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Malraux — auteur des Écrits sur l’art.

Un contemporain à venir.

Image1Dans Malraux ou la pensée de l’art, dont la première édition date de 1996, j’avais tenté de prendre à la lettre l’affirmation de Malraux : « Peu m’importe qu’on approuve mes réponses, si l’on ne peut ignorer mes questions » (La Tête d’obsidienne, p. 213). La première de ces questions pourrait bien être celle du statut même de ces Écrits sur l’art, que la Bibliothèque de la Pléiade vient de publier sous ce nom, qui n’est pas de Malraux lui-même, mais qui a le mérite de poser implicitement cette question. Statut aporétique entre tous, puisque Malraux, au seuil même de La Métamorphose des dieux, affirme : « Ce livre n’a pour objet ni une histoire de l’art […], ni une esthétique ». Ce double rejet, que l’on retrouve dans le Saturne, inscrit délibérément le texte malrucien dans une dimension de rupture, mais laisse ces textes « sans nom », comme l’ont été les textes aristotéliciens instituant la métaphysique. Malraux se méfiait de toute philosophie de l’art qui, fondée sur la notion de progrès, renverrait à une téléologie que son expérience démentait. Et il n’a cessé d’affirmer que « L’histoire de l’art ne rend pas compte du monde de l’art ».

La notion même de « présence », selon lui, en porte témoignage — puisqu’elle sépare l’œuvre de l’objet, donc de l’histoire. C’est elle qui caractérise les œuvres d’art, et qui fait qu’il existe bien des œuvres d’art du passé, mais qu’il n’existe pas d’œuvre d’art passée. Toute œuvre est, par la métamorphose, « délivrée » de son appartenance première, et c’est en ce sens qu’elle nous parle, c’est-à-dire nous émeut.

Des civilisations disparues nous parviennent ainsi, à l’encontre des thèses de Spengler, ces « voix du silence ». C’est bien parce que chacune de ces cultures, loin d’être fermée sur elle-même, comme le prétend Spengler, donne naissance à des œuvres qui en assurent la « transcendance partielle », que Malraux parle de métamorphose alors que Spengler parle de pseudomorphose. La pseudomorphose exprime l’hétérogénéité radicale des cultures — la capacité que peut avoir une vieille civilisation d’empêcher une jeune culture de se développer. Elle dit la nécessité d’une succession et d’une rupture entre les cultures. À l’opposé, la métamorphose tente de saisir une continuité en perpétuelle création d’elle-même, étrangère à toute remontée à une hypothétique signification d’origine. Le véritable débat est fondé sur la notion d’empathie. Alors que Spengler fait sien l’idéal de Ranke, puisqu’il ne s’agit pour lui, lorsqu’il définit sa méthode historique, que de « revivre par le sentiment (Nachfühlen) » pour « serrer de plus près le phénomène en mouvement », Malraux écrit, récusant — comme Walter Benjamin dans ses Thèses « sur le concept d’histoire » (Paris, Denoël-Gonthier, 1983) — tout Einfühlung (empathie) : « Toute œuvre survivante est amputée, et d’abord de son temps ».

C’est cette métamorphose, par laquelle la statue d’un dieu — passant ainsi du temple au musée — devient pour nous une sculpture, qui assure sa transcendance à l’égard du temps. Si l’art est un « anti-destin », c’est sans doute parce qu’il n’a cessé, depuis ses origines, de lutter contre le temps, que ce soit par la catégorie d’éternité, par celle d’immortalité ou, à terme, par la catégorie d’intemporalité mais c’est aussi, d’un même mouvement, parce qu’avec l’intemporel c’est l’art lui-même qui se révèle comme cet absolu (ce surmonde) auquel les hommes ont cru subordonner leurs créations. Ce terme de surmonde est évidemment calqué sur le mot métaphysique. Il désigne la réalité qui est au-delà de l’apparence, du monde réel, à laquelle la création artistique a été, de tout temps, ordonnée. D’abord identifié à l’éternité (le sacré), puis à l’immortalité (la Beauté), ce surmonde s’est révélé à terme n’être autre que l’art lui-même. C’est en ce sens que Malraux peut écrire, dans L’Intemporel : « Notre art n’est pas le premier art sans surmonde, c’est le premier dont le surmonde soit le monde de l’art. » (p. 808). C’est dire que toute définition de l’art qui ignorerait sa dimension métaphysique manquerait l’essentiel. C’est le cas, bien sûr, de l’art pour l’art qui « fut le masque de l’art comme énigme ». C’est également le cas de Maurice Denis dont Malraux se plaît à citer, à de multiples reprises, la déclaration célèbre : « Se rappeler qu’un tableau avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées », mais auquel il reproche de ne voir, dans cet assemblage de couleurs, d’autre finalité que « le plaisir des yeux ». Malraux refuse ce qu’il considère comme une réduction du tableau à sa dimension purement esthétique et affirme le caractère métaphysique de la création comme lutte contre le destin, allant jusqu’à proposer dans L’Intemporel une « modification révélatrice « de cette célèbre déclaration : « Un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs, assemblées selon l’ordre qui les émancipe du temps. » (p. 807).

C’est donc bien cette lutte contre le temps qui constitue l’unité secrète de la création depuis ses origines, et c’est elle qui se manifeste comme telle dans ce que Malraux nomme notre monde-de-l’art. Il est donc vrai de dire que notre propre surmonde, qui n’est autre que l’art lui-même, nous apparaît comme la vérité de l’art depuis ses origines, mais si de nombreux textes de Malraux vont ainsi dans le sens d’une célébration de cet avènement de la pure forme comme fin de l’art, Malraux ne se résout pas à cette conception — hégélienne — qui anime pourtant toute une part de son œuvre.

Et c’est sans doute là que Malraux se révèle proche de la philosophie contemporaine. Héritier en plus d’un sens de Hegel, comme l’avait bien vu Maurice Blanchot, Malraux n’a cessé, parfois à son insu, de lutter contre un hégélianisme dont il semble avoir pressenti les limites. Ou, plus exactement — mais c’est là l’objet d’un tout autre débat auquel les malruciens comme les philosophes devront se mesurer — Malraux semble avoir été soucieux, pour parler comme Derrida, de « travailler au concept de limite et à la limite du concept » (Marges de la philosophie, 9, Paris, Minuit, 1972). Cela est particulièrement net dans la conception du Musée Imaginaire et du pouvoir d’annexion qui le caractérise. Car ce concept de « Musée Imaginaire », Malraux le construit tout en y incluant les éléments de sa propre déconstruction. Il ne cesse en effet d’insister sur cette « volonté d’annexion » qui caractérise notre civilisation (VS, 788), mais c’est pour mieux poser la question de l’annexion des « génies réfractaires », des dessins d’enfants ou de fous, des arts aléatoires, des arts dits premiers et parmi ceux-ci, réfractaires entre tous, des fétiches. Les fétiches vaudous du Dahomey, reproduits à la fin de L’Intemporel, comme les peintres de Saint-Soleil, interrogent et mettent en question notre musée imaginaire. Toutes ces créations se trouvent aux marges du Musée Imaginaire — et ce sont ces marges que Les Écrits sur l’art ne cessent d’interroger.

Si l’auteur des Écrits sur l’art est notre contemporain, ce n’est pas, comme on le croit souvent, par son rapport avec Élie Faure, Focillon ou tel autre historien d’art, mais bien par sa fascination du dehors : « C’est dans la vacuité, la marge, l’attente, que les arts communient entre eux ». Marges — du musée imaginaire, serait-on tenté d’écrire.

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Dans Malraux ou la pensée de l’art, dont la première édition date de 1996, j’avais tenté de prendre à la lettre l’affirmation de Malraux : « Peu m’importe qu’on approuve mes réponses, si l’on ne peut ignorer mes questions » (La Tête d’obsidienne, p. 213). La première de ces questions pourrait bien être celle du ...

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