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Serendipity.

Le vote d’extrême droite dans l’aire métropolitaine marseillaise.

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Image1Détail de la carte 1, infra.

La géographie francophone, comme sa consoeur anglo-saxonne, porte un intérêt marqué depuis une décennie à la question du politique, à travers la géographie électorale. Plusieurs travaux réalisés par Hervé Le Bras (2002), Jacques Lévy (2003), et Michel Bussi (2004) essaient de montrer comment l’espace peut exercer une influence sur le vote des populations. L’une des hypothèses les plus intéressantes avancée par J. Lévy (2003), à partir de la cartographie à l’échelle des aires urbaines des résultats du premier tour des élections présidentielles de 2002, est que l’espace périurbain, par ses caractéristiques spécifiques (repli sur soi, rejet de l’urbain), conduit la population à voter plus à l’extrême droite que dans le pôle urbain (cœur de l’agglomération). Néanmoins, il a constaté certaines singularités, en particulier l’aire urbaine marseillaise où la ville-centre semble voter plus pour l’extrême droite que sa périphérie. Pour lui, cette situation s’explique par le partage de la centralité avec Aix-en-Provence, et le fort vote global par un modèle urbain éclaté et fragmenté. Cet article s’inscrit totalement dans cette logique de tentative d’expliquer la répartition des votes par les facteurs géographiques, le but étant de vérifier, à partir de l’étude du cas exceptionnel marseillais, l’hypothèse de J. Lévy que les espaces périurbains votent plus aux extrêmes que les ville-centres.

L’aire urbaine marseillaise est particulièrement intéressante car elle se présente comme l’espace urbain où les scores de l’extrême droite sont les plus hauts en France depuis plusieurs décennies, aussi bien à Marseille que dans sa périphérie, et ce quel que soit le type d’élection (municipales, législatives, ou présidentielles). En effet, le fort poids de l’extrême droite s’est traduit aux élections municipales de 1995 par l’arrivée d’une municipalité Front National à Marignane (qui a changé d’étiquette depuis), puis en 1997, à Vitrolles (qui est repassée à gauche en 2001), deux communes de banlieue. Le second tour des élections présidentielles de 2002 a confirmé cette forte implantation avec en moyenne 27,87 % de votes Jean Marie Le Pen par commune dans l’aire métropolitaine marseillaise. Ce phénomène a été fortement médiatisé et commenté par les journalistes et les analystes politiques, mais il n’a jamais été fait une étude géographique détaillée sur l’ensemble de l’aire métropolitaine pour voir si l’espace influe sur le vote pour l’extrême droite. La détermination de la méthode la plus appropriée permettra de constater un résultat surprenant qui fait émerger deux nouvelles hypothèses qui conduisent à affiner le schéma politique de J. Lévy.

La méthode.

Dans un premier temps, il s’agit de déterminer la meilleure échelle territoriale pour prendre en compte le fait métropolitain (territoire polarisé par la ville-centre). J. Lévy utilise la terminologie de l’Insee qui a délimité des aires urbaines dans lesquelles se distinguent des pôles urbains et des couronnes périurbaines. Or, pour Marseille, cette terminologie n’apparaît pas satisfaisante. L’aire urbaine Insee ne comprend pas les aires urbaines périphériques de Fos-sur-Mer (le port de Marseille), de Istres, de Salon-de-Provence et de Pertuis. Pourtant, elles font toutes parties du système métropolitain (Laurent Chalard, 2005). En conséquence, l’Insee Provence-Alpes-Côte-d’Azur a délimité une « région urbaine de Marseille » comprenant 139 communes qui rend mieux compte du fait métropolitain. Elle servira de base à notre étude. De plus, le pôle urbain de l’aire urbaine Insee inclut un certain nombre de communes aux caractéristiques sociodémographiques et morphologiques périurbaines (comme Bouc Bel Air, Cabriès, les communes du massif de l’Etoile…) qui rendent caduque cette distinction.

Dans un second temps, pour effectuer une bonne étude de géographie politique, il faut prendre les données les plus claires possibles et les moins contestables. La première question qui se pose concerne le choix des résultats d’élection. Faut-il prendre les élections présidentielles, les législatives, les municipales…, le premier ou le second tour ? Le choix des élections présidentielles apparaît le plus pertinent car le taux de participation y est le plus élevé de toutes les élections, s’approchant le plus du taux réel de personnes qui votent pour l’extrême droite. Ensuite, notre choix s’est porté sur le second tour, car il n’y avait qu’un candidat d’extrême droite en 2002 (Jean-Marie Le Pen) qui a probablement fait le maximum de voix. En effet, au premier tour la présence de deux candidats d’extrême droite (Jean-Marie Le Pen, et Bruno Mégret) et d’un troisième atypique (Jean Saint-Josse) dont l’électorat mord sur celui des deux précédents aurait introduit des biais dans les pourcentages, le taux de vote Saint-Josse étant de manière logique beaucoup plus fort dans les communes rurales que urbaines.

La seconde question moins souvent posée a trait au pourcentage de votes. Faut-il ramener le nombre de votes pour Jean-Marie Le Pen, comme il est fait traditionnellement aux bulletins de votes exprimés pour tous les candidats, ou au nombre des inscrits ? Cette question n’est pas si négligeable qu’il peut le paraître car les taux d’abstention varient fortement selon les communes. Le taux réel de votes d’extrême droite est surestimé dans les communes à forte abstention. En conséquence, nous avons pris le pourcentage de votes d’extrême droite par rapport au nombre total d’électeurs, car il permet de supprimer en partie le biais de l’abstention. L’utilisation de notre méthode permet effectivement de limiter en partie ce biais, l’écart type étant d’un point moins important (4,07 contre 5,24), et l’écart entre le taux maximum et minimum est ramené de 36 points à 29 points. Les taux sont plus fortement revus à la baisse dans les grandes communes, où le taux d’abstention est en général plus élevé, que dans les petites communes. Par exemple, Marseille, se retrouve en dessous de la moyenne alors qu’elle se situait au niveau de la moyenne sans redressement.

Tableau 1. Caractéristiques du vote pour Jean-Marie Le Pen dans l’aire métropolitaine marseillaise après ajustement.

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Le cadre territorial et la méthode différente donnent-ils des résultats conformes à l’hypothèse de J. Lévy ?

Un résultat surprenant ?

La carte produite par la méthode de redressement permet de dégager de fortes différences socio-spatiales dans les votes pour Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002. Mais, les résultats apparaissent au premier abord comme surprenant par rapport au schéma traditionnel de J. Lévy.

Les espaces où la population vote moins extrême droite.

Trois groupes de communes se retrouvent dans cette catégorie : les villes-centres, les communes périurbaines les plus riches, et à un degré moindre les villes communistes.

Seul résultat conforme à l’hypothèse de J. Lévy, dans les deux ville-centres, Marseille et Aix-en-Provence, la seconde pouvant être considérée comme ville-centre, car elle partage un certain nombre de fonctions métropolitaines avec Marseille (L. Chalard, 2005), les habitants votent moins pour l’extrême droite que dans la périphérie. La première se situe légèrement en dessous de la moyenne, et la seconde largement en dessous, près de sept points de moins (15,3 %), confirmant son statut de seconde ville-centre de l’aire métropolitaine. Il est nécessaire de garder en tête que les communes de Marseille et Aix-en-Provence, du fait de leur taille (respectivement 240 et 186 km2), comprennent une part de banlieue, territoire où le vote extrême droite est en général plus faible que dans l’espace périurbain.

Mais très rapidement, saute aux yeux à la lecture de la carte le premier aspect surprenant : les communes périurbaines les plus riches votent peu pour l’extrême droite. Se distingue incontestablement un territoire : le pays d’Aix, qui en dehors d’Aix-en-Provence comprend de nombreuses communes périurbaines par excellence avec un habitat pavillonnaire dominant, souvent mité, pas de logements sociaux, de nombreuses piscines (elles sont au nombre de 1 000 pour 4 800 habitants à Ventabren !)… Le pays d’Aix comprend cinq des six communes où le taux est le plus faible (Beaurecueil, Eguilles, Le-Tholonet, Saint-Antonin-sur-Bayon et Châteauneuf-le-Rouge). En fait, cet espace est le plus riche de l’aire métropolitaine et abrite de nombreux « Français du Nord », Châteauneuf-le-Rouge étant considérée comme un village de « Parisiens ». Cassis (station balnéaire fréquentée par la bourgeoisie marseillaise) comme Gemenos (ville de Gemplus, leader mondial de la carte à puce), Aurons (commune périurbaine riche de la ville-satellite de Salon-de-Provence), et le Sud Luberon (prolongement plus rural du pays d’Aix) se rattachent à la même logique d’espace riche. Lourmarin, commune périurbaine « très chic » avec son château, un des plus beaux villages de France, a le plus faible taux de l’aire métropolitaine.

Enfin le dernier groupe de communes de cette catégorie, les villes communistes, s’inscrit dans une logique différente. Leur population vote finalement moins à l’extrême droite qu’on ne pourrait le penser (Martigues, Gardanne, Aubagne) après ajustement. Les forts taux d’abstention constatés dans ces communes permettent de relativiser le report de vote du Parti Communiste vers l’extrême droite, même si le phénomène existe. En fait, ces espaces s’individualisent peu de la moyenne. Cette remarque est aussi valable pour les anciennes villes communistes, comme La-Ciotat.

Les espaces où la population vote pour l’extrême-droite.

Deux grandes zones de vote extrême droite aux caractéristiques différentes se dégagent dans l’aire métropolitaine marseillaise.

La première zone correspond aux communes à fort pourcentage de rapatriés d’Afrique du Nord, qui se concentrent sur le pourtour oriental de l’étang de Berre autour de Marignane, Vitrolles, et Saint-Victoret. L’importance de cette communauté est une spécificité de la région Provence-Alpe-Côte-d’Azur, qui explique en partie le plus fort vote général pour l’extrême droite dans la région. Ces communes connaissent une assez forte « mixité sociale », les rapatriés d’Afrique du Nord côtoyant souvent les immigrés d’origine maghrébine, expliquant les tensions. Elles abritent plutôt des employés et des ouvriers, et se présentent comme des communes de « banlieue » à dominante industrielle et à fort taux de chômage. Mais, le phénomène touche aussi des communes pavillonnaires homogènes socialement de la Côte Bleue comme Ensuès-la-Redonne, et Carnoux-en-Provence, ville nouvelle créée dans les années 1960 pour accueillir les rapatriés d’Afrique du Nord.

La seconde zone correspond à des communes périurbaines « populaires » (où dominent les classes moyennes basses), situées à une certaine distance du pôle urbain, en particulier la majorité des communes varoises de l’est de l’aire métropolitaine (Plan-d’Aups, Artigues, et Riboux ont les taux les plus élevés). Leur situation est différente du pourtour de l’étang de Berre, l’habitat pavillonnaire domine dans ces communes, et la mixité sociale est faible. Ce sont des communes périurbaines plus pauvres, qui ont accueilli des populations qui travaillent dans le pays d’Aix ou autour d’Aubagne mais qui ne peuvent pas se payer un logement car ils sont beaucoup trop chers. Le nord du pays salonais, dont Sénas et La-Barben, s’inscrit dans la même logique comme quelques petites communes du Sud Luberon moins « chic » que leurs voisines (Saint-Martin-de-la-Brasque).

Carte 1. Le vote extrême-droite dans l’aire métropolitaine marseillaise : de fortes différenciations spatiales.

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Manifestement, si l’hypothèse de J. Lévy se confirme, les habitants de la ville-centre votant moins globalement extrême droite que ceux de la périphérie, il existe de fortes différences dans l’espace périurbain, qui nécessitent une explication.

Deux nouvelles hypothèses.

Le schéma de J. Lévy dans le détail n’apparaît pas aussi simple. L’aire métropolitaine marseillaise montre une situation beaucoup plus complexe, l’espace périurbain étant fortement contrasté dans ses votes. Cette répartition du vote d’extrême droite aux élections présidentielles de 2002 fait émerger deux hypothèses qui peuvent être exclusives ou complémentaires.

La distinction entre espace périurbain « choisi » et « subi ».

La première hypothèse est la distinction entre espace périurbain « choisi » et « subi ». En effet, en fonction des moyens financiers des ménages, les plus aisés peuvent choisir leur localisation en habitat périurbain, alors que les moins riches ne peuvent acheter une maison qu’à l’endroit où elles sont moins chères.

Les populations les plus riches ont choisi leur espace périurbain, en général à une distance moyenne de la ville-centre (Marseille et Aix-en-Provence) ou à proximité des pôles d’emplois de la périphérie (Rousset par exemple), pour limiter les temps de trajet comme dans le pays d’Aix, ou alors plus loin dans des villages « chics » où il fait bon vivre comme Lourmarin et une bonne partie du Sud Luberon… Ils sont assez heureux de leur localisation, pouvant se permettre de posséder plusieurs voitures et habitant dans un environnement qu’ils jugent agréable. Ils votent plutôt pour les partis traditionnels (Ump et Ps) car ils sont contents de leur sort. Néanmoins, ce « bien-être » n’empêche pas les mêmes phénomènes de rejet que dans le reste de l’espace périurbain vis-à-vis de la ville-centre ou de l’implantation de logements sociaux (cf. ci-dessous), mais ils ne se traduisent pas politiquement par un vote pour l’extrême droite.

À l’opposé, les populations moins argentées ont dû se tourner en général vers la deuxième ou troisième couronne périurbaine, de plus en plus loin de la ville-centre et de leur lieu de travail. Cette localisation est subie, dans le sens que si elles en avaient les moyens financiers, elles habiteraient en périurbain plus proche ou plus « chic » (leur choix est restreint). Ces populations sont moins diplômées et ont un statut social inférieur à l’espace périurbain « riche », les employés et les ouvriers qualifiés dominant. Elles connaissent parfois des problèmes financiers (ayant du mal à joindre les deux bouts du fait du paiement de la maison, des nombreux déplacements, de l’obligation de posséder deux voitures…), le taux de chômage y est souvent plus élevé. En conséquence, le vote d’extrême droite peut traduire un certain mal-être périurbain dans une population qui a été déçue par rapport à ce qu’elle espérait (le mythe périurbain laissant place à la réalité et à un certain nombre de désillusions), et dont les conditions sociales sont loin d’être idylliques (la construction est de moins bonne qualité, les temps de trajet sont longs…) même si elles sont bien meilleures que dans les quartiers difficiles des grandes villes. L’ouest varois peut être considéré comme un cas typique.

Le rejet des nouveaux habitants par la population autochtone.

La seconde hypothèse tient à la présence dans les communes périurbaines de seconde et troisième couronne d’une population « autochtone » encore relativement importante, présente avant la périurbanisation, et qui travaille ou a toujours travaillé sur place. Cette dernière voit d’un mauvais œil l’arrivée des nouveaux habitants de la ville aux modes de vie différents, au niveau social généralement supérieur, et qui cherchent rarement à s’intégrer à la vie villageoise. Le vote d’extrême droite exprime pour ces populations le rejet des nouveaux arrivants, cristallisant la dualisation de l’espace périurbain, entre d’un côté les habitants des lotissements ou de l’habitat dispersé, et de l’autre côté ceux du vieux village. Dans cette hypothèse, contrairement à la précédente, ce ne sont pas les nouveaux venus qui votent pour l’extrême droite, mais la population déjà présente. Elle pourrait aussi expliquer les taux élevés sur les franges orientales de l’aire urbaine.

Le cas marseillais ne permet pas de trancher définitivement en faveur de l’une ou de l’autre des hypothèses, les deux pouvant se conjuguer comme s’exclure, même si la faiblesse des taux dans le Sud Luberon, espace périurbain de troisième couronne, ferait pencher plutôt pour la première.

Conclusion.

L’étude de l’aire métropolitaine marseillaise ne remet pas en cause globalement l’hypothèse de J. Lévy (une population qui vote plus pour l’extrême droite en périphérie que dans la ville-centre), mais elle permet de l’affiner, la situation apparaissant plus complexe dans l’espace périurbain, où la distinction entre espace périurbain « choisi » et « subi » apparaît comme une hypothèse à approfondir. Il faut faire attention à ne pas avoir une vision trop homogène de l’espace périurbain, comme étant un espace « subi » abritant des populations aux moyens financiers limités. Ce serait une erreur majeure, car dans la plupart des grandes aires métropolitaines du Sud de la France (comme dans le monde anglo-saxon), les populations les plus aisées vivent dans cet espace. En fait, il faut tenir compte de sa diversité, comme le montre le cas de la région Ile de France. La population de Saint-Nom-la-Bretèche (l’une des communes les plus riches de France) dans les Yvelines n’est pas la même que celle de certaines communes assez pauvres des franges orientales de la Seine-et-Marne. Il serait nécessaire de faire des études détaillées dans d’autres aires métropolitaines, pour voir si cette distinction est opérante. L’approche de la géographie du politique, qui est encore jeune, a encore du travail devant elle.

Abstract

Détail de la carte 1, infra.La géographie francophone, comme sa consoeur anglo-saxonne, porte un intérêt marqué depuis une décennie à la question du politique, à travers la géographie électorale. Plusieurs travaux réalisés par Hervé Le Bras (2002), Jacques Lévy (2003), et Michel Bussi (2004) essaient de montrer comment l’espace peut exercer une influence sur le ...

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Serendipity.

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