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Serendipity.

« Communautés d’installés ».

Pour une histoire de l’appartenance médiévale au village ou à la ville.

Mon père voulait être un homme de son temps, et un homme de son temps, ça devait vivre au village, sous le soleil, en pleine lumière, pas dans la pénombre d’un sous-bois. Un homme de son temps, ça devait cultiver le seigle, trimer tout l’été comme une fourmi crasseuse pour pouvoir, l’automne venu, fanfaronner en avalant du pain et, ce faisant, ressembler aux étrangers. Un homme de son temps, ça devait avoir une faucille chez soi pour aller se courber dans les champs au moment de la moisson ; ça devait avoir une meule à bras pour y moudre du grain en suant et en soufflant.

Andrus Kivirähk, L’homme qui savait la langue des serpents (2007)

L’enjeu de la différence.

Faute de parvenir à penser le changement [1] — voire de tenter de le faire à cause de leur obnubilation par un passé à ressusciter —, les historiens adoptent le plus souvent une pensée « cassée », qui privilégie des flexions brutales, des cassures, que rend bien visible un vocabulaire émaillé de « crises », « révolutions », « mutations », « tournants », « renaissances », etc. [2] Rares sont par conséquent aussi les contestations de telle affirmation historienne d’une cassure qui ne débouchent pas sur l’affirmation inverse d’une continuité [3], comme si le seul choix était entre la constance ou la rupture [4]. La faute en est, schématiquement, à un défaut de conceptualisation, à l’interférence des logiques académiques dans le champ scientifique et à la nature du matériau classique de l’historien (la documentation écrite).

Défaut de conceptualisation, en effet, dans la mesure où, malgré les observations de Marc Bloch (1937, p. 8) ou, plus récemment, d’Alain Guerreau (2001, p. 252-256), la conception de l’histoire comme la science du changement social n’est toujours pas acquise, ce qui conduit à une démarche plutôt descriptive, au mieux ethnographique, qui se contente pour l’essentiel d’une causalité linéaire [5]. Et comme par ailleurs les autres sciences sociales (sociologie, anthropologie, géographie, économie, linguistique, etc.), dans lesquelles les historiens vont régulièrement récupérer et recycler des concepts, se sont d’emblée construites hors de toute perspective temporelle [6], il devient difficile de penser le changement ou la transformation, sinon par analogie avec des mouvements naturels (l’évolution ou la mutation biologique [7], les mouvements marins de Braudel ou des Toffler, etc.), et sans pouvoir prendre en compte ni le problème des effets des actions humaines (l’interactionnisme se désintéressant de toute façon du cadre macro-social) ni ceux des rythmes, des effets de seuil ou des échelles temporelles [8].

Interférence des logiques académiques, également, puisque cette « pensée cassée » s’accommode bien, il faut le reconnaître, d’une organisation académique de la recherche qui segmente les historiens par périodes et sous-périodes (comme le haut Moyen Âge, le Moyen Âge central ou classique et le bas Moyen Âge). Ceci les conduit usuellement à survaloriser les écarts avec ce qui précède, mais moins fréquemment avec ce qui suit, ce qui permet d’ailleurs de « déborder » vers « l’aval », notamment pour utiliser une documentation plus riche, puisqu’il s’avère que la pente du temps est inverse à la pente documentaire [9]

Effet de la documentation historique, enfin, en raison de l’inertie qui touche tant les usages langagiers (comme l’écrivait déjà Marc Bloch, « au grand désespoir des historiens, les hommes n’ont pas coutume, chaque fois qu’ils changent de mœurs, de changer de vocabulaire » 1941/42, p. 57, voir aussi p. 137) que les matérialisations régulées (c’est-à-dire non aléatoires), et notamment — pour ce qui est classiquement des historiens — les usages écrits. On a ainsi attiré l’attention sur l’existence de ce qu’on qualifie (à défaut de pouvoir l’expliquer) d’« effets de mode » concernant tant la forme des actes (format et autres éléments de rhétorique visuelle qui encadrent la visibilité, datation et autres formules qui encadrent la légibilité tout comme la langue employée) que le vocabulaire mobilisé (ou, si la documentation est par exemple iconographique, les motifs). Toutefois, là encore, la manière dont travaillent les historiens accentue à l’évidence les effets de rupture : outre le fait qu’ils se focalisent sur certaines catégories de mots (substantifs, verbes, adjectifs et adverbes, aux dépens de ce qu’on appelle couramment « mots-outils » [10]), le changement formel, fondamentalement lexical (apparition/disparition d’une forme d’acte [11], apparition/disparition d’un mot ou d’un syntagme [12]) sur lequel se focalisent les historiens n’est en effet que la façon la plus simple (sinon simpliste) de repérer des différences susceptibles d’être signifiantes, par comparaison d’ensembles documentaires plus ou moins importants à une échelle temporelle unique (par exemple, à l’échelle d’une période de quelques décennies).

Plus compliquée (ou exigeante), en revanche, est l’approche sémantique, par le repérage des modalités (et des échelles) d’usage des formes en question (par exemple les associations ou oppositions sémantiques) dont on peut postuler qu’étant moins visibles et donc moins conscientes [13], elles formalisent de manière plus fine les pratiques sociales (sans qu’on ne puisse jamais y voir une traduction directe, ce qui d’ailleurs reviendrait à négliger le sens social spécifique des formalisations). Bref, il s’agit de procéder à un repérage d’inflexions de détail — ou alors des échelles pertinentes de ces modifications — sans se laisser abuser par les phénomènes les plus visibles, un peu comme lorsque les archéologues cessèrent de ne s’intéresser qu’au dégagement des structures bâties et des artefacts remarquables, aux dépens non seulement des autres restes mais aussi de l’enveloppe matérielle et spatiale [14].

Toutefois, il ne saurait être question de substituer l’approche sémantique à l’approche lexicale : les changements lexicaux ne sont pas moins vrais que les changements sémantiques — simplement, on peut postuler qu’ils correspondent à une temporalité du changement plus lente, comme le signalait d’ailleurs Marc Bloch, avec une plus grande inertie, ou moins de souplesse, et donc des effets de rupture avant/après plus nets. On devrait donc concevoir qu’il existe une temporalité complexe du changement, à plusieurs échelles de temps (et pas seulement à plusieurs échelles de l’espace social [15]) — idée d’une temporalité multi-scalaire usuellement totalement négligée par les historiens, qui se sont installés depuis longtemps dans un temps long conçu comme une addition de temps particuliers [16].

On pourrait multiplier les exemples de telles ruptures postulées à défaut de penser une transformation (qu’il resterait évidemment à expliciter). C’est ainsi le cas de ce qu’on appelle couramment la « révolution documentaire du 12e siècle » [17]. Les facteurs de rupture retenus pour cette « révolution » sont fondamentalement de nature politique [18] : la mise en place de la royauté anglo-normande dans la seconde moitié du 11e siècle et celle du régime communal en Italie au 12e siècle, le renforcement de la royauté capétienne au cours du règne de Philippe Auguste devant avoir produit, plus tard, des effets scripturaux similaires. Le risque était grand, dès lors, que cette « révolution » fût un fantasme historien, inconsciemment destiné à accentuer le caractère de rupture du phénomène politique en question. En tout cas, des contestations du caractère « révolutionnaire » de la culture de l’écrit élargie se sont multipliées, tant de la part de spécialistes des périodes antérieures que de Michael Clanchy lui-même, qui soulignent tous l’importance de la période carolingienne du point de vue scriptural [19]. Ceci ne revient pas à nier ou négliger l’apparition, vers le 12e siècle, de nouvelles formes de production d’écrits (d’une manière générale les registres, qu’ils soient notariés, de chancellerie, comptables, etc.) ou encore d’usages écrits des langues vernaculaires, qui signalent un processus particulier à l’œuvre, mais invitent également à s’interroger sur des transformations sociales à plus long terme, au-delà du seul contexte des ruptures « politiques » visibles.

La même chose peut être dite à propos du phénomène sur lequel je vais ici m’attarder, à savoir la formation de ce que j’appelle désormais les « communautés d’installés » (ex-« communautés d’habitants »). L’examen de cette transformation [20] a en effet été initié dans une perspective historique où les 11e-12e siècles jouaient le rôle de moment de bascule, affectant l’organisation religieuse (cimetières, paroisses, confréries, etc.), l’organisation économique (achèvement du passage du grand domaine carolingien à la seigneurie) et l’organisation politique (reprise en main par les pouvoirs souverains, apparition du pouvoir urbain) [21]. Sans chercher à nier que des changements se produisent à ce moment-là, en tout cas dans la documentation écrite, la question qu’il conviendrait de se poser concerne le gain explicatif éventuel lié à un changement d’échelle temporelle : et si, au lieu de représenter une rupture par rapport à ce qui précède (disons, les 9e-10e siècles), le phénomène des « communautés d’installés » était plutôt la poursuite, sous des formes éventuellement particulières, d’un phénomène de transformation bien plus profond ?

Il n’y a là aucun « continuisme » puisque d’une part, je postule d’emblée que la société des 9e-12e siècles (pour en rester aux siècles que je viens de mentionner — mais je ne m’y limite en aucun cas) est une société qui se transforme, et que d’autre part, il ne s’agit absolument pas de considérer que les changements formels ne sont que superficiels. Mon problème est à la fois d’essayer de comprendre la dynamique interne de la société médiévale (qui engendre les « communautés d’installés ») et de distinguer un peu mieux les différentes échelles de transformation (et notamment celle à laquelle renvoie tendanciellement la documentation écrite). À propos des Yanomami de l’espace amazonien, Catherine Alès (1990) signalait en effet qu’en fonction de l’échelle temporelle d’observation adoptée, les résultats de l’étude étaient radicalement différents quant à l’importance relative des forces de fission et des forces de fusion, négligence des variations d’échelle de temps qui explique, par exemple, qu’on ait pu prêter aux Yanomami une structuration lignagère alors que la parenté y est cognatique…

Si l’on se focalise sur les « communautés d’installés », c’est-à-dire sur la seule explication de leur formation, alors autant reconnaître qu’on travaille sur leurs « origines », dans une perspective téléologique : la fin du travail correspond au moment où les communautés existent, et l’échelle de travail est essentiellement celle de la communauté elle-même, avec des durées variables d’une région à l’autre et d’une communauté (rurale ou urbaine) à l’autre. On n’a donc guère expliqué le processus de manière historique, ni dans sa généralité ni dans sa variance (systémique et non pas idiosyncrasique [22]). Comment adopter alors une perspective différente, à une autre échelle spatio-temporelle, où les particularités locales cesseraient d’être des formes absolues pour devenir signifiantes ? À moins de poser qu’une communauté particulière puisse être considérée comme le modèle réduit parfait (mais comment le pourrait-on ?) ou que le tout n’est que la somme de ses parties (donc en l’occurrence qu’il suffirait de multiplier les études de cas de communautés, selon la logique du puzzle), je vois mal comment faire autrement que de procéder par l’examen de processus sociaux abstraits — non pas au sens de « non concret », mais renvoyant à un niveau supérieur de généralité — sans pour autant que cela détourne de l’examen de cas particuliers, étudiés cependant non pour eux-mêmes mais pour l’échelle particulière qu’ils procurent, dans un incessant va-et-vient qui fonde précisément la démarche scientifique [23].

La dynamique historique qui se traduit notamment par la formation des « communautés d’installés » reste toutefois actuellement obscure. Non seulement le programme de leur étude n’en est pour l’instant qu’en cours, dans une phase toujours exploratoire non seulement de l’objet, mais aussi de la manière de l’aborder — mais ni là ni ailleurs n’existe actuellement un corps d’hypothèses articulées concernant la mise en œuvre d’échelles temporelles variées. Le seul progrès net jusqu’alors enregistré découle de la prise au sérieux de la dimension spatiale du phénomène examiné —, ce qui suggère que la prise en compte de la dimension temporelle pourrait s’avérer tout aussi déterminante. S’agissant d’une dimension spatiale abstraite (et non de l’analyse spatiale de telle ou telle communauté), le privilège à accorder à tel ou tel type de communauté (la ville ou le village par exemple) est lui-même rigoureusement fonction du choix théorique initial, et non pas du discours dominant — du point de vue de la structure documentaire ou de la fréquence académique. En l’occurrence, j’inverserai ici la démarche usuelle qui consiste à regarder les campagnes à partir de la ville, en considérant ainsi la communauté villageoise comme une sorte de « paradigme » [24], à savoir de la définition d’un nouveau mode de structuration sociale — en postulant donc que c’est la communauté villageoise qui permet d’éclairer la nature sociale de la communauté urbaine…

L’enjeu de l’installation.

La formation des « communautés d’installés » comme définition d’un espace-temps dominé et fictivement endorégulé.

Que toute communauté villageoise (ou urbaine) ait une certaine spatialité, cela va de soi. Ou plutôt : cela devrait aller de soi — à l’encontre de l’approche strictement interpersonnelle, réticulaire, du phénomène communautaire médiéval. L’exemple classique en est fourni par l’ouvrage fameux de Pierre Michaud-Quantin sur « le mouvement communautaire » (1970), ou encore par les travaux (notamment allemands) d’historiens s’appuyant sur lui (Oexle 1979, 1982, 1992) ou d’historiens du droit (Bader et Dilcher 1999, p. 504-519) qui conçoivent la formation des groupements sociaux de manière principalement interpersonnelle : par le serment mutuel, la commémoration des morts, le repas commun, etc. — c’est-à-dire sans aucun rapport à l’espace. C’est ainsi que le serment mutuel, auquel un certain nombre d’historiens, à la suite de Max Weber, prêtent une importance décisive dans le cadre de l’étude du mouvement communautaire, est traité comme un acte interpersonnel — en oubliant qu’il s’agit aussi d’un acte spatialisé puisque le serment était prêté non pas à des personnes en tant que telles, mais envers les gens ou habitants de tel lieu.

Mais même lorsque l’espace n’est pas éliminé par une approche abstraite (juridiste ou d’inspiration weberienne), il n’en est pas pour autant vraiment pris en compte puisqu’il est traité comme simple substrat, au mieux comme une ressource, en tout cas en tant qu’espace physique et neutre, étendue bidimensionnelle et amorphe sur laquelle viendraient s’implanter des bâtiments en groupe plus ou moins compact, ou alors se dérouler des activités de surface (agriculture, etc.), bref « l’espace » du sens commun (ou le « site » du déterminisme géographique) [25].

Ici à l’inverse, l’espace communautaire est conçu en tant qu’espace social : non pas le déroulement du social dans un espace amorphe et lui préexistant, mais bien plutôt une réalisation spatiale du social — en l’occurrence, l’élaboration d’un nouveau rapport spatial au social (car un rapport social à l’espace est un truisme). Ce nouveau rapport spatial au social est perceptible à l’historien sous deux aspects : les pratiques spatiales et la conception des rapports sociaux par l’intermédiaire d’une référence à un lieu. Les rapports entre personnes sont exprimés (formalisés) et donc réalisés par l’intermédiaire de leur rapport particulier à tel ou tel lieu [26]. Bref, ce n’est pas que le social devienne spatial, ou plus spatial qu’avant, c’est que désormais, l’espace devient visiblement le référent essentiel pour l’organisation sociale.

Du côté des pratiques spatiales, on mentionnera les transformations à long terme (du 9e au 13e siècle) de l’espace habité (pétrification, immobilisation, polarisation) que révèlent les fouilles archéologiques et la configuration décisive, dans la documentation écrite postérieure au 10e siècle, de l’espace ecclésial et cimetérial en tant que lieux spécifiques (Sablonier 1984, Fixot et Zadora-Rio 1989, Fabre 1996, Galinié et Zadora-Rio 1996, Lauwers 1999 et 2005a, Zadora-Rio 2003a, 2003b, 2009, Iogna-Prat 2006, Méhu 2008). On se gardera cependant de négliger le problème compliqué d’une éventuelle réorganisation morphologique agraire ayant engendré décisivement le paysage agraire européen antérieur à la Révolution industrielle dont, en définitive, ne sont aujourd’hui plus assurées ni la distribution géographique des formes (openfield, champs compacts, bocage, etc.), ni la datation de ces formes, ni les modalités sociales de leur mise en œuvre en fonction de l’échelle d’analyse (paysannes ou seigneuriales, planifiées ou spontanées, arpentées ou non) [27]. Qui plus est, il n’est même pas certain que cette mise en place du paysage agraire ancien puisse être conçue comme un moment d’inflexion particulier — comme cette phase des « grands défrichements » qui serait plutôt une illusion d’historien produite à partir de corpus écrits dont on n’a pas pris en compte les modifications de logique scripturale et archivistique (apparition des fonds cisterciens, etc.) : à l’échelle du travail des archéologues, les « grands défrichements » disparaissent en tant que flexion nette pour n’être plus qu’une étape parmi d’autres de formation du paysage (Burnouf 2008).

Par ailleurs, on observe au plus tard, à partir du 12e siècle, le développement massif d’un ensemble de discours qui révèlent ce qu’on peut appeler un processus de formalisation spatiale du social. En témoignent ainsi, pêle-mêle, le changement de sens de la christianitas, qui passe de l’ensemble des chrétiens à la terre chrétienne (Iogna-Prat 2001, Nagy 2005) ; l’apparition et la diffusion (et pas seulement chez les aristocrates) des anthroponymes toponymiques (Bourin 1990-2008, Martin et Menant 1994-1998, Martinez Sopena 1995, Bourin, Martin et Menant 1996) ; la substitution de l’indication du lieu de résidence des dépendants à celle du seigneur dont ils dépendent (par exemple, les « bourgeois de Paris » au lieu des « bourgeois du roi »), ou encore la substitution de la mention de l’espace dominé à celle des hommes dominés (par exemple, « la Francie » au lieu de « les Francs », voir Morsel 2000b) ; l’enracinement spatial du pouvoir seigneurial [28], dont la notion de « topolignée » rend bien mieux compte que celle de « lignage » (Guerreau-Jalabert 1994, p. 314).

Ces transformations locales, dont la temporalité (date et rythme) n’est pas absolument nette, mais qui semblent se placer pour l’essentiel entre le 10e et le 12e siècle, sont elles-mêmes articulées à des changements plus larges (dans l’espace comme dans le temps), comme les réflexions théologico-philosophiques sur la nature du locus (Aertsen et Speer 1998), la constitution d’une « géographie de l’au-delà » (Le Goff 1981) ou encore, à mi-chemin entre pratique spatiale et discours spatial, l’évolution de l’espace pictural (qui s’homogénéise et s’étend au-delà des positions particulières) à l’amont de l’introduction de la perspective (Schmitt 2007). Ainsi, les rapports entre hommes sont désormais conçus indissolublement comme des rapports entre lieux et vice versa : il n’y a aucun rapport entre lieux qui ne soit en même temps un rapport entre hommes — parce que les lieux n’ont pas d’existence autre que sociale, certes, mais surtout parce que le système social a fait, pour reprendre la distinction opérée par Augustin Berque (2000, 2003), du locus une chôra et non plus un topos.

La conséquence, au niveau villageois, de cette transformation des rapports sociaux et spatiaux est la formation de nouveaux rapports sociaux, dotés d’une spatialité inédite, qui a été conçue dans un premier temps sous l’angle de l’« habiter » — le processus étudié étant en fin de compte la conversion des dépendants en « habitants ». Dans l’expression usuelle de « communauté d’habitants », on a ainsi tort de n’accorder d’attention qu’au premier segment, comme si le fait d’être « habitant » allait de soi : la question qui se pose est non pas « comment » mais « pourquoi désormais les hommes habitent-ils ? » — à l’encontre de l’approche classique, y compris chez les historiens, de l’« habitat » comme d’une constante humaine : la satisfaction d’un besoin primordial d’abritement (mis sur le même plan que le besoin de se nourrir et de se vêtir), dont seule la réalisation pratique changerait (de la grotte au gratte-ciel) et traduirait des évolutions sociales (souvent réduites à de simples progrès techniques) [29].

Il ne s’agissait donc ni d’une façon différente (nouvelle) de réaliser cette prétendue constante anthropologique, ni d’un simple usage différent (nouveau) des mots médiévaux (latins ou vernaculaires) pour « habitant » ou « habiter », mais d’une façon différente (nouvelle) de concevoir les rapports sociaux par l’intermédiaire d’une référence à l’espace — en l’occurrence, la configuration des rapports de domination en référence à un lieu, ce que j’ai appelé plus haut « conversion des dépendants en habitants ». Toutefois, afin d’éviter plus sûrement la rétrojection à la fois de nos conceptions triviales de « l’habiter » contemporain et d’une conception de « l’habiter » comme constante anthropologique (ou géographique), il me semble désormais préférable d’envisager le processus en question comme la formation de « communautés d’installés ». La notion d’« installation » présente en effet comme avantages de n’être pas d’utilisation courante, d’exprimer un rapport spatial dynamique (grosso modo : venir habiter, passer d’un auparavant ailleurs à un désormais ici) et d’évoquer un champ lexical médiéval à la fois très riche et mal étudié : sedes et ses (faux) dérivés possidere, possessio, ainsi que leurs équivalents vernaculaires [30].

C’est donc sur « la conversion des dépendants en installés » qu’il convient de s’interroger, ce qui ne signifie ni que les dépendants disparaissent, au contraire (leur dépendance est assurée par leur appartenance à la « communautés d’installés », leur accès au statut d’exploitant dépendant étant médiatisé par le fait d’être « installé ») ni qu’auparavant les dépendants vivaient de façon dispersée. Antérieurement, en effet, à l’époque carolingienne notamment, on pouvait bien sûr rencontrer des agglomérations plus ou moins denses d’agriculteurs, mais ceux-ci exploitaient chacun un ensemble particulier de terres, libre ou dépendant de maîtres à chaque fois distincts qui les contraignaient alors à venir travailler la moitié du temps sur leurs propres terres (ce que les historiens appellent en général les « corvées », voir Demade 2004, Devroey 2005, p. 137-141). Ces agglomérations, lorsqu’elles existaient, juxtaposaient ainsi des cultivateurs théoriquement sans liens entre eux, nouant des mariages avec les autres cultivateurs de leur maître installés dans d’autres agglomérations (et non pas avec leurs voisins), et qui ne se concevaient que comme les « hommes » de leur maître, comme les membres de sa familia.

Cette juxtaposition de populations dépendantes « exofocalisées » (avec d’importants déplacements « pendulaires » à l’échelle hebdomadaire) laisse la place, selon des modalités dont les causalités et rythmes restent encore méconnus, à un voisinage effectif (coprésence interactive) de populations « localisées », « installées » qui, tout en continuant de relever de maîtres (que les historiens, pour marquer la différence, appellent en général « seigneurs ») différents (mais de plusieurs en même temps pour des droits différents), sont désormais interdépendants. Cette interdépendance présente d’une part une dimension productive : outre l’existence de contraintes collectives concernant les modalités spatiales et temporelles d’usage du finage (y compris la vaine pâture), qui sont loin de se rencontrer partout, il y a surtout ce que Ludolf Kuchenbuch a qualifié de « structure symbiotique » (2014, p. 91), avec de gros exploitants qui recourent au travail des plus petits lors des travaux agricoles et leur prêtent ou leur louent des bêtes pour leurs propres travaux [31].

Par ailleurs, il y a désormais aussi une négation des distances parentélaires antérieurement entretenues, avec d’un côté l’ensevelissement groupé des défunts du village au lieu des ensevelissements dispersés antérieurs (Galinié et Zadora-Rio 1996, Lauwers 1999, 2005a, Zadora-Rio 2003b), dont la localisation était justement déterminée par les apparentements distincts, ou encore des cimetières en rangées hors des lieux d’habitation, dans lesquels les alignements réalisaient les rapports interpersonnels antérieurs, dont ceux fondés sur la parenté [32]), et de l’autre la conclusion possible de mariages au sein du village [33]. C’est en effet certainement dans cette perspective qu’il convient de comprendre la multiplication aux 12e-13e siècles des actes dits d’« affranchissement » (abolition de pratiques serviles concernant notamment les restrictions matrimoniales et d’héritage, dont le nom indigène, le formariage et la mainmorte, suffit souvent à signaler le caractère irraisonné et historiquement condamné) : non pas sous un angle juridique et comme signe d’une faiblesse seigneuriale (face aux dépendants, à la concurrence de la ville ou au besoin croissant en monnaies), mais en tant que facteur nécessaire à l’enracinement des populations, libres désormais d’organiser elles-mêmes leur reproduction (biologique et sociale), c’est-à-dire de se stabiliser localement, au plus grand profit des seigneurs, dont l’appropriation des terres est ainsi garantie, en vertu du « principe de Carabas » [34].

Les déplacements des dépendants deviennent pour l’essentiel une déambulation au sein du finage au sein duquel ceux-ci ont leurs terres et des biens d’usage commun (bois ou landes), pour la défense desquels ils peuvent s’opposer aux communautés voisines — avec lesquelles, à d’autres échelles, ils peuvent très bien collaborer (ce que montre bien Leturcq 2001, 2007), ce qui suggère que la communauté ne se définit pas par des limites intrinsèques et univoques (dont le paradigme serait notre notion de « frontière ») mais à des échelles variables, bien qu’à l’encontre des communautés voisines à l’échelle considérée. Cette déambulation des hommes (sur les chemins) trouve elle-même son pendant dans la déambulation des bêtes dans les champs lors de la vaine pâture — ces deux phénomènes (déambulation et médiation animale) formant très certainement un véritable système d’appropriation de l’espace, puisqu’on retrouve aussi celui-ci au cœur du grand rite aristocratique qu’a été la chasse féodale [35].

À cette déambulation (qu’on pourrait qualifier d’« endorégulée » [36]) est surimposé un système de déplacements polarisés, à des échelles variables, exorégulés et ciblés sur un locus (église ou résidence seigneuriale) où ils sont destinés à la rencontre périodique et obligatoire entre dominus et homo (seigneur et homme, herr et mann, etc.) — c’est-à-dire à la réactivation régulière, lors des jours de fête ou de la messe dominicale, du pèlerinage, du versement des redevances [37], etc., du rapport social de base de cette société, valable tout autant pour les chrétiens face à dieu que pour les dépendants agricoles face à leur maître… Ce système de déplacements polarisés et obligatoires, périodiques et instaurateurs d’un contact entre S/seigneur et homme, correspond au phénomène du transitus étudié par Didier Méhu (2007) [38].

Le complément de ceci est, fort logiquement, la disqualification de ce qui pourrait constituer des lieux de polarisation « sauvage » : lieux où est rendu un culte non autorisé et donc qualifié de « superstitieux », qui provoque une condamnable affluence [39]. Il n’est pas à exclure qu’elle fût aussi disqualifiée en tant que déplacement désordonné, fondé non sur la marche mais sur la course, si l’on en croit la manière dont elle est désignée en Allemagne : concursus [40], zulauf ou laufen (Dünninger, 1961/62, p. 56-57). Seule une étude lexicale et sémantique précise permettrait cependant de valider (ou d’infirmer) cette supposition concernant la forme attribuée à ces transitus disqualifiés.

On voit bien, en tout cas, combien la dimension spatiale ne peut être séparée de la dimension temporelle : ce qui est instauré est non seulement un réseau, mais aussi un rythme de déplacements qui fondent une spatio-temporalité répétitive (on pourrait même dire itérative, en faisant jouer la parenté des mots iter et iterare), et dont la répétitivité même signale la nature dominée de ceux qui y sont soumis [41]. On a donc affaire à la mise en place d’un espace-temps dominé, itératif et exorégulé — ce qui contraint à s’interroger sur la réalité de l’« endorégulation » qui semble caractériser la déambulation dans le finage.

Ceci devrait alors nécessairement conduire à questionner le rapport couramment établi entre formation des « communautés d’installés » et résistance sociale via l’assimilation des formes d’organisation horizontale à des modes de lutte (selon le principe que « l’union fait la force ») : cette conception est à l’arrière-plan de la lecture « communaliste » du phénomène de formation des communes, due aux historiens bourgeois au 19e siècle suivis en cela par les acteurs de la Commune puis encore par maints historiens du 20e siècle, et qui a été théorisée par Peter Blickle, précisément sous le nom de « communalisme », dans lequel celui-ci reconnaît explicitement le « noyau primordial du politique en Europe » (2000, tome 2, p. 359) [42]. D’une part, une telle lecture « inversée » (la communauté villageoise pensée comme mode de résistance alors que c’est un mode d’encadrement) illustre les difficultés de compréhension de la société féodale à partir de nos représentations du politique contemporain, mais elle conduit aussi à s’interroger plus avant sur le problème paroissial dans la mesure où l’appropriation du curé par la communauté villageoise figure en bonne place dans les ressorts du communalisme.

La paroisse, paradigme de la distinction « personnel versus spatial » ?

Or, au-delà du rôle clé de l’église dans la définition de l’espace-temps itératif évoqué, la question de l’articulation entre la « communauté d’installés » et la paroisse se pose aussi en raison des logiques parentales en jeu. On a vu en effet que le processus de formation des « communautés d’installés » est corollaire d’un processus par lequel les rapports de parenté sont soumis à (en l’occurrence instrumentalisés au profit de) la reproduction de la communauté spatiale, et ce idéellement (anthroponymie, ensevelissement commun — deux pratiques destinées à produire l’idée d’une communauté de destins) comme pratiquement (cadre pertinent de conclusion des alliances matrimoniales) [43]. Ceci se replace dans un contexte plus large de désarticulation des solidarités parentélaires par les contraintes exogamiques massives auxquelles la société occidentale chrétienne a été soumise à partir de l’époque mérovingienne à l’instigation de l’Église, en l’occurrence les évêques, dont le discours se radicalise encore au 21e siècle [44].

C’est d’ailleurs dans le cadre des « communautés d’installés » que ce contrôle s’organise de plus en plus, avec la collaboration des habitants eux-mêmes (publication des bans de mariage, visites pastorales, charivari, etc.). S’ajoute à cela la promotion de formes d’organisation alternatives à la parentèle charnelle : le modèle de la famille conjugale (dont la pertinence sociale est garantie à la fois par le modèle matrimonial et par les systèmes de recensement d’obligations matérielles puis fiscales centrés sur le manse puis le « feu »), et la parenté spirituelle — fondée sur le baptême qui non seulement déclasse symboliquement la naissance charnelle, mais en outre crée ipso facto un rapport de parenté entre tous les chrétiens (dits « prochains », proximi), qui n’exclut pas des proximités spirituelles plus marquées dans le cadre du parrainage ou des confréries (Guerreau-Jalabert 1989, 1990, 1995, 2007).

Ceci implique donc d’examiner plus précisément les rapports entre l’appartenance à la « communauté d’installés » et l’appartenance à la paroisse, souvent posées comme coextensives (ou les deux faces d’une même médaille) [45]. L’avis à peu près unanime règne désormais sur la mise en place ou (là où avaient été mises en place, au haut Moyen Âge, les structures larges et lâches des proto-paroisses — Urpfarreien, pieve et plous) le véritable avènement du système paroissial à partir du 11e siècle [46]. On observe donc une synchronie au moins grossière entre le moment de la formation des « communautés d’installés » et celui de la formation du « maillage » paroissial — sans pourtant qu’on puisse considérer que la correspondance stricte entre les deux formes soit la situation normale : encore au 15e siècle, les cas ne sont pas rares de villages qui relèvent d’une église paroissiale localisée dans un autre village [47], sans parler du cas des villages qui changent de paroisse un an sur deux [48]. Tout ceci justifie encore plus de s’intéresser aux rapports entre les deux appartenances.

Or le concile de Latran IV (1215), en particulier en son fameux canon 21 Omnis utriusque sexus [49], manifeste clairement une dimension personnelle et directe du rapport entre le curé et le fidèle : la confession et la communion annuelles obligatoires à son proprius sacerdos focalisent nettement le fidèle sur son curé (Héfélé 1913, p. 1350-1351). On souligne cependant rarement — ou alors de manière purement technique ou juridique (protéger le fidèle) — le complément apporté à ceci par la fin du canon, consacré au secret de la confession : en imposant le secret absolu de la confession [50], le canon achève de faire de la confession un lien absolument unique, unissant deux personnes non interchangeables jusqu’à leur mort. Ce canon, s’inspirant lui-même de réflexions élaborées dans les décennies précédentes, construit ainsi le lien paroissial comme un lien strictement interpersonnel [51]. La paroisse apparaît ainsi comme un espace social constitué par les liens récurrents entre curé et fidèles, liens sacramentels, mais aussi, indissolublement, liens matériels spiritualisés (casuel, dîmes) [52], dont la schématisation graphique (voire Illustration 1) devrait être celle d’un faisceau radiant convergeant vers un point nodal constitué par l’église et le curé, tandis que l’église paroissiale voisine est interdite même aux habitants pourtant plus proches d’elle.

Illustration 1. Représentation schématique des rapports sociaux au sein d’une paroisse et entre paroisses voisines. Source : Morsel 2013.

On doit alors s’interroger de nouveau sur le mode d’articulation entre la paroisse et la « communauté d’installés », dans la mesure où celle-ci se définit précisément par la négation, on l’a vu, des statuts individuels et des liens personnels spécifiques entre seigneurs et dépendants au sein de la « communauté d’installés ». La non-redondance des deux formes d’appartenance que sont la paroisse et la « communauté d’installés » s’exprime clairement à travers les effets de la pratique de l’excommunication, qui exclut de l’accès aux sacrements (et au cimetière) mais pas de la « communauté d’installés » — au contraire de ce qui se passe, par exemple, dans les communautés juives à la même époque, mais où, justement, c’est la communauté elle-même qui « excommunie » (Graboïs 1977, p. 550-551), et non pas le rabbin, qu’une analogie superficielle et fallacieuse pourrait faire considérer comme l’équivalent juif du curé [53]. Il n’y a donc pas correspondance directe entre appartenance à la « communauté d’installés » et participation au culte.

En outre, on note aisément que paroisse et « communauté d’installés » relèvent de deux modèles de spatialité radicalement distincts. Si l’on admet que le facteur de composition de la paroisse est le monopole sacramentel (et notamment « confessionnel ») qui focalise les fidèles sur leur curé et leur église, monopole matérialisé par le casuel et renforcé par l’attraction possible exercée sur les fidèles par les morts sur lesquels l’Église met progressivement la main (reliques de « super-morts » — les saints — dans l’autel, morts « normaux » dans le cimetière) [54], on n’observe pas de principe de démarcation par rapport à l’extérieur (qui joue un rôle crucial dans les « communautés d’installés », j’y reviendrai). L’interdiction canonique qui est faite aux fidèles d’aller voir ailleurs et au curé de les accepter ne constitue en effet en aucun cas une démarcation/protection vers l’extérieur : ici, ce n’est pas la pénétration qui est contrôlée, mais la sortie, avec comme justification de protéger les prérogatives de chaque curé.

Par conséquent, ce n’est certainement pas un hasard si la paroisse ne peut être que très secondairement (et rarement) définie comme un espace délimité. D’une part, les limites paroissiales restent très souvent indéfinies jusqu’au 18e siècle (Iogna-Prat et Zadora-Rio 2005, Zadora-Rio 2008) — non par incapacité des féodaux, mais parce que ça n’a guère d’importance (puisque la paroisse n’est pas un territoire) —, ce qui explique aisément que les actes de fondation de paroisses, qui se multiplient à partir du 12e siècle, ne se préoccupent pour ainsi dire jamais de définir les limites de la nouvelle paroisse : on se contente de signaler précisément le centre et les devoirs qui incomberont aux fidèles envers le curé [55]. Antérieurement au 12e siècle, les actes conservés (notamment dans une région bien documentée comme la Catalogne, mais pas seulement) se préoccupent de définir, de diverses manières, un espace doté d’une immunité et donc protégé vis-à-vis de l’extérieur, alors que la paroisse est définie par rapport à son intérieur (son centre comme pôle d’attraction et l’interdiction faite aux paroissiens d’aller ailleurs). D’ailleurs, l’examen systématique mené sur le registre de visite pastorale du diocèse d’Eichstätt (1480) montre très clairement que le mot « limites » n’est jamais utilisé pour la parrochia (très souvent mentionnée), mais uniquement pour les ecclesiæ (au mieux, certaines ecclesiæ parrochiales) — comme si ce qui avait des limites, c’était le centre/pôle, le siège de la cure (Morsel 2011).

Par conséquent, les limites renvoient non pas à des « limites », mais plutôt à un « ressort », c’est-à-dire l’extension du pouvoir, le rayon d’action du curé ou, métaphoriquement, le rayonnement à partir du centre/pôle qu’est l’église : les limites sont pensées par rapport au siège d’exercice du pouvoir, et leur transgression est donc conçue de manière centrifuge, sous l’espèce du débordement et non de l’invasion. Les termini ou fines (autres termes possibles pour « limites », bien qu’à Eichstätt ces mots n’aient qu’un sens temporel) devraient également être conçues ainsi, comme l’endroit où se termine, se finit le rayonnement de l’église. Ce qui définit une paroisse, ce ne sont donc pas ses limites, mais la focalisation des fidèles sur un même curé et son église : le paradigme dedans/dehors joue uniquement « au centre », au niveau de l’accès à l’église et au cimetière, et non pas au niveau de la paroisse elle-même.

On perçoit ainsi clairement toutes les différences qui existent entre la « communauté d’installés » et la paroisse, même lorsqu’elles concernent les mêmes personnes : la « communauté d’installés » a pour objet la reproduction physique des feux et de leur interrelation, tandis que la paroisse est destinée à la reproduction spirituelle des fidèles individuels [56]. Pour reprendre la terminologie de la Somme dite d’Alexandre de Halès, vers 1235/45, la paroisse serait alors une communio spiritualis, tandis que la « communauté d’installés » formerait une communio corporalis [57]. Il n’y a ainsi aucune nécessité, théorique ou pratique, à la coextensivité [58], ni à l’équivalence des modes de déplacement (déambulation dans le finage versus transitus), sinon notre conception de la circonscription administrative (c’est-à-dire étatique, territorial), ou encore de la « cellule » – évidemment présente dans l’« encellulement » de Robert Fossier.

Paroisse et « communauté d’installés » sont donc de deux natures sociales différentes, et parler de « communauté paroissiale » en parallèle à « communauté d’installés » expose à de graves contresens (sauf à rajouter à chaque fois et selon les cas les adjectifs spiritualis ou corporalis du Pseudo-Alexandre) [59]. « Communautariser » la paroisse conduirait en effet à faire disparaître le fait que l’on a affaire à la mise en place d’un ensemble de pôles (loci) qui non seulement structurent l’espace chrétien (nœuds d’un réseau), mais surtout constituent les points de passage obligatoires (ou points de transitus). Cette polarisation, que Michel Lauwers (2005a) qualifie d’inecclesiamento en raison du rôle central de l’É/église, pourrait ainsi avoir produit un ancrage spatial des populations dans la mesure où se produisait une affectation quasi automatique de l’habitant à un lieu de culte et d’inhumation précis. L’inecclesiamento pourrait alors être considéré comme une nouvelle forme d’adscriptio glebae et donc de réduction invisible de la liberté de mouvement théorique, bien que cette réduction consistât en une fixation douce fondée sur l’attrait du sacré « au centre » (le fameux « esprit de clocher »).

En effet, bien que les paroissiens fussent assignés à telle ou telle paroisse selon leur lieu de résidence dans tel village — ou, en ville, dans telle rue —, leur changement de lieu de résidence conduisait au changement de paroisse. Car le déplacement restait toujours possible et réel : on observe de fait que les populations médiévales ne cessent de bouger, non seulement pour aller au marché ou en pèlerinage ou pour se marier, mais aussi sur les terres, dès lors que l’on dispose des documents permettant de suivre nominalement les tenanciers [60]. L’immobilisme des sociétés rurales occidentales et l’attachement des paysans à la terre de leurs ancêtres ne sont en effet qu’une construction idéologique du 19e siècle [61]. La polarisation paroissiale ne signifiait par conséquent en rien une réduction de la liberté de déplacement individuelle (ce qui est congruent avec la vague d’« affranchissements » susmentionnée), mais la garantie d’une présence humaine continue — ce qui ne signifie en aucun cas des mêmes personnes —, parce que tous les lieux de culte et d’ensevelissement seraient tendanciellement fréquentés en raison de leur attractivité produite par leur conception comme lieux d’accès au sacré. On a donc ainsi affaire non pas à une polarisation des personnes, mais à une polarisation du mouvement de ces personnes — dont le pèlerinage est peut-être la forme exemplaire, le transitus, en tout cas le paradigme. L’apparente contradiction entre polarisation et mouvement se résout ainsi pour ainsi dire d’elle-même dès lors qu’on n’assimile pas polarisation et immobilisation. L’inecclesiamento ne doit donc pas être considéré comme un phénomène d’immobilisation des populations — et donc la connotation carcérale de l’« encellulement » s’avère inadéquate.

Quant au rapport entre cette mobilité polarisée et l’organisation de la production dans le cadre communautaire, on comprend aisément que la polarisation spatiale correspondait parfaitement à la nécessité de la présence d’hommes sur les terres, comme condition sine qua non de la production, mais aussi de l’appropriation seigneuriale des terres selon le « principe de Carabas », transformant ainsi les agriculteurs en dépendants paysans [62]. Par conséquent, l’Église jouait un rôle absolument déterminant dans la reproduction à long terme du système seigneurial — et l’on devrait certainement considérer que c’est ce qui a assuré sa position dominante au sein du système social (à moins de postuler quelque essentialisme à la piété des populations médiévales). En revanche, dès lors que la fluidité de la main d’œuvre devint un enjeu fondamental dans le cadre de la mise en place du salariat et d’un marché de main-d’œuvre nécessaires au capitalisme, la polarisation cléricale (l’esprit de clocher) et la domination cléricale corrélative sur les vivants comme sur les morts devinrent un problème — d’où la dispersion centrifuge des cimetières au 18e siècle, au-delà de l’argumentation du temps en termes d’hygiène de l’air (Guerreau 1996, p. 98)…

Mais alors à quoi bon les « communautés d’installés », puisque la paroisse semble assurer à elle seule la reproduction tendancielle du lien à la terre ? Je proposerais l’hypothèse suivante : le sens des « communautés d’installés » se trouve moins au niveau des villageois eux-mêmes et de leur volonté d’être ensemble (comme l’admettent les perspectives de la Genossenschaft ou du communalisme) qu’au niveau de leurs rapports aux seigneurs — et j’insiste ici sur le pluriel. Il convient en effet de considérer que la multiplicité des seigneurs qu’on peut observer dans les villages ou les villes n’est en rien la conséquence d’un enchevêtrement irrationnel des droits de propriété provoqué par des partages successoraux, ventes partielles, legs pieux, pertes militaires, etc., mais qu’elle constitue bien plutôt la structure du pouvoir seigneurial [63]. Sauf situation exceptionnelle (justement significative en tant que telle, tant par rapport à la règle que par les formes alors développées), chaque « communauté d’installés » se trouvait ainsi systématiquement face à un ensemble de seigneurs, aucune seigneurie ne constituait une cellule seigneuriale unique, si bien que la communauté des habitants ne pouvait remettre en cause la domination d’un seigneur sans menacer en même temps celle de plusieurs autres.

Le caractère infra-local du pouvoir de chaque seigneur — puisque chaque seigneur ne contrôlait qu’une partie de la communauté — avait comme corollaire le caractère multi-local du pouvoir seigneurial, chaque seigneur détenant des droits dans plusieurs lieux (Morsel 2004b, p. 175-178). Cette dispersion correspondait elle-même à un autre aspect clé, bien connu, de la transformation du système seigneurial médiéval, à savoir la réduction drastique des terres conservées en régie directe par les seigneurs (la réserve, dont l’exploitation directe n’était plus possible dans une situation d’extrême dispersion), et donc la nécessaire transformation des communautés en cadre d’organisation de la production (par opposition à la villa du système domanial). Non que les seigneurs se transformassent en rentiers du sol, par une sorte de quête de facilité, selon la classique « explication » psychologisante : ce désengagement — et plus généralement la dépersonnalisation du rapport seigneurial, qui se traduit par la réduction de la réserve tout comme par la régression du servage, et donc par l’organisation du travail au niveau de la communauté locale — était la condition sine qua non de la multi-localité du pouvoir seigneurial, elle-même corrélative, on l’a dit, de l’infra-localité, donc de la multiplicité locale des seigneurs, et donc finalement de la reproduction du pouvoir seigneurial.

Que la « communauté d’installés » devienne le cadre d’organisation du travail serait alors strictement corrélatif du fait qu’elle est en même temps un ensemble de seigneurs. La conversion des dépendants en habitants dont j’ai parlé antérieurement ne serait ainsi compréhensible qu’en tant que phénomène de dépersonnalisation symbolique des rapports de domination seigneuriale du haut Moyen Âge, qui assure la reproduction locale du pouvoir seigneurial. Si les populations ne cessent de bouger, elles le font désormais dans le cadre d’un réseau de lieux durables indépendamment de la présence des habitants, en sorte que les changements individuels ne remettent pas en cause le fonctionnement général, les déplacements individuels n’étant plus que des éléments d’une circulation (au sens propre) globale. Ce que cette société tendait désormais à reproduire, à l’échelle de l’Occident, c’étaient les rapports des agriculteurs au sol seigneurial (c’est-à-dire le moyen de production agricole approprié par les seigneurs), euphémisés par les rapports de chaque chrétien à un espace polarisé sur une église conçue comme « son » église.

Le test de la ville féodale.

Que le phénomène des communautés d’installés concernât l’ensemble de l’Occident ne doit cependant pas être conçu de manière seulement géographique (l’ensemble des régions d’Occident, sauf exception nécessairement signifiante), mais aussi sociale : il n’est pas censé s’agir non plus d’un phénomène purement rural. Il convient par conséquent de tester sur le cas urbain les hypothèses explicatives élaborées précédemment à propos des campagnes — ce qui est cependant loin d’être la chose aisée que la richesse de la documentation urbaine pourrait faire accroire, ne serait-ce que parce que l’urbain médiéval n’est pas si facile à définir qu’on pourrait l’imaginer, sauf à se contenter de nos évidences. C’est bien ce que suggère, parmi d’autres, Gudrun Wittek lorsqu’elle observe : « Qu’est-ce qu’une ville ? Qu’est-ce qui fait une ville ? C’est une question souvent posée, à laquelle on ne répond cependant jamais de façon complètement satisfaisante. La ville ne s’est jusqu’à présent pas laissée définir indépendamment du temps et de l’espace (zeit- und raumübergreifend) » (Wittek 1994, p. 165). Malheureusement, au lieu d’en tirer la conclusion qu’il ne faut sans doute pas considérer la ville comme zeit- und raumübergreifend, donc au lieu d’historiciser la notion, l’auteur de ces remarques tente de parvenir au plus petit dénominateur commun, ce qui aboutit à un résultat assez peu efficace : « une concentration plus ou moins grande d’hommes » (ibid.), bref une simple agglomération [64]. C’est pourquoi l’on ne peut qu’accepter le refus d’André Joris de considérer « la ville », dotée d’une « définition idéale… applicable en tous temps et en tous lieux » (1969, p. 96 et 100), comme un objet de recherche adéquat, auquel il oppose le « phénomène urbain » dont il préconise « une approche globale » (ibid., p. 100) — à condition toutefois que le syntagme « phénomène urbain » fasse lui-même l’objet d’une construction notionnelle, sans quoi l’on risque simplement de déplacer le problème sans le régler [65].

Ainsi, de même qu’il convient d’historiciser « le village », au-delà de l’image d’intemporalité sinon d’éternité dont joue la communication politique, marchande ou religieuse actuelle, il n’échappera à personne que, même si le mot lui-même est utilisé d’un siècle à l’autre, « la ville » n’est pas non plus une notion intemporelle désignant une réalité dont seule changerait la forme, en fonction de la modernisation des techniques de construction ou de planification. Le rejet d’une telle posture essentialiste, focalisée sur le repérage de prétendues fonctions urbaines au détriment de la compréhension des pratiques historiques de l’espace, aboutit à une approche plus dynamique dont rend bien compte le concept de « fabrique urbaine » (Galinié 2000, Noizet 2007) : loin de se limiter aux seuls aspects matériels (histoire de la construction, urbanisme), ce syntagme renvoie à l’examen des interactions entre les hommes à propos de l’espace et donc entre les hommes et l’espace, à des échelles temporelles et causales nécessairement variables.

Revalorisant ainsi les changements face aux prétendues continuités, on pourrait même soutenir que « la ville » occidentale (c’est-à-dire ce que nous considérons comme « la ville ») est née/apparue [66] à partir de la fin du 11e siècle, malgré cette illusion de continuité qu’entretiennent l’existence d’agglomérations plus ou moins populeuses et actives au sortir du Bas-Empire, puis celle de civitates au haut Moyen Âge localisées au même endroit et absorbées par les villes des 12e-13e siècles, ainsi que l’usage durable du terme de civitas. Toutefois, une continuité topographique ne signifie rien en soi (les lycées, hôpitaux, casernes ou hôtels de ville installés dans d’anciens monastères ont-ils le même sens social que ceux-ci ?) et les civitates du haut Moyen Âge ne sont que des agglomérations, au caractère agraire souvent prononcé et dont la désignation comme civitas signale moins le caractère urbain que la présence d’un évêque. Il ne s’agit d’ailleurs le plus souvent que d’un noyau de peuplement parmi l’ensemble de ceux qui, plus tard, ont pu donner naissance à une ville [67]. Bref, les cités antiques ont fondamentalement disparu en même temps que le système social lié à l’Empire romain.

En revanche, les 12e-13e siècles sont le moment auquel commence à se mettre en place un ensemble de formes urbaines, par la fondation de villes ex nihilo ou la transformation d’agglomérations (anciennes ou nouvelles) en villes [68]. Le contexte à prendre en compte est celui de la formation des « communautés d’installés », dont la ville n’est qu’un cas particulier [69]. Rien ne permet en effet de considérer la ville comme prédisposée initialement à l’emporter sur l’ensemble des formes d’organisation humaine ni à s’opposer à la campagne dans le cadre d’un schéma binaire qui ne l’emporte sans doute vraiment qu’à partir du 18e siècle. Cet ensemble est pour l’essentiel en place à la fin du 13e siècle, qu’il s’agisse de la France, de l’Angleterre ou de l’Empire (à la fin du 14e siècle dans les régions de l’Est) [70], et il n’a pas connu de changements majeurs avant la Révolution industrielle (qui justement caractérise un tout autre système social).

Corollairement, on peut observer une profonde transformation du champ lexical urbain, que rien n’autorise à considérer comme insignifiant. Schématiquement, cette transformation est double. D’une part, alors que le latin christianisé a forgé et transmis aux langues vernaculaires une quantité colossale de termes, on assiste exactement à la situation inverse à propos des mots de « la ville » : les termes, couramment employés dans les textes latins [71], oppidum, urbs et civitas ainsi que leurs dérivés ont, pour les deux premiers, entièrement disparu des langues vernaculaires médiévales au profit de mots sans aucun rapport avec les termes latins (ville, town, stadt) articulés à d’autres termes tout autant nouveaux (ville/bourg/village, town/borough/village, stadt/markt/dorf). Urbs ne survit plus ainsi qu’à travers des termes savants et rares (et employés initialement moins pour l’espace urbain qu’au sens figuré) comme « urbanité » ou « urbain ». Quant à civitas, il devient certes le terme clé pour la désignation des villes de l’Europe latine méditerranéenne [72], mais au prix d’une profonde re-sémantisation, à savoir le lien avec la présence d’un évêque — ce qui explique aussi qu’ailleurs (et même pas dans l’Empire), il puisse désigner un quartier particulier au sein de la ville, celui de la cathédrale (cf. l’île de la Cité à Paris ou la City à Londres). Un tel bouleversement du champ lexical, qui plus est à rebours de la tendance dominante de latinisation du vocabulaire, ne peut être tenu pour insignifiant : il est le signe de ce qu’un profond changement social était à l’œuvre, mais il en a aussi été un facteur décisif.

Le second aspect de la transformation du champ lexical à propos de ce que nous appelons « ville » concerne les termes désormais mobilisés (hors de l’espace méditerranéen, je le rappelle) : non seulement ils ne sont pas d’origine latine, mais surtout ils sont d’origine rurale, comme le montre, en français, la présence du même étymon villa dans « village » et « ville » et, en anglais, le sens initialement rural de town. La dichotomie rural/urbain qui nous est si familière ne va donc pas de soi, et son usage à propos du Moyen Âge nous contraint à une gymnastique classificatoire qui se heurte en permanence à des formes hybrides (bourgs et bourgades, Flecken, quasi-cittá, etc.) et dont l’intérêt scientifique est finalement médiocre ; est-il vraiment important, par exemple, de rattacher telle bastide à la catégorie « ville », telle autre à la catégorie « village », en signalant alors que telle bastide rurale est une bastide qui a échoué… ? On perçoit ainsi combien une approche historique de la « ville féodale » contraint à modifier complètement notre système d’opposition et de groupement des objets, à faire courir la ligne de distinction non pas entre ville et village, mais par rapport à la cité antique et la ville industrielle [73].

Rien ne permet par conséquent de poser par principe que l’« installation », dans ses aspects de la résidence, de l’organisation de la production, de la polarisation sotériologique (c’est-à-dire des moyens de Salut) et de la confrontation à un groupe seigneurial, ne vaille pas également pour la ville. Pour ce qui est de ce dernier point, la multiplicité des seigneurs est une situation tout à fait courante et même systématique [74], et elle a pu se traduire (et donc s’entretenir) par l’estampillage des maisons (observé à Paris au moins à la fin du Moyen Âge — voir Roux 1995, p. 131-132 — sans qu’on sache depuis quand cette pratique avait cours), dont certaines pouvaient même être construites sur plusieurs censives distinctes mais voisines [75]. Le détenteur de la maison en question, relevant ainsi de plusieurs seigneurs en même temps, était alors dans une situation identique à celle, déjà signalée, d’un villageois tenant des terres de plusieurs seigneurs [76].

Pourtant, la question de la ville en tant que communauté d’installés doit être posée, dans la mesure où la ville n’apparaît à première vue ni comme une communauté de production ni comme une communauté de Salut — puisqu’elle est censée être caractérisée à la fois par la division du travail, et par une multiplicité des paroisses. Comment dès lors le paradigme de « l’installation » envisagé au village pourrait-il être possible ? Le cas urbain vient enrichir la réflexion, en même temps que ce mode de questionnement permet d’envisager autrement certains points de l’histoire urbaine. Afin d’éviter les situations biaisées liées aux incertitudes de notre distinction entre villes et campagnes, je m’appuierai essentiellement sur des travaux d’histoire urbaine concernant les « têtes de réseau urbain » de l’espace occidental non méditerranéen (France, Angleterre et Allemagne), à savoir Paris, Londres, Cologne et Lubeck [77].

La ville comme communauté productive.

On a vu qu’un caractère fondamental du système seigneurial est que désormais l’organisation productive s’accomplit au niveau du village, et qu’au village, l’appropriation collective du finage dans le cadre de l’organisation productive (y compris l’accès aux communaux) est ce qui permet d’articuler les feux en une « communauté d’installés ». Mais dans le cas de la ville, le rapport entre feu et communauté n’est pas aussi direct, car la « communauté d’installés » ne peut y former le cadre pratique de l’organisation de la production : l’une des principales caractéristiques de la ville est, Jacques Le Goff y a déjà insisté depuis longtemps, la division du travail (par exemple, 1957, p. 9) [78]. La ville a une dimension polyfonctionnelle qui constitue justement une grande différence par rapport aux agglomérations du haut Moyen Âge [79], mais aussi par rapport aux agglomérations slaves à la période étudiée [80] — sans parler bien sûr des villages, fondamentalement monofonctionnels (ce que ne remet absolument pas en cause la présence d’un ou deux « spécialistes » comme le forgeron ou le potier, ou encore le meunier, qui ont le plus souvent aussi des terres [81]).

En ville, la « communauté d’installés » n’est ainsi pas le cadre d’organisation des activités matérielles (agricoles, artisanales ou marchandes), ce qui pose alors le problème de l’articulation entre les feux (noyau de résidence et de production) et la communauté. Or c’est justement sans doute ainsi que l’on peut comprendre la mise en place d’une forme spécifique d’organisation, censée permettre d’articuler ensemble et à l’échelle de la communauté les feux « spécialisés » d’une même activité (ateliers ou ouvroirs, échoppes, peut-être aussi exploitations agricoles intra muros) : le « métier » ou la « guilde » (« hanse », zunft, fraternitas, mistery, etc.) [82].

La lutte contre la concurrence ou la recherche de la qualité, en général évoquées pour expliquer l’existence de ces « métiers » (reprenant ainsi parfois même des argumentations médiévales [83] — comme si celles-ci pouvaient correspondre à une perception objective du fonctionnement social, et comme si la lutte contre « l’envie » et « la convoitise » pouvait être considérée simplement sous un angle économique), passent ainsi à côté de l’efficacité structurelle propre du système des métiers, qui articule les divers ateliers en une structure de production « de la ville » : la bonne compréhension du sens social du « métier » est oblitérée par la négligence du segment « de/à/dans (telle ville) » qui accompagne systématiquement la mention de celui-là — on est tisserand de Bruges, fèvre-coutelier de Paris, boulanger de Pontoise, lormier de Londres, etc. On ne produit donc pas en son nom propre (à l’inverse du système actuel des « marques »), mais au nom de la ville (d’où l’équivalence fixe qui peut s’établir entre nom du produit et nom de la ville — d’où également l’existence de prix locaux, relevés par les manuels de marchands, et non pas de prix propres à tel producteur).

C’est ainsi moins sur le résultat de la normation (le processus de production, le produit) que sur le fait même de la normation qu’il faut se pencher : à titre d’exemple, les fameux bans échevinaux de Douai du 13e siècle (Espinas et Pirenne 1909) ne sont à réduire ni à une définition technique, ni à un contrôle patricien sur le monde des métiers, ni à des préoccupations antilibérales ou charitables ; ils sont avant tout indispensables à la reproduction de la « communauté d’installés » à partir de ses feux — et d’eux seulement, on le verra. Le système des métiers n’est ainsi pas un système « conservateur », comme on le soulignait fréquemment au 19e et au 20e siècle dans une perspective libérale hostile au corporatisme, mais un moyen de faire de la ville une « communauté d’installés » sans communauté d’activité effective. L’appartenance à un « métier » n’a ainsi rien à voir avec la définition de la profession (qui n’est grille de lecture — donc de configuration — de l’ordre social que dans notre société) ou un simple droit d’exercice — c’est en premier lieu un mode d’appartenance à la ville, en l’occurrence l’une des principales façons d’être « habitant » de la ville [84].

La place de l’organisation productive dans le fonctionnement urbain serait donc homologue de celle dans le fonctionnement villageois, et pour ce qui est du cas anglais, Rodney Hilton voyait dans l’organisation en métiers « une sorte de police municipale » permettant aux « gouvernements municipaux » de contrôler « l’économie industrielle » au même titre (mais plus efficacement) que « le faisaient les propriétaires terriens pour l’économie rurale » (Hilton 1990, p. 25) [85]. Toutefois, si la dimension du contrôle dans l’organisation des « métiers » ne fait aucun doute, il est clair qu’il est réducteur de s’arrêter là : cette organisation a un effet structurant essentiel au niveau de la communauté d’installés, car elle permet justement à la ville d’être une communauté d’installés.

Consécutivement, l’appartenance au système des métiers constitue un enjeu de l’appartenance à la communauté urbaine : ceux dont on ne veut pas ou qui ne veulent pas appartenir à la « communauté d’installés » sont exclus du monde des métiers ; ceux qui veulent (ou sont censés) appartenir mais « à part » (en général « au-dessus ») sont organisés de manière homologique (c’est-à-dire à l’échelle de la « communauté d’installés »), mais de manière formellement (par les divers modes de représentation) distincte. Le cas parisien est significatif à cet égard : on y observe d’une part l’exclusion des artisans juifs du système des « métiers », ce qui est en général expliqué par le fait que les « métiers » sont nécessairement chrétiens puisqu’ils sont souvent doublés d’une confrérie. Il ne s’agit là cependant que d’une explication superficielle (surtout si on laisse de côté l’observation triviale que, dans la société chrétienne, tous les non-juifs sont nécessairement chrétiens, ce qui ne ferait pas du « métier » une forme spécifiquement chrétienne, mais uniquement par extension ou dérivation), ces deux aspects (« métier » et « confrérie ») n’étant corrélés entre eux que par l’intermédiaire d’un troisième aspect, qui est justement l’existence nécessaire d’une articulation entre feux ou personnes et « communauté d’installés », articulation devant être assurée charnellement et spirituellement [86]. On sait par ailleurs qu’il pouvait exister des formes alternatives d’organisation des métiers, correspondant à l’existence de seigneurs concurrents : il existait par exemple des « métiers » de l’évêque [87] ou encore de l’abbaye de Sainte-Geneviève [88], dont l’affirmation face aux autres « métiers » parisiens peut justement être considérée comme une forme de résistance seigneuriale à la formation de la « communauté d’installés » [89].

D’autre part, on observe à Paris des cas significatifs de « mise à part » de certains types de « métiers », dont l’expression la plus significative est leur absence du Livre des métiers du prévôt du roi Étienne Boileau (v. 1268), qu’on ne peut en aucun cas réduire à une énumération descriptive : comme toute entreprise de formalisation écrite, il s’agit de construire un être social particulier, ici le monde des métiers [90], c’est-à-dire un mode spécifique d’appartenance à la ville. On retiendra essentiellement trois formes d’absence : en premier lieu le cas des « marchands de l’eau », organisés précocement (dès le règne de Louis VI ?) au niveau parisien [91], mais qui ne se considèrent en aucun cas comme un simple « métier » — ils constituent tout simplement le « patriciat » parisien, qui contrôle le fonctionnement « municipal » de la ville (Bove 2004), c’est-à-dire qu’ils tentent prioritairement de mobiliser la ville au service de leurs intérêts (largement convergents avec ceux de l’ensemble de l’aristocratie locale, à laquelle ils sont étroitement liés dès le 12e siècle [92], voir Bournazel 1975, p. 59 et p. 69-90). Un autre type d’absence est celui du « métier » des bouchers, organisés également précocement [93] : ils détiennent collectivement des privilèges et occupent un espace clairement défini (au contraire des autres métiers), mais sont traditionnellement à part dans la société et l’imaginaire social [94] — non seulement à Paris, mais aussi dans beaucoup de villes.

Le troisième type d’absence est celui des universitaires : il a déjà été observé que l’université était structurée de manière analogue à un « métier » urbain, la hiérarchie écolier-bachelier-maître étant strictement parallèle à celle d’apprenti-valet-maître des « métiers » (Verger 1973, p. 65) [95]. On sait par ailleurs que l’articulation entre l’université et la « communauté d’installés » a été délicate, le diplôme accordé en 1200 par Philippe Auguste ayant apparemment abouti à une sorte de juxtaposition (Morsel 2000b, p. 373-374) [96], ce qui pourrait sembler faire aller de soi l’absence des universitaires dans le Livre des métiers : quelle n’est pas alors la surprise de trouver, à la fin du préambule, le début d’un article concernant les écoliers, probablement jamais écrit [97], qui montre combien l’assimilation à un « métier » pouvait constituer un enjeu de première importance du point de vue du positionnement en ville.

On observera cependant qu’en dépit de ces formes d’organisation parallèle, qui pourraient sembler faire de la ville une juxtaposition hétérogène de groupes, tout ceci converge en fait dans le même sens : car chacune de ces formes (l’ensemble des métiers enregistrés par Boileau, la hanse des marchands de l’eau, la boucherie, l’université) se présente comme étant « de Paris ». Ainsi, au-delà des écarts (qui relèvent de stratégies de pouvoir au sein de la communauté), c’est toujours la « communauté d’installés » qui est promue — et l’on peut même considérer qu’elle se renforce à proportion des revendications et oppositions entre métiers et formes analogues dès lors que le qualificatif « de Paris » n’est justement pas remis en cause mais tacitement admis, sur le mode de l’évidence : elle gagne alors à chaque fois un supplément d’existence, en tant que dimension « naturelle ».

Ceci n’est toutefois effectif que pour autant que chacune de ces formes ne corresponde pas à un sous-ensemble spatial particulier : si l’organisation en « métiers » (et/ou hanses, guildes, etc.) avait abouti à un fractionnement de l’espace urbain (sachant qu’il y avait très largement identité entre lieu d’habitation et de production), on pourrait plus difficilement considérer cette organisation en « métiers » comme un fondement de l’existence de la « communauté d’installés » dans son ensemble. Or, précisément, les travaux de socio-topographie urbaine ont montré la très large inexistence d’un tel zoning professionnel dans la ville médiévale, même lorsqu’on peut observer la localisation concentrée de certaines activités en raison d’impératifs techniques (besoin d’eau ou nuisances induites). Johannes Cramer (1984) a ainsi démontré, principalement pour l’Empire (mais avec quelques incursions en France), la fragilité méthodologique des affirmations d’une existence de prétendus « quartiers » professionnels (relevé des noms de rue ou de quartiers, repérages ponctuels et isolés des feux) : nulle part ne se laisse observer avec certitude l’existence de tels quartiers, y compris dans le cas du « métier » peut-être le plus problématique, celui de la tannerie (qui cumule les facteurs de rejet, liés au travail de produits liés à la mort, aux terribles odeurs induites par le procédé technique et au besoin d’eau, polluée après son usage).

L’examen détaillé du cas des tanneries dans l’Empire par le même auteur (Cramer 1981) montre que si l’on peut observer une tendance à la concentration des tanneries dans certains endroits de la ville (à la périphérie ou dans certaines rues, le long de ruisseaux ou du cours d’eau majeur), la formation d’un « quartier » réservé aux tanneurs n’est observable que dans quelques villes (notamment Ulm, Colmar, Strasbourg, Nördlingen, Leipzig, Görlitz), mais apparemment pas avant l’extrême fin du Moyen Âge [98]. À ce moment-là d’ailleurs, on peut observer en certains endroits une dissociation entre le lieu de production et le lieu d’habitation des tanneurs, ce qui fait donc cesser aux tanneries d’être des « feux » à proprement parler (et les tanneurs sont de fait recensés à leur lieu d’habitation, considéré comme leur « feu », voisin de divers « non-tanneurs »), selon un procédé que l’on peut repérer également là où se produit une certaine concentration des activités de boucherie [99].

Dans le cas de Paris, les rôles de taille des dernières années du 13e et du début du 14e siècle permettent d’observer que, s’il existe parfois une certaine concentration locale d’activités particulières (parfois imposée par le pouvoir à des fins de contrôle, comme pour le change installé sur le Grand Pont — avec là encore une dissociation du lieu d’exercice et du lieu de résidence), il ne s’agit jamais d’une concentration exclusive : d’autres membres du « métier » se rencontrent ailleurs dans la ville et des membres d’autres « métiers » sont actifs à l’endroit considéré. Quant aux noms de rues formés sur des métiers particuliers, ils ne correspondent que de manière épisodique aux activités qu’on y rencontre. Ceci ne signifie évidemment pas qu’il existe une relative homogénéité sociale de la ville : les registres de taille permettent clairement d’observer les inégalités de niveau de taxation (donc de fortune) d’une paroisse à l’autre. Mais une telle inégalité de la distribution spatiale, sans doute implicitement connue des habitants, n’était pas cristallisée et « dramatisée » par une distribution spatiale stricte des métiers (Cazelles 1972, p. 90-91) [100].

La même chose peut être observée à Cologne en 1286 (quoique pour la seule paroisse St-Kolumba — toutefois la plus importante de la ville) : les activités artisanales y apparaissent très largement mélangées. Tout au plus peut-on parfois observer côte à côte deux artisans exerçant la même activité, sans que cela exclue la présence d’autres artisans de même activité dans d’autres rues, ni des artisans ayant d’autres spécialités dans cette même rue (Herborn 1975). La même chose peut être dite pour un quartier de Lubeck (l’un des secteurs centraux au bord de la Trave) suivi entre 1284 et 1348 (Falk et Hammel 1987), ainsi que pour 17 métiers de Greifswald entre 1350 et 1450 (Igel 2005, notamment p. 232-236 et 244 — plan malheureusement peu lisible) [101], ou encore pour les « métiers » liés à un usage de l’eau à Bruxelles — alors que, justement, l’emplacement des ateliers était soumis à une contrainte qui aurait pu se solder par une concentration qu’on n’observe guère (Deligne 2003).

Cette dispersion fondamentale des « feux » relevant d’un même métier (même si cette dispersion n’est pas complètement aléatoire et même si des noms de rues peuvent donner l’impression de regroupements professionnels) apparaît ainsi comme un complément essentiel de l’efficacité du système des « métiers » dans la configuration de la « communauté d’installés ». En effet, non seulement ce système permet de faire de chaque artisan (ou commerçant) spécialisé un habitant de la ville, mais en outre la large dispersion des ateliers et échoppes vient éviter que ce système des « métiers » ne débouche sur une juxtaposition de macrocellules productives. Cette mixtion « professionnelle » et de l’habitat garantissait ainsi une bonne intégration sociale, à la fois du point de vue des représentations (sentiment d’appartenance collective à la ville indépendamment des différences d’activité), mais peut-être aussi du point de vue de la cohésion concrète [102].

On ne peut ainsi en aucun cas réduire le système des « métiers » à une simple institution politico-économique (témoignant au passage du caractère archaïque et sous-développé de la société médiévale) ni non plus à un simple conservatoire/laboratoire d’un fonctionnement communautaire d’origine carolingienne, passé par analogie ou imitation dans la commune urbaine : ce système a joué un rôle essentiel et actif (c’est-à-dire pas seulement référentiel) dans la sociogenèse des « communautés d’installés » urbaines.

La ville comme communauté de Salut.

L’identification directe d’une ville comme communauté de Salut, analogue à ce qu’est la paroisse pour le village, n’est pas plus aisée que comme une communauté de production. En effet, beaucoup de villes comprennent plusieurs paroisses, moins pour des raisons d’encadrement d’une population nombreuse que de l’origine polynucléaire des villes — l’accroissement démographique ayant pu ensuite aboutir à la subdivision d’anciennes paroisses ou à la création ex nihilo de nouvelles paroisses dans les interstices ou à la périphérie. Avec ses quelque 110 paroisses au début du 13e siècle (Brooke et Keir 1975, p. 122-131, Holt et Rosser 1990, p. 13, Hilton 1990, p. 27) [103], Londres est la championne absolue en la matière, bien qu’elle soit loin d’égaler l’importance démographique de Paris, qui n’a alors qu’une trentaine de paroisses (Friedman 1959, Cazelles 1972, p. 18, et surtout Bourlet et Bethe 2013, p. 162) pour plus de 200 000 habitants vers 1320 (contre ca. 80 000 à Londres). À la même époque, Cologne avait 19 paroisses pour une population d’environ 35 000 habitants. Ces trois exemples illustrent parfaitement le fait bien connu qu’il n’y a aucun rapport entre le nombre des paroisses et le nombre d’habitants [104] — la logique sociale est ailleurs. On rencontre d’ailleurs des villes notables qui n’ont qu’une seule paroisse, comme Francfort/Main ou Besançon [105], mais en ce cas, les établissements ecclésiastiques réguliers (abbayes de chanoines réguliers et surtout, à partir du 13e siècle, couvents mendiants) servent clairement de relais pour la pratique « normale », en dehors des grands « rites de passage » de la vie des laïcs (baptême, communion pascale, éventuellement mariage), mais aussi souvent pour l’inhumation. Il faut ainsi non seulement tenir compte des églises paroissiales, mais aussi de l’ensemble des établissements ecclésiastiques (absents de l’espace villageois, sauf parfois un monastère ou un prieuré — mais qui n’ont aucune fonction pastorale du fait de leur règle de clôture) pour tenter de comprendre comment on pouvait passer de cette multiplicité (ce que Jacques Chiffoleau appelle le « polycentrisme religieux », 2001) à une conception de l’appartenance à une communauté de Salut, sachant que le modèle de base (réactivé par le concile de Latran IV) reste le Salut individuel.

La question se pose d’autant plus que certaines paroisses urbaines pouvaient servir de base à l’organisation « profane » de la « communauté d’installés », soit parce qu’elles correspondaient précisément à des ressorts seigneuriaux, comme à Paris (Friedman 1959), soit parce qu’elles ont servi de base à la définition de « quartiers » (quarterius, quartale, carton, quartier, viertel, ort, quarter ainsi que des termes qui renvoient à des divisions en plus de quatre parties : sestier, sizain, etc.) [106], c’est-à-dire des subdivisions institutionnelles de l’espace urbain dans le cadre desquelles sont censées être assurées certaines fonctions particulières, notamment en matière fiscale et défensive, parfois aussi électorale. Bref, si l’on devait absolument les comparer à des formes urbaines actuelles, ce serait plutôt une sorte d’« arrondissement » [107].

Ainsi à Cologne, la ville est organisée en de tels « quartiers », au nombre de 19, dénommés Kirchspiele et qui sont largement coextensifs avec les paroisses — comme le sous-entend d’ailleurs le mot Kirchspiel (que je traduirais littéralement par « ressort ecclésial ») ainsi que le vocable de la plupart d’entre eux, sans parler du droit de présentation du curé que beaucoup ont obtenu au 13e siècle (Erkens 1998, p. 178-181). Ceci conduit notamment à des formes d’assimilation de la paroisse avec le Kirchspiel. C’est ainsi que la rédaction des coutumes du Kirchspiel de Niederich (au nord de la ville intra-muros) vers 1150 s’intitule traditiones et leges… in parrochia Nitherich [108], alors que ce Kirchspiel ne correspond pas à une seule paroisse (voir Illustration 2), ou encore que les sceaux utilisés dans ce cadre hésitent entre la dimension paroissiale et la dimension « civile » [109]. Mais si l’on peut (et doit) ainsi considérer que la paroisse urbaine jouait un rôle identique à celui de la paroisse rurale dans l’intégration collective des chrétiens, au point d’aboutir à la formation de petites « communautés d’installés » dès lors que l’organisation paroissiale était redoublée par la structuration seigneuriale (comme à Paris) ou une organisation municipale (comme à Cologne), et si l’on admet que la sociogenèse des « communautés d’installés » devait être indissolublement spirituelle et corporelle, alors il faut tenter de comprendre comment cette situation d’hétérogénéité paroissiale a été dépassée.

Illustration 2 : Localisation dans les paroisses de Cologne des maisons données à trois confréries. Sources : pour la localisation Morsel 2013, pour la réalisation cartographique Noizet 2013.

On pourrait songer, à la suite de Jacques Chiffoleau (2000), à la pratique des fondations de messes anniversaires par un même habitant dans divers établissements ecclésiastiques de la ville. Mais outre que cette pratique est mal connue dans le détail de ses réalisations pour la période considérée [110], il est difficile de la lire comme un mode d’appartenance à une communauté spirituelle parisienne : l’inscription sur l’obituaire intègre au mieux à la communauté des chrétiens commémorés dans l’église en question, les messes sont fondées pour le salut de l’âme du fondateur, parfois aussi de ses proches et éventuellement pour tous les chrétiens, guère pour les seuls Parisiens ni au profit du culte divin local (par la fondation d’objets et « infrastructures » liturgiques, comme on pourra l’observer à Nuremberg dans la seconde moitié du 15e siècle, voir Staub 1995 [111]). Il faut par conséquent trouver d’autres modes d’intégration collective des individus chrétiens, susceptibles d’articuler l’inévitable appartenance paroissiale et l’appartenance à la ville en tant que communauté de Salut — une sorte de super-paroisse, en somme.

L’un d’eux pourrait être celui des processions urbaines générales, au-delà du seul cadre paroissial. Les Rogations, puis aussi (à partir de la fin du 13e siècle) la Fête-Dieu sont les principales processions régulières à travers toute la ville (per civitatem ou per villam [112]), à quoi pouvaient s’ajouter des processions générales exceptionnelles pour conjurer un danger (Chiffoleau 1990, Signori 1995, p. 247-269) ou célébrer un événement important (par exemple, une bataille, voir Graf 1991, 2003). L’examen qui a été fait récemment de la pratique des Rogations à la fin du Moyen Âge (Kuchenbuch, Morsel et Scheler 2010, p. 167-179) montre d’une part qu’elles étaient organisées par le clergé lui-même (dont il exprimait le caractère médiateur incontournable entre les hommes et dieu), d’autre part que leur mention et, possiblement, leur pratique présente un caractère fondamentalement urbain (sinon limité aux cités épiscopales), enfin qu’il s’agissait avant tout d’un rite « trans-ecclésial » (en ce sens qu’il consistait systématiquement à articuler plusieurs églises locales entre elles) organisé, dans les cités, à partir du pôle principal qu’était la cathédrale. Les Rogations avaient ainsi pour effet d’établir une spatialité cléricale, trans-paroissiale, en ville, sous la forme d’une « mise en réseau » des différentes églises — un réseau à la fois hiérarchisé (par le départ et le retour, trois jours de suite, de et à la cathédrale) et s’étendant, de manière rayonnante, jusqu’à la périphérie (voire, lorsque c’est possible, à l’une des hauteurs périphériques surplombant la ville — ce qui nous rappelle que la maîtrise de l’espace passe aussi par celle du relief).

On pourrait, en revanche, considérer que le succès de la Fête-Dieu pour la question qui nous occupe présente un double intérêt : d’une part, à la différence des Rogations, centrées sur les reliques, la Fête-Dieu est centrée sur l’hostie (d’où le nom courant de procession du Corpus Christi), c’est-à-dire une espèce strictement monopolisée par le clergé (alors que n’importe qui peut avoir chez soi des reliques, ce qui relativise d’autant leur puissance de focalisation sur les églises — sauf à y multiplier les reliques de saints prestigieux, avec tous les risques que cela représentait en matière de trafic, bien mis en scène par Chaucer dans ses Contes de Canterbury) et réalisée par le clergé lors de la consécration eucharistique. D’autre part, le corpus Christi présente une dimension « communautaire » nettement plus affirmée que les Rogations en raison de la théologie de la communion qui fait de la consécration eucharistique à la fois l’effectuation du corps du Christ et du « corps mystique » qu’est l’ensemble des chrétiens (Lubac 1944). Toutefois, on ne perdra pas de vue que le corpus Christi (qu’il s’agisse de l’hostie ou de la procession, dans les deux cas effectuées localement) n’est pas censé fonder une communauté locale, mais intégrer à l’ensemble de l’Église — ce qui signifie qu’on ne peut pas exclure que l’instauration et le développement de la Fête-Dieu doivent être considérées comme une forme de réaction (sur le mode de l’intégration à une échelle beaucoup plus vaste contre le développement des communautés d’installés, conçu comme une modalité de division (charnelle)).

Outre cette intégration annuelle des paroissiens en un ensemble chrétien proprement urbain, il me semble qu’on doit également prendre en compte une autre forme de dépassement de l’appartenance étroitement paroissiale : les confréries. On connaît malheureusement assez mal les confréries des 12e-13e siècles dès lors qu’il ne s’agit pas de confréries de clercs (comme celle du Mans, voir Vincent 1993) ou spécifiquement « accrochées » à un établissement ecclésiastique (comme la confrérie des « fèvres » de Caen « domiciliée » dans une abbaye pré-montrée extérieure à la ville et qui fait bénéficier les confrères du trésor des suffrages de l’ensemble de l’ordre prémontré, voir De Boüard 1957). Toutefois, le cas de Cologne a bénéficié, ces dernières années, d’un important travail de publication de documents [113] qui permet un certain nombre d’observations. Hermann Jakobs (1985) a déjà clairement souligné le lien étroit qui existe entre la constitution de formes confraternelles (guildes, métiers, confréries), qu’il subsume sous le nom de Bruderschaft (à traduire ici par « confraternité » et correspondant au terme latin fraternitas dont usent alors les textes), et la formation de la « commune » de Cologne (soulèvement de 1074, contrôle des murailles en 1106, coniuratio pro libertate en 1112, etc.). Sa démarche est toutefois essentiellement institutionnelle et consiste à faire apparaître les points de recoupement (personnels, spatiaux ou institutionnels) entre les diverses formes confraternelles, pour expliquer comment se forme et s’impose le pouvoir communal (au profit d’une élite elle-même organisée confraternellement, dans le cadre de la Richerzeche – le « club des puissants »). Mais ceci ne permet pas, me semble-t-il, de comprendre comment l’hétérogénéité fondamentale de la ville (à Cologne au moins autant qu’ailleurs) a pu être dépassée au profit d’un espace social urbain. Il importe pour cela d’intégrer à l’analyse la dimension proprement spatiale (tant dans l’espace concret que dans les représentations spatiales) des « confraternités ».

L’ambiguïté (pour nous) du terme fraternitas ne doit évidemment pas être considérée comme un signe d’imprécision sémantique (implicitement corrélé à un sous-développement social ou culturel) : c’est là uniquement le signe de ce que notre mode de distinction entre « métier » et « confrérie » (sous-tendu par notre distinction courante entre économie et religion) n’avait pas cours dans cette société. De fait, le cadre du « métier » est l’un des plus anciens cadres d’apparition et de développement des confréries de laïcs (voir le cas susmentionné des « fèvres » de Caen), avant que s’en soient détachées et organisées parallèlement (sur le modèle des confréries de clercs ?) des confréries de « métier », en parallèle aux « métiers » eux-mêmes. Les « métiers » conservent ensuite souvent, de cette situation antérieure, quelques traits caritatifs (la caisse de secours), mais les confréries de « métier » ne se préoccupent normalement pas du tout des aspects productifs et techniques du « métier », ce qui a aussi pour corollaire qu’elles ne recrutent pas seulement parmi les membres du « métier » concerné. Mais dans la mesure où les membres du « métier » en question y sont dominants et où, comme on l’a vu antérieurement, ces membres du « métier » sont généralement dispersés à travers l’espace urbain, on peut en conclure logiquement, même en l’absence de listes de membres, que les confréries de « métier » assemblaient sans doute des personnes appartenant à des paroisses différentes.

On peut probablement en dire autant de la « Grande confrérie Notre-Dame aux prêtres et bourgeois de Paris », dont la plus ancienne mention sûre remonte à 1203 (Le Roux de Lincy 1844, Vaquier 1911) [114], qui assemblait des membres résidant dans diverses paroisses (ce que confirme également l’obituaire de la confrérie, dans lequel est fréquemment mentionnée l’église paroissiale également chargée de la commémoration, voir Bove 2000, p. 259, note 21). Le cas de la confrérie Saint-Wolfgang de Ratisbonne présente des traits particuliers, mais qui, en définitive, rendent sa fonction sociale comparable : sa plus ancienne mention sûre remonte à 1201, mais elle est expressément organisée en huit « branches » (appelées elles aussi fraternitates) localisées chacune dans un des établissements ecclésiastiques séculiers ou réguliers qui, par ailleurs, constituent les pôles paroissiaux. Par conséquent, la confrérie dans son ensemble recrutait à la fois au niveau paroissial et à l’échelle de la ville, et la possibilité existait, en tout cas à la fin du Moyen Âge et moyennant finance, de mobiliser lors de ses obsèques les huit « branches », représentées par leurs cierges [115].

Dès lors, toutefois que l’on n’a pas affaire à une confrérie dont le recrutement est catégoriel (ou alors relative à une catégorie dont on ignore la distribution spatiale), ou pour laquelle on ne dispose pas de listes de membres, la mesure de son caractère communautaire à l’échelle urbaine devient délicate. C’est là que le cas colonais peut nous aider. Huit confréries « de laïcs » y ont jusqu’à présent été repérées avant 1300 [116], mais la documentation les concernant est plutôt maigre. Quatre ne sont connues que par une unique mention, une seulement présente une liste de membres (composée pour l’essentiel de prénoms…), une autre un nécrologe et une liste de donateurs (dont « l’adresse » à Cologne est difficile à trouver…). Il est par conséquent particulièrement malaisé de mesurer l’échelle de dispersion de ces confréries.

Toutefois, on dispose pour trois d’entre elles d’indications concernant des maisons de Cologne qui sont en leur possession ou qui leur sont explicitement données, et l’on peut raisonnablement penser que la concentration ou la dispersion spatiales de celles-ci pourraient être considérées comme l’indice du rayonnement de la confrérie en question [117]. Par ailleurs, l’existence à Cologne de l’extraordinaire documentation des Schreinsbücher, qui enregistrent depuis le 12e siècle une bonne partie des mutations immobilières, qu’elles localisent à peu près précisément et dont Hermann Keussen (1910) a recoupé les localisations, permet de cartographier ces possessions (voir Illustration 2) [118].

Pour la confrérie du Saint-Esprit, fondée en relation avec l’hôpital du Saint-Esprit (directement auprès de la cathédrale), on dispose de près d’une trentaine de telles localisations jusqu’à la fin du 13e siècle (Militzer 1997-99, n° 42.1-42.34, p. 654-669) : elles se répartissent un peu partout dans l’espace colonais [119], notamment dans neuf à dix paroisses [120]. La confrérie des Rois Mages, également liée (mais cette fois directement) à la cathédrale, est moins bien documentée : on ne connaît qu’une quinzaine de transactions (dont plus de la moitié — et les plus anciennes — sont mentionnées par un seul document et ne figurent pas dans les Schreinsbücher) pour la seconde moitié du 13e siècle (Militzer 1997-99, n° 26.1-26.8, p. 306-310). Elles se répartissent sur toute la moitié nord de la ville [121], en particulier sur cinq paroisses [122] ; il s’agit probablement d’un minimum étant donné la forme de la documentation. Cette incertitude est encore plus grande pour la confrérie Sainte-Croix, liée à la collégiale St. Maria ad Gradus (toujours à proximité immédiate de la cathédrale), pour laquelle on ne connaît que quatre possessions entre 1292 et 1300 (Militzer 1997-99, n° 86.1-86.5, p. 1030-1031) : elles se répartissent sur le centre (Herzogstraße, Breite Straße : paroisse St. Kolumba) et le nord (Maria-Ablaß-Platz : paroisse St. Maria Ablaß) [123]. En dépit du caractère inégal et certainement incomplet de la documentation actuellement disponible, il ne fait aucun doute que les trois confréries envisagées étaient connues à travers l’essentiel de l’espace colonais. Ceci ne signifie bien sûr pas que les donateurs de maisons ou de cens sur les maisons étaient automatiquement des membres de la confrérie considérée, mais du moins qu’ils s’en « sentaient » d’une manière ou d’une autre proches. Que par ailleurs les trois confréries examinées aient toutes trois gravité, directement ou indirectement, autour de la cathédrale est très probablement significatif : on retrouve ici la fonction focalisante (homologique à celle de l’église paroissiale dans la communauté villageoise) de la cathédrale qu’on avait déjà rencontrée à propos des Rogations.

Tout ceci ne signifie évidemment pas que toutes les confréries jouaient un tel rôle de « pont » entre les paroisses [124] : certaines pouvaient sans doute se restreindre à une rue ou aux environs immédiats d’un établissement ecclésiastique. Mais entre les confréries de « métier » et les confréries focalisées sur les cathédrales (sans oublier celles qui sont organisées autour des couvents mendiants, sur lesquelles on n’a que peu d’informations pour l’époque), il me semble qu’on peut considérer sans difficulté, comme je l’ai fait antérieurement du « métier », qu’il s’agit là d’un mode d’appartenance (chrétienne) à la ville. Une illustration spectaculaire de ceci est fournie par le cas de Digne en 1291 (Coulet 1993, p. 354), où la consultation des habitants au sujet d’une levée de taille est réalisée, sur l’initiative des cominaux (l’embryon de municipalité) eux-mêmes, par l’intermédiaire de trois confréries, couvrant l’ensemble de l’espace urbain (ville et bourgs extra-muros). Au-delà de l’appartenance paroissiale, la confrérie faisait appartenir à ce que les discours urbains du temps présentaient de plus en plus comme une « sainte ville », éventuellement une préfiguration de la Jérusalem céleste, en tout cas comme une « société chrétienne urbaine ». La prise en compte de ce phénomène est indispensable à la compréhension de la sociogenèse de la ville médiévale (et au dépassement des positions anti-urbaines exprimées par un certain nombre de clercs, principalement bénédictins), qui ne peut en aucun cas être réduite simplement à des facteurs politico-institutionnels. Encore une fois, la ville est un ensemble de rapports sociaux formant système, et la formation de cet ensemble de rapports sociaux ne peut être qu’indissolublement matériel et idéel.

On pourrait ainsi considérer que c’est par le biais des « métiers » et des « confréries » que les gens vivant en ville deviennent des « habitants » de la ville au sens fort du terme et par opposition à de simples résidents — bref ce que j’ai appelé des « installés ». L’efficace en la matière de processions comme les Rogations, puis plus tard de la Fête-Dieu, ne semble pas non plus pouvoir être négligée. Tout ceci montre combien la distinction ville/campagne vient brouiller l’analyse du phénomène communautaire et qu’il importe de la dépasser au profit d’une approche plus globale, en l’occurrence centrée sur l’appartenance sociale collective référée à un lieu. Ce qu’il s’agit de comprendre, au-delà des cas particuliers et des fausses distinctions, c’est comment tiennent ensemble un nombre croissant de personnes agglomérées, ou (pour pasticher Alain Desrosières) comment on fait « de l’un à partir du multiple » (1993, p. 87), sans que cet « un » soit un simple agrégat mais bien plutôt une « réalité sociale » spécifique à laquelle croit l’ensemble des acteurs sociaux. Le problème majeur qu’a rencontré (et réglé) cette société était de faire tenir un ensemble très hétérogène qui ne disposait d’aucune légitimité en soi : le rassemblement des hommes au niveau villageois devait être produit, et a fortiori la coalescence de plusieurs noyaux de peuplement et de plusieurs paroisses au niveau urbain.

Au-delà cependant de ce qui retient le plus l’attention, à savoir le processus d’agglomération, souvent corrélé à une lecture politique en termes d’union qui fait la force, il faut observer que ce processus d’« installation » produit avant tout de la fixation au sol, à la campagne comme à la ville. Mais, on l’a dit, cette fixation est une « fixation douce », « euphémisée » (pour reprendre une terminologie de Pierre Bourdieu), en ce sens d’une part qu’elle n’apparaît pas comme une contrainte mais comme un désir de la part des populations (l’« esprit de clocher », l’« heureux qui comme Ulysse… »), d’autre part qu’elle n’assure pas une immobilisation de la population, mais bien plutôt une présence partout — la valorisation de la figure du retour étant le complément indispensable de cette mobilité tolérée parce qu’encadrée [125]. Dans le cas artisanal, la disponibilité de la main-d’œuvre était assurée par la circulation non seulement intense, mais surtout systémique des valets (compagnons), tandis qu’être maître signifiait, comme le disent les statuts des lormiers londoniens, « maison tenir » [126].

Par conséquent, l’idée d’une conversion des dépendants en « installés » ne devrait en aucun cas faire accroire que les villageois ou les citadins ne sont plus des dominés : c’est tout simplement la forme de la domination qui a changé, sans qu’on puisse considérer qu’il y a eu atténuation effective. L’hypothèse qui se dessine ici est même plutôt celle d’une meilleure efficacité de la domination, grâce à la participation décisive quoique involontaire des « installés » à leur propre soumission, par le biais de l’internalisation d’un système de représentations dans lequel l’appartenance spatiale à la fois masque les rapports interpersonnels de domination et légitime la soumission de chacun à des impératifs collectifs. Le modèle théorique à l’arrière-plan est celui de la « violence symbolique », développé en son temps par Pierre Bourdieu (1980, p. 216-221) [127], mais jusqu’alors plutôt négligé par les historiens. La « communauté d’installés » devrait par conséquent être conçue comme un mode d’encadrement social plus intense (que je qualifie de « densification sociale »), dans lequel les dominés se chargent involontairement de l’essentiel du travail à travers la naturalisation du référent local de leur vie. La bonne question serait par conséquent non pas : dis-moi (ou comment) tu habites et je te dirais qui tu es, mais : dis-moi si tu habites — et je te dirais ce que tu es.

Illustration : Vue du village de Gemmingen (Allemagne) au début du 16e siècle (dessin conservé au Generallandesarchiv Karlsruhe). Source : Wikipedia.

Abstract

Le but de ce travail est de rendre compte d’un phénomène particulier de transformation de la société médiévale, à savoir la formation de ce qu’on appellera « communautés d’installés », soit la mise en place progressive, à partir des 11e-12e siècles en Europe occidentale, de formes d’appartenance sociale définissant une identité collective fondée sur un certain rapport à l’espace et au temps. Cette « installation » aboutit à un ensemble exorégulé de pratiques d’habitat, de production et de déplacement au sein d’un espace polarisé sur un lieu — « lieu » (locus) dont la nature varie en fonction des échelles spatiales, mais aussi temporelles considérées (puisque change à chaque fois l’échelle des distances dont la non-pertinence définit précisément le lieu). Par l’exorégulation des activités, des mobilités et des rythmes, la communauté d’installés permet ainsi une domination intensifiée — mais en même temps euphémisée (en raison du bien commun qu’elle est censée assurer à tous) et masquée (parce que ce sont les voisins qui constituent la communauté qui assurent tendanciellement de la mise en œuvre de la régulation). L’examen du phénomène de l’installation conduit à écarter deux schèmes conceptuels inadéquats (notamment parce qu’actuels) à son intelligibilité. Ces schèmes sont d’une part la distinction que nous opérons automatiquement entre la ville et la campagne (ou le village), alors que les dynamiques d’installation y sont visiblement les mêmes, seules changeant certaines formes de celle-ci en fonction de la diversité plus ou moins grande de la formation sociale considérée (ville ou village) – moyennant quoi le village peut très bien être pris comme paradigme de l’installation urbaine. L’autre schème à écarter est celui de la paroisse en tant que forme de base de la communauté villageoise (ce à quoi correspond le syntagme artificiel usuel de « communauté paroissiale »), car la paroisse et la communauté d’installés, même si elles sont composées des mêmes personnes, relèvent toutes deux de logiques sociales très différentes, qui se manifestent par des pratiques spatio-temporelles très spécifiques.

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Notes

[1] Ce texte a bénéficié de multiples lectures critiques à diverses étapes de son élaboration et je tiens par conséquent à remercier expressément Julien Demade, Kouky Fianu, Didier Méhu, Hélène Noizet pour leurs observations précises et leurs encouragements, ainsi que les participants à la réunion du groupe Dulac (groupe de travail interdisciplinaire sur la spatialité du social constitué à Lausanne en novembre 2011, composé de géographes, archéologues et historiens et dont l’activité est co-financée par le LaMOP) au cours de laquelle ce texte a été envisagé.

[2] Je renoue ainsi avec l’une de mes toutes premières inquiétudes, puisque j’avais déjà eu l’occasion d’attirer l’attention sur l’aporie que constituait le discours sur la « crise de la noblesse » à la fin du Moyen Âge, faute de parvenir à (ou de tenter de) concevoir une dynamique globale de transformation (Morsel 1988). J’avais alors simplement proposé de remplacer le mot « crise » par celui de « mutation », conçue comme une transformation multi-scalaire (mais à des échelles spatiales) résultant d’un double processus de déstructuration et de restructuration simultanées (tandis que la pensée de la « crise » ne prend en compte que la déstructuration) — et j’ai tenté ultérieurement d’étudier cette dynamique à propos de ce que j’ai appelé « sociogenèse de la noblesse » en Haute-Allemagne (en français, voir Morsel 2000a).

[3] C’est ainsi que les « hyper-romanistes » nient la chute de Rome et retrouvent des formes de la société romaine jusqu’à l’an mil. Voir les critiques formulées à leur encontre par Chris Wickham (1993) ou Dominique Barthélemy (notamment 1997), lequel s’attaque de l’autre côté aussi aux partisans d’une « révolution » ou « mutation féodale » (grosso modo vers l’an mil), soulignant d’une part les continuités avec la période carolingienne et plaçant vers 1100 une inflexion plus significative (voir le débat suivi paru dans Past & Present, 142 (1994), 152 (1996) et 155 (1997), ainsi que Barthélemy 2005).

[4] Je signale aussi — mais pour les laisser de côté en tant qu’elles ne sont pas, à mon sens, historiennes — les grandes narrations téléologiques qui s’attachent aux origines (« la naissance ») de phénomènes actuels ou subactuels : l’Europe persécutrice, l’individuation, etc.

[5] Les observations décapantes à ce propos de Gérard Mairet (1974) sont malheureusement toujours d’actualité (l’ouvrage ayant lui-même été largement négligé).

[6] Y compris l’économie, car la pensée par cycles (Kondratiev, etc.) est justement un moyen d’écarter le temps. Il n’est par conséquent pas étonnant que nos sociétés libérales, dont le système de représentations est pour l’essentiel fondé sur la « science économique », soient caractérisées par ce que François Hartog appelle le « présentisme ».

[7] Ce n’est dès lors certainement pas un hasard si l’une des très grandes collections historiques en France s’intitule Évolution de l’humanité (lancée en 1920 par Henri Berr, reprise et prolongée aujourd’hui chez Albin Michel). Quant à la « mutation », voir ma tentative signalée dans la note 1, ainsi que sa place dans la polémique évoquée dans la note 2. Les graves faiblesses des tentatives de transposition aux faits sociaux des modèles biologiques d’évolution ont été clairement soulignées par Alain Testart (2011).

[8] On ne peut exclure que l’échec du « moteur à trois temps » de Braudel (pour reprendre la métaphore moqueuse d’Alain Guerreau) ait bloqué la réflexion historienne sur les échelles du changement. La seule exception que je connaisse à cela est celle des travaux de Bernard Lepetit (1993, 1996). Il semble que le décès prématuré de Lepetit ait conduit à l’abandon d’une problématique par laquelle, semble-t-il, les historiens ne se sentaient guère concernés : le contraste est saisissant avec l’introduction et la contribution de Jacques Revel, principal organisateur de la table ronde sur les Jeux d’échelles, qui n’aborde que le problème de l’échelle spatiale de l’objet à travers la métaphore de la focale photographique. En revanche, cette problématique est très présente chez l’anthropologue Alban Bensa (1996) — et j’observe que les seuls membres du Groupe DULAC à avoir abordé (sauf erreur) le problème des « échelles temporelles » au cours des journées de travail de 2011 et 2012 sont des géographes. Ceci ne veut évidemment pas dire que les historiens dudit groupe sont insensibles à la temporalité, mais j’observe avec amusement que c’est précisément à partir de la géographie, par transfert, que se construit la question de la temporalité. Bref, tout se passe comme si les historiens « étroits » (c’est-à-dire ne fréquentant pas sérieusement les autres disciplines — sinon pour les cannibaliser au lieu de tenter de comprendre les modalités de production de leur savoir) étaient — sinon incapables de réflexion, du moins inconscients de la vacuité de l’outillage temporel qu’ils utilisent.

[9] Le temps n’a évidemment en soi aucune pente, mais dans la mesure où il est usuellement conçu en terme d’écoulement, les « hautes époques » sont par conséquent antérieures aux « basses époques » (voir l’exemple donné pour le Moyen Âge). Donc le temps « descend » — et d’ailleurs on ne manque pas d’exemples de procédures imaginaires par lesquelles on prétend « remonter le temps », de la science-fiction à une certaine idée (erronée) de l’histoire… Quant à la pente documentaire, elle « monte » progressivement, à la fois en volume et en diversité.

[10] Voir l’exemple récent du volume Langue et histoire (2011), dans lequel la linguiste Christiane Marchello-Nizia se penche sur le sens du changement qui affecte les usages des démonstratifs moyen-français cil et cist, tandis que les historiens (médiévistes ou non) se préoccupent fondamentalement des substantifs.

[11] C’est sur la base d’un tel changement documentaire (la notice développée vers 1060 au lieu de la charte-notice auparavant, mais aussi les premiers cartulaires) que la « révolution féodale » a pu être récusée au profit d’une « révélation féodale » par Dominique Barthélemy (1993, p. 28-64, voir aussi supra, note 2).

[12] Comme la substitution du syntagme « bourgeois de Paris » à celui de « bourgeois du roi » vers 1200, sur laquelle j’ai bâti une partie de ma démonstration dans Morsel 2000b.

[13] Il ne s’agit pas d’une référence psychologiste à l’inconscience individuelle (par exemple, à l’arrière-plan de la démarche indiciaire développée à la fin du 19e siècle par l’historien d’art Giovani Morelli, présenté par Carlo Ginzburg (1980) et dont la finalité est de repérer les lapsus figurationis permettant de distinguer tel peintre des autres), mais à la « non-conscience des faits sociaux » sur laquelle divers sociologues ont attiré l’attention (voir en première approche Bourdieu, Chamboredon et Passeron 1973, p. 29-34) : bref, ce qui se lit (ou plus exactement, ce qu’on prétend lire) entre les lignes, c’est moins l’individu que la société.

[14] L’analogie que je fais ici avec l’archéologie n’est pas innocente car ce qui me semble essentiel ici (vu « de l’extérieur », en tant qu’historien), c’est précisément que le discours en terme de rupture n’y joue qu’un rôle marginal (surtout depuis que la vision étroitement stratigraphique — le « paradigme du palimpseste » — a été abandonnée au profit d’une prise en compte, à côté de l’effacement de l’ancien par le nouveau, des phénomènes de réactivation, de rémanence, de résilience, ou encore de translation (voir notamment Chouquer 2000, puis Olivier 2008)). C’est de cette manière — à cause de l’échelle temporelle du raisonnement archéologique — que j’aurais par conséquent tendance à recevoir l’injonction faite par Alain Guerreau aux médiévistes de se tourner vers l’archéologie (2001, p. 141 sq.).

[15] C’est ce à quoi se restreignait la mention du « multi-scalaire » faite supra, note 1.

[16] Voir à ce propos les critiques de Bernard Lepetit (1996), y compris à l’endroit de la microstoria à laquelle il reproche de n’avoir pas pris au sérieux l’articulation des échelles temporelles (au profit d’un emboîtement implicite).

[17] Sauf erreur, l’expression a été forgée par Jacques Le Goff (1978), mais n’a longtemps pas eu d’écho me semble-t-il. Elle est reprise à propos de l’Italie par Jean-Claude Maire-Vigueur (1995) et appliquée par Pierre Chastang (2008, p. 262) à l’Angleterre étudiée par Michael Clanchy (1979) ; présentant cet ouvrage, Jean-Philippe Genet avait quant à lui qualifié la situation considérée de « révolution culturelle » (Genet 1981).

[18] Il s’agit là d’une constante des premiers travaux sur la literacy (« culture de l’écrit ») médiévale, liée à une conception de la modernité (Morsel 2010, p. 14-15). Cette tendance se prolonge actuellement sous la forme de multiples travaux conduits sur le thème du « gouvernement par l’écrit ».

[19] Pour la période carolingienne, voir notamment McKitterick 1990. Pour ce qui est de Michael Clanchy, il s’est livré à une autocritique lors d’une conférence donnée à l’École des Chartes le 13 décembre 2000, dont une partie de la teneur est rapportée par François Menant (2006, p. 36), à quoi il faudrait ajouter que Clanchy a notamment remis en cause la corrélation qu’il établissait initialement entre l’usage de l’écriture et la méfiance chez les gouvernants.

[20] Dans le cadre du programme de recherches lancé en 2003 au sein du Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris (LAMOP – Paris 1) et intitulé « La formation médiévale des communautés d’habitants », dont les travaux peuvent être suivis sur le site Internet du LAMOP.

[21] L’usage que je viens de faire expressément de la tripartition religion/économie/politique n’est pas dû au hasard : il veut suggérer une structure argumentative plaquée sur le phénomène à étudier, désarticulant ainsi sa dynamique interne. La dénonciation de cette trinité historienne a été faite par Alain Guerreau en tant qu’elle sous-tend une « fracture conceptuelle » qui se forme entre 1750 et 1850 et brouille tout le système de représentations antérieur (Guerreau 1990 ainsi que 2001, p. 23-39).

[22] Une bonne théorie explicative doit permettre non seulement de rendre compte de l’évolution d’ensemble, mais aussi des cas où ça ne marche apparemment pas, c’est-à-dire du principe de variation. Cela revient tout simplement à prendre au sérieux la seconde partie de la définition de l’histoire donnée par Marc Bloch (1937, p. 8 : « L’Histoire est la science d’un changement et, à bien des égards, une science des différences ») : non seulement la différence dans le temps (le changement), mais aussi la différence dans l’espace. L’idée que les différences entre lieux ont un sens systémique a été soulignée tant par Alain Guerreau, sous la forme du « développement inégal » (1988) comme de la « particularisation structurelle […] comme méthode “douce” de fixation des hommes » (1996, p. 91-92), que par Chris Wickham lorsqu’il s’interroge non pas sur l’idéal-type de la commune rurale italienne, mais sur les causes des variations entre diverses communes de la région de Lucques, qu’il conçoit comme un ensemble structurel de facteurs — ce qu’il appelle « matrice explicative » — dont la combinatoire a les effets kaléidoscopiques dans lesquels se perdent les historiens tout autant que dans les idéal-types institutionnels (2001, notamment p. 7 et p. 259-260).

[23] Tout ceci a déjà été souligné par Bernard Lepetit (1996, notamment p. 91-93).

[24] Ce terme n’implique en rien que la communauté villageoise doive être considérée comme une forme-modèle médiévale qui aurait ensuite été imitée en ville, ni non plus qu’elle ait été l’origine de la forme communautaire urbaine (qui serait, par exemple, la complexification de la forme villageoise primitive), mais comme un moyen de connaissance — en l’occurrence de nature analogique comme l’a bien montré Giorgio Agamben (2008). La communauté villageoise doit ainsi permettre de rendre intelligible divers phénomènes dont tant l’existence (du moins pour certains) que l’articulation d’ensemble me semblent avoir été jusqu’à présent négligés, à partir de quoi la forme communautaire urbaine pourra être à son tour interrogée (ce qui ne signifie en rien « interprétée »).

[25] Cette approche, désormais évidente pour une bonne partie des géographes à la suite, en France, des travaux de Jacques Lévy, Christian Grataloup et Michel Lussault, ne va pas totalement de soi chez les historiens, qu’il faut encore souvent convaincre du caractère social et non pas naturel de l’espace (voir Morsel 2005, ainsi que SHMES 2007 — dont le titre « constructionniste » ne doit pas tromper dans la mesure où la dimension (socialement) construite de l’espace médiéval est finalement peu abordée ; voir le compte-rendu critique de Benoît Cursente (2008). Serait ainsi encore « normale » aujourd’hui une affirmation comme celle selon laquelle « le territoire de la ville, en général, se qualifie aisément comme espace social, parce que créé par l’enceinte bâtie qui le limite matériellement » (Roux 1995, p. 129) : l’espace social n’est ici que le résultat d’une procédure de découpage humain (sous-entendu : artificiel) de l’espace (sous-entendu : naturel)… Ceci n’est bien sûr pas propre à la France, comme le montre l’approche « naïve » de l’espace dans les travaux de médiévistes germanophones qui se sont multipliés depuis les années 1990 sur « les représentations de l’espace » (Marchal 1996, Aertsen et Speer 1998, Moraw 2002), ou encore la notice « Espace urbain » dans laquelle Bernd Fuhrmann consacre une bonne partie de son introduction à expliquer que « “la” ville médiévale […] n’a à proprement parler pas existé » (2008, p. 256) — mais aucun mot à la justification du concept d’« espace », comme si chacun savait évidemment de quoi il retourne… Il y a donc assimilation implicite de « la ville » à « l’espace urbain » — loin des réflexions que propose ici-même Hélène Noizet.

[26] La restriction conceptuelle au « lieu » n’est pas anodine : d’une part, elle correspond au fait que la spatialité médiévale est conçue sous l’unique espèce des lieux (loci) et des déplacements entre loci (voir notamment Guerreau 1996 et 2002, ainsi que Méhu 2007), mais par ailleurs, il est clair que la définition donnée par Jacques Lévy (2003) du lieu en tant qu’« espace dans lequel la distance n’est pas pertinente » et espace des « interactions au contact » est parfaitement compatible avec la définition de la communauté d’installés par rapport au « lieu » puisque celle-ci est désormais pensée sur le mode du voisinage en tant que coprésence (dans une perspective naïve d’histoire des idées, on pourrait d’ailleurs imaginer que c’est l’assimilation du locus à la communauté d’installés qui a rendu possible la conception du « lieu » comme mode d’annulation de la distance…).

[27] Sur ces problèmes de datation des formes de paysage, voir à propos de l’openfield la thèse de Samuel Leturcq (2001). Présentation récente et commode des divers problèmes évoqués : Zadora-Rio 2010.

[28] La métaphore ici employée de l’« enracinement » se justifie du fait qu’elle correspond précisément à un nouveau discours social, qu’expriment bien les notions de « souche », Stamm, etc., et surtout la représentation de l’arbre généalogique, qui ne semble pas antérieure au 12e siècle (voir Klapisch-Zuber 2000, p. 112-117).

[29] Voir notamment Teuteberg 1985, p. 1 : « La satisfaction du besoin quotidien d’habiter, c’est-à-dire d’un espace d’habitation bon marché, suffisant et en même temps hygiénique, fait partie au même titre que l’assurance de la nourriture et du vêtement, des plus anciens phénomènes de l’humanité. L’habiter peut être compté parmi les “phénomènes sociaux totaux” (Marcel Mauss) qui apparaissent en tous lieux et en tous temps et qui sont directement ou indirectement liés à tous les autres domaines de la vie des humains. L’hébergement (das Hausen) est une conditio humana et constitue une constante anthropologique fondamentale. Face à ces états de fait connus depuis longtemps, on ne peut que s’étonner d’emblée du fait que nous manquions jusqu’à présent aussi bien d’une théorie générale que d’une histoire générale de l’habiter » (traduction faite par mes soins) — et le titre même d’Homo habitans signale à quel point on navigue dans la représentation d’une constante anthropologique. On ne peut cependant pas exclure qu’en Allemagne, cette conception essentialiste ait été nourrie et/ou légitimée par l’ontologie heideggérienne : Heidegger a en effet fait de l’« habiter » des êtres humains le parallèle du « vivre » des êtres vivants : leur manière d’être au monde, en tant qu’être-au-monde qui est le propre de l’homme (« Habiter est le trait fondamental de l’Être (Sein) en conformité duquel les mortels sont », Heidegger 1958, p. 192). En France, l’élaboration d’une théorie proprement géographique de l’habiter à partir des écrits heideggériens a été tentée par André-Frédéric Hoyaux (2002, 2003). Sur les positions heideggériennes quant à l’habiter et les possibilités d’« habiter le Monde de manière non heideggérienne », voir notamment Lévy 2012.

[30] Il n’est pas exclu que ce soit en allemand que ce champ lexical ait été le plus productif, avec les termes de localisation seigneuriale ou paysanne sitzen et besitzen et tous les composés de -sasse pour désigner les dépendants et sujets. Beate Schuster utilise déjà le terme « die Seßhaften » (littéralement « les installés ») pour désigner les habitants permanents (et notamment les bourgeois) de Constance (Schuster 1996, par exemple p. 12, p. 146-147), sans cependant en construire le concept.

[31] Cette interdépendance productive ne doit pas être réduite à une simple dimension technique ou juridico-économique : elle constitue, semble-t-il, un écart très significatif par rapport à ce qui s’observe dans le système domanial antérieur, où l’unité de base (le manse) devait assurer sur les terres du maître, quel que soit le nombre de foyers qui l’exploitaient, un ensemble de travaux lourds (environ la moitié de la semaine) avec leurs propres équipements (hommes, animaux, outils — d’où l’absence de toute mention d’outils sur les inventaires des biens agricoles du maître : Devroey 2003, p. 99-101, p. 119-122, p. 125), ce qui signifie que le manse était nécessairement une tenure toute équipée, excluant une telle interdépendance. Sur ces changements, voir Demade (2004, p. 352-353), qui signale également combien le caractère « anormal » des corvées légitime non seulement par contrecoup le rapport de domination seigneurs/dépendants fondé sur le versement des redevances, mais aussi le rapport de dépendance interne à la communauté et fondé sur le travail rémunéré (ibid., p. 356-357, p. 361).

[32] Sur les cimetières en rangées du haut Moyen Âge, les analyses paléoanatomiques (odontologie) et paléogénétiques (ADN mitochondriale) semblent pouvoir permettre de repérer le caractère structurant des liens de parenté, comme dans le cas du cimetière de Weingarten en Allemagne (Bade-Wurtemberg) étudié par Julia Gerstenberger (2002), qui confirme non seulement diverses interprétations de Heiko Steuer (1982), mais surtout montre bien, étant donné l’implantation de ces cimetières, l’absence de lien entre l’organisation parentélaire qui se manifeste dans les cimetières et l’organisation de l’espace habité. Il convient toutefois d’être prudent avec les résultats paléogénétiques ici mentionnés pour des raisons méthodologiques. Il s’avère en effet que de tels échantillons soumis à l’analyse sont extrêmement sensibles à la contamination par l’ADN des fouilleurs eux-mêmes (voir à ce propos Deguilloux 2010), ce qui signifie que la validité des résultats est proportionnelle à la celle des mesures de prévention d’une telle contamination — sur lesquelles le travail de Julia Gerstenberger ne dit rien, mais dont on peut douter dans la mesure où les analyses portent sur un matériau collecté lors de fouilles déjà anciennes.

[33] L’organisation spatiale tend par conséquent à l’emporter sur l’organisation parentale, comme le suggérait déjà la mise en place d’une anthroponymie spatialisée (voir les travaux susmentionnés) : la transmission héréditaire d’anthroponymes toponymiques (particulièrement nette dans l’aristocratie, mais sans exclusivité) signale la transmission héréditaire d’une appartenance spatiale. La forme la plus remarquable en est la mise en place d’un discours lignager (qui n’est pas la révélation d’une structure lignagère stricto sensu, inconnue en Europe) sous la forme de ce qu’Alain Guerreau-Jalabert désigne comme « topolignée » (1994, p. 314), dans lequel la logique d’appropriation spatiale s’impose à l’organisation parentale. Voir aussi plus loin le problème de l’articulation du parental et du spatial à travers le cas de la paroisse.

[34] Sur ce principe d’appropriation seigneuriale des terres effectuée par l’intermédiaire des tenanciers et du versement des redevances et sur les transformations du servage en Occident aux 12e-13e siècles (dans le sens d’une fixation spatiale), voir Morsel 2004b, p. 173-174, p. 201-202. J’insiste sur le fait que l’enjeu est ici celui de l’appropriation des terres au moyen d’une procédure à la fois symbolique (car visible et répétitive) et matérielle (la remise des redevances, quérables ou portables). Julien Demade (2007) estime cependant que la domination seigneuriale ne se réduit pas à cela (comme si les seigneurs n’étaient que des sortes de propriétaires rentiers) : il insiste ainsi sur la transformation des contraintes temporelles agraires (récoltes et vendanges en août-septembre) en une temporalité au profit des seigneurs à l’aide du calendrier des redevances, qui permet à ceux-ci de survaloriser de manière invisible les volumes qu’ils ont reçus, selon un principe de conversion de la valeur d’usage en valeur marchande supérieure, comparable, dans son invisibilité structurelle, à celui de la plus-value capitaliste — mais fondé sur une tout autre logique institutionnelle (absence du Marché, de l’État, de la propriété…).

[35] Sur la place fondamentale de la vaine pâture dans la constitution de l’espace communautaire, voir Assier-Andrieu 1986, p. 351-354. Sur la chasse, voir les observations cruciales de Guerreau 1999, 2000. C’est à mon sens exactement la même logique qui se trouve à l’arrière-plan d’une part des conflits pastoraux entre communautés, d’autre part du développement des colombiers (Morsel 1997, p. 282-285).

[36] Pour reprendre les notions (et la corrélation respective d’exo- ou d’endorégulation de la mobilité avec la soumission ou la puissance sociales) élaborées par la « géographie structurale » canadienne, notamment Gilles Ritchot et Gaëtan Desmarais ; voir la présentation synthétique de ce dernier (Desmarais 2001) et infra, note 64.

[37] La définition d’un calendrier des redevances semble en effet être un phénomène tardif et, précisément, pas antérieur au 11e siècle : Kuchenbuch (1997, p. 138, note 47) signale ainsi le passage d’un système de redevances annuelles à l’époque carolingienne à une combinaison d’exigences mensuelles et d’exigences fixées à certains jours de fête (ca. 850-1050), puis à un cycle de redevances étalé sur l’année et fixé à certains jours.

[38] Le caractère central du transitus correspond bien au fait que l’espace féodo-ecclésial est exclusivement pensé sous l’espèce du « passage », le locus étant un point de passage non seulement spatial, mais aussi temporel (on va le voir) et matériel (point de transfert) — bref une sorte d’« échangeur », métaphore qui ne devrait cependant pas faire oublier le caractère primordial du locus, censé engendrer le déplacement, le chemin, l’échange. On ne manquera alors pas d’observer le remarquable parallélisme entre la conception de l’espace sous l’espèce des points de passage obligés (qui engendrent cet espace) et celle du temps chrétien telle que l’ont définie la théologie et la liturgie. Qu’il s’agisse du temps global, saint Augustin (Confessions, livre XI) explique que le passé et le futur n’existent que dans le/par rapport au/grâce au présent (moment d’actualisation du passé par la mémoire, et du futur par la prévoyance d’une fin déjà annoncée), qui n’est lui-même qu’un pur point de passage (le double paradigme de ce temps féodal tout entier tendu vers un moment de réalisation du rapport dominus/homo est celui d’une part, du temps de la Création, inéluctablement tendu vers la Parousie et le Jugement Dernier, et d’autre part celui de la vie humaine, tout entière tendue vers la mort – dont la date précise est d’ailleurs souvent indiquée, à l’opposé de la date de naissance, ou de baptême, ou de conversion, pour en rester aux moments clés de la vie du chrétien). Qu’il s’agisse des obligations liturgiques collectives, « le dimanche » fonctionne comme pôle de la semaine et « à Pâques » fonctionne comme pôle de l’année — même dans les régions où le début de l’année civile est fixée à la Nativité (Noël), à la Circoncision (1er janvier) ou à l’Annonciation (25 mars), parce que Pâques reste toujours l’apogée des célébrations chrétiennes (ainsi, à Nuremberg, si le changement de millésime s’opère bien à Noël comme dans l’essentiel de l’Empire, c’est à Pâques que se produit chaque année la constitution du nouveau Conseil, c’est-à-dire de l’instance civile primordiale, ce qui montre bien que Pâques l’emporte sur Noël), parce que le sacrifice du Christ et sa résurrection sont plus importants que sa naissance — on n’aura d’ailleurs garde d’oublier que le dimanche est lui-même survalorisé parce qu’il est le jour de la résurrection du Christ. Par conséquent, l’espace et le temps sont tous deux caractérisés par une structure ponctuelle, multipolaire, avec des lieux et des moments où l’on ne peut pas ne pas être présent pour y approcher le S/seigneur, cette présence obligatoire (dans l’espace et le temps) engendrant le mouvement par lequel se constitue la distance (lat. spatium) et la durée (lat. spatium aussi !).

[39] La concurrence des polarités qui engendre la disqualification comme « superstition » apparaît très bien dans l’incipit d’un sermon du Dominicain Étienne de Bourbon contre le culte rendu au saint lévrier Guinefort, vers 1250 : « Deo contumeliose sunt supersticiones que divinos honores demonibus attribuunt, vel alicui alteri creature, ut facit idolatria, et ut faciunt misere mulieres sortilege que salutem petunt adorando sambucas vel offerendo eis, contemnendo ecclesias vel sanctorum reliquias, portando ibi pueros suos vel ad formicarios vel ad res alias, ad sanitatem consequendam » (Étienne de Bourbon, Tractatus de diversis materiis predicabilibus, éd. in Schmitt 1979, p. 12 ; 2e éd. 2004, p. 13 — c’est moi qui souligne). C’est aussi clairement le cas lors de la « grande affluence » (maximus concursus, großer zulauf) provoquée en 1476 dans le village franconien de Niklashausen par la prédication du tambourinaire Hans Beheim, qui finit sur le bûcher : on lui reproche entre autres d’avoir prêché que l’obtention de la grâce n’est pas conditionnée par l’entrée dans l’église de Niklashausen en raison de sa trop petite taille (« welchs mensch nyt in die kirch kommen kan, alß dan die cleyn ist, nichts destmynder erlange er die gnade »), ce qui à la fois réduit l’église à une simple enveloppe physique et signale son caractère non indispensable mais seulement pratique pour l’obtention de la grâce. D’ailleurs, la gravure sur bois qui illustre cet épisode dans le Liber chronicarum de Hartmann Schedel (1493) comme dans sa version allemande contemporaine (la Weltchronik) représente Beheim en train de prêcher à la fenêtre d’une maison qui fait face à l’église — et l’on peut se demander si la qualification ultérieure, à partir de ca. 1490, du tambourinaire comme berger n’est pas un moyen d’accentuer encore son caractère « parapastoral » (l’ensemble du dossier documentaire est rassemblé dans Arnold 1980).

[40] Voir, par exemple, dans le registre de visite pastorale d’Eichstätt en 1480, Diözesanarchiv Eichstätt, B 230, f° 21v : « Dicit quod Ulricus Proll de Meinsperg suspicatur quod sit incantator, nam dicat incantationes “fur das gicht” et concursus fiat ad eum tam a maribus quam a feminis patientibus diversas infirmitates ».

[41] Cette itérativité permet à la fois de rendre compte de la non-circularité du temps chrétien (qui se traduit ne serait-ce que par le fait que des deux hypostases temporelles de l’Antiquité tardive, Aiôn, le temps circulaire et immuable, et Chronos, le temps linéaire et fuyant — voir Belayche 1984 —, seul le chronos a été conservé comme référent alors que l’aiôn a été abandonné), que l’on rattache classiquement à l’Incarnation et à la tension vers la Parousie (voir supra, note 37), et de l’idée corrélative selon laquelle, depuis l’Incarnation, tout ce qui a lieu (avoir lieu !) ne peut être que la réitération d’une manière ou d’une autre de choses qui se sont déjà produites, ce qui fait donc de la Bible une matrice narrative permanente (voir sur ce point Boureau 1993). Par conséquent, la répétitivité sur Terre est une figure de la soumission des hommes à la temporalité de la Rédemption, consécutive au péché originel et qui correspond à la reconnaissance par l’homo de son vrai dominus — et à l’inverse, la variabilité temporelle (dont la date de Pâques constitue le paradigme) signale le dominus, tout comme la variabilité de sa localisation (dont le paradigme est la quête de dieu sous la forme « officielle » de la croisade ou, « littéraire », de la quête du Graal, de l’errance chevaleresque).

[42] En France, les historiens se sont notamment focalisés sur une lecture littérale de l’aigre remarque de Guibert de Nogent (1981, p. 320), vers 1120, à propos de la « commune » de Laon : « communio autem novum ac pessimum nomen ». Or communio n’est alors ni un terme nouveau ni, pour un clerc, un terme détestable en tant que tel. Ce qui est ici en jeu est donc non pas le mot (Guibert ne parle d’ailleurs pas de verbum ou de vocabulum), mais le sens du « nom », de la dénomination — ce que le nom communio est désormais censé désigner, un sens nouveau. Guibert oppose ainsi deux formes de communio : la communion des chrétiens (autour du corps du Christ et donc du prêtre) et ce que j’appelle ici « communauté d’installés ».

[43] L’organisation spatiale tend par conséquent à l’emporter sur l’organisation parentale, comme l’a souligné en premier lieu Anita Guerreau-Jalabert (1989, p. 92, 1990). Cet ordre de détermination est l’inverse de ce qu’on peut observer dans diverses sociétés « villageoises » extra-européennes : le « village » bororo rendu célèbre par l’analyse structurale qu’en a fait Claude Lévi-Strauss (1955, p. 274-277, 1974, p. 140-143), en est une illustration claire, avec sa structuration spatiale rigoureusement déterminée par la structure parentale ; les positions dans l’espace « villageois » y sont ainsi des émanations des rapports de parenté, au point que le village soit moins pensable comme une structure spatiale que comme une structure parentale.

[44] Sur la législation conciliaire mérovingienne, voir Mikat 1994. Sur la réglementation à l’époque carolingienne, voir Toubert 1977. Sur le durcissement grégorien, voir entre autres Legendre 1988.

[45] La coextensivité est au cœur du modèle de l’« encellulement » (encadrement des hommes dans une cellule à la fois paroissiale et seigneuriale) construit par Robert Fossier (1982). Cette idée est clairement entretenue, en France, par le fait que les limites communales actuelles dérivent largement des limites paroissiales du 18e siècle (voir Zadora-Rio 2008), tandis qu’en Allemagne, c’est le même mot (Gemeinde) qui désigne tant la paroisse que la commune. J’observe par ailleurs que la dimension « pseudo-parentale » de la paroisse initiale se retrouvait encore, il y a quelques décennies, dans le cadre communal qui lui a succédé, comme en témoignent les innombrables monuments aux morts qui, en France (mais on en rencontre aussi en Allemagne, en Espagne, au Portugal — pour me limiter aux pays pour lesquels j’ai vérifié la chose), commémorent les « enfants » ou les « fils » (y compris en breton : bugale, par exemple à Plogoff ou Plouguerneau) de la commune morts pour la patrie.

[46] Sur les transformations du système paroissial au Moyen Âge, voir Iogna-Prat et Zadora-Rio 2005 (notamment Lauwers 2005b, qui rejette le scénario de la subdivision de macro-paroisses originelles en tant qu’il repose implicitement sur l’existence dès le haut Moyen Âge de territoires paroissiaux dont seul aurait changé la taille du maillage, alors que la démultiplication des églises et des ressorts paroissiaux correspond bien plutôt à une transformation des rapports socio-spatiaux), à compléter par Leturcq 2010 et Pichot 2010.

[47] Un exemple entre mille, celui du dossier du démembrement de la paroisse de Burgsinn en 1411-1413, dont sont détachés la ville de Rieneck en 1411 (Staatsarchiv Würzburg, WU 2/37) et les villages de Mittelsinn et Obersinn en 1413 (Staatsarchiv Würzburg, WU 18/135). Outre que d’autres villages restent dépendants de la paroisse de Burgsinn (Wohnrod et Schaippach), le fait que Mittelsinn et Obersinn forment une seule et même paroisse dépendant de l’église de Mittelsinn montre bien qu’il n’existe pas encore de coïncidence entre village et paroisse. Je précise qu’aucun de ces actes de détachement de paroisses ne donne lieu à la moindre délimitation des entités séparées, dont les seigneurs collateurs restent les mêmes que de la paroisse de Burgsinn. Le démembrement est d’ailleurs pensé non pas comme subdivision, mais comme engendrement spirituel, l’église de Burgsinn devenant « mère » (ecclesia matrix) et les deux nouvelles églises ses « filles » (ecclesiæ filiales), avec l’organisation chaque année, le jour de la dédicace de l’église de Burgsinn et lors des Rogations, d’un pèlerinage depuis les églises-filles jusqu’à l’église-mère.

[48] Leturcq 2010, où ce phénomène est repéré (sans prétention à l’exhaustivité) dans le Maine, en Touraine, en Beauce et en Sologne, ainsi que dans l’Autunois, le Nivernais, la Lozère.

[49] Sur l’importance de ce canon, voir notamment Bériou 1983.

[50] Qui plus est en l’absence de tout confessionnal avant le 16e siècle : la confession auriculaire est une confession au vu et au su de tous, ce qui renforce d’autant, par contraste, l’importance de l’entretien du secret du contenu, qui lie pécheur et curé.

[51] Ce qui est ici en jeu n’est évidemment pas la valorisation de la confession en tant que telle, qu’on rattachera aisément à l’entreprise de contrôle pastoral (« faire croire »), mais ce contrôle des âmes aurait pu être effectué de diverses autres manières (chaque fidèle pouvant être tenu d’aller, par exemple en procession, chaque année à date fixe au siège épiscopal ou archidiaconal pour se confesser…). De même, le secret de la confession aurait pu être pensé par rapport aux seuls laïcs et le curé être tenu de faire un rapport régulier à l’évêque, ce qui serait logique dans notre optique du contrôle social, pensé sur le mode policier. Ce qui est donc ici en jeu, c’est l’insistance sur la confession paroissiale en tant que moyen de construire socialement un lien interpersonnel unique entre chaque curé et chaque fidèle.

[52] Je n’oppose donc pas « personnel » à « matériel » : le rapport entre fidèle et curé est tout autant personnel/abstrait (confession, assistance à la messe, etc.) que matériel/concret (verser une portion — en général très faible — de la dîme et surtout le casuel, directement lié à l’activité liturgique du prêtre et donc au rapport curé/fidèles). Sur l’enjeu socio-spatial de la dîme, voir Lauwers 2012.

[53] Dans le cas de la paroisse chrétienne, il importe de rappeler que l’excommunication privait le défunt d’une sépulture au cimetière (le canon 21 de Latran IV le rappelle expressément : s’il ne se confesse et communie une fois l’an, le chrétien et vivens ab ingressu ecclesiæ arceatur et moriens christiana careat sepultura), ce qui pourrait être vu comme une forme indirecte d’exclusion de la communauté — mais justement, ce n’est qu’une forme indirecte.

[54] La tendance fondamentale a été la progressive sacralisation (c’est-à-dire la cléricalisation) des cimetières, mis hors de portée directe des habitants et dont l’accès est construit comme homologique à l’accès à l’église (voir d’ailleurs le rapport direct entre l’accès à l’église et la sépulture chrétienne établi par le canon 21 du concile de Latran IV cité à la note précédente) : voir Guerreau 2002 et Lauwers 1999, 2005a.

[55] Voir l’exemple cité supra, note 46. Roux signale qu’à l’inverse des limites de censives, « les débats et enjeux que leurs délimitations [= des paroisses] ont suscités n’ont guère marqué les sources documentaires qui nous restent » (1995, p. 130). On voit mal pourquoi la conservation des actes, qui plus est massivement d’origine ecclésiastique, aurait éliminé différentiellement le problème des limites des paroisses — et l’on doit donc plus vraisemblablement concevoir que « les débats et enjeux » sont supposés par les historiens (qui donc « inventeraient » un mutisme documentaire), mais ne se posaient pas nécessairement aux médiévaux… C’est également le résultat auquel parviennent Fuhrmann (1996, p. 181-189) pour la fin du Moyen Âge en Allemagne, et Laliena Corbera (1987, p. 163) en Aragon. Le mode « normal » de création d’une nouvelle paroisse est l’engendrement spirituel (création d’une paroisse à partir d’une autre, sans changement de patron « laïque », avec définition de devoirs annuels des membres de la paroisse-fille envers la paroisse-mère, et sans délimitation), comme on l’a vu dans le cas de Burgsinn ; il n’y a délimitation des paroisses que lorsqu’il y a démembrement d’une ancienne paroisse par subdivision avec attribution du droit de collation à un nouveau seigneur — impliquant donc une répartition précise des droits de seigneurs distincts sur les paroisses. Ce sont par conséquent les droits seigneuriaux qui sont ainsi délimités et non pas la paroisse. L’exemple languedocien étudié par Monique Bourin (2004) va dans le même sens, puisqu’il montre que la concurrence entre communautés d’habitants n’aboutit pas au démembrement dès lors qu’il n’y a qu’un seul collateur.

[56] Il conviendrait de prendre ici en considération le phénomène des fabriques (ou œuvres), composées de paroissiens élus (fabriciens ou marguilliers en général, « beaux-pères » [vittrici] à Eichstätt, etc.) chargés de l’entretien des bâtiments paroissiens à l’aide d’un revenu constitué notamment par des donations pieuses : d’abord pour déplorer la mauvaise connaissance que nous en avons encore, alors qu’il semble s’agir d’une ingérence manifeste des laïcs dans les affaires paroissiales. Il faudrait cependant vérifier dans quelle mesure son activité n’était pas conçue comme l’entretien de l’enveloppe de l’église, pensée comme une enveloppe charnelle (tandis que l’espace à partir de la paroi intérieure était spiritualisé par diverses pratiques liturgiques, à commencer par la consécration), reconduisant ainsi une répartition des tâches entre spirituel et charnel — mais j’y verrais aussi et surtout une modalité par laquelle l’église paroissiale matérielle pouvait être conçue par chaque paroissien comme « son » église, élément central de l’adhésion au pôle (visible) de la communauté.

[57] La Somme du frère Alexandre (Somme attribuée au franciscain Alexandre de Halès) applique ainsi le terme communio à la cité, définie par la « cohabitation », mais cette communio-là est qualifiée de corporalis sive vocalis (Anita Guerreau-Jalabert m’a d’ailleurs suggéré — et je l’en remercie vivement — que vocalis a pu être noté par erreur à la place de localis, ce qui impliquerait de vérifier les principaux manuscrits), par opposition à la communion spirituelle, sacramentelle et de table : « multiplex est communio […]. Est enim communio spiritualis, quae est in consensu vero vel interpretativo […]. Est iterum communio in sacramentis […]. Est iterum communio fidelium in cibo et potu et huiusmodi […]. Est iterum communio corporalis sive vocalis, sicut est cohabitationis in eadem civitate » (Alexander de Hales 1930, p. 759).

[58] Ceci ne vaut que pour la période médiévale (au sens académique du terme), car j’aurais tendance à corréler le recouvrement progressif de la communauté d’installés et de l’ensemble paroissial avec les efforts d’organisation étatique moderne, qui s’appuie massivement sur la technostructure cléricale pour faciliter le repérage des populations rurales à des fins fiscales et militaires (les villes se chargeant elles-mêmes de dresser régulièrement des listes)…

[59] Dans un acte de 1092 copié dans le cartulaire de l’abbaye de Lérins (AD Alpes Maritimes, H 10, n° 169, f° 78v-81v) sur lequel Michel Lauwers a attiré l’attention, on voit un ensemble de près de 200 « habitants du bourg enclos de Saorge » (abitatores castro vel burgo Saurgio), nommément cités (2/3 d’hommes puis 1/3 de femmes, tous identifiés par leur filiation ou, pour les femmes, par leur mariage, leur filiation ou leur maternité — en tout cas par rapport à un homme), donner à l’abbaye, pour le salut de leur âme, celle de leurs pères et mères et de leurs parents, l’église Sainte-Marie située dans le locus vel territorium de Saorge. Contre la tentation d’y voir une manifestation (précoce) d’une communauté paroissiale joue, d’une part, l’énumération des noms (au lieu d’une mention générique comme « les paroissiens de Saorge », l’énumération nominale étant suivie du générique « et les autres habitants du bourg enclos de Saorge »), qui manifeste clairement le caractère personnalisé du lien à l’église (même si la mention nominale est un moyen exprès d’être associé à l’acte pieux de la donation, il n’en reste pas moins que cela renvoie au personnalisme du Salut) ; d’autre part, cette liste mentionne nettement les mentions de parenté, dont on sait qu’elles disparaissent ensuite dans les modalités d’identification des personnes (voir les travaux d’anthroponymie historique sus-mentionnés), ainsi que la « loi de naissance », ici romaine (ex nacione nostra lege romana), des donateurs — on est donc encore dans la perspective de la « personnalité des lois » du haut Moyen Âge.

[60] La mobilité des tenanciers apparaît bien à travers les multiples cas de remplacement par transaction (donc au-delà du remplacement des successions intergénérationnelles) présentés dans Feller et Wickham 2005.

[61] Béatrice Franques (2004) fait remonter le modèle de la sédentarité dont les paysans deviennent le paradigme social, de par leur rapport « consubstantiel » à la terre, à la fin du 19e siècle seulement, lorsque l’exode rural finit par être considéré comme une menace pour l’ordre social (en raison de l’afflux de prolétaires dans les villes), tandis que la formation des États-nations, référés à des espaces définis (et unifiant les groupes par l’espace) et qui s’étaient fort bien accomodés de mythes historiques privilégiant des peuples conquérants (droit de conquête évidemment fort utile dans un contexte d’expansion coloniale) en viennent à privilégier l’autochtonie (donc, en France, Vercingétorix sur Clovis) dès lors que le droit de conquête peut aussi se retourner contre eux (en 1871, par exemple).

[62] On observe d’ailleurs que ce que réclament les seigneurs dans le cadre de ce que les médiévistes allemands appellent « nouveau servage », notamment dans les régions orientales de l’Empire à la fin du 15e siècle, est moins l’interdiction faite aux dépendants de partir que l’interdiction de partir sans en informer le seigneur ni fournir un remplaçant (voir les textes fournis par Franz 1967, n° 231, n° 234, n° 239, ainsi que par Reimer 1860, n° 245).

[63] Ce caractère structurel et non pas accidentel a été souligné par Kuchenbuch 2014 (1e éd. en 1983), puis par Guerreau 1996, Morsel 2004a, Demade et Morsel 2005. Cette situation ne doit pas être confondue avec ce qu’Hélène Débax appelle « seigneurie collective », dont elle souligne la dimension plus interpersonnelle que spatiale (2012, p. 20).

[64] Jacques Le Goff adopte un point de vue similaire : « Il me semble que l’utilité primordiale est celle d’une définition de la ville actuellement (c’est-à-dire dans l’état actuel de la science) valable pour l’ensemble des villes, en tous temps et tous lieux » (Le Goff 1970, p. 925), ce qui le conduit à proposer de parler de ville lorsqu’il y a « prédominance dans une agglomération de la partie de la population adonnée à des activités tertiaires » (ibid.), définition dont il reconnaît lui-même la difficulté de mise en œuvre pour la situation médiévale. Peut-on en effet sans danger « lire » la ville médiévale à travers le filtre primaire/secondaire/tertiaire, propre à notre logique sociale ? Plus globalement, toutes les tentatives pour définir la ville fonctionnellement se sont avérées intenables (une présentation commode en est fournie par Quentin Laborderie 2011). Surtout, on peut s’interroger sur l’intérêt pratique de disposer d’une définition anhistorique et universelle du mot « ville » : autant cela semble d’une utilité primordiale pour des concepts analytiques nécessaires à l’explication des sociétés (régulation, reproduction, domination, cohésion, etc.), autant s’avère problématique l’usage de termes de notre langage commun servant à évoquer des « réalités » pour nous évidentes (e.g. « ville ») et qui sont donc pétris de connotations jamais (pleinement) reconnues — sans parler du fait que lorsque ceux-ci existent aussi dans le vocabulaire médiéval, toutes les confusions deviennent possibles. Une autre manière de procéder, sans doute encore plus dangereuse, est de placer la forme urbaine étudiée sur une échelle de développement : les différences deviennent purement relatives, par exemple lorsque Wilfried Ehbrecht considère les 12e-13e siècles comme « l’époque qui a formé la ville occidentale dans sa forme accomplie (ou achevée : Hochform) » (2001, p. 131) — avant, c’est donc une ville en devenir, après c’est la même forme accomplie qui continue, mais c’est toujours « la ville occidentale », sans avoir assumé la démarche hypostatique.

[65] De façon en revanche originale, Gaëtan Desmarais, corrèle la distinction du rural et de l’urbain à ce qu’il nomme « contrôle politique de la mobilité » (1995, p. 41-42) : la mobilité endorégulée (c’est-à-dire celle de ceux qui se rassemblent ou « s’évadent ») est ce qu’il caractérise comme « l’urbain », tandis qu’une localisation non choisie, exorégulée (c’est-à-dire celle de ceux que l’on concentre ou au contraire disperse) est caractérisée comme « rurale » — le rural et l’urbain pouvant se combiner au sein d’une même ville ou d’un même village, ceux qui s’endorégulent étant en général ceux qui exorégulent les autres. Autre proposition, également fondée sur la nature des rapports sociaux mis en œuvre : celle de Jacques Lévy, qui définit la ville comme « un géotype de substance sociétale fondée sur la coprésence » (1999, p. 199), mais qui ne constitue qu’une forme spécifique de l’« urbain » conçu comme « l’ensemble des géotypes caractérisés par le couplage spécifique de la densité et de la diversité » (Lussault 2003, p. 949). Dans les deux cas, il y a donc déconnexion nette (sans opposition) de « l’urbain » (en tant que concept analytique) et de ce que nous concevons usuellement comme « la ville », ce qui correspond assez bien à l’idée qu’exprime ici Hélène Noizet, selon laquelle la ville n’est qu’une forme possible, une « séquence contingente et historiquement située de l’urbain ».

[66] La notion de « naissance » est évidemment extrêmement ambiguë, car elle suggère une situation binaire avant = rien versus après = tout, alors que le processus historique de formation est continu (avec des variations de rythme) et qu’on ne doit pas être dupe des effets de seuil. Par ailleurs, cette notion a une nette connotation matérielle (absence physique versus présence physique), ce qui fait bon marché des aspects proprement idéels de l’existence des choses : l’apparition des villes est un phénomène à la fois matériel et idéel, elle se déroule à la fois sur les plans de l’organisation concrète des hommes et des représentations collectives. Enfin, le syntagme « existence des choses » ne doit pas être conçu de façon substantialiste : ce qui existe, ce sont des rapports sociaux qui se réalisent, se formalisent et s’activent dans « les choses », ce qui rend le problème de la naissance des choses encore plus périlleux. « Apparition » est peut-être un peu moins concret, mais je préfère en général parler de « sociogenèse » (ici de la ville) — à ceci près qu’il n’existe pas de verbe correspondant… Pour ne pas alourdir encore mon style, j’utiliserai alors le verbe « apparaître », à entendre avec les réserves faites ci-dessus.

[67] Le cas parisien est de ce point de vue particulièrement révélateur : il s’agit d’une nébuleuse formée (la cité gallo-romaine de la rive gauche étant abandonnée) par l’île de la Cité et une couronne de noyaux constitués autour de Saint-Merry et Saint-Gervais, de Saint-Germain-l’Auxerrois, de Saint-Martin-des-Champs (fin 11e siècle), de Sainte-Geneviève, de Saint-Marcel et de Saint-Germain-des-Prés. Dans d’autres cas (Limoges, Reims, etc.), il n’y a que deux noyaux, mais la civitas n’est rien d’autre que l’un d’eux.

[68] Il importe de signaler ici le phénomène remarquable observé par les archéologues travaillant sur les villes, à savoir la disparition quasi-totale après la fin du 11e siècle de la couche des terres noires qui constitue l’essentiel de l’anthroposol des agglomérations des 4e-11e siècles (Borderie 2011), comme si la forme (et donc la nature sociale) des interactions se modifiait alors dans les espaces où se sont finalement épanouies des villes.

[69] L’absence de spécificité fondamentale de la ville médiévale par rapport au reste de ce qu’il appelle « régime féodal » avait déjà été soulignée par Yves Barel (1977, p. 10-11), qui insiste aussi sur le fait essentiel que « sauf tardivement dans le Moyen Âge, les individus et les groupes qui sont à l’origine des villes médiévales n’ont ni l’intention ni la conscience de créer une ville. Ils obéissent à d’autres logiques. […] Au début du mouvement, il n’y a pas de ville, ni dans la conscience des gens, ni dans leur pratique sociale : le terme est une sorte de projection rétrospective qui n’a de sens possible que pour ceux qui connaissent la suite de l’aventure » (ibid., p. 56).

[70] Sur le cas particulier de l’Europe méditerranéenne, que je laisserai ici de côté, voir infra, note 76.

[71] Le simple examen des divers sens proposés par les dictionnaires de latin médiéval de Du Cange et de Niermeyer montre d’ailleurs que leur signification s’était largement « ouverte » par rapport au latin classique, et notamment que l’écart entre rural et urbain auquel on pourrait s’attendre y était fortement atténué (présence de sens « campagnards ») ou brouillé (interférences avec le château).

[72] Le cas du terme city, qui se développe fortement en Angleterre à partir du 14e siècle pour devenir l’un des termes les plus fréquents du champ lexical urbain, n’est contradictoire avec ceci qu’en apparence : comme l’a montré Ann-Marie Svensson (1997), on observe 1) que town reste le seul terme générique pour « ville », indépendamment de toute particularité de taille, fonction ou localisation (et le terme peut également être utilisé pour un village) ; 2) que city n’est pas une traduction de civitas, mais un emprunt tardif au français cité pour désigner initialement les grandes villes hors du royaume d’Angleterre (donc un mot « étranger » pour des villes « étrangères ») : le terme n’a été appliqué qu’à partir du 15e siècle aux grandes villes anglaises et aux quartiers cathédraux antérieurement nommés civitates. Il n’y a donc qu’un rapport indirect entre la civitas et la city, qu’illustre notamment l’absence de city dans les manuscrits moyen-anglais des 12e et 13e siècles — à l’inverse de town et de borough, qui fournissent alors ensemble 85 % des occurrences lexicales du champ urbain, sans compter leur présence suffixale dans les toponymes (à l’inverse de city, ce qui montre que le réseau urbain et l’ensemble des toponymes étaient déjà en place ; il faudra attendre la colonisation de l’Amérique du Nord, dans un contexte qui n’a plus rien de médiéval, pour que ce suffixe se répande dans les toponymes).

[73] Par la notion de « ville féodale » ici employée, j’entends à la fois spécifier la ville médiévale par rapport à la cité antique et au réseau urbain industriel, et prendre acte de la remise en cause d’une prétendue opposition entre la ville et le système féodal, construite par l’historiographie bourgeoise du 19e siècle à des fins idéologiques. Sur cette remise en cause, voir de façon générale Boucheron et Menjot 2003, p. 373, p. 430-431, p. 435, p. 495-496, p. 515-516.

[74] Ceci correspond d’ailleurs en partie à la polynodalité signalée supra, note 66. À Laon par exemple, le faubourg de Vaux-sous-Laon est soumis au 13e siècle à 14 seigneurs qui y ont chacun un maire et sont tous justiciers à des degrés divers (Saint-Denis 1994, p. 477-478).

[75] Le passage d’une situation d’adéquation entre la parcelle et le bâtiment d’habitation (l’ensemble, en général délimité par des rues donc formant un îlot, est dénommé à Laon, au 12e siècle, mansus, manerium ou domus) à celle où de multiples bâtiments d’habitation distincts sont construits sur une même parcelle est clairement repérée à Laon au 13e sicle par Alain Saint-Denis (1994, p. 367-371), et envisagée dès la fin du 13e à Blois (« Si autem herberiagium divisum fuerit, quot domus ex eo facte fuerint… », lit-on dans la charte de franchise de 1196 : Soyer et Trouillard 1903, p. 52 ; herberiagium n’y est pas à considérer en tant que la cellule primitive dont les subdivisions seraient des domus, car la clause précédente stipule « pro unaquaque domo quam preter herberiagium habebit… » : l’herbergement est une domus spécifique, en particulier par opposition aux pressoirs dès lors que ceux-ci ne sont pas habités par leur détenteur ou un locataire : « …exceptis pressoriis nisi domini ibi manserint vel aliis locaverint »). L’évolution parisienne est de ce point de vue beaucoup moins claire, la documentation ne permettant de repérer qu’à partir de la fin du 13e siècle les rapports entre le sol et l’immeuble, marqués par un net hiatus (Roux 1994a, 1995, p. 131-132, Bove 2001).

[76] Pour prolonger l’homologie entre ville et village, même le « principe de Carabas » peut être observé en ville : examinant les phénomènes de lotissement en Italie du Nord, Étienne Hubert montre que les principaux détenteurs du sol urbain, à savoir les monastères, étaient moins mus par des logiques de « rentabilité » (développer leur parc immobilier, dirait-on aujourd’hui) que de « favoriser l’installation d’habitants sur [leurs] biens-fonds » (2004, p. 125-126) versant chaque année un cens recognitif : on pourrait sans difficulté comprendre cette installation d’habitants comme le moyen pour le seigneur de s’assurer à long terme l’appropriation du sol urbain face aux multiples autres détenteurs ecclésiastiques, puis aussi les laïcs et les autorités urbaines. Autre analogie possible entre sol urbain et sol agricole : les concessions ad domum faciendam (ibid., p. 125) et les baux de complant utilisés notamment pour la viticulture.

[77] Je laisserai donc délibérément de côté les espaces italien et ibérique, dont on pourrait d’ailleurs considérer que leur situation urbaine est compliquée par la présence de substrats correspondant à des sociétés « urbaines » antérieures (romaine et musulmane) et distinctes de la société urbaine qui se met en place au Moyen Âge, ce qui signifie que l’illusion de la continuité urbaine y est encore plus forte (cf. ne serait-ce que l’usage de termes dérivés de civitas pour désigner les villes), et par conséquent son démontage d’autant plus ardu mais nécessaire. Mais après tout, Jacques Le Goff ne signalait-il pas que « l’Italie ne [lui] apparaît pas comme le modèle urbain par excellence. Il y a une illusion italienne dans l’histoire urbaine médiévale. L’Italie urbaine n’est pas le grand modèle, mais la grande exception » (1997, p. 451) ? Quant au cas de l’Espagne, on n’aura garde d’oublier les débats virulents entre des médiévistes qui considèrent que la conquête musulmane a laissé les traces morphologiques importantes (et l’on notera par exemple que des mots comme aldea ou alcalde, centraux dans l’histoire des communautés d’habitants ibériques, sont d’origine arabe) et d’autres qui nient cette importance au profit du maintien d’un substrat hispanique/wisigothique que la « Reconquista » n’aurait fait que dégager…

[78] Il importe cependant de rappeler que, par « division du travail », on n’entend pas la diversité des activités productives ou commerciales présentes en ville, mais spécialisation et interdépendance entre les diverses activités artisanales spécialisées (spécialisation qui est le moteur de cette interdépendance).

[79] La mise en place de cette division du travail est très difficile à suivre dans le détail, la documentation écrite étant peu loquace à ce sujet — et le qualificatif « artisan » pouvant s’appliquer également aux artisans-paysans (voir infra, note 80). Du point de vue archéologique, on pourra tout de même souligner que c’est apparemment aux 11e-12e siècle que se produit la différenciation entre la maison rurale et la maison urbaine (Verhaeghe 1994), qui pourrait être liée à des divergences fonctionnelles.

[80] C’est un des principaux résultats de l’ouvrage dirigé par Hansjürgen Brachmann (1995).

[81] Comme l’a montré Alain Champagne pour le Poitou (2007), on a affaire dans les campagnes à des artisans-paysans ou paysans-artisans exerçant leur activité de manière épisodique, et non pas à des artisans spécialisés et œuvrant de manière continue et exclusive.

[82] Les guildes sont censées avoir « réapparu » à partir du 11e siècle, de la même manière que les confréries, les visites pastorales, les Rogations, après un épais silence depuis la période mérovingienne ou carolingienne : même si le nom est ancien, et même en admettant une ressemblance institutionnelle, cela ne signifie en aucun cas qu’il s’agisse d’une institution de même nature, puisque le système social est radicalement différent. Il ne s’agit donc que d’un problème de ressemblance formelle : ce qui réapparaît est au mieux une forme, mais le sens social en est très différent, parce que la société a fortement évolué, et justement par la mise en place des « communautés d’installés » ; parler de « réapparition » contribuerait alors à masquer l’écart de sens social au profit d’une illusion de continuité. Je ne parlerai donc pas, à dessein, de apparition, mais là encore de formation — si l’on veut vraiment distinguer verbalement, pourquoi alors ne pas employer encore une fois l’adjectif « féodal » (ou « féodo-ecclésial », comme Jérôme Baschet) ? Sur cette posture continuiste problématique, voir entre autres, à propos des processions, Kuchenbuch, Morsel et Scheler 2010, p. 144-145, 163-166.

[83] Voir le préambule du fameux Livre des métiers de Paris d’Étienne Boileau : « Pour ce que nous avons veu a Paris, en nostre tans, mout de plais et de contens par la delloial envie qui est mere de plais, et deffernée convoitise qui gaste soy meisme, et par le non sens as jones et as poi sachans…, nostre intenptions est a esclairer, en la premiere partie de ceste oeuvre, au mius que nous porrons, touz les mestiers de Paris… » (1879, p. 1).

[84] Voir le livre des métiers d’Étienne Boileau, dans lequel revient inlassablement le segment « [les membres de tel métier] doivent le gueit et la taille et les autres redevances que li autre bourgois de Paris doivent au roy », qui pose ainsi implicitement l’équivalence entre appartenir à un « métier » et être bourgeois de Paris. À Cologne, les plus anciens statuts conservés (ceux des tisserands de literie de 1149) prétendent clairement concerner « omnes textorici operis cultores scilicet culcitrarum pulvinarium, qui infra urbis ambitum continentur » (Loesch 1907, p. 25), donc s’appliquer dans tout l’espace urbain. Un cas particulièrement clair d’équivalence entre « maison » ou « atelier » et appartenance à la communauté d’habitants est aussi fourni par les statuts des lormiers de Londres de 1260/61, dont l’article concernant l’entrée dans le « métier » de nouveaux maîtres, en provenance d’autres lieux, corrèle cette entrée à celle dans la commune et désigne l’ouverture d’un atelier par le syntagme « tenir maison » : « Item qe nul estraunge qe vient en la cité pur mesoun tenir ne forge ne ne oevre nule manere de lormerie, ne qe au mester apende, eynz qu’il eit doné demi-marc à la commune de Loundres pur sa entrée, et ii soulz à la boiste d’aumoine » (Riley 1862, p. 78, art. V).

[85] Le problème posé par cette comparaison concerne l’identification des « propriétaires terriens » (landowners) : s’il s’agit des seigneurs, il faudrait se garder d’oublier leur présence également en ville (jusqu’à nos jours !). En fait, l’intérêt des « gouvernements municipaux », c’est-à-dire des représentants des couches urbaines dominantes (en tout cas à Londres) devrait plutôt être mis (toutes proportions gardées) en parallèle avec celui des gros exploitants (les « coqs de village », l’autre identification possible des landowners de Hilton), qui pouvaient effectivement exercer une certaine pression sur l’organisation des travaux agricoles en fonction de leurs intérêts propres.

[86] Rappelons que la mise en place des communautés d’installés, fondées sur une spatialisation du statut social (l’habitant), a fini par s’accompagner, explicitement au plus tard à la fin du 12e siècle, par une « personnalisation » du statut des juifs (Morsel 2000b, p. 378-381).

[87] Leur nombre est expressément délimité en 1222 dans la forma pacis conclue entre l’évêque et le roi (Nortier 1979, n° 1805).

[88] Roux 1994b, p. 420-421 (boulangers), p. 423 (bouchers), p. 424 (voir note 8). Ce sont cette existence de « métiers » relevant de Sainte-Geneviève et le fait que l’université (qui exerce en bonne partie sur les terres de Sainte-Geneviève) est conçue comme une forme de « métier » (voir infra, note 94) qui expliquent, à mon sens, l’apparition d’une collation de la licentia docendi également par Sainte-Geneviève, attestée au plus tard vers 1220 (Verger 1986, p. 80, et surtout 1997).

[89] Gaëtan Desmarais a bien suggéré combien la « morphogenèse de Paris », c’est-à-dire la genèse à la fois de la société urbaine et de l’espace parisien, est indissociable des concurrences entre seigneurs, et notamment entre roi, évêque et abbaye de Sainte-Geneviève : roi versus évêque rive droite (1995, p. 176-179) ; roi et évêque versus Sainte-Geneviève rive gauche (ibid., p. 187-190). Fort logiquement, le règlement du conflit entre roi et évêque en 1222, qui marque une étape essentielle dans la formation de la communauté urbaine, procède également au règlement du problème des métiers (voir supra, note 86).

[90] Le fait même que le préambule du Livre en question stipule expressément, dans le passage transcrit supra (note 82), qu’il concerne touz les mestiers de Paris, alors qu’Étienne Boileau ne pouvait ignorer qu’il n’en était rien, montre que c’est moins une démarche ingénue de description qui est à l’œuvre qu’une volonté de produire un être social particulier.

[91] La charte de franchises octroyée par Louis VII en 1170/71 aux « marchands de l’eau de Paris » (« cives nostri Parisienses qui mercatores sunt per aquam ») est présentée comme une confirmation des coutumes en vigueur sous le règne de Louis VI (Lasteyrie 1887, p. 404).

[92] On retrouve là un schéma identique à celui qui caractérise les ministériaux de l’Empire, qui sont partout une composante essentielle de la couche dominante des villes. Sur l’appartenance fondamentale de l’aristocratie urbaine à l’aristocratie médiévale, voir Morsel 2004b, chap. 6.

[93] On a relativement peu progressé, en ce qui concerne les débuts de la Grande Boucherie de Paris, depuis René Héron de Villefosse, qui signale (1928, p. 63-65) l’existence d’un magister carnificium en 1146, d’un ministerium des bouchers de Paris confirmé par le roi en 1156 et d’« antiques » consuetudines confirmées par le roi en 1162 à la demande des naturales carnifices (les documents en questions sont publiés par Lasteyrie 1887, p. 303, p. 345, p. 379), coutumes encore confirmées (et cette fois en partie explicitées) en 1182 par Philippe-Auguste (Delaborde 1916, p. 97). Les données plus tardives fournies par Benoît Descamps (2004) sacrifient la réflexion sur les logiques socio-spatiales à la reprise des discours hygiénistes et polémiques du temps, mais il n’est pas à exclure que la thèse de celui-ci sur les bouchers de Paris à la fin du Moyen Âge (Descamps 2009), que je n’ai pas pu consulter, soit d’une autre teneur.

[94] Il faudrait peut-être rapprocher du cas des bouchers celui des changeurs, rassemblés précocement sur le Grand Pont en 1141/42 (Lasteyrie 1887, p. 277 ; la tradition insatisfaisante de ce document est partiellement compensée par une donation de la même année, qui mentionne effectivement la présence de boutiques de change au Grand Pont : ibid., n° 286), c’est-à-dire immédiatement sous l’œil du pouvoir royal (au Châtelet) tout comme les bouchers, ces deux activités ayant en commun 1) d’être en soi problématiques dans la société médiévale (Le Goff 1977, p. 93-94), mais 2) indispensables à l’approvisionnement urbain (direct ou par achat), 3) matériellement puissante — et 4) absentes du Livre des métiers.

[95] Le caractère urbain/artisanal des études ressenti par les « écoliers » eux-mêmes au 12e siècle a été souligné par Verger (1973, p. 28), après Le Goff (1957, p. 68).

[96] Il me paraît dès lors tout à fait significatif que l’une des principales franchises par rapport aux Parisiens accordées aux universitaires à Paris par la bulle pontificale Parens scientiarum en 1231 soit la légitimité implicite de l’hospitiorum taxatio par les universitaires, dont leur privation est mise sur le même plan que l’emprisonnement indu, la mutilation ou le meurtre de l’un d’eux (Denifle et Châtelain 1889, p. 137-138). Cette pratique, au demeurant obscure, de taxatio des logements est habituellement expliquée en termes de régulation du marché locatif, qui me paraissent parfaitement anachroniques. J’y verrais surtout une manifestation de la spécificité des universitaires par rapport à une communauté d’installés définie précisément par le mode d’habitation, bref que les universitaires ne sont pas des habitants comme les autres. Va, à mon avis, dans le même sens la distribution spatiale des « métiers » liés à l’université (voir infra, note 99).

[97] Étienne Boileau 1879, p. 2 : « Pour ce que nostre Sire dist et coumande en l’Evangile que on quiere au coumencement le regne de Dieu et toutes choses vous adreceront en bien [= Mt 6, 33], nous diront au comencement d’icele partie des clercs qui a Paris sunt a escole pour cause d’apprendre a celebrer le devin office, c’est a savoir des clers qui sunt escolier a Paris, li quel clerc ont université. Quiconques veut estre escolier a [fin du passage] ». Ce début de phrase correspond à la première clause de tous les « métiers », qui concerne la franchise ou la nécessité d’acheter le métier. Le fait que l’interruption de l’article sur les universitaires se produise entre la formule générale et l’énonciation des spécificités du métier en question laisse clairement penser que l’article était prévu, mais n’a jamais pu être rédigé. L’original du Livre des métiers a disparu au 18e siècle et le passage tronqué en question ne figure pas dans le texte même de sa copie la plus proche, datant de la fin du 13e siècle : il a été rajouté au 14e dans la marge du manuscrit à la fin du préambule. Les éditeurs du Livre considèrent cependant ce texte marginal non comme une interpolation, mais comme la restitution ultérieure d’un passage négligé, en raison de son caractère inachevé, par le compilateur de la fin du 13e siècle. Bref, ce passage tronqué ne daterait pas du 14e siècle, ni du point de vue de son intention ni du point de vue de sa troncation — celle-ci étant, mieux encore qu’une absence pure et simple de tout article sur les écoliers, le signe du caractère à part de cette activité urbaine.

[98] Les conditions sociales urbaines sont alors différentes, le problème majeur qui se pose aux gouvernements urbains est le contrôle des métiers (c’est d’ailleurs peut-être plus à cette époque que s’appliquerait l’analyse de Rodney Hilton évoquée supra, note 84), dont l’alliance représente un péril majeur pour le maintien de l’ordre social établi. Il importait donc désormais, la notion de communauté urbaine étant dorénavant solide, de jouer les métiers les uns contre les autres, à coup de privilèges particuliers et de gratifications symboliques (e.g. la concrétisation spatiale d’une hiérarchie symbolique des métiers). À Paris en 1416, toutefois, c’est l’inverse qui se produit (Coville 1888, p. 402, Descamps 2004, p. 112-114, p. 117-118) : la concentration des bouchers près du Grand Pont est remise en cause au profit d’une dispersion (Benoît Descamps parle d’« éclatement ») en plusieurs lieux, corrélative d’une suppression du caractère jusqu’alors à part (= « privilégié ») des bouchers parisiens, comme si la dispersion d’exercice était précisément le signe de la normalité urbaine (à quoi l’on n’aura garde d’oublier d’ajouter la dimension d’une mobilité exorégulée).

[99] On observe ainsi à Lubeck, à la fin du 14e siècle, une telle dissociation entre lieux d’activité et lieux de résidence, corrélée avec une relative concentration des étaux de vente à proximité de l’abattoir, alors qu’une nette dispersion semble s’être maintenue dans les autres villes (Veltmann 1993, p. 94-96). À l’inverse, à Paris où l’on supprime en 1416 la concentration des bouchers, on sait que se maintiennent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime des pratiques d’abattage chez les bouchers eux-mêmes (Descamps 2004, p. 111, p. 116).

[100] À l’inverse, diverses activités relevant des « métiers du livre » et bénéficiant des privilèges de l’université présentent une distribution spatiale « anormale », relativement groupée (Fianu 1992, p. 192-199, 2006), par opposition à la dispersion usuelle des activités. C’est notamment le cas des parcheminiers, des enlumineurs et des relieurs, dont 72,5 à 75 % de ceux qui sont identifiés avec certitude comme tels v. 1300 sont localisés dans une seule rue de la rive gauche (les premiers dans la rue aux Écrivains et les deux derniers dans la rue Erembourg-de-Brie) ; les libraires sont moins concentrés par rue (même si la seule rue Neuve-Notre-Dame, dans la Cité, rassemble 37,5 % de ceux qui sont identifiés avec certitude comme tels), mais ne sont cependant présents que dans quelques rues de la rive gauche et de la Cité, et nullement rive droite ; en revanche et à titre de comparaison, on observe que les écrivains sont dispersés dans l’ensemble de la ville. Ce qui fait ici sens est moins, en termes spatiaux, la proximité des écoles que le regroupement « anormal » lui-même des activités déjà directement sous la tutelle de l’université (libraires et parcheminiers) ou en voie de l’être (enlumineurs et relieurs, peut-être dès avant 1307 puisqu’ils bénéficient alors de l’exemption accordée aux libraires universitaires) (Fianu 1996, p. 3-6, 1998, p. 30-31). Tout se passe donc comme si la distribution spatiale « anormale » des activités sous contrôle universitaire (au contraire des écrivains, ce qui montre que l’enjeu n’est pas, par exemple, le « monde intellectuel », la différence de concentration entre marchands-libraires d’un côté et les artisans-parcheminiers et relieurs de l’autre découlant sans doute de logiques propres à la nature de l’activité et aux rapports de forces au sein de la « filière », comme le relève bien Fianu 2006, p. 45) signalait précisément la position « anormale » des universitaires au sein de la communauté d’installés. C’est exactement la même logique spatiale que celle qui conduit à un regroupement des juifs au sein de l’espace urbain (Morsel 2000b, p. 379-381) : la réduction du phénomène à une simple dimension de ghettoisation pensée sur le mode de la persécution (ou de la défense) ne rend pas compte des logiques spatiales propres à la société médiévale et constitue un autre aspect du réductionnisme « persécutionniste » que dénonce depuis plusieurs années David Nirenberg (1995, 1996, 2007), lequel traite toutefois l’espace comme enjeu de luttes d’occupation et donc plutôt comme ressource, et non pas comme facteur social.

[101] La documentation disponible à Greifswald (non pas fiscale, mais concernant les mutations foncières) ne permet pas de repérer directement la localisation des artisans. Si l’on admet cependant que ceux-ci résident tendanciellement dans le logement qu’ils possèdent, et qu’ils y exercent aussi tendanciellement leur activité, on pourra alors considérer qu’à Greifswald s’observe aussi une forte dispersion de la plupart des activités artisanales, même si certaines sont nettement plus présentes dans certaines rues (tannerie, mégisserie et cordonnerie dans les rues des Tanneurs et des Mégissiers, tisserands dans la rue des Chapons), néanmoins sans exclusivité ; il y a toujours d’autres artisans possessionnés dans ces rues, de même que des tanneurs, cordonniers, etc. dans d’autres rues.

[102] C’est du moins ce qu’on pourrait supposer si l’on admet que les observations contemporaines faites par Susanna Magri (1993) : il y a moins de tensions au sein d’un espace socialement mixte où chacun connaît « sa place » qu’au sein d’un espace socialement homogène où l’espace social fait l’objet de stratégies d’appropriation concurrentes) sont transposables sur la société étudiée, ce qui doit être discuté. Or Claude Gauvard a fait observer que la criminalité la plus ordinaire se produit justement au sein des réseaux d’interconnaissance : « le crime ne fermente pas dans un mode anonyme : il oppose des gens de connaissance, artisans d’un même métier, gens de la même rue, immigrés d’un même pays d’origine » (1991, p. 277). L’examen des liens préexistant entre coupable et victime (ibid., tableau p. 619) fait ainsi apparaître la large prépondérance (16,5 % des cas, devant les voisins avec 11,5 % des cas) des liens professionnels, distingués des liens hiérarchiques (maîtres, serviteurs) — il s’agit donc bien de liens entre ce que nous appellerions aujourd’hui des « collègues ». Par conséquent, des quartiers spécialisés, qui auraient ainsi fonctionné comme des isolats au sein de la communauté, auraient peut-être engendré une violence encore plus grande.

[103] Dans sa « Descriptio de la très noble cité de Londres » ouvrant la Vita de Thomas Becket qu’il compose vers la fin des années 1170, Guillaume fitz Stephen déclare même que Sunt etiam, quod ad christianæ fidei cultum pertinet, tum in Londonia tum in suburbio, tredecim majores ecclesiæ conventuum, præter minores parochianas centum viginti sex (Robertson 1877, p. 2-3). La « description » de Londres est reprise également en ouverture du Liber custumarum dont proviennent les statuts des lormiers de Londres signalés supra, note 83 (Riley 1862, p. 3 pour le passage cité).

[104] Pour comparaison du maillage paroissial avec les densités humaines, voir Bourlet et Layec 2013.

[105] D’une manière générale, on peut observer que le nombre de paroisses par ville est très inférieur dans l’Empire à ce qu’on observe dans les royaumes de France ou d’Angleterre, Cologne représentant de ce point de vue une exception (voir note précédente). La raison de ceci n’a pas été, à ma connaissance, envisagée et j’avancerai par conséquent l’hypothèse suivante : étant donné les liens étroits qui ont été établis, par exemple pour Paris par Adrien Friedman (1959), entre le morcellement seigneurial de la ville et le maillage paroissial, on pourrait supposer que la plus grande homogénéité paroissiale dans l’Empire correspond à une plus grande homogénéité seigneuriale. De fait, le morcellement seigneurial urbain se rencontre beaucoup plus rarement dans l’Empire (les noyaux y sont donc beaucoup moins polynucléaires qu’en France, par exemple), parce que les seigneurs y sont effectivement moins nombreux (ne serait-ce que parce qu’environ 80 % des villes existant vers 1250 en Allemagne dérivent d’un château) et parce que l’éventuelle multiplicité est en général convertie en une superposition (et non une « juxtaposition ») par le biais de l’avouerie, dont on sait qu’elle a justement conservé dans l’Empire une grande vigueur (voir en première approche Parisse 1994, p. 82-83 et p. 170).

[106] Du Cange 1886, s.v. « quarterius », « regio » ; Niermeyer 1997, s.v. « quartarium », « quarto » ; Godefroy 1889, s.v. « quartenerie », « quartier » ; Tobler et Lommatzsch 1936, s.v. « cartier » ; Wartburg 1975, p. 425 (« quartier » ne désignerait une partie de ville qu’à partir du début du XVIe s. : avant, il s’agirait du chef des « hommes de quart », c’est-à-dire du guet, ce qui correspond à l’anglais ward) ; Lewis 1984, s.v. « quarter(e » ; 2001, s.v. « ward(e, 3. » ; Benecke, Müller et Zarncke 1861-63, s.v. « ort », « vierteil » ; Lexer 1876-78, s.v. « ort », « vierteil » ; Junk 1997, col. 33–34. Johannes Schulze (1956) montre la présence très fréquente de « quartiers » dans les villes allemandes, dont l’existence n’est formellement attestée que très rarement avant la fin du Moyen Âge ou le début de l’époque moderne, mais qui paraît relever d’un schéma général plus ancien. Arlette Higounet-Nadal (1978, p. 45-47) signale des cas de « contamination » lexicale, le terme charreira ou carreira employé pour « rue » au 13e siècle pouvant donner au 14e siècle cartieyra, quartieyra ou quarteria, qui n’ont ainsi aucun rapport avec les « quartiers », issus d’un découpage « administratif » en quatre portions. Noël Coulet (1989) montre la coexistence du « quartier » administratif (qu’il propose de nommer « quarton ») et de divers espaces, intriqués, de sociabilité (notamment religieuses) et de « communauté de voisinage », qu’il subsume sous le nom de « quartiers » : bourgs, rues, (secteurs urbains dotés d’un toponyme propre et que nous appelons) « quartiers ». Pour Paris, voir Picot 1874, ainsi que Descimon et Nagle 1979.

[107] Heinz-Karl Junk (1997) conclut d’ailleurs sa notice en signalant que « l’approche sociogéographique moderne de la formation des quartiers est impropre pour le Moyen Âge ». Encore au 16e siècle, le dictionnaire français-latin de Robert Estienne (1549) traduit d’ailleurs « quartier d’une ville » par le latin classique regio urbis, de même que « les quatre quartiers du monde » sont dits cæli regiones (Estienne 1549, p. 51). Un quartier est ainsi simplement une partie d’un ensemble spatial (ce que confirme Huguet 1965, p. 266–268, qui ajoute des exemples de quartiers temporels) qui ne préjuge en rien des fondements du découpage.

[108] Hee sunt traditiones et leges nobis a patribus nostris et antecessoribus tradite et iura nobis relicta in parrochia Nitherich (Jakobs 1985, p. 286-287).

[109] On utilise ainsi pour des documents concernant théoriquement le Kirchspiel le sceau de la paroisse (e.g. en 1226 le S[igillum] parrochie beati Petri i[n] Colon[ia]), alors qu’un sceau propre au Kirchspiel était concevable comme le montre l’exemplaire conservé d’un Sigillum civium sancte Columbe in Colonia du 13e siècle (Groten 1995, p. 89).

[110] Pour Paris, on pourra tout de même consulter Bove 2000, sans pouvoir clairement distinguer entre la fin du 13e siècle et la fin du 14e, et en tenant compte de la particularité sociale des bourgeois envisagés — membres du patriciat parisien, présenté comme « un milieu homogène dont les attitudes sont comparables, sur bien des aspects, à celles de la noblesse » (ibid., p. 255).

[111] Dans la mesure des écarts entre les pratiques observées dans les villes allemandes et celles des villes françaises et anglaises, il faudrait également intégrer le paramètre du nombre des paroisses : il est difficilement concevable que l’existence de seulement deux paroisses à Nuremberg (pour env. 20 000 hab.) ait pu induire des pratiques cultuelles identiques à celle de sept paroisses à Avignon (pour env. 40 000 hab.) au 15e siècle. L’étude des pratiques de fondations de messes à Ratisbonne à la fin du Moyen Âge (Richard 2009) fait clairement apparaître, au cours du 15e, un resserrement des fondations sur l’espace urbain (au lieu de la Bavière), de même qu’un resserrement sur la paroisse du fondateur (au lieu de l’ensemble des paroisses de la ville), le maintien d’une dimension « panurbaine » ne s’observant que chez des membres du Conseil, qui se doivent de manifester que leur échelle de vie (et de mort) est la ville tout entière. Tout se passe donc comme si, initialement (en tout cas au 14e siècle), le cadre de la commémoration avait bel et bien été supra-paroissial, avant de se restreindre progressivement à celui-ci — comme résultat d’un lent processus de « paroissialisation » des identités urbaines, à l’inverse de la tendance courante à voir dans la paroisse un cadre « naturel » d’appartenance.

[112] Terminologie employée à Marseille et à Aix au début du 14e siècle (Coulet 1982, p. 386). Sur les processions urbaines, voir (notamment sur les Rogations) Kuchenbuch, Morsel et Scheler 2010 ; sur la Fête-Dieu, beaucoup plus systématique que les Rogations mais aussi plus tardive (officiellement instaurée en 1264, elle est rarement célébrée avant le 14e siècle, parfois très avancé comme à Ratisbonne), voir notamment Löther 1999.

[113] Stoob 1985 –— qui ne concerne cependant pas seulement Cologne ni le seul thème des confréries, au contraire de Militzer 1997-99.

[114] Cette confrérie remonte au moins au 12e siècle, mais Vaquier prétend la faire dériver d’« une petite société parisienne appelée “des douze apôtres” [attestée entre 1058 et 1066 et qui] présente avec la Confrérie Notre-Dame de telles similitudes qu’il faut conclure à leur identité » (1911, p. 147). Dans les textes du 13e siècle, cette confrérie est seulement désignée comme Magna confratria beate Marie Parisiensis, et ses membres sont 50 prêtres et 50 laïcs (tam presbyteri quam laici), auxquelles sont adjointes en 1224 les éventuelles 50 épouses des confrères laïcs. La désignation « prêtres et bourgeois de Paris » est postérieure, au plus tard du milieu du 15e siècle.

[115] Voir Richard 2009, p. 158-159 (sur les paroisses urbaines incorporées), p. 184-185 et p. 257-258 (sur la confrérie et son recrutement). Omont (1908) présente un manuscrit du milieu du 15e siècle concernant la « branche » rattachée à Saint-Emmeram dans lequel figurent quelques documents plus anciens, dont l’un qualifie expressément la confrérie de fraternitas urbanorum, ainsi qu’une liste de membres depuis 1201.

[116] Dans l’ordre chronologique (avec date de première mention), les confréries du Saint-Esprit (1159/75), Sainte-Marguerite (1194/97), Sainte-Catherine (fin 12e siècle), Saint-Lambert (début 13e siècle), Sainte-Marie-Madeleine (1202), des Rois Mages (mi-13e siècle), de la Trinité (1269), Sainte-Croix (1292) : Militzer 1997-99, respectivement n° 42, 31 et 31*, 56, 30, 82, 26, 84, 86.

[117] C’est là le principe déjà rencontré supra, note 100, à propos des métiers de Greifswald. On peut d’ailleurs certainement mettre aussi en relation le recrutement de la Grande Confrérie Notre-Dame à travers tout Paris avec le fait souligné par André Vaquier (1911, p. 150 sq.) que ladite confrérie possédait « des maisons dans différents quartiers de Paris ».

[118] Le plan présenté a été redessiné par Hélène Noizet (que j’en remercie chaleureusement) à partir d’un fond constitué par un plan de Keussen (1910) intitulé Übersicht über die Pfarreinteilung, die kirchlichen und Wohltätigkeitseinrichtungen, nach dem Stande um 1500 unter Modernisierung der Namen.

[119] Au sud (Ulrichsgasse) comme au nord (Hofergasse, Johannisstraße, Kostgasse, Niedrich), à l’ouest (Neumarkt, Auf dem Berlich) comme à l’est (Buttermarkt), enfin dispersé dans un large centre (Heumarkt, Martinstraße, Steinweg, Seidmachergäßchen, Unter Seidmacher, Unter Käster, Oben Marspforte, Herzogstraße, Glockengasse, Auf der Ruhr, Kupfergasse, Domhof).

[120] St. Severin, Klein St. Martin, St. Alban, St. Brigitta, St. Kolumba, St. Aposteln, St. Johann Evangelist, St. Lupus, St. Kunibert, peut-être aussi (étant donné la localisation imprécise du n° 42.7) St. Paulus ou St. Maria Ablaß.

[121] Auf dem Berlich, Minoritenstraße, Maria-Ablaß-Platz, Untersachsenstraße (3 maisons), Stolkgasse, Maximinenstraße (2 maisons), Eigelstein, Johannisstraße (2 maisons), Goldgasse.

[122] St. Kolumba, St. Paulus, St. Maria Ablaß, St. Kunibert et St. Lupus.

[123] Si l’on pousse au-delà de 1300, on trouve encore en 1324 une maison Johannisstraße (au nord, paroisse St. Lupus) et diverses maisons Schartgasse (au sud-ouest, paroisse St. Petrus), voir Militzer 1997-99, n° 86.6 et 86.7.

[124] Ceci ne signifie d’ailleurs pas non plus que les confréries apparaissent en ville parce que les paroisses n’y jouent pas le rôle de spiritualisation de la communauté d’installés qu’elles ont dans les campagnes, comme si elles avaient d’emblée eu une fonction de transcendance des liens paroissiaux. En revanche, on peut imaginer que c’est pour cette raison (la division paroissiale) que les confréries sont aussi nombreuses en ville (très probablement sans rapport avec le nombre des habitants).

[125] Sur cette figure du retour et sa disparition à l’époque contemporaine, voir Morsel 2007, p. 173-174.

[126] Voir supra, note 83. La comparaison que permet Karl Bücher (1886, p. 422-464, p. 627–656) des livres de bourgeoisie de Francfort (1401-1500) avec le livre de confrérie des compagnons serruriers (Schlossergesellen) de la même ville (1402-1524) est très significative de ce point de vue : plus de la moitié (53 %) des bourgeois proviennent d’un rayon de 15 à 75 km autour de la ville, tandis que plus de la moitié (57 %) des compagnons provient de plus de 150 km. D’une manière générale, la distance moyenne de recrutement des compagnons serruriers est plus de trois fois supérieure à celle des bourgeois. D’autre part, plus de la moitié (56 %) des bourgeois proviennent de la campagne, tandis que plus des trois-quarts (79 %) des compagnons proviennent de la ville, ce qui montre que la nature sociale des migrations est très différente : celle des bourgeois correspond à une installation en ville tandis que celle des compagnons correspond à une circulation au sens propre du terme. La même chose s’observe également à Bâle : 75 % des nouveaux bourgeois de la période 1358-1400 provenaient d’un rayon inférieur à 75 km autour de la ville, tandis que plus de la moitié (58 %) des compagnons serruriers et près de la moitié (43,5 %) des compagnons tanneurs provenaient d’une distance supérieure à 150 km (Rippmann 1990, p. 85-93, p. 122-123, voir aussi Schulz 2010, p. 244-246). Sur l’importance des déplacements des compagnons dans l’espace rhénan au 15e siècle, on verra aussi Debus-Kehr 2007, p. 84-116.

[127] Voir aussi Bourdieu (2002), où l’internalisation de l’ordre masculin passe par celle des structures de l’espace et du temps.

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