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Serendipity.

‘Continu/Discontinu. Puissances et impuissances d’un couple’.

Sommaire et Édito des numéros 82-83 d’EspacesTempsLes Cahiers.

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Sommaire.

Éditorial. La divergence cordiale.

Limites.

Christian Ruby, Au carrefour des traditions et des découpes.

Jacques Lévy, Au-delà du dis/continu.

Michèle Riot-Sarcey, Questionner l’histoire à « rebrousse poil ».

Fonctionnements.

Sylvain Missonnier, Naître : basse continue et syncope.

Pierre-Henri Castel, « Destin » et déchirure : un passage à l’acte meurtrier.

Pierre-Michel Menger, Les intermittents du spectacle.

Dominique Méda, Comment s’accommoder des vacances de l’emploi ?

Configurations.

Christian Grataloup, Les périodes de l’espace.

Frédéric Patras, Les traits du continu mathématique.

Anne Nicolle, Et le discret en informatique.

Patrick Garcia, L’enseignement de l’histoire : passés sans origine ?

Géraldine Djament, Par-delà la ville éternelle.

Claudio Ingerflom, Régime impérial/régime soviétique : ni rupture ni continuité.

Pratiques.

Christian Ruby, Liés et déliés des arts et de l’esthétique.

Bruno-Nassim Aboudrar, « Un détail de ce qui change ».

Gilles Froger, Fragmentèmes.

Médiathèque d’amateurs.

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Éditorial. La divergence cordiale.

Peut-on parcourir une ville ou un territoire sans rencontrer des correspondances souterraines ou de brusques diffractions, bref, du continu et du discontinu ? Rencontre devenue anodine de la transition continue et insensible, de l’intersection qui dénoue la stabilité, de la différence d’échelle ou de la séparation, pour autant que le passant ou le flâneur soit cependant assuré de disposer au moins d’une référence fixe à soi. Peut-on aspirer à ne jamais commencer quelque chose, à ne pas se laisser initier à quelque déchirure du tissu de l’existence habituelle, telle qu’on puisse se dire après coup : « rien n’est plus comme avant… » ? Oui, on peut en effet choisir ou l’inédit ou le répété, ou l’invention ou l’inertie qui neutralise la singularité de l’événement. Enfin, changeant encore de terrain, demandons-nous ce que serait la critique, l’esprit critique, si on ne retenait pas de la langue grecque cette idée d’un art de la division et de la séparation, d’un art de la fabrication du discontinu ? Mais quelle que soit la réponse, voire le choix, les moyens mis en œuvre pour forger l’énoncé ramènent à un foyer unique : le couple continu/discontinu.

Quelle réalité recouvre donc ce couple de déterminations applicable à la multiplicité des choses et à leur contiguïté ou juxtaposition dans l’espace ou le temps ? Il renvoie d’abord à une expérience quasi immédiate, celle d’une sensibilité à une différence dans l’espace et dans le temps. Accidents, défauts, failles, bien sûr, mais aussi constat : « Je » ne suis jamais le seul à occuper un terrain, il faut sans cesse partager. Et accident qui renaît sans cesse : la sonnerie du téléphone qui déchire l’air alors que « j »’ai d’abord la sensation que ma présence occupe entièrement l’espace, interrompt la continuité du temps (ainsi que le remarque Italo Calvino, dans Si par une nuit d’hiver un voyageur). Même si on préjuge du bonheur du continu dans le désespoir du discontinu, ou si, inversement, on préjuge la possibilité d’un bonheur à échapper à sa propre continuité, d’ailleurs souvent parce qu’on est accoutumé à ceci ou à cela, l’expérience de cette distinction est immédiate, coïncidant avec une organisation du monde dont la continuité n’a de sens que si elle contribue à engendrer des différences.

Mais cette expérience du relatif, du continu et du discontinu, n’a aucune raison de pacifier d’emblée ces formes générales de pensée. Elle peut aussi se muer en expérience d’une violence. Parce qu’ils ont longtemps travaillé sous la contrainte de cadres fixes, certains (chercheurs, artistes, mais aussi honnêtes hommes) ont fait le choix de faire briller des discontinuités d’un singulier éclat. Ils ont eu conscience d’un engagement requis du côté des écarts précaires, du moins tant qu’ils ne sont pas confirmés. Ils ont dit Non !, pour mieux échapper aux légalités mortes par des perspectives de fuite, des échappements qui ne sont d’ailleurs pas sans avoir tissé de nouvelles significations. Bien sûr, ces trouées dans le continu ont fait valoir des séparations disjonctives en produisant de nouvelles activités. Mais de toutes parts, puisque les zélateurs du continu ne cessent en conséquence de chercher à combler les interruptions par des ponts tendus vers des devanciers, des précurseurs ou des influences, tandis que les opérateurs du discontinu multiplient les références à des inaugurations, et que quelques réformateurs cherchent à réconcilier les uns et les autres.

Il y a, de surcroît, quelque paradoxe à utiliser, pour le jugement comme pour la pratique, le couple continu/discontinu, dans la mesure où il est impossible de dénouer son rapport intrinsèque à quelque chose qui serait continu et discontinu. Car tout cela ne s’entend guère que si nous avons justement conscience simultanément de ne pouvoir contourner des distributions et des découpages qu’il convient de penser « ensemble ». Autant affirmer que le continu ne se laisse pas cerner sans le discontinu et réciproquement. La divergence entre les deux est celle de contraires, d’« incompatibles » ainsi que l’affirme Aristote dans l’Organon (Catégories, b 15-12). Et raisonner avec des contraires peut entraîner dans des antinomies sans fin, qui ne présenteraient pas de difficultés particulières si elles ne favorisaient parfois l’abandon à un désespoir sceptique ou à une arrogance dogmatique (comme le démontre Immanuel Kant, dans la Critique de la raison pure, Antinomie de la raison pure).

En somme, ce jeu de construction et de déplacement constant entre le continu et le discontinu méritait qu’on s’y arrête. Mais nous ne proposons pas au lecteur le portrait achevé de ce qu’est ou représente ce couple. Nous nous sommes plutôt appliqués à faire des relevés de quelques éclairages répartis entre des analyses théoriques et des explorations qui établissent leur norme dans des savoirs. Encore doit-on insister, au seuil de cette livraison, sur le fait que le continu et le discontinu forment d’abord un couple de termes contraires lié aux perspectives classiques du discours, du temps, de l’espace ou de l’infini et à ses différentes critiques. Ce qui nous a donc retenu, c’est non seulement la manière dont ce couple s’engendre et fonctionne, pour ne pas dire varie en extension et en compréhension, dans des domaines aussi différents que la psychanalyse, la sociologie, l’histoire, la géographie, la mathématique, l’informatique, les arts,…, mais aussi la manière dont il est mis en question de l’intérieur par d’autres formes de pensée qui peuvent le traverser et qui se chargent de décrire d’autres modèles d’engendrement, particulièrement ceux qui concernent les incommensurables. Gardant toutefois ses distances avec le fantasme d’une séparation inintelligible de ces deux termes, ce volume propose à la fois de penser un rapport du continu et du discontinu plus fragile et plus durable que ce qui s’énonce souvent, et les limites de ce couple de contraires.

Ce numéro est disponible en librairie. Vous pouvez également le commander,

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