Une /

Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

La machine à coudre le monde de Jeanne Favret-Saada.

À propos de Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, de Jeanne Favret-Saada.

Image1En lisant la presse européenne dans les premiers jours de février 2006, on découvrait une série de douze dessins représentant Mahomet, et qui provoquaient la fureur dans différents pays du monde où la population musulmane est importante. Ce qui semble le point de départ d’une affaire en est déjà, en réalité, presque la fin, et Jeanne Favret-Saada en fait donc le dernier chapitre de son livre consacré à ce sujet. Pourquoi et comment naît une affaire ? C’est ce que l’anthropologue analyse par un texte court et dense. Elle trace en même temps un relevé précis des rapports actuels entre musulmans, islamistes, jihadistes, États européens et institutions internationales.

La réception du livre de Jeanne Favret-Saada amène à se poser une deuxième question : comment écrire des sciences humaines, et dans le cas qui nous occupe, de l’anthropologie ? L’opinion dominante est qu’un texte de sciences humaines est identifié comme tel parce qu’il met en avant des théories, des concepts, et un langage savant. Il faudrait qu’un écrit d’anthropologue présente au lecteur une théorie structuraliste, avec des cases découpées par des lignes fortes (humain et non-humain, intériorité et physicalité), qu’il suffirait ensuite de remplir (animisme, totémisme, naturalisme, analogisme) en changeant d’objet (les relations, l’iconographie, etc.) ― démarche suivie par Philippe Descola, dans un ample mouvement embrassant la totalité du monde des humains et des non-humains, mouvement qui est exposé dans son ouvrage Par-delà nature et culture (2005) et qu’il continue à accomplir dans son cours au Collège de France. Ou il faudrait une théorie des rapports de domination, bien que la mode soit un peu passée, ou bien encore ce qui se présente comme son contre-pied, une théorie de l’acteur-réseau, davantage en vogue. Dans tous les cas, il est nécessaire d’illustrer ces théories par des exemples soigneusement choisis pour donner le sentiment au lecteur qu’elles s’appliquent sans exceptions.

Toutes ces théories ne sont pas à rejeter d’un geste puéril et inconsidéré. Mais leur omniprésence nous a fait oublier qu’il existait une autre manière d’écrire des sciences humaines, et en particulier de l’anthropologie, une manière beaucoup plus difficile, ce qui explique peut-être aussi sa rareté : le récit dans lequel la théorie est intégrée de telle sorte qu’elle n’affleure jamais, bien qu’elle l’organise entièrement.

L’escamotage d’une machine à coudre.

Le chercheur en sciences sociales est comme quelqu’un qui voudrait réaliser un vêtement : il lui faut une machine à coudre et du tissu. La quasi-totalité des chercheurs en sciences sociales se présentent au lecteur en disant : j’ai inventé une nouvelle machine à coudre, et voici des échantillons de ce qu’on peut faire avec celle-ci. Les chercheurs les plus ambitieux affirment que grâce à leur machine à coudre, on peut coudre n’importe quel tissu, ils ont même parfois un patron et au final les vêtements, lorsqu’ils sont réalisés (ce qui n’est pas si courant, on se contente souvent d’échantillons), se ressemblent beaucoup, il n’y a que le tissu qui change.

L’originalité de Jeanne Favret-Saada est qu’elle invente, elle aussi, sa machine à coudre, grâce à laquelle elle réalise un vêtement entier, superbe et unique, genre haute couture, et qu’elle le présente au lecteur. Mais elle a fait le ménage avant la présentation, et elle a escamoté la machine à coudre. Elle ne mentionne celle-ci que dans les premières pages, dans son introduction, comme on peut repérer une étiquette discrète qui préciserait : « Made in Favret-Saada-Land ».

Lorsque Jeanne Favret-Saada a publié son premier livre, Les mots, la mort, les sorts (Favret-Saada, 1977), le statut particulier du récit était révolutionnaire, mais comme il n’y avait que l’anthropologie qui pouvait s’occuper de la sorcellerie contemporaine (bien qu’elle ne s’en occupait alors pas beaucoup), cela ne faisait aucun doute qu’il s’agissait bien d’un livre d’anthropologie pour les lecteurs et le milieu universitaire. Les choses se sont corsées avec la publication du livre écrit avec Josée Contreras, Le christianisme et ses juifs (1800-2000) (Favret-Saada et Contreras, 2004), car beaucoup de lecteurs ont cru qu’il s’agissait d’un travail d’historiennes, à commencer par les historiens eux-mêmes. Or Jeanne Favret-Saada n’a jamais quitté la place d’où elle parle : l’anthropologie. Mais au lieu de travailler avec du lin (la sorcellerie), elle a utilisé de la soie (l’histoire du christianisme et des Juifs), et, comme à son habitude, elle a escamoté la machine à coudre qu’elle avait inventée pour la circonstance. Beaucoup de lecteurs ont réagi en disant : « Elle a travaillé de la soie (l’histoire) ! Mais la soie est un matériau réservé aux tisseurs de soie, issus d’une longue tradition (les historiens) ! ».

Dernière opération en date, Jeanne Favret-Saada s’attaque à un événement présent, une « affaire », objet sur lequel se penchent depuis la fin des années 1980 des sociologues, des anthropologues et des historiens. Elle entre aussi en concurrence cette fois-ci, du moins en apparence, avec une nouvelle catégorie : les journalistes, qui publient fréquemment des livres sur les « affaires » qu’ils ont couvertes pour le média qui les emploie. La forme d’écriture garantit au chercheur en sciences sociales de se distinguer facilement d’un texte écrit par un journaliste, en mobilisant la théorie (la machine à coudre) : le chercheur en sciences sociales se présente au lecteur toujours avec sa machine à coudre et les échantillons de tissu qu’il a réalisés avec celle-ci, tandis que le journaliste se présente au lecteur avec un vêtement qu’il a cousu, sans la machine à coudre qu’il a utilisée et qu’il a bricolée, parfois avec des pièces venues d’autres machines. Dès lors, Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins est un tour de force supplémentaire, car il fait apparaître d’une part que, souvent, le chercheur en sciences sociales a moins de matériaux et en fait moins de choses qu’un journaliste. C’est d’autre part une leçon pour les journalistes : voilà ce qu’on comprendrait d’une « affaire » si on utilisait une bonne machine à coudre.

Secrets de fabrication.

Qu’a donc de si original la machine à coudre de Jeanne Favret-Saada ? Pour essayer de le faire comprendre, je situerai le travail de celle-ci par rapport à celui de deux auteurs qui sont des références pour de nombreux chercheurs en sciences sociales, et dont les œuvres sont quasiment considérées comme des classiques (ce que, bien sûr, chaque auteur s’est toujours défendu vouloir devenir, parfois avec une coquetterie amusée, parfois avec une fausse modestie sévère, en se drapant dans le costume de l’hérétique) : Pierre Bourdieu et Bruno Latour. Comme il me semble impossible de résumer leurs œuvres imposantes en quelques lignes, je procèderai en relevant la manière dont ils envisagent quelques éléments : les relations de pouvoir, l’élaboration de généralisations, l’inscription dans une philosophie de l’histoire, la conception du langage, et le positionnement du chercheur par rapport à son objet. J’ai conscience que les réductions auxquelles je vais procéder peuvent froisser les gardiens de l’orthodoxie des interprétations des œuvres de ces auteurs, et je les prie de m’en excuser par avance. Les relations de pouvoir peuvent être partout, ou nulle part : telle est l’alternative à laquelle nous amènent Bourdieu et Latour. Il n’y a pas une relation humaine sans qu’il y ait une domination symbolique, d’après Bourdieu, qui conçoit un monde binaire divisé en dominants et dominés. Contredisant méthodiquement Bourdieu, Latour conçoit un monde dans lequel le pouvoir a été évacué, qui n’existe plus, qui n’a jamais existé. Dans un tel monde s’organise une multiplicité d’êtres, humains et non-humains, sur un même plan, et des réseaux.

Loin de cette dichotomie, Jeanne Favret-Saada propose un monde dans lequel il y a des rapports de force, qui proviennent de multiples pôles, qui ne sont pas d’intensité égale, ni d’égale durée, et qui ne sont pas partout. De ces rapports de force découle une violence dont la présence n’est pas anormale mais normale, et que Jeanne Favret-Saada a analysée dans des cas aussi différents que les systèmes tribaux arabes, la sorcellerie bocaine en France, les rapports entre les Églises chrétiennes et les Juifs, et les rapport entre des imams et des illustrateurs de presse au Danemark.

Bourdieu et Latour s’inscrivent dans une philosophie de l’histoire. D’après Bourdieu, l’enjeu est pour les dominés de comprendre qu’ils le sont et, grâce à cette auto-analyse, d’entreprendre de changer les rapports de pouvoir en s’engageant dans une lutte. D’après Latour, nous n’avons jamais été modernes, et grâce à l’auto-analyse (une anthropologie de nous-mêmes, Européens et blancs) qu’il nous appelle à faire, nous pourrons nous présenter au reste du monde. Il n’y a chez Jeanne Favret-Saada aucun appel à un vaste mouvement des foules pour changer le cours de l’histoire. La raison en est qu’elle constate l’impossibilité, non pas de changer le cours de l’histoire, mais de lancer un tel appel.

Sur ce point-là, Jeanne Favret-Saada est proche de Marshall Sahlins, lorsque ce dernier affirme : « Alors qui suis-je, moi ou quelque ethnographe de passage, pour me croire capable de saisir tout cela [la profondeur et la complexité des codes culturels, de la parenté aux rituels, étudiés par le structuralisme] en ayant été simplement parachuté un an ou deux parmi eux ? » (Sahlins, 2007, p. 24). Marshall Sahlins, lui-même, cite Clifford Geertz appelant à mettre en doute « la possibilité que quiconque, autochtone ou étranger, puisse saisir une chose aussi vaste qu’un mode de vie dans son ensemble et trouver des mots pour la décrire ». Mais pour Jeanne Favret-Saada, cette question ne se pose pas seulement à propos des Fidjiens, des Hawaïens, des indiens d’Amazonie, et des Inuits, et doit être formulée ainsi : qui suis-je, moi ou quelque autre ethnographe, pour me croire capable de saisir un mode de vie dans son ensemble d’une société dans laquelle j’ai passé toute ma vie ? L’opacité, qui est bien plutôt un manque d’attention, est à quelques kilomètres de l’habitation principale de l’anthropologue : dans le Bocage, à Oberammergau en Bavière, à Copenhague au Danemark.

Bien qu’ils aient l’air de s’opposer en tout, Bourdieu et Latour forment un couple avec de nombreux points communs. Ils ne cessent d’établir des lois ou des paradigmes sur la société ou le social (c’est selon l’auteur). Pierre Bourdieu écrit des phrases telles que : « Il n’y a pas de pouvoir symbolique sans une symbolique du pouvoir » (Bourdieu, 2001, p. 112), et de son côté Bruno Latour affirme comme un nouveau paradigme : « Plus il y a d’attachements, mieux on se porte » (Latour, 2006, p. 342). Or Jeanne Favret-Saada refuse de monter à ce niveau-là de généralité. Elle choisit de se limiter à des cas, certes soigneusement choisis, la représentation de la Passion d’Oberammergau et l’affaire des caricatures de Mahomet, car elle estime que la montée en généralité est toujours invalide, et sera mise en échec par une exception. Le chercheur en sciences sociales, nous dit-elle, ne peut aller au-delà d’un mouvement réflexif étudiant quelques situations particulières, car il ne peut soutenir des principes s’appliquant à tous les êtres sans être pris en défaut. Dès lors, il ne peut être question de prévoir quoi que ce soit des actions humaines : elles sont aléatoires, mais cet aléa est pris dans des forces multipolaires. C’est ce qui ressort notamment du récit historique de l’histoire du christianisme et des Juifs entre 1800 et 2000 : cette histoire est pleine de surprises qui appartiennent néanmoins à un champ de forces.

Il n’y a pas de montée en généralité possible, nous dit Favret-Saada, sauf dans un domaine : le langage. Bourdieu, lui-même contre Austin et tant d’autres, affirme que l’important est la position institutionnellement située d’où l’on parle. Il s’en dégage un effet d’autorité, indépendant du sens des mots prononcés, d’un professeur sur des élèves, comme d’un prêtre sur des fidèles. De son côté, Latour est confronté à un insoluble problème : comment concilier la construction sociale des faits sociaux et les faits sociaux eux-mêmes ? Malgré de nombreuses tentatives, il n’y parvient pas solidement, et n’est pas loin de conclure que c’est impossible. Cette absence de solution tient, à mon avis, au fait que Latour a laissé sur le bord de son chemin les rapports de pouvoir, et le fait que les constructions sociologiques sont une performance linguistique qui commente les performances communicationnelles ― verbales et non verbales ― des acteurs sociaux. D’après Favret-Saada, les seules généralités qu’un chercheur en sciences sociales peut s’autoriser concernent le langage, et c’est la raison pour laquelle dans ses introductions, elle s’attache à comprendre le sens, la valeur, et l’usage des mots qui commandent le conflit étudié. « Sorcier », « musulman », « islamiste », « jihadiste », « antisémite », « islamophobe »… : bien qu’elles prétendent produire un savoir supérieur, les sciences sociales se résignent à utiliser les catégories mêmes des acteurs sociaux (en se contentant de leur donner une allure neutre, froide et lourde). De ce fait, elles sont incapables de se dégager des rapports de force et de violence dans lesquels leurs « indigènes » sont pris, et les chercheurs prennent inévitablement parti, mais à leur insu.

Le langage, même s’il est produit comme réalité sociale sans pour autant être contrôlable, est un vecteur à la fois de rapport de forces et d’affects, car il est toujours énoncé par un être humain depuis une place à l’adresse d’un autre qui est à une autre place. Ce système de places déborde les positions sociales fixées par le croisement des critères du capital économique et du capital symbolique, et prend en compte les affects qui n’ont aucune sorte d’existence dans les seuls rapports de pouvoir binaires de Bourdieu. La peur, l’angoisse et la tendresse ne sont pas des mouvements intéressés, ni de désintérêt intéressé, ce sont des affects. Occuper une place, d’où un être humain parle et écoute, c’est être affecté. Le système de places peut être celui de deux êtres singuliers, un sorcier et celui qui est pris, ou deux groupes d’êtres, les Églises chrétiennes et les Juifs. Dans ce dernier cas, il est alors « doté d’une force politique phénoménale », selon l’expression même de Favret-Saada, qui livre une analyse de « la place d’infamie où les Églises chrétiennes tiennent à maintenir les Juifs au 19e siècle et de la manière dont elles veulent les y remettre dès qu’ils ont réussi à la quitter » (Favret-Saada, 2004).Dans ce système de places, le chercheur en sciences sociales ne peut manquer d’occuper la sienne, avec les conséquences qui s’ensuivent : il ne peut manquer d’être affecté et toute neutralité désaffectée, qu’il s’agisse d’une posture surplombant les acteurs comme d’une position symétrique aux acteurs, est impossible. Latour fait sienne cette inévitable affection et mentionne sa dette envers Favret-Saada : « Ce qu’il faut entendre par une enquête, n’est-ce pas précisément le fait d’être touché, ému, c’est-à-dire, comme le dit l’étymologie, mis en mouvement par les informateurs ? », ajoutant en note de bas de page : « principe de méthode fondamentale que nous avons appris du maître livre de J. Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts » (Latour, 2006, p. 70). Cependant, si Bruno Latour a gardé les affects, il a rejeté les rapports de forces et de violence, lui préférant la diplomatie.

Voici, brossée à grands traits, la machine à coudre le monde de Jeanne Favret-Saada, qu’elle ne présente jamais et qu’elle ne reconnaîtrait sans doute pas complètement comme la sienne, entre autres raisons parce que je l’ai résumée trop rapidement et grossièrement. Certains lecteurs seront peut-être déçus : ils attendaient quelque chose d’encore plus neuf et d’encore plus splendide. D’ailleurs, peut-être les mêmes estiment-ils que ni Bourdieu, ni Latour, ni Sahlins ne sont des merveilles, et qu’à bien y réfléchir, ceux-ci ne valent pas Durkheim, Tarde et Weber. Peut-être les mêmes sont-ils déçus lorsqu’ils achètent un livre de sciences sociales récent, comme on peut être déçu par l’achat d’une machine à laver ou d’une automobile (si l’on en croit Albert O. Hirschman, 1983). Peut-être faut-il alors conseiller à ces lecteurs de ne pas multiplier les déceptions, et une machine à laver étant bien plus utile qu’un livre de sciences humaines, d’éviter d’en acheter un sauf si, dans un acte charitable de désintérêt intéressé, ils veulent soutenir les jeunes éditeurs.

L’affaire des caricatures de Mahomet.

Je vais esquisser, pour finir, ce que nous apprend Favret-Saada en actionnant sa machine à coudre sur l’affaire des caricatures de Mahomet. On lit parfois en France que le racisme serait un trait invariant des sociétés européennes, bien que son intensité varie selon les circonstances. Or Favret-Saada montre la naissance à partir des années 1970 d’un racisme dans un petit pays où il n’y en avait pas, le Danemark, et qui s’amplifie alors que la proportion d’immigrés venus de pays musulmans est très faible. Parmi les immigrés se trouvent quelques imams qui, au début des années 2000, cherchent à monopoliser la représentativité de l’islam au Danemark. Ces imams revendiquent des « droits religieux » des « musulmans » et rejettent la démocratie, la laïcité et l’égalité des sexes, valeurs fondamentales que le gouvernement défend et protège.

Dans ce contexte tendu, pendant l’été 2005, le plus grand quotidien danois, le Jyllands-Posten, décide de mettre à l’épreuve l’hypothèse d’une autocensure des artistes danois par crainte des islamistes. Il propose aux quarante membres du syndicat des illustrateurs de presse de dessiner Mahomet « comme ils le voient ». Douze d’entre eux envoient leur dessin, qui sont publiés le 30 septembre 2005, sous le titre « Les visages de Mahomet » et accompagnés d’un texte expliquant la démarche. Ce ne sont ni la mondialisation de l’information par internet, ni les « musulmans » dans leur ensemble qui transforment la publication des douze caricatures en une affaire de dimension internationale, mais l’alliance entre, d’une part, un petit groupe d’imams islamistes issus de la diaspora palestinienne au Moyen-Orient et vivant au Danemark, et, d’autre part, le pouvoir égyptien cherchant, dans une concurrence électorale, à apparaître comme meilleur défenseur de l’islam que les Frères musulmans.

Réagissant à la crise, les États européens mettent alors en place ce que Favret-Saada appelle la « stratégie de l’édredon » : éteindre la « colère musulmane » par des discours démonstratifs et moelleux mais qui n’engagent à rien. Il en ressort le constat d’un complet renversement des positions politiques ces quinze dernières années. Alors que de nombreux responsables politiques soutenant Salman Rushdie en 1989 défendaient la liberté d’expression, principe inconditionnel, les mêmes appellent désormais au « respect des religions » et à cet étrange paradoxe que serait une liberté d’expression « responsable », et dont on peut se demander si elle a encore le goût de la liberté.

Jeanne Favret-Saada, Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, Paris, Les prairies ordinaires, 2007.

Résumé

En lisant la presse européenne dans les premiers jours de février 2006, on découvrait une série de douze dessins représentant Mahomet, et qui provoquaient la fureur dans différents pays du monde où la population musulmane est importante. Ce qui semble le point de départ d’une affaire en est déjà, en réalité, presque la fin, et ...

Bibliographie

Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes : éléments pour une philosophie négative, Paris, Seuil, 1997.

Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Point Seuil, 2001.

Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’agir, 2004.

Josée Contreras et Jeanne Favret-Saada, Corps pour corps : enquête sur la sorcellerie dans le bocage, Paris, Gallimard, 1981.

Josée Contreras et Jeanne Favret-Saada, Le Christianisme et ses Juifs : 1800-2000, Paris, Seuil, 2004.

Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts : la sorcellerie dans le bocage, Paris, Gallimard, 1977.

Jeanne Favret-Saada, « Être affecté », Gradhiva, n° 8, 1990, pp. 3-10.

Jeanne Favret-Saada, « Entretien », Vacarme, n°28, été 2004.

Jeanne Favret-Saada, Algérie 1962-1964 : essais d’anthropologie politique, Saint-Denis, Bouchène, 2005.

Jeanne Favret-Saada, Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007.

Albert O. Hirschman, Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983.

Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes : Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.

Bruno Latour, Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006.

Marshall Sahlins, La découverte du vrai Sauvage et autres essais, Paris, Gallimard, 2007.

Notes

Auteurs

Arnaud Esquerre

Doctorant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et enseignant à Sciences Po Paris, il achève sous la direction de Luc Boltanski (Ehess, Gspm) une thèse de sociologie qui porte sur l’émergence en France d’un pouvoir d’État sur le psychisme à travers la lutte contre les « sectes » et la réglementation de la psychothérapie. Parmi ses publications récentes : « Une affaire, mais dans quel cadre ? À propos de la profanation du cimetière juif de Carpentras », in Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, Nicolas Offenstadt, Stéphane Van Damme (dir.), Affaires, scandales et grandes causes, Paris, Stock, 2007 ; « Lutter contre les sectes : l’invention d’un psychopouvoir », Le Banquet n°24, Paris, février 2007, pp. 199-212 ; « Les familles et les sectes : une rivalité en miroir », in Marcela Iacub, Patrice Maniglier (dir.), Famille en scènes, Paris, Autrement, 2003, pp. 30-39.

Partenariat

Sérendipité.

This page as PDF