses pénalisant peu ces bassins.

Ces chiffres montrent que jusqu’aux années 2000, les pertes d’emplois industriels étaient fortement corrélées aux soldes migratoires négatifs des bassins de vie. Au regard des emplois concernés, on peut penser que c’est bien la longue déprise économique et industrielle de ces espaces qui explique, pour partie au moins, ces mouvements migratoires, et non l’inverse. Les emplois industriels n’ont pas diminué suite au départ des populations. Par contre, après cette date, la relation s’étiole et disparaît. Les emplois industriels continuent de diminuer mais, pour autant, le solde migratoire se maintient. Les départs y sont proportionnellement moins nombreux que par le passé, et ils sont légèrement compensés par des arrivées de nouvelles populations, elles aussi peu nombreuses. De multiples raisons peuvent expliquer ces changements dans le lien entre dynamique industrielle et mobilité résidentielle, telles qu’une moindre présence d’emplois industriels et un vieillissement de la population ouvrière, une diversification de l’activité économique, des coûts fonciers et immobiliers moins élevés… Tel que nous l’avons vu, les évolutions des dynamiques de mobilités résidentielles peuvent aussi être à l’origine de ces changements. L’essor de mobilités résidentielles non contraintes par l’emploi des non actifs (retraités, étudiants…), mais aussi l’apparition de nouvelles motivations dans les choix de mobilité des actifs concourt à cette dissociation.

Dans le cas de ces territoires industriels, il faut aussi insister sur les logiques sociales et familiales sous-jacentes à la mobilité, abordées précédemment, qui peuvent se renforcer dans un contexte de crise. Loin d’être toujours subi, l’ancrage résidentiel peut constituer une ressource en vue de l’accès à l’emploi (Fol, Miot, & Vignal, 2014). Ceci peut expliquer en partie la procyclicité croissante des mobilités résidentielles. Ainsi :

(…) les périodes de crise ne se traduisent plus depuis [la fin des années 1970] par une mobilité plus importante d’individus cherchant de nouvelles opportunités d’emploi, comme en 1975 par exemple, mais par l’immobilité tant des chômeurs que des actifs occupés. (Sigaud 2015, p. 2)

Enfin, des politiques plutôt favorables à un maintien des populations dans les territoires en déclin, un « effet de barrière » aux mobilités (Davezies 2012), peuvent engendrer un délitement du lien entre dynamique industrielle et mobilité résidentielle. Une analyse plus fine des flux entrants et sortants, dans ces territoires encore profondément marqués par leur passé industriel, peut nous éclairer.

Mobilités et adaptation des territoires de tradition industrielle.

Nous avons regardé quel était le profil des personnes qui s’étaient installées dans les bassins post- et tradi-industriels, ainsi que le profil de celles qui en sont parties et, enfin, de celles qui restent. Les profils sont connus une fois la migration réalisée et ne nous disent rien sur l’éventuel changement de statuts qui peut motiver, expliquer ou résulter de cette migration. Néanmoins, à défaut de pouvoir détailler les profils avant et après migration, ces premières analyses fournissent des éléments de connaissance intéressants sur la situation des personnes, à la fois quantifiés, localisés et exhaustifs. Les différences qui apparaissent entre les deux types de bassins industriels permettent aussi de mieux comprendre les mutations en cours. Les données sont celles du recensement de la population de l’Insee en 2006. La dernière année disponible pour l’observation des mobilités résidentielles étant en 2008[6][8], nous avons préféré observer les mobilités avant la seule période 2007/2008, qui serait difficile à interpréter. La question posée aux enquêtés porte sur leur lieu de résidence, cinq ans avant le recensement. Cette variable nous renseigne donc sur les mobilités résidentielles au cours des cinq dernières années avant 2006.

On peut voir dans les tableaux de l’annexe 1 le profil des migrants et non migrants dans les bassins de vie étudiés. Les profils sont déterminés au lieu de résidence (et non au lieu d’emploi), de façon à pouvoir considérer les mobilités des non actifs (étudiants, chômeurs, retraités, inactifs, enfants…) qui contribuent au développement, y compris économique, de ces espaces. Ces mobilités nous renseignent à la fois sur des dynamiques économiques et sociales. Dans les deux types de bassins, on note que les personnes les plus mobiles sont les 25-39 ans (plus de 40% de l’ensemble des sortants ou entrants) pour seulement 17% à 18% de cette catégorie d’âge parmi ceux qui restent dans le territoire. En termes de catégories socio-professionnelles, les plus mobiles sont les professions intermédiaires, les employés et les cadres, tandis que les retraités, agriculteurs, artisans commerçants, mais aussi ouvriers apparaissent moins mobiles. Concernant les secteurs d’activité, les employés dans le domaine des services sont plus surreprésentés parmi les migrants et sous-représentés parmi les ménages qui restent dans ces bassins. La structure familiale apparaît par contre moins déterminante. Enfin, les actifs ayant un emploi, mais également au chômage, sont les plus mobiles, tandis que les retraités sont beaucoup plus nombreux parmi la population qui reste dans le territoire. Sur ce point, nous pouvons souligner que le maintien d’une économie résidentielle et publique peut jouer un rôle assurantiel pour ces territoires en déclin, voire constituer le soubassement pour une autre économie (Cordoba et al. 2014).

Après ce premier tour d’horizon, détaillons plus finement les spécificités des deux types de bassins. Pour cela, on repère les écarts entre le poids des sortants et le poids des entrants, par profil. On constate alors que dans les bassins qui étaient industriels mais qui ne le sont plus aujourd’hui (les post-industriels), la part des sortants est supérieure à la part des entrants pour les personnes suivantes :

– 25 à 39 ans

– Ouvriers de façon prononcée, puis professions intermédiaires, employés, artisans-commerçants

– Tous les secteurs d’activités, avec en premier lieu l’industrie

– Ménages et notamment ménages avec enfants

– Actifs ayant un emploi

On remarque des mouvements migratoires d’actifs, notamment ouvriers, des ménages avec enfants qui quittent ces territoires urbains et périurbains en fin de reconversion industrielle, au profit d’activités tertiaires plus ou moins qualifiées. Dans ces bassins, les soldes migratoires sont négatifs et les dynamiques d’emplois peu encourageantes. Dans ces conditions, les mobilités au départ des bassins post-industriels vers d’autres espaces économiquement plus porteurs peuvent être perçues à l’heure actuelle comme une tendance positive à encourager. T. Sigaud rappelle néanmoins le besoin de « dépasser une approche mécanique des effets de la mobilité géographique sur l’emploi », notamment pour les actifs les moins qualifiés, chômeurs ou non (Sigaud 2015, p. 1).

La situation diffère dans les bassins tradi-industriels, la part des sortants y étant supérieure à la part des entrants pour les personnes suivantes :

– 20 à 14 ans, puis 15 à 19 ans

– Personnes sans activité professionnelle, puis employés

– Pas de secteur d’activité représenté

– Personne vivant seule

– Élèves, étudiants, stagiaires non rémunérés

Ainsi, dans ces bassins qui voient une activité industrielle se maintenir jusqu’à la crise de 2008, les départs de population concernent essentiellement les moins de 25 ans, qui vont étudier et se former dans d’autres territoires. Malgré les fortes pertes d’emplois dans les secteurs industriels, les ouvriers ont une grande propension à rester dans ces espaces.

Les mouvements résidentiels des ouvriers ne sont pas les mêmes d’un type de bassin à l’autre. Or, il s’agit d’une catégorie sociale particulièrement vulnérable face à la désindustrialisation et aux mutations productives en général. La question de l’impact de leur mobilité est donc cruciale dans une perspective du changement. Ces premières analyses confortent l’idée selon laquelle l’observation de ces flux de mobilité peut nous permettre de mieux comprendre les fragilités passées et actuelles, mais peut-être aussi les atouts pour demain, pour ces territoires de tradition industrielle… elles soulèvent également des questions pour l’action et l’accompagnement des actifs de l’industrie dans ces espaces.

La longue et complexe histoire de la désindustrialisation, et les mobilités résidentielles qui l’ont accompagnée, pénalisent depuis plus de 40 ans de nombreux territoires. Mais derrière ce premier état des lieux, force est de constater que ces espaces, fragilisés par leur passé industriel, sont très différents les uns des autres. Les caractéristiques démographiques et économiques des types de bassins distingués – néo-, post- et tradi-industriels – le montrent bien. Tous ne sont pas aussi fragiles qu’il n’y paraît, et une partie non négligeable de ces espaces sont parvenus à profiter et tirer parti d’autres dynamiques de développement, qu’elles soient notamment productives, résidentielles, touristiques ou bien encore culturelles. Néanmoins, de nombreux bassins industriels semblent encore cumuler les handicaps : éloignés de grandes villes, traditionnellement spécialisés dans des activités en déclin, faiblement dotés en facteurs d’innovation… Ils ont enregistré, durant des décennies, une perte de population due aux flux migratoires négatifs que le déclin économique a alimentés. Mais cette causalité entre déclin des emplois industriels et solde migratoire négatif n’est plus aussi évidente que dans le passé. L’analyse détaillée des flux de mobilité résidentielle permet de mieux comprendre les changements en cours. Des populations continuent de « fuir » ces espaces, d’autres au contraire s’y installent ou y restent. Loin de minimiser les difficultés de ces bassins, cette première analyse des mobilités témoigne de la nécessité de s’éloigner du discours fataliste et des idées reçues que véhiculent ces espaces. La question de leur possible résilience (ou capacité à s’adapter et rebondir) reste ouverte, et surtout demeure un enjeu majeur pour les populations qui y résident et qui s’y installent. Elle peut être le fruit de dynamiques internes fondées sur la valorisation de ressources locales, mais aussi dépendre de facteurs exogènes auxquels contribue la mobilité résidentielle des individus.

Annexes : mobilités résidentielles, analyse des profils des migrants et non-migrants.

Territoires industriels en 1975.[9]

Annexe 1. Territoires industriels en 1975. Source : d’après INSEE, 2006.

Territoires industriels en 1975 et 2011. Source : d'après INSEE, 2006.[10]

Annexe 2. Territoires industriels en 1975 et 2011. Source : d’après INSEE, 2006.

Endnotes:
  1. [1]: #_ftn1
  2. [2]: #_ftn2
  3. [3]: #_ftn3
  4. [4]: #_ftn4
  5. [5]: #_ftn5
  6. [Image]: https://www.espacestemps.net/wp-content/uploads/2017/02/Carte-1.png
  7. [Image]: https://www.espacestemps.net/wp-content/uploads/2017/02/Tableau-1.png
  8. [6]: #_ftn6
  9. [Image]: https://www.espacestemps.net/wp-content/uploads/2017/02/Annexe-1.png
  10. [Image]: https://www.espacestemps.net/wp-content/uploads/2017/02/Annexe-1-partie-2.png

Résumé

Les territoires industriels de l’ère fordiste, que nous qualifions dans cet article de territoires de « tradition industrielle », font partie des espaces qui ont connu les plus violentes perturbations économiques des 40 dernières années. Au-delà d'un processus général de désindustrialisation, ce sont principalement les gains de productivité, ainsi que l'externalisation d'une partie des activités, qui ont affaibli l’emploi depuis les années 1970, et avec lui les conditions de vie des populations de ces territoires au passé industriel. Ces mécanismes se sont le plus souvent accompagnés de flux migratoires pénalisant ces espaces. Mais, derrière ces tendances générales et ces représentations tenaces, se cachent d’importantes disparités d’un territoire à l’autre, y compris en termes de mobilité et de changements par la mobilité. Le lien entre déclin des emplois industriels et solde migratoire est particulièrement questionné dans ce texte. Loin d’être homogènes, ces espaces semblent aujourd’hui parvenir à maintenir un seuil de population, voire même, dans certains cas, réussir à attirer de nouveaux ménages aux profils diversifiés. L’analyse, sur un temps long, de ces dynamiques nous permet de mieux comprendre comment la mobilité résidentielle des ménages a accompagné les changements économiques profonds qu’ont subis ces territoires de la désindustrialisation, réinterrogeant les liens de causalité « people follow jobs / jobs follow people ». Elle nous permet aussi de poser la question de leur possible rebond, suite aux modifications des processus de mobilités.

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Notes

[1] Pour un éclairage sur le poids des effets géo-structurels sur la croissance de l’emploi en France, voir Shearmur et al., 2013.

[2] Rappelons que pas moins de neuf définitions du terme territoire sont proposées dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, de Lévy et Lussault !

[3] L’emploi est mesuré au lieu de travail.

[4] Construits par l’INSEE, « les bassins de vie sont définis comme les plus petits territoires au sein desquels les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants » classés dans six grands domaines : services aux particuliers, commerce, enseignement, santé, sports, loisirs et culture, transports.)

[5] Selon l’INSEE, « une zone d’emploi est un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l’essentiel de la main d’œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts. […] Le découpage actualisé se fonde sur les flux de déplacement domicile-travail des actifs observés lors du recensement de 2006. ».

[6] La question posée dans le recensement concernant ces flux change dans le but d’une harmonisation européenne. Les prochaines données disponibles pour l’observation de ces flux ne devraient pas arriver avant 2017 !

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