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Serendipity.

Penser le touristique : nouveau paradigme ou interdisciplinarité ?

State Library and Archives of Florida, « Visitors at the campground of the park: Thonotosassa, Florida », 01.1961, Flickr (licence Creative Commons).

Le tourisme, phénomène complexe et mondialisé : le touristique en action.

Le tourisme s’est développé à partir du début du 20e siècle pour connaître une croissance et une accélération de la densité et de son volume d’activité à partir de la seconde moitié du 20e siècle, représentant aujourd’hui l’un des opérateurs structurants de la société-Monde. D’un phénomène marginal et exceptionnel réservé à une élite entre 1780 et 1830, les pratiques touristiques ont en effet pris de l’ampleur pour devenir un phénomène de masse dès les années 1920 et se diversifier tout en se mondialisant davantage à partir des années 1970 [1]. Le tourisme comme système de production/consommation joue aujourd’hui un rôle d’impulsion central dans les processus de développement économique et urbain à l’échelle mondiale. Le regard touristique informe de nombreuses actions : la patrimonialisation, les acteurs différents à divers paliers institutionnels, allant des sujets touristes à la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Tourisme (omt), en passant par les responsables politiques et les entrepreneurs des systèmes touristiques locaux. Le touristique se loge aussi dans les revendications identitaires personnelles et collectives, les apprentissages de compétences spatiales utilisables dans d’autres contextes, ainsi que dans la circulation d’images et d’imaginaires.

Le touristique se décline en outre à travers de multiples pratiques qui prennent sens en fonction des lieux géographiques et des intentionnalités des acteurs-touristes. Il couvre un large spectre d’activités dont les appellations marketing ne cessent de produire des labels : tourisme d’aventure, écotourisme, tourisme éthique, durable, polaire, rural, etc. En même temps, la mobilité et l’habiter poly-topique font émerger des pratiques hybrides qui associent des pratiques auparavant clairement distinctes : travail et recréation, chirurgie et recréation, par exemple. L’offre de produits touristiques est de plus en plus diversifiée de manière à répondre à l’augmentation du temps hors-travail et hors-quotidien disponible pour s’adonner à des pratiques recréatives. Elle a pour caractéristique de n’être qu’un type de mobilité parmi d’autres dans des sociétés à individus mobiles (Stock, 2006), au lieu d’être la seule mobilité permettant la confrontation à l’altérité, comme cela était encore le cas aux débuts du tourisme de masse.

Le tourisme, depuis 200 ans, connaît une constante transformation qui, sous l’impulsion de nouvelles formes d’organisations de l’offre marchande et de l’extension de l’écoumène touristique tant sur le plan des pratiques que sur celui des imaginaires, favorise l’émergence de nouvelles pratiques, de nouveaux business models et des politiques de développement repensées (Équipe mit, 2011). Par exemple, le sens assigné au monde biophysique se modifie radicalement au cours du temps : l’émergence de la neige comme ressource touristique ou le renversement des saisons dans la Méditerranée (des villes d’hiver aux stations estivales) montrent comment différents acteurs assignent des significations changeantes, variées et diversifiées à une même ressource ; de multiples attractions et destinations se créent et se détruisent ainsi au cours du temps.

Le tourisme comme objet de recherche soulève un problème en raison de sa complexité (Darbellay et Stock, 2012). En effet, les chercheurs sont face à une configuration multidimensionnelle de pratiques, de lieux et d’acteurs touristiques avec leurs imaginaires et représentations tantôt convergentes, tantôt controversées. Les référents touristiques, la mise en scène touristique et le regard touristique sont mobilisés dans de multiples situations, créant ainsi des difficultés pour les chercheurs d’opérer clairement une délimitation d’un secteur du touristique. Il existe, par exemple, des usages touristiques des infrastructures, mais aussi des usages non touristiques. Il y a donc une difficulté à rassembler ces multiples activités — restauration, hôtellerie, transport, musée, office de tourisme, parc à thème, etc. — sous une même étiquette, en raison de leur diversité et de l’hétérogénéité des usages et des pratiques possibles qui peuvent ou non relever du touristique. En effet, en utilisant la perspective offerte par la théorie des systèmes sociaux de Luhmann (1984), Andreas Pott (2007) soulève la question de savoir si le tourisme est un sous-système cohérent (Funktionssystem) de la société, à l’instar du droit, de l’économie ou du politique, etc. Il arrive à la conclusion qu’il n’existe pas d’auto-organisation du sous-système « tourisme », et que ce dernier manque de limites organisationnelles précises par rapport à son environnement. Si donc on vise à séparer des secteurs, champs ou systèmes les uns par rapport aux autres de façon étanche, le tourisme ne peut être distingué comme système social autonome. Si on ne peut délimiter un secteur d’activités à des éléments dénombrables et finis, cela soulève la question de la pertinence du terme « tourisme » comme concept substantiel.

Nous formulons l’hypothèse suivante : le tourisme comme objet complexe s’apparente à une façon d’appréhender et d’encoder/décoder le monde touristiquement. Il s’agirait d’un rapport spécifique au monde, un mode d’engagement fondé sur le regard touristique (Urry, 1990), qui transforme le sujet en touriste lorsque celui-ci associe un déplacement à une pratique de re-création [2]. Il convient ainsi de souligner la nature profondément relationnelle du phénomène touristique et de le construire en tant que relation spécifique au monde biophysique, aux déplacements, aux lieux, aux autres personnes, à l’altérité, etc. Ceci a une conséquence sur la recherche scientifique : le terme de « tourisme » peut certes être construit en objet de connaissance apparemment homogène, mais le terme suggérerait alors un champ délimité, unifié et statique, alors même que la dynamique propre du phénomène touristique réside dans le rapport au monde qui impulse une variation des significations associées à des pratiques ordinaires et extraordinaires.

Nous proposons alors de construire une connaissance des multiples manifestations du touristique au lieu du tourisme dans sa plus simple expression. En effet, au-delà des effets sémantiques — un adjectif substantivé au lieu d’un substantif se terminant par -isme — et d’une rupture avec un terme issu du sens commun, il semble que ce terme permet une opération cognitive intéressante. « Tourisme » suggère un système d’acteurs, de pratiques et de lieux, un champ clos avec des éléments dénombrables et en interaction [3]. Si on se réfère à la distinction proposée par Cassirer entre concept substantiel et concept relationnel, le concept « tourisme » serait un concept substantiel [4]. On pourrait donc, par différenciation, développer le touristique comme concept relationnel. Le touristique pourrait être défini comme intentionnalité, registre d’action, régime d’engagement ou regard spécifique qui associe déplacement et recréation. Dans ce cas, le touristique ne se référerait pas à un monde social autonome ou à un système défini par un ensemble énumérable d’actants, mais plutôt à un ensemble de règles ou de codes qui guident les pratiques des touristes, des opérateurs économiques, de l’État et d’autres collectivités, et qui donnent lieu à des façons de se mouvoir, de sentir, de donner sens aux activités qui sont différentes par rapport à d’autres régimes d’engagement. On aurait ainsi un objet de recherche qui se définirait par son caractère relationnel. À la différence du tourisme comme champ déjà constitué, cette perspective permet de poser la question de la manifestation du touristique dans de multiples phénomènes sociaux, tels que les lieux géographiques, l’identité, l’imaginaire, le politique, l’altérité, l’économique, la sexualité, etc. [5] Cette complexité du touristique en action dans l’ensemble des sociétés humaines met en jeu plusieurs dimensions constitutives (individuelle, sociale, temporelle, spatiale, symbolique), et elle peut virtuellement engager l’ensemble des disciplines scientifiques.

Il importe ainsi de s’interroger sur la place qui est donnée au phénomène touristique dans la sphère scientifique. Quel est le statut scientifique du touristique dans le contexte universitaire ? Comment cette réalité sociale est-elle étudiée et retraduite dans les organisations académiques ? Le touristique est-il l’objet d’un seul paradigme scientifique disciplinaire ou réclame-t-il au contraire une réorganisation partielle, voire totale, des partages disciplinaires ? S’agit-il d’une organisation non paradigmatique au sens où elle s’émancipe d’une logique de mise en paradigme des connaissances ? Dans ce contexte, est-ce que le choix de l’interdisciplinarité est une stratégie pertinente pour travailler sur cet objet de connaissance ?

Les recherches sur le tourisme : nouveau paradigme scientifique ?

Visions paradigmatiques.

Le tourisme apparaît assez clairement comme un objet d’étude scientifique à partir des années 1970 (Graburn et Jafari, 1991). Dès l’origine, le domaine des recherches sur le tourisme semble osciller entre deux tendances : il se situe à la fois dans de multiples filiations disciplinaires devenant tour à tour l’objet d’investigations de plusieurs disciplines académiques instituées dans le champ scientifique, chacune opérant de manière relativement indépendante avec ses propres outils théoriques et méthodologiques (géographie du tourisme, anthropologie du tourisme, économie du tourisme, histoire du tourisme, etc.), tout en étant pris lui-même dans une dynamique de relative autonomisation qui vise à le constituer en domaine d’enseignement et de recherche spécifique. Poussée à l’extrême, l’autonomisation du domaine des études en tourisme conduirait à une forme de disciplinarisation du touristique via la création d’un nouveau paradigme scientifique (une « science normale »), ou matrice disciplinaire au sens de Kuhn (1962) [6].

Cette tendance se retrouve en effet dans les tentatives plus ou moins manifestaires d’instauration d’une nouvelle science du tourisme, ou « tourismologie » selon Hoerner (2002), par exemple, emboîtant par là le pas à des précurseurs comme Jovicic (1975) ou Stafford (1988), qui ont déjà proposé dans les années 1960 et 1970 la création d’une science spécifique du tourisme, en variant les terminologies (« téorologie », « touristologie », « tourismographie », etc.) et en usant et abusant parfois du suffixe –logie, caractéristique de la dénomination linguistique des disciplines académiques. Notons qu’il ne suffit sans doute pas d’adjoindre un suffixe à la notion centrale de tourisme pour constituer de fait et sous couvert de rationalité du logos une nouvelle discipline scientifique [7]. Cette manière de procéder risque de masquer, sous et par un effet rhétorique, la complexité des configurations disciplinaires qui sont susceptibles d’interagir dans le domaine des études sur les multiples manifestations du touristique.

Dans ce contexte, l’usage de la notion de paradigme scientifique est-il véritablement pertinent pour caractériser le domaine des études sur le tourisme ? Celui-ci peut-il, dans le moyen ou le long terme, s’instaurer comme un nouveau paradigme dans le champ des sciences humaines et sociales, ou doit-il au contraire être construit sur la base d’une nouvelle donne entre les savoirs et les compétences disciplinaires déjà constituées ? Un paradigme scientifique se définit comme un accord sur les méthodes et les présupposés épistémologiques qui guident à un moment donné la pratique des chercheurs appartenant à une même communauté scientifique (Kuhn, 1962). Dans cette perspective, considérer le domaine des études sur le tourisme comme organisé sous l’égide d’un paradigme scientifique reviendrait à le penser en tant que domaine fondé sur une démarche théorique commune à un groupe de spécialistes qui seraient en total accord sur la définition des types de problèmes à résoudre au sein de la discipline, ainsi que sur les choix méthodologiques à opérer et l’utilisation d’un langage spécialisé. Cet accord devrait également porter sur l’établissement conjoint de procédures unifiantes de validation, de vérification et d’élaboration d’une démarche scientifique propre à l’objet touristique. Il s’agirait en fait d’une situation de standardisation d’une science du tourisme à un moment donné du développement scientifique, qui prétend résoudre les problèmes susceptibles d’être posés dans les limites de l’application de méthodes attestées par une communauté scientifique autonome.

La fin des paradigmes.

Dans l’état actuel des avancées de la recherche sur le tourisme et eu égard aux propriétés d’une organisation paradigmatique rappelées ci-dessus, il ne semble pas que ce domaine puisse, ou doive d’ailleurs, se fondre sous la coupe d’un seul paradigme scientifique. Il n’annonce visiblement pas non plus une quelconque révolution scientifique [8]. Cette unification paradigmatique, qui se ferait au détriment de la diversité interne du champ des études sur le tourisme, n’est en effet peut-être pas souhaitable ni souhaitée : de nombreux chercheurs s’inscrivent ainsi contre l’opportunité d’établir une hypothétique science autonome du tourisme (Pompl, 1994, Freyer, 1996, Origet du Cluzeau, 2000, Cazes et al., 2001, Kadri et Bédard, 2005, 2006) [9]. On peut dès lors constater aujourd’hui le non-avènement d’un paradigme scientifique ou d’une science normale du tourisme qui vectoriserait le travail des enseignants et chercheurs dans et vers une communauté scientifique disciplinaire et standardisée.

Un survol de l’histoire disciplinaire des études sur le tourisme (Ceriani-Sebregondi et al., 2008, Spode, 1993, 1998a), qui resterait d’ailleurs à mener dans le détail, montre clairement que les démarches successives pour l’établissement d’une approche scientifique du phénomène touristique se sont faites en ordre relativement dispersé et discontinu. Les premières initiatives d’institutionnalisation des études sur le tourisme datent du début du 20e siècle [10]. Elles ont connu plus ou moins de succès et de pérennité. Signalons à ce titre la mise en place d’une « science du tourisme », ou plutôt d’« études touristiques » (Fremdenverkehrslehre), dans les années 1920 à Berlin par Glücksmann via la création d’un institut de recherche et d’une revue, Archiv für Fremdenverkehr/Archives du tourisme, structure qui sera dissoute à peine cinq ans plus tard. Ce sera ensuite l’ouverture à Vienne en 1934 du Wiener Institut für Fremdenverkehrsforschung/Institut viennois de recherche sur le tourisme, et la création en 1941 d’un institut de recherche (Forschungsinstitut für Fremdenverkehr/Institut de recherche sur le tourisme) à Berne, et à Saint-Gall (Seminar für Fremdenverkehr/Centre de documentation sur le tourisme).

Ce bref rappel de quelques exercices d’instauration institutionnelle d’une science du tourisme témoigne de la diversité des lieux d’émergence et de structures parfois éphémères qui s’organisent selon une dynamique évolutive entre phases de constitution, d’invention, de spécialisation et de changement (Spode, 1993, 1998a). Bien qu’il existe aujourd’hui de nombreux centres, laboratoires ou unités de recherche et d’enseignement actives sur et autour du tourisme, il ne semble néanmoins pas se dégager une vision paradigmatique commune qui serait au fondement d’une communauté scientifique homogène et standardisée. Le champ des études sur le tourisme ressemble bien plus à une configuration diversifiée et hétérogène d’institutions, de réseaux, d’acteurs et de territoires académiques (Tribe, 2010). Les départements universitaires, étiquetés Tourism studies, qui oscillent entre structures de formation professionnelle et structures de recherche, sont à ce titre révélateurs.

Si la mise en paradigme du champ des études touristiques sur le modèle des disciplines traditionnelles ne semble pas être à l’ordre du jour, nous pouvons par contre y lire de manière positive le signe d’un bénéfice secondaire à explorer, afin de penser ce domaine original selon une logique non paradigmatique et sur la base d’autres modalités organisationnelles qui restent sans doute encore à inventer. Le touristique se révèle bien être un objet complexe particulièrement intéressant et prometteur pour la mise en œuvre d’une vision nouvelle, décentrée et innovante que nous situons ici dans le cadre d’une réflexion interdisciplinaire. L’option d’une approche interdisciplinaire est également confirmée, si ce n’est renforcée, par l’inexistence salutaire d’un corps de savoirs théoriques préconstruits et stabilisés, dont la cohérence interne dessinerait les contours d’une discipline autonome.

Les études en tourisme : disciplinarité et/ou interdisciplinarité ?

Disciplines et pluridisciplinarité autour du touristique.

Comme nous le mentionnions ci-dessus, le tourisme a été et est encore souvent l’objet d’études de multiples disciplines qui certes en montrent la diversité et la pluralité multidimensionnelle, mais qui tendent par leur simple juxtaposition de points de vue à le fragmenter en autant de dimensions disjointes : ce sont tour à tour les dimensions géographique, sociologique, historique, anthropologique, urbanistique, etc. qui sont abordées de manière relativement indépendante, sans envisager les points de convergence ou les zones d’interaction, voire d’intégration, qui permettraient de penser la réalité complexe et multidimensionnelle des pratiques touristiques in vivo. Par hypothèse, cet état de fait est lié à la constitution au sein même des disciplines de sous-champs disciplinaires : la géographie du tourisme, la sociologie du tourisme, l’anthropologie du tourisme, l’économie du tourisme etc., qui se sont constitués comme relativement autonomes au sein même de leur propre champ disciplinaire [11]. Il y aurait donc une double disciplinarisation du touristique par fragmentation en macro-disciplines et sous-disciplines.

Il est intéressant de préciser à ce sujet, en s’appuyant sur les travaux de Schlanger, que « toute discipline se pose comme circonscrite : elle sait et elle accepte qu’elle a des limites. Elle se reconnaît comme locale et partielle » (Schlanger, 1992, p. 292). Chaque point de vue disciplinaire délimite ainsi une zone particulière d’un savoir global, il définit un angle d’attaque ciblé, tout en reconnaissant en principe que d’autres points de vue sont légitimes : « la discipline circonscrit et renonce » (Schlanger, 1992, p. 292), ce renoncement étant une manière de centrer les efforts cognitifs sur des approfondissements disciplinaires. La logique dissociative, qui préside aux circonscriptions disciplinaires, opère ainsi une certaine atomisation de l’objet touristique en autant de parties disciplinaires (le Tout est égal à la somme des parties), en se fondant sur un mécanisme simplificateur de disjonction-réduction de sa complexité. Dans cette perspective, l’unité/unicité de chaque dimension du touristique et de chaque discipline qui l’étudie « ne peut se concevoir qu’en excluant ou en occultant la diversité et vice versa » (Morin et Piattelli-Palmarini, 1983, p. 194).

Dans cette veine, le découpage du champ des études en tourisme peut être qualifié de pluri- ou multidisciplinaire (Darbellay, 2005, Darbellay et Paulsen, 2008), au sens où le touristique est décomposé en autant de dimensions et de points de vue disciplinaires simplement juxtaposés et sans véritable interaction entre eux. Les géographie, sociologie, anthropologie, économie du tourisme ont développé, entre 1970 et 2000, des approches relativement séparées, à la fois en termes d’objets de recherche et d’outils conceptuels. Les seules exceptions semblent représentées par la circulation transfrontalière de concepts tels que staged authenticity (MacCannell, 1976), tourist gaze (Urry, 1990), voire ethnoscapes (Appadurai, 2001) [12]. Quoi qu’il en soit, le dispositif pluridisciplinaire demeure dans le champ d’attraction de l’institutionnalisation et la standardisation des pratiques d’enseignement et de recherche régies par l’addition de paradigmes scientifiques relativement cloisonnés (Karpinski et Samson, 1973, Fourez, 2002). Il s’inscrit encore dans une logique de spécialisation multiple, telle que la définit avec pertinence Hamel :

La spécialisation est donc la somme de connaissances extrêmement pointues sur un objet, précisément circonscrit, découlant d’un ensemble de démarches et de procédés méthodologiques dont le degré de finesse réclame la compétence de spécialistes. La tendance à la spécialisation, suscitant d’ailleurs un découpage de plus en plus poussé de l’objet, entraîne la multiplication des démarches et procédés méthodologiques, ainsi que la diversification des langages théoriques. (Hamel, 1995, p. 192)

La juxtaposition-addition de plusieurs disciplines sur et autour de l’objet touristique est globalement légitime et légitimée par l’organisation académique traditionnelle dans laquelle plusieurs communautés de spécialistes, réparties en autant de facultés, de départements et de laboratoires relativement autonomes, travaillent de manière approfondie mais disjointe sur un objet d’étude apparemment commun. C’est face à cette situation que notre hypothèse de travail sur le concept de touristique plutôt que celui de tourisme prend tout son sens : le concept de tourisme fonctionnerait comme un opérateur-écran qui semble accorder les chercheurs autour d’un objet commun au sens où le terme « tourisme » utilisé paraît identique et illusoirement homogène, alors même que les contenus effectifs des recherches séparent davantage qu’il ne relient. Tantôt construit comme problème de pur management, tantôt comme pratique, tantôt comme regard, tantôt comme flux, tantôt comme entreprise, tantôt comme secteur d’activités, tantôt comme politique, tantôt comme espace, tantôt suivant la définition de l’Organisation Mondiale du Tourisme, tantôt comme discours, le tourisme reste l’objet de multiples définitions et modes d’observation qui demeurent simplement juxtaposés. Cette manière de penser constitue un obstacle épistémologique pour la circulation des savoirs entre chercheurs.

L’organisation pluridisciplinaire des savoirs sur le touristique, fondée sur une compréhension variée, peut certes être vue comme une contribution substantielle, en ce sens que la perspective globale sur l’objet de recherche est couverte par une série de regards disciplinés. Elle peut également se révéler être un préalable nécessaire à une mise en dialogue des connaissances spécialisées. Cependant, on peut aussi mettre en évidence des obstacles et des blocages aux mises en interfaces interdisciplinaires. Ces blocages sont souvent induits par des réflexes d’autoprotection qui découlent des cloisonnements disciplinaires, donnant libre cours à toutes sortes de luttes d’influence au sens de Karpinski et Samson (1973) :

Les disciplines ont conservé une attitude de “chasse gardée” qui provient de la division traditionnelle de la connaissance. Les disciplines ont commencé à se livrer des luttes d’influence plutôt que d’essayer d’établir un lien entre elles. Ces luttes d’influence sont survenues avec l’institutionnalisation des disciplines, ce qui a amené des problèmes reliés aux approches conceptuelles différentes, à savoir des problèmes de données, de théories, de méthodologies différentes. (Karpinski et Samson, 1973, p. 17) [13]

Ces blocages représentent également des obstacles épistémologiques au travail interdisciplinaire, obstacles à franchir pour comprendre et analyser la complexité du phénomène touristique. Tout obstacle épistémologique est en effet, selon Bachelard (1938), un empêcheur de mise en place des conditions d’un augmentation et d’une diversification de la connaissance scientifique, il se révèle une cause de stagnation, voire de régression et d’inertie d’une connaissance non questionnée (Bachelard, 1938).

Capitalisations disciplinaires et confrontations interdisciplinaires dans un contexte scientifique renouvelé.

L’interdisciplinarité est souvent appréhendée comme une solution pertinente dans le contexte d’un dépassement des connaissances disciplinaires cloisonnées pour analyser et comprendre la complexité des divers objets de recherche en sciences humaines et sociales. Le contexte contemporain de l’action scientifique se trouve en effet profondément modifié avec la montée en puissance de domaines transfrontaliers étiquetés studies par rapport aux disciplines traditionnelles (gender studies, urban studies, cultural studies, par exemple) [14]. Il y a donc d’une part une remise en cause des disciplines classiques et, d’autre part, la constitution de nouveaux champs relativement fermés les uns par rapport aux autres. Cette fois-ci, ces nouveaux champs ne se constituent pas autour de différentes dimensions des sociétés humaines, mais autour d’objets (culture, urbain, rural, genre, centralité, mobilité, etc.) [15]. De la double disciplinarisation, on passe ainsi à une triple disciplinarisation : les disciplines classiques, les sous-disciplines, les nouveaux champs disciplinaires – et donc à une complexité accrue du champ scientifique.

Dans ce contexte de changement des sciences, on peut poser la question de l’état du champ scientifique, appelé tourism studies, qui s’est constitué depuis une vingtaine d’années [16]. Il est à noter qu’à la différence de la computer science ou des sciences de la communication, les études sur le tourisme ne formulent pas l’ambition de créer une nouvelle discipline, mais de fonder une approche scientifique du tourisme. Ainsi nommé, le champ renoue avec une acception du terme « études » qui ne relève pas de la même ambition que celui de « science », au sens de l’émergence d’une nouvelle discipline, mais qui poursuit plutôt l’objectif d’une recherche scientifique organisée autour d’un objet spécifique qu’il convient de cerner par de multiples approches.

Dépassant la simple pluridisciplinarité existante dans le domaine des études sur le tourisme, l’approche interdisciplinaire représente aujourd’hui, selon nous, le positionnement épistémologique et méthodologique nécessaire pour analyser et comprendre le touristique, ses dynamiques et ses évolutions, ainsi que sa position changeante dans les sociétés humaines. Cette optique interdisciplinaire n’est pas conçue comme un renoncement ou un dépassement irréversible des approches disciplinaires existantes (géographie, histoire, économie, sociologie, anthropologie, etc.), mais au contraire comme une manière de capitaliser sur ces compétences disciplinaires acquises et de les mettre en interaction. L’objectif consiste à relier les connaissances (Morin, 1999) pour analyser et comprendre la complexité du phénomène touristique, en prenant en compte deux défis majeurs qui se posent de manière cruciale aujourd’hui à la communauté des chercheurs dans son ensemble. C’est d’un côté le défi de la globalité,

c’est-à-dire l’inadéquation de plus en plus ample, profonde et grave entre d’une part un savoir fragmenté en éléments disjoints et compartimentés dans les disciplines, d’autre part des réalités multidimensionnelles, globales, transnationales, planétaires et des problèmes de plus en plus transversaux, polydisciplinaires, voire transdisciplinaires. (Morin, 1999, p. 8)

De l’autre côté, se pose le défi de la non-pertinence de notre mode de connaissance et d’enseignement « qui nous apprend à séparer (les objets de leur environnement, les disciplines les unes des autres) et non à relier ce qui pourtant est tissé ensemble » (Morin, 1999, p. 8). Il existe heureusement différentes méthodologies qui permettent de travailler sur ces liens entre objets, notamment la méthode ethnographique qui porte sur les multiples liens entre éléments en les contextualisant, ce qui permet une saisie de la complexité et de la contingence des relations sociétales par la « thick description » (Geertz, 1973) [17]. La méthode de l’actant-réseau [18] est également intéressante de ce point de vue, car elle cherche systématiquement les liens entre objets constituant des assemblages complexes. Il est à noter que, sans être nécessairement utilisés de façon identique, ces outils sont aujourd’hui disséminés à travers l’ensemble des disciplines.

Le recours à l’interdisciplinarité sur le et autour du touristique ne consiste pas, de notre point de vue, en l’avènement d’une nouvelle méta-science qui proposerait « une panacée épistémologique appelée à guérir tous les maux qui affectent la conscience scientifique de notre temps » (Gusdorf, 1983, p. 31). Il ne s’agit pas non plus d’un éclectisme désorganisé de savoirs démultipliés sur un même objet d’étude, car l’interdisciplinarité vise au contraire à une action qui organise autrement les regards disciplinaires. L’interdisciplinarité se positionne dans une dynamique dialectique avec les disciplines institutionnalisées, elle oscille constamment entre la nécessité de prendre en compte les acquis et compétences disciplinaires existantes, et le besoin de dépassement de ces mêmes cloisonnements disciplinaires, pour co-construire de nouveaux processus de recherche au-delà des disciplines et irréductibles à celles-ci dans l’étude de la complexité du touristique. La démarche coopérative et l’intégration des compétences et des savoirs disciplinaires peuvent avoir lieu à des niveaux différents d’interaction : il peut s’agir d’opérations de transferts, d’emprunts et de mise en circulation de concepts ou de méthodes d’une discipline à l’autre (Darbellay et al., 2012), de mécanismes d’hybridation ou de croisements entre les disciplines, voire la création d’un nouveau champ de recherche par couplage de deux ou plusieurs disciplines. Dans tous les cas de figure, l’organisation des connaissances dans un dispositif interdisciplinaire est basée sur l’interaction entre plusieurs points de vue. Les questions et les problèmes qui sont traités se situent en effet entre (inter-) des disciplines existantes et ils ne peuvent être traités par un seul point de vue disciplinaire [19].

Une voie dialectique nous semble ainsi possible : elle consiste à mobiliser les compétences disciplinaires existantes autour du touristique (ou disciplines mères, selon Müller et al., 1993, Tribe, 2004), en tentant de les articuler non sur le simple mode de la disciplinarisation mais sur celui de la collaboration interdisciplinaire qui ne se contente pas de simplement juxtaposer de multiples points de vue disciplinaires sur et autour du touristique, mais se propose plutôt de penser les interfaces et les points de jonction entre les disciplines, par le biais d’une sorte d’indiscipline constructive (Tribe, 1997). Soulignons tout de suite que le recours à la collaboration entre les disciplines pour traiter la complexité du touristique est apparu jusqu’ici comme un objectif ambitieux qui reste toujours difficile à atteindre (Kaspar, 1989, Gunn, 1994). Comme le soulignait en effet plus largement Piaget, il y aura toujours des ignorances ou des incompréhensions réciproques qui peuvent être un obstacle au travail interdisciplinaire : « chacun répète que l’avenir appartient aux recherches interdisciplinaires, mais, en fait, elles sont souvent très difficiles à organiser à cause d’ignorances réciproques parfois systématiques » (Piaget 1964, p. 599).

Ne pas conclure.

L’objet de recherche touristique représente pour nous un lieu d’innovation intéressant, susceptible d’articuler le double mouvement de la spécialisation et de l’interdisciplinarité, de la décomposition de l’objet touristique à sa recomposition transversale, ce mouvement étant caractéristique de l’innovation scientifique dans des champs émergents et hybrides au sens de Dogan et Pahre : « La spécialisation scientifique entraîne la fragmentation de disciplines entières en sous-disciplines » et, en second lieu, « cette spécialisation atteignant ses limites naturelles, les chercheurs qui innovent recombinent ces fragments dans des domaines hybrides » (Dogan et Pahre, 1991, p. 11). Concernant l’étude du touristique, il est réjouissant de voir que ces recombinaisons s’opèrent entre divers champs de connaissances, par exemple entre mobility studies et dimensions touristiques (Larsen, Urry et Axhausen, 2007), entre urban studies et dimensions touristiques (Duhamel et Knafou, 2007), entre performance studies et tourisme (Edensor, 2000), entre sociologie du tourisme et géographie du tourisme (Larsen et Urry, 2011), entre approches marketing et approches géographiques du tourisme (Gold et Ward, 1994).

Comme dans d’autres domaines d’études confrontés au défi d’articuler de multiples savoirs disciplinaires, l’analyste du touristique ressemble peut-être à ce que Faure appelait « un nomade, un roi sans royaume » (1992, p. 116), dans le sens où il s’autorise à parcourir plusieurs domaines de connaissances sans être à la tête d’un champ absolument défini et cloisonné. Étant donné que le touristique désigne un rapport singulier au monde, ses manifestations dans les sociétés humaines sont alors multiples et elles peuvent difficilement être appréhendées par un système défini a priori. Il appartient dès lors au chercheur de faire preuve d’innovation et pourquoi pas d’un certain génie dans le dépassement des déterminismes, des clôtures et des ego disciplinaires, faisant écho ici à la formule bien sentie de Veyne : « Chaque discipline est comparable à un bocal. Une fois qu’on est dans un de ces bocaux, il faut du génie pour en sortir ou innover : on croit habiter des frontières naturelles » (Veyne, 1983, p. 127).

Abstract

The touristique is a complex and globalized realm and its importance for economic and social development is well established. Although this phenomenon is clearly identified and settled in the social sphere, its foundation as an academic field of education and research — despite some gratifying achievements — still seems to be evolving. At the heart of this contribution are reflections on the scientific status of the object « tourism », its mode of insertion in the academic world, its relationship with established disciplines and its possible posture as an interdisciplinary field. We aim to shed some light on the epistemological thinking of the complexity of the touristique present in human societies : can it be addressed in terms of one or more disciplines ? How does this research object make sense in the still largely paradigmatic and faculty organized academic world ? To what extent is the study of touristique as a complex object likely to capitalize on disciplinary acquired skills, inaugurating at the same time a new mode of organization of interdisciplinary knowledge ?

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Notes

[1] Cette périodisation se fonde sur le travail de l’Équipe mit (2011), qui distingue quatre moments de basculement délimitant des « systèmes touristiques » dans les formes du tourisme. Le premier concerne l’émergence du tourisme en petit nombre entre 1780 et 1830, fonctionnant avec peu de touristes et peu de lieux dédiés au tourisme, avec des acteurs principalement aristocratiques et des technologies spatiales comme des hôtels, des bateaux à vapeur et des diligences. L’émergence du tourisme en grand nombre prend place entre 1850 et 1870, avec une participation de la bourgeoisie, une expansion du nombre de lieux dédiés, due à des investissements massifs de la part des capitaines d’industrie et de nouvelles technologies spatiales décisives telles que le chemin de fer et l’agence de voyage, pour des forfaits permettant de diminuer drastiquement les prix du voyage. Troisièmement, on peut dater l’émergence du tourisme de masse entre 1920 et 1950, avec le début de la démocratisation et l’accès au tourisme par les classes populaires et l’avènement de nouvelles technologies spatiales comme l’automobile et l’avion. Enfin, l’émergence du tourisme de masse individualisé entre 1970 et 1980, avec une mondialisation accrue grâce à l’informatique et à la généralisation des voyages en avion. De nouvelles pratiques individualisées permettent la création d’un monde du tourisme « post-fordist[e] » (Cuvelier, 1998) avec des assemblages individuels de produits touristiques marchands.

[2] Nous reprenons ici le terme « recréation » tel que Knafou et al. (1997), Équipe mit (2002) et Knafou et Stock (2003) l’ont développé, à savoir comme une catégorie englobante dont l’une des modalités est jouée par le tourisme, l’autre par les loisirs. S’apparentant au terme anglais recreation, il a une portée interdisciplinaire.

[3] Voir, par exemple, dans la formulation de Leiper (1979) : le tourisme est défini comme un système de cinq éléments : touristes, région émettrice, routes de transit, région destinatrice, industrie touristique. Voir aussi la formulation de l’Équipe mit du tourisme comme « Concept visant à appréhender un système d’acteurs, de lieux et de pratiques permettant aux individus la recréation par le déplacement et l’habiter temporaire de lieux autres. Ce système est constitué d’entreprises […], de normes et de valeurs […], de lois […], de touristes […], des lieux touristiques de qualités différentes […], de marchés […] et de relations non marchandes […] ainsi que les autres institutions sociales […], d’imaginaire […] et d’images […], et de discours […], etc. » (2005, p. 342)

[4] Le philosophe Ernst Cassirer (1910) distingue deux types de concepts : les « concepts substantiels » et les « concepts relationnels ». Ces derniers permettent de classer sans devenir eux-mêmes une classe ou indiquent une fonction dans le monde sans décrire un élément substantiel par abstraction. Le touristique comme rapport au monde pourrait être l’un de ces concepts relationnels.

[5] C’est là d’ailleurs l’un des enseignements fondamentaux de l’Équipe mit (2002) qui entend travailler sur les phénomènes sociétaux à travers le tourisme, c’est-à-dire en choisissant comme perspective cette association dé-placement/recréation pour questionner une multiplicité de faits sociaux.

[6] Bien que nous ne posions pas ici d’équivalence sémantique stricte entre les notions de paradigme et de discipline, il convient de souligner que le mouvement d’institutionnalisation et de mise en paradigme d’un champ de recherche et d’enseignement opère souvent en regard d’une disciplinarisation organisante (une mise en discipline normative) des savoirs. Lorsqu’une discipline est potentiellement constituée de la coexistance de plusieurs paradigmes, elle tend à perdre son apparente unité par atomisation interne et engendrement de sous-disciplines.

[7] Voir Cazes et al. (2001) sur l’auto-proclamation du tourisme comme science.

[8] Voir Kuhn (1962) pour la notion de « révolution scientifique » mettant en cause un « paradigme ». Nous n’approfondissons pas ici les multiples manières de penser les changements dans les modes de production du savoir, tels que, par exemple, Denkkollektiv (Fleck), styles épistémologiques (Granger), programmes de recherche (Lakatos).

[9] Voir aussi le très intéressant travail de Spode (1998b) avec pour titre Comment il y a 50 ans la science du tourisme n’est pas advenue (Wie vor 50 Jahren keine Tourismuswissenschaft entstand ?).

[10] Voir la recherche fournie de Dann et Liebman-Parrinello (2009) sur les débuts de l’institutionnalisation du tourisme.

[11] Par exemple, les multiples manuels de Géographie du tourisme témoignent, depuis les années 1970, de l’autonomisation de ce sous-champ par rapport à d’autres sous-disciplines sein de la géographie. Très peu de liens sont indiqués avec la géographie urbaine, culturelle, sociale, économique, politique, industrielle, de transport, etc. D’où le plaidoyer pour une « approche géographique du tourisme », de Knafou et al. (1997), au lieu d’une « géographie du tourisme ».

[12] La situation semble aujourd’hui évoluer dans des disciplines comme l’anthropologie, la sociologie, la géographie, où des convergences en termes d’objets de recherches (patrimonialisation, pratiques touristiques, imaginaires, performances, etc.), de méthodes et de concepts peuvent être observées. Mais cette première observation nécessiterait une étude en détail qui reste à mener.

[13] Au sein des disciplines, les mêmes luttes d’influence existent, ce n’est donc pas là une spécificité de l’affrontement entre disciplines. Voir par exemple Knafou (dir., 1997) pour une autoscopie de la géographie.

[14] Il existe d’autres éléments contextuels que nous laisserons de côté ici : notamment une nouvelle culture de la science où un savoir de certitude est progressivement remplacé par une culture de l’incertitude, ou une « science mode 2 » (Nowotny et al., 2001), avec de multiples connexions et des productions de savoir en dehors du champ scientifique stricto sensu, par exemple les bureaux d’études qui produisent un savoir (notamment sur les villes) avec une certaine méthodologie.

[15] L’un des indices pour asseoir cette affirmation consiste en la démultiplication des revues scientifiques centrées sur des objets, telles que Tourist studies (2000), Mobilities (2006), Justice Spatiale (2010), Ambiances, Environnement sensible, architecture et espace urbain (2012), Corps et cultures (1995), Text and Performance Quaterly (1989), Space policy (1985), International Journal of Water Resource Development (1983), etc.

[16] Tourism studies peut être traduit en français par « études sur le tourisme » ou « études touristiques », par analogie avec les « études urbaines », « rurales », « américaines ».

[17] On pourrait aussi faire le lien avec la notion anthropologique de fait social total (Mauss), soit la nécessité d’appréhender le touristique comme un élément qui traverse l’ensemble de la société et donc de faire apparaître l’ensemble des interdépendances qu’il révèle.

[18] Nous appelons ici méthode actant-réseau ce qui est normalement appelé ant (actor-network-theory, Latour, 2005), car il ne s’agit pas, selon nous, d’une théorie au sens d’un ensemble articulé de concepts, mais plutôt d’un ensemble d’approches méthodologiques, sans aucun doute efficaces pour mettre au jour les différents liens entre actants pris dans des assemblages organisés.

[19] L’utilisation de ce dispositif peut conduire à des innovations conceptuelles intéressantes, comme par exemple celle du concept interdisciplinaire de capital touristique que nous avons élaboré pour l’étude de différentes trajectoires de développement des stations touristiques (cf. Darbellay et al., 2011).

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