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Serendipity.

Pour une vraie politique de recherche et d’enseignement supérieur.

« Que faire pour l’Université ? », Mouvements, n°55-56, septembre-décembre 2008.

Image1À l’heure où les prises de position se multiplient contre les suppressions de postes à l’Université et l’actuelle contre-réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche, la lecture du dossier « Que faire pour l’Université ? » consacré par la revue Mouvements à la réforme de l’enseignement supérieur est indispensable [1]. Coordonné par Armelle Andro, Marie-Hélène Bacqué, Jean-Paul Gaudillière, Numa Murard et Sylvie Tissot, il propose les analyses croisées de sociologues et de politistes, d’une économiste, d’un historien, d’une spécialiste en sciences de l’information et communication sur l’Université et sur la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (Loi lru), dans le cadre d’un « état des lieux », d’une présentation de l’« offensive “réformatrice” » et d’une mise en perspective internationale de la loi [2].

L’« état des lieux » de l’Université réalisé par ces auteurs met l’accent sur certains maux essentiels dont souffrirait cette institution, parmi lesquels une démocratisation et une féminisation ségrégatives. Cinq articles dessinent les enjeux d’une réforme capable d’aborder les problèmes de fond en termes de moyens, contenus pédagogiques, nature et limites des partenariats extérieurs, place des formations professionnelles… Le passage de la massification à la démocratisation, les formes possibles pour une autonomie, les rapports existant entre, d’une part, une formation générale critique et, d’autre part, une formation professionnelle, les savoirs que nous voulons acquérir et transmettre constituent autant de questions qui devraient être au cœur de la « réforme » de l’Université. Cet état des lieux amène les auteurs à conclure à la nécessité d’une telle réforme mais également au caractère néfaste d’une loi (la Loi lru) ayant toutes les chances de renforcer les dysfonctionnements du système.

Une démocratisation et une féminisation ségrégatives.

L’enseignement supérieur demeure hiérarchisé et son ouverture aux jeunes issus des classes populaires, ainsi que la féminisation de sa population, restent différenciées. En ce sens, il se caractérise par une « démocratisation ségrégative » particulièrement traitée par l’article de Vanessa Pinto, qui ouvre le dossier. L’auteur décrit les principales transformations de l’enseignement universitaire au cours des dernières décennies et montre comment, en dépit d’une massification des publics, les inégalités sociales et de genre perdurent, sous des formes renouvelées. Ainsi la sélection des jeunes les moins dotés socialement ne se fait plus au baccalauréat ; retardée, elle se traduit par la relégation dans des filières dépréciées et paupérisées de l’enseignement supérieur [3]. Les filles sont pour leur part confinées dans des filières moins valorisées sur le marché du travail, aux parcours moins avantageux en termes de niveau de salaire, évolution de carrière, chômage et sous-emploi. C’est dire combien il faut prendre en compte la valeur sociale contrastée des titres universitaires, plus précisément leur propension différenciée à donner accès à des postes stables et qualifiés.

À rebours des discours libéraux dénonçant les effets pervers de la massification scolaire et la faillite d’un système éducatif coupé de la réalité, l’auteur rappelle non seulement combien les plus diplômés sont mieux épargnés face à un milieu professionnel dégradé mais souligne aussi la meilleure adaptation des formations généralistes à un marché du travail aléatoire. Le problème réside moins dans l’inadéquation des universités aux entreprises ou dans la surproduction de diplômés que dans la pénurie d’emplois face aux effectifs de la population, qualifiée ou non.

L’article aborde enfin le caractère « contre-productif » et « inégalitaire » d’une « professionnalisation » fragilisant des salariés « dont la valeur des titres dépend du monde économique »(p. 23) et contribuant à déstabiliser le marché du travail ainsi qu’à resserrer les perspectives professionnelles en début de vie active par la généralisation des stages et l’extension des « emplois étudiants ».

Loin de répondre aux défis de la massification universitaire et d’une démocratisation inachevée, les transformations de l’enseignement supérieur contribueraient donc à renforcer les inégalités. La promotion des « parcours individualisés » selon la logique des ects mis en place avec le Lmd au détriment des diplômes nationaux par discipline pénaliseraient les étudiants les moins biens dotés en « sens du placement » en brouillant les règles du jeu universitaire :

L’importance accordée au « savoir-être » met en valeur les ressources les plus directement liées à l’origine sociale, ce qui tend à favoriser les enfants des classes supérieures. Par ailleurs, en détournant une partie des jeunes d’origine populaire des filières qui, comme les sciences humaines et sociales, ouvrent au secteur public (enseignement, administration, secteur sanitaire et social, etc.) et en les orientant vers les emplois peu qualifiés du secteur privé, la “professionnalisation” les prive de leurs perspectives ascensionnelles traditionnelles. (p. 23)

La persistance d’inégalités de carrières entre hommes et femmes, confirmée par de récentes enquêtes sur le travail des enseignants-chercheurs (cf. Faure et Soulié, 2005 ; Musselin, 2008), montre une forte ségrégation, horizontale et verticale. Emmanuelle Latour aborde ainsi, dans un article intitulé « Le plafond de verre universitaire. Pour en finir avec l’illusion méritocratique et l’autocensure », le phénomène international que constitue l’évaporation des femmes à chaque étape de la carrière universitaire. Loin d’être imputables à une autocensure féminine face aux ambitions professionnelles, ces inégalités résultent de la conjonction de plusieurs facteurs, dont la différence des pressions culturelles et sociales exercées sur les deux sexes. C’est « au niveau de la prise de conscience et de la dénonciation des discriminations à l’œuvre dans la dissymétrie des carrières avec leurs collègues hommes » qu’il y aurait « déni de réalité » chez les femmes (p. 59).

Loin de répondre à de tels défis, la réforme « lru » tend à les occulter en substituant la question de la compétitivité du système d’enseignement supérieur à celle de la démocratisation scolaire. La mise en place de la dérégulation du système universitaire et d’une autonomie gestionnaire des établissements pourrait même contribuer à creuser encore ces inégalités et discriminations.

Quelle autonomie ?

Un large consensus se manifeste aujourd’hui chez les universitaires contre l’adoption d’une « forme bureaucratique » d’autonomie et la remise en cause de

l’autonomie par l’indépendance des universitaires. […] En donnant aux présidents d’université et à leur conseil d’administration les pouvoirs de recruter les enseignants-chercheurs, de définir leur service, d’évaluer leurs travaux et de rémunérer en primes leurs différents services, la loi Pécresse consolide le pouvoir corporatiste, renforce le localisme et décourage la recherche. Bref, condamne les universités à un lent mais inexorable déclin. (Rousseau, 2009)

Les contributeurs de ce numéro partagent ce constat dans l’analyse qu’ils consacrent à « l’autonomie » au sens de la Loi lru. Si autonomie il y a, souligne le sociologue Frédéric Neyrat, ce n’est pas celle des universités vis-à-vis de tous les pouvoirs mais c’est celle, depuis longtemps réclamée par la Conférence des présidents d’universités, de leurs présidents par rapport à leurs communautés universitaires. Cette réforme, qui s’inscrit dans une volonté de dérégulation et dans la mise en œuvre d’un new public management (npm) touchant également d’autres secteurs tels que l’hôpital ou la justice, ne peut que creuser les inégalités existant entre les établissements et sacrifier certaines filières et disciplines sur l’autel d’une évaluation à court terme et centrée sur l’insertion professionnelle.

Annie Vinokur, dans son article « Vous avez dit autonomie ? », analyse en détail l’autonomie gestionnaire récemment octroyée aux établissements universitaires français, qui s’oppose à la logique de l’organisation collégiale adoptée à l’origine par les universitaires. Deux objectifs sont fixés par la réforme en cours : contraindre les universités à répondre rapidement et à moindre frais aux besoins fluctuants de l’économie en personnel compétent et en savoirs valorisables et les faire entrer dans la compétition de l’industrie mondialisée de l’enseignement supérieur. La stratégie adoptée, qui relève du npm, consiste à renforcer la capacité décisionnaire des universités publiques mais aussi leur pilotage et leur contrôle par les pouvoirs politiques et économiques. Toutefois, la réforme n’impliquant dans l’immédiat ni remise en cause du caractère national des diplômes, ni sélection des étudiants, ni élévation des frais d’inscription, cette coûteuse compétition interuniversitaire ne peut que favoriser le développement des capitaux privés dans le secteur. Elle risque également de générer une nouvelle segmentation de l’enseignement supérieur, qui s’ajoutera aux cloisonnements hérités, la possibilité de faire émerger des « champions » nationaux étant désormais subordonnée à une restructuration du paysage de l’enseignement supérieur au profit de quelques établissements « d’excellence ». L’auteur souligne une autre spécificité de la réforme française, qui tient à la réduction drastique du pouvoir universitaire collégial. La Loi lru renforce les pouvoirs du Président au détriment de ceux du Conseil collégial, auquel il concède voix au chapitre en matière de politique scientifique de l’Université, de recrutements, de programmes académiques et d’évaluation. Vinokur remarque combien, par opposition à la plupart des universités étrangères, où la collégialité, garante de l’équilibre des pouvoirs, demeure la norme [4], le dispositif français pourrait être contre-productif par rapport à ses objectifs affichés et relever davantage d’une volonté politique d’en finir avec l’autonomie des universitaires. L’article relève les paradoxes d’une réforme présentée comme innovante alors même que des réformes analogues, bien que moins radicales dans la mesure où elles ne remettent pas en cause l’existence de contre-pouvoirs, ont suffisamment montré leurs limites chez nos voisins européens pour que

des observateurs étrangers considèrent que la France vient de monter dans le dernier wagon d’un train dont la locomotive a déjà déraillé : conflits d’intérêts […] compromettant l’indépendance de l’expertise universitaire, disparition de pans entiers de l’enseignement et de la recherche jugés insuffisamment “efficaces” au regard des objectifs retenus, déclin de la recherche fondamentale, […] développement de formes de résistance individuelle telles que le contournement, la fraude, la tricherie, ou encore l’exit dont atteste le cas d’universités anglaises et états-uniennes de plus en plus confrontées à la difficulté à attirer des candidats nationaux en raison de la précarisation d’une proportion élevée d’enseignants-chercheurs et de régression de la liberté académique… (pp. 80-81)

C’est dire combien la résistance de bon nombre d’universitaires (toutes orientations politiques et disciplinaires confondues) à ces réformes peut être lue au moins autant comme la défense d’une certaine conception de l’Université, en particulier de sa mission universelle, que comme un simple conservatisme corporatiste… À cet égard, Vinokur cite la Présidente de l’Université de Harvard, qui, dans son discours inaugural du 12 octobre 2007, précisait combien

l’essence de l’université est qu’elle est responsable envers le passé et l’avenir d’une manière qui peut (qui doit) entrer en conflit avec les demandes du moment. Nos engagements sont intemporels et nous sommes mal à l’aise pour les justifier en termes instrumentaux. (p. 73)

Un marché de dupes.

Bref, cette réforme constituerait un dangereux « marché de dupes » pour l’Université et la communauté universitaire, mais aussi, selon Neyrat, vis-à-vis des étudiants. L’auteur aborde les promesses ministérielles d’aide à la réussite. Reposant sur un diagnostic soi-disant partagé sur l’échec à l’Université, dont l’ampleur serait délibérément surestimée, les modernisateurs, en imputant cet échec aux dysfonctionnements de l’Université, font l’impasse sur certaines caractéristiques des publics d’une Université dont la grandeur est « d’accueillir largement, sans sélectionner au faciès scolaire » (p. 68). Ce discours de dénonciation de l’échec en premier cycle est en fait largement inspiré par des considérations économiques : la volonté de limiter le coût d’une scolarisation de masse en réduisant artificiellement l’échec en Licence comme contrepartie de la décision de ne pas adopter la mesure impopulaire consistant à instaurer de barrière sélective à l’entrée des universités. Et dans la mesure où cette réduction de l’échec accroîtra très vite et à moindre coût la proportion d’une génération diplômée de l’enseignement supérieur, elle permettra d’apparaître vertueux par rapport aux objectifs fixés lors du Conseil européen de Lisbonne. Le plan pluriannuel pour la réussite en Licence atteste ce souci d’économie. Il prévoit notamment l’augmentation conséquente du temps d’enseignement par étudiant sans prévoir de recrutement d’enseignants ou enseignants-chercheurs supplémentaires, d’où des solutions au rabais et dont les limites, voire le caractère anti-pédagogique, ne sont pourtant plus à démontrer : recours au e-learning, « dont les “apprenants” se lassent déjà », et au tutorat, presque exclusivement sollicité par les étudiants qui réussissent, mais aussi réforme du statut des enseignants-chercheurs afin de les faire davantage enseigner.

Et qu’importe si, accablés de cours et d’autres charges péri-pédagogiques, les enseignants ne peuvent plus mener leurs recherches. La recherche dans la “nouvelle université” sera de toute façon l’apanage des pôles d’excellence et des enseignants-chercheurs qui ont eu la chance, un jour, d’y être recrutés… (p. 69)

Le stage, enfin, est « un moyen d’afficher l’intention professionnalisante qui dispense de fournir la preuve de son utilité pédagogique » (p. 69), alors même que sa généralisation en troisième année de Licence, y compris dans les filières générales, ne peut que contribuer à dégrader les conditions d’accès au marché du travail. La mise en place d’une pluridisciplinarité de façade, consistant de fait en une « mutualisation comptable » d’enseignements divers, contribuerait pour sa part à dévitaliser les contenus d’enseignement et à remettre en cause la cohérence des apprentissages. L’auteur souligne combien

d’un point de vue pédagogique, cela relèvera de la logique de la « cafétéria » : un petit peu de tout, mais presque rien ! Les grands établissements, capables de proposer une offre plus consistante, échapperont à ce travers. On voit donc qu’à coûts constants, on augmentera ainsi la réussite d’étudiants, qui migreront vers les enseignements les plus faciles à valider ; et pour attirer les « clients » et garantir le maintien de leurs cours, les enseignants seront appelés à se montrer « généreux ». (p. 70)

Cette remise en cause des savoirs disciplinaires s’exprime aussi à travers la notion floue de compétences qui s’est imposée dans tous les ordres de l’enseignement, et dont la promotion est rappelée dans le plan Licence. Elle se traduit également par des dispositifs de projets personnels et professionnels censés garantir aux étudiants une insertion professionnelle aisée. Ces dispositifs, assez comparables, selon Neyrat, « aux modules de “remotivation”, imposés aux chômeurs, faisant la part belle à toutes les fausses sciences en général, et à la méthode Coué en particulier ». L’auteur remarque au passage que toutes « ces “innovations”, ô combien contestables, ne sont pas généralisées aux classes préparatoires : les “élites” ont le souci de la qualité de l’enseignement, lorsqu’il s’agit de leurs enfants ! » (p. 71).

L’article se conclut sur le « goût amer » de la réussite en Licence, telle qu’elle va être artificiellement produite par un plan Pécresse qui induit la dissociation entre la Licence, le Master et le doctorat : « ceux qui étudient dans les Universités Potemkine, seront invités à aller bien vite s’employer sur le marché du travail, munis d’une Licence dont la valeur se sera érodée, faute d’être encore lisible disciplinairement ». Les autres pourront suivre l’enseignement universitaire proprement dit en vertu de la carte scolaire et/ou d’une sélection en Master qui ne pourra, selon l’auteur, que rapidement ressurgir : « Comment accepter, directement, dans les Master […] des étudiants “licenciés” dont les bases disciplinaires sont aussi fragiles ? » (p. 71).

S’ajoutent les problèmes inhérents à la conception segmentée et autoritaire de ces réformes et à leur mise en œuvre dans l’urgence. Selon Sophie Pène, la « conception ultra-rapide » du plan pour la réussite en Licence,

illustre l’art de rénover sans innover. Le cahier des charges est donné par le ministère. […] Pas de diagnostic sur les pratiques actuelles. Pas de recherche d’expériences réussies. Pour aller plus vite, faisons le plan avec les dix responsables de licence, tous choisis pour leur audace pédagogique, c’est bien connu. (p. 86)

Les étudiants ne sont pas même entendus ni associés à la conception du plan. Il faut faire vite, quitte à segmenter par thème, sur le modèle de la segmentation administrative ; au rythme des exigences ministérielles, chaque volet — Europe, tice, évaluation pédagogique, réussite en licence… — est ainsi traité comme un monde en soi.

Aucune place n’est laissée à l’expérimentation pédagogique dans un contexte de normalisation des maquettes, de calcul des coûts des diplômes sur la base du nombre d’étudiants inscrits pédagogiquement et de calcul de la dotation au vu de la performance du diplôme. Les fonds seront donc versés en fonction du résultat, c’est-à-dire du nombre de diplômés, le diplôme le plus performant étant celui qui aura le plus faible taux d’échec. Selon l’auteur, une telle évaluation « en sortie de chaîne », efficace au siècle dernier dans l’industrie automobile, « tarit tout intérêt à développer des formations thématiquement et fonctionnellement innovantes. Les standards feront l’affaire. Combien de temps les étudiants […] supporteront-ils ce type d’enseignement avant d’aller voir ailleurs ? » (p. 90). D’autant qu’un investissement confiant dans des buts crédibles est rendu impossible par une dénégation généralisée de la part d’universités faisant des

efforts énormes […] pour se positionner comme pilotes possibles de la recherche […] en une course contre la montre pour satisfaire aux exigences de l’Aeres — tout en les critiquant —, tenter de remonter quelques places dans le classement de Shangaï — tout en répétant qu’il ne vaut rien —, donner tout pouvoir à une administration peu inspirée, rénover l’enseignement sans s’intéresser aux étudiants, tailler dans le vif, tout en parlant d’attractivité. (p. 90)

L’auteur peut conclure :

Le modèle de performance que l’on nous demande d’investir est uniforme et très pauvre. Nos universités sont insérées dans des boîtes vides ; les pres se développent sans relation avec les pôles de compétitivité. Leurs liens avec les collectivités territoriales sont faibles. Ils ignorent les entreprises. Ils n’ont rien changé à l’enseignement. Ils ont comme seul but la recherche de la taille critique. (p. 91)

La convergence européenne, qui constitue l’un des principaux ressorts de cette réforme, n’est elle-même pas sans poser problème.

Les limites d’une convergence européenne.

La réflexion de Christophe Charle sur « la loi lru dans une perspective européenne » éclaire les limites de la convergence européenne. L’auteur rappelle, dans un premier temps, les principes généraux de la construction d’une telle convergence, à savoir : les préconisations de l’Ocde appliquant la théorie du capital humain et impliquant un basculement partiel du financement vers les usagers et les « clients » ; la théorie de l’économie du savoir supposant un renforcement de l’exécutif universitaire ; la fascination française et européenne pour une quinzaine d’universités américaines de réputation internationale, qui ne représentent pourtant qu’une infime fraction des milliers d’établissements américains et de leurs millions d’étudiants [5]. La Loi lru s’inscrit également dans la « stratégie de Lisbonne » pour une Europe compétitive fondée sur « l’économie du savoir » [6]. Dans ce cadre, l’enseignement supérieur est soumis à des principes généraux économiques, voire économicistes — marché ouvert, concurrence, compétitivité, efficacité — et aboutit à une normalisation occultant les spécificités disciplinaires, les particularités régionales ou nationales, la variété des rapports des individus à la demande d’enseignement supérieur et la diversité des fonctions de l’enseignement supérieur [7]. L’application de ces préconisations négligeant la pression de la base ne peut qu’être facilitée par la réduction de la taille du Conseil d’administration et la réélection possible après un premier mandat du Président d’Université, surtout si la base est de plus en plus recrutée sur des postes précaires l’excluant des organes de direction ou de la possibilité de faire pression sur le sommet pour faire entendre sa voix. Ces préconisations risquent pourtant d’assécher la recherche, par la mise en œuvre d’une évaluation quantitative des dossiers en compétition poussant à la « colloquite » et à l’inflation d’articles dédoublés ressassant les mêmes sujets « sous des emballages différents ». L’auteur peut citer l’exemple d’universités anglo-saxonnes en proie, s’agissant des sciences humaines et sociales, « à des modes intellectuelles aussi stérilisantes que les appels d’offres technocratiques à la française, orientés par les priorités de l’heure » (p. 98). Au final, Charle souligne combien les réformes annoncées ne peuvent qu’accentuer la dualisation des systèmes entre d’un côté des secteurs dits « adaptés » et d’autres tombés en déshérence parce que supposés sans intérêt dans la « compétition » internationale :

Le plus probable n’est donc pas une américanisation néolibérale de l’université européenne, mais une dualisation généralisée, à la française, des filières et des niveaux de sortie de l’enseignement supérieur, miroir de toutes les autres dualisations à l’œuvre dans nos sociétés. (p. 100)

C’est dire combien cet article, et plus largement l’ensemble de ce dossier, sont salutaires contre les sophismes de l’« économie du savoir ». Ils justifient « l’ambition intellectuelle critique de l’université » contre toute tentative de réduction « à un instrument docile de reproduction sociale » (p. 101). Ils éclairent les effets pervers d’une réforme qui, loin de résoudre les dysfonctionnements de l’institution universitaire, risque au contraire de les conforter par ses incohérences, en renforçant des travers tels que le localisme plutôt que de le remettre en cause, ou encore en créant de fait un « marché des universitaires » (Musselin, 2005) tout en refusant qu’un tel marché organisé de façon collégiale puisse opérer librement et en préférant, « selon une tradition bien française », s’en « remettre à quelques évaluateurs technocratiques » et demander « aux équipes de direction des universités d’élaborer des critères comptables pour juger leurs enseignants-chercheurs » (Foucault, Lépinard, Lepinay et Mallard, 2009, p. 7). Ce bilan est particulièrement utile dans un contexte de mobilisation universitaire contre les réformes en cours et pour la sauvegarde d’une indépendance académique, garante de la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche. La position des auteurs de ce dossier rejoint celle d’une communauté universitaire qui, loin d’être opposée au changement, s’est engagée depuis des années dans des propositions de réforme pour l’Université [8], et se mobilise aujourd’hui pour promouvoir un service public d’enseignement supérieur de qualité, ouvert au plus grand nombre tout en permettant de promouvoir l’excellence scientifique et pédagogique. Loin de prôner le statu quo, les auteurs incitent à un réel débat sur l’Université et son avenir, prenant en compte les singularités de l’enseignement supérieur français, dont le dualisme entre l’Université et les grandes écoles (cf. Vasconcellos, 2006), et la pertinence d’un système reposant sur les liens entre recherche et enseignement.

« Que faire pour l’Université ? », Mouvements, n°55-56, septembre-décembre 2008.

Abstract

À l’heure où les prises de position se multiplient contre les suppressions de postes à l’Université et l’actuelle contre-réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche, la lecture du dossier « Que faire pour l’Université ? » consacré par la revue Mouvements à la réforme de l’enseignement supérieur est indispensable1. Coordonné par Armelle Andro, Marie-Hélène ...

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