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Serendipity.

Relitigieux.

Ces derniers mois ont été un peu suffoquants pour les petits soldats de l’éducation. Qui a dit que la forte proportion d’athées était l’une des caractéristiques de l’Europe occidentale ? Cela sonne comme une bouffée d’air frais, la même sans doute qui avait éclairci le visage de cet élève, dans une classe très musulmane, lorsque j’enseignais l’existence de la notion d’agnosticisme : il s’y reconnaissait, enfin. Et la classe de tempêter, de le traiter de fou. Mais sur son visage, soulagement.

Athée, l’Europe ? Triste mot fondé sur la négation ; mais… libérée, l’Europe ? Dépêtrée, de ces relents d’obscurantisme qui empêchent aujourd’hui les OGM de nourrir des hommes et la génétique de les empêcher de souffrir ? Dégagée, de ce casus belli millénaire, de cette inutile hypothèse ? Et surtout pas totalement et totalitairement pour l’imposer au monde comme elle a pu et peut, encore, imposer la religion ; mais suffisamment pour lui proposer cet autre horizon. Plus n’est besoin désormais de ce rapport d’humilité infantile à un créateur, quand chaque jour démontre que la construction du monde tient à notre responsabilité, chaque jour, engagée ! Plus n’est besoin d’un dieu (ou d’un autre) pour se découvrir une vie qui ait un (ou de multiples) sens, une âme, une Humanité.

De toute part, cependant, les faits s’acharnent à démontrer exactement le contraire.

C’est, dans le monde des géographes, le Fig (Festival International de Géographie) à Saint-Dié abordant le très à la mode fait religieux sans laisser place au non-religieux. D’abord envisageable, vite étouffant. Jusqu’à l’affirmation proférée par d’anachroniques inquisiteurs, revenus sous la forme incongrue de membres de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes, pour interpeller et dénoncer comme hérétique un membre du public avant même qu’il ait pu prononcer un mot : « Présentez-vous, voyons, monsieur, vous êtes un des responsables de la secte Machin, n’est-ce pas ? » De quoi avoir froid dans le dos, après avoir entendu leur credo : « Et les enfants, surtout nos enfants, il faut les protéger… de cette mainmise de leurs propres parents. Ils sont embarqués dans des rituels, dans des systèmes de pensée desquels ils ne peuvent se libérer… » On jurerait y reconnaître tous les aspects d’une enfance catholique.

C’est, dans le monde de l’Éducation Nationale, la réflexion des derniers mois sur le thème de l’enseignement du fait religieux. Peu de débats explicites cependant, peu de confrontations, on entend des craintes devant les tensions engendrées, on nous conseille de surtout « ne pas heurter les sensibilités »… L’enseignement doit-il se limiter au doux bercement de certitudes préétablies ? Dans ces lieux de professionnels, l’objectif de former à la raison est en privé, jamais ouvertement.

C’est, dans le monde européen, la demande de l’Église catholique pour que soit inscrite dans notre Constitution Européenne la référence à l’héritage chrétien. Certes, mais alors que soit inscrite également celle de l’athéisme ! Et, parmi un certain nombre de valeurs fondamentales déjà affirmées par les déclarations (universelle et européenne) des Droits de l’Homme, cette même Église qui glisse le rôle central de la famille fondée sur le mariage, comme une part de cet héritage. Scandaleuse immixtion ! Comme un mauvais écho, ce sont les propos de Valéry Giscard d’Estaing, barrant la route à la Turquie quelles que soient les conditions qu’elle remplisse, avec toute la montagne de… cinq cent cinquante années de préjugés. Constantinople, un passé qui ne passe pas ! Propos qui lancent vite le débat sur une Europe ouverte ou non. L’altérité serait donc avant tout religieuse. Pourquoi accepte-t-on si mal le Parti de la justice et du développement (Akp), le parti démocrate-musulman, sans sourciller devant les divers partis ouvertement démocrates-chrétiens présents dans toute l’Europe ? Position qui trouve sa caricature en un invraisemblable Alain-Gérard Slama, qui dans les colonnes du Figaro conclut que « la tolérance se nourrit de l’échange, qui suppose que chacun reste soi »… Conception de la tolérance fondée sur une identité immobile. Est-ce cette manière de tolérance, regardant vers le passé et figée, que l’on veut retenir de notre héritage religieux ?

C’est encore, dans le monde d’aujourd’hui, dans le monde de ma rue, dans le monde de mon école, les bagarres entre jeunes juifs et jeunes musulmans, et tous si loin de la res publica, si retranchés dans leurs communautés respectives. Renvoyons-les dos-à-dos, comme on peut le faire des Israéliens et des Palestiniens, unis dans un criminel conflit à coup d’éternités, que le monde a pu prendre en sympathie et qui prend le monde en otage.

C’est enfin, dans le monde en germe, celui de demain, une classe de quelques collégiens non-francophones fraîchement arrivés auxquels on apprend la notion-même de religion. Leur confusion initiale avec mon pays, avec mon village, avec ma vie ; leur découverte accidentelle de l’athéisme comme une excroissance, au détour d’un échange, et la stupeur de ces enfants devant cette étrange idée. Malaise, car point de liberté si l’on ne leur propose que le nuancier des différentes re-ligions, encore et encore, ce lien de vassalité avec une allégeance présentée comme nécessaire, leur laissant la liberté de choisir seulement leur domination. En réalité il n’y a guère de différence entre le religieux des élèves musulmans des collèges en marge de notre société, et celui des élèves de lycées (en tous points) centraux. On peut être surpris devant ce cahier d’une élève de 5e, qui après un travail zélé et de si bonne volonté sur une biographie très historique de Mahomet, réécrit à chaque fin de phrase, dans une mécanique incohérente et sourde car « Mahomet est son prophète et son DIEU ALLAH’ ». Étonnement aussi face à l’inquiétude des lycéens, soulevée par un titre tel que Le christianisme n’est pas tombé du ciel : le contexte. Petit bonheur devant le déferlement inattendu d’intérêt contrastant avec leurs réticences initiales. Stupéfaction devant certains de leurs travaux, au terme d’un lourd travail de critique historique et de réflexion sur l’histoire : « les questions que se posent les historiens sont de savoir si Jésus est le fils de dieu ou non » ; travaux dans lesquels « dieu » n’est jamais écrit que par un curieux système allusif ; copie notant la « culpabilité » ressentie devant une crucifixion.

Il est temps, pour le monde de demain, d’introduire cette pensée du non-dieu dans les programmes : Elle fait partie de notre monde. Le fait religieux, est-ce alors un concept suffisamment adéquat pour évoquer notre réalité, cette sphère du spirituel ? Est-ce un concept efficace, si elle doit chasser du monde les penseurs du non-dieu ? Athée, est-ce un là terme approprié pour désigner le fondement de cette pensée positive et nette, dégagée de tout lien chimérique et de tout préjugé, et qui peut très bien n’avoir rien de désespéré ? Rien, que ce a- retranché, cette absence. Lors même que cette pensée peut être si présente au Monde !

Spiritualité, croyance, mystique, raison, sagesse… ? Chercheuses, chercheurs… construisez-nous vite des concepts opérationnels pour penser ensemble ces domaines du religieux et de l’athéisme afin que tous nous puissions les manipuler sans craindre du religieux les faits et les méfaits !

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Ces derniers mois ont été un peu suffoquants pour les petits soldats de l’éducation. Qui a dit que la forte proportion d’athées était l’une des caractéristiques de l’Europe occidentale ? Cela sonne comme une bouffée d’air frais, la même sans doute qui avait éclairci le visage de cet élève, dans une classe très musulmane, lorsque ...

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Authors

Emmanuelle Tricoire

Historienne et géographe, elle est professeure d’Histoire, de Géographie et d’éducation civique dans le Secondaire ; elle a enseigné à Metz, à Marseille et à Paris. Actuellement, elle voyage entre Berlin et l’Est européen. Elle y travaille sur l’idée d’Europe. Elle est rédactrice en chef d’EspacesTemps.net.

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