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Serendipity.

Art participatif et spectacles urbains : une analyse des transformations des politiques de l’art à Lyon.

Je remercie Cédric Terzi et Émilie Dalage pour leur relecture critique.

Les arts ne prêtent jamais aux entreprises de la domination ou de l’émancipation que ce qu’ils peuvent leur prêter, soit, tout simplement, ce qu’ils ont en commun avec elles : des positions et des mouvements des corps, des fonctions de la parole, des répartitions du visible et de l’invisible. (Rancière 2000, p. 25)

Depuis 1996, les rues du centre-ville lyonnais se transforment un automne sur deux en scène artistique : en ouverture des biennales internationales, la danse et l’art contemporain font le mur et exposent aux regards des citadins, des chorégraphies et des créations collectives réalisées avec des habitants [1]. En amont de ces manifestations, des chorégraphes et plasticiens travaillent plusieurs mois — de trois à dix mois pour l’Art sur la Place, de neuf à douze dans le cadre du Défilé — avec des personnes définies par leur diversité d’origine — sociale et culturelle — et leur éloignement de l’art — le « non-public » des institutions artistiques. Le jour J, une vingtaine de groupes venus de divers quartiers et communes du Grand Lyon défilent ou exposent au cœur de la presqu’île lyonnaise. L’Art sur la Place et le Défilé partagent un cadrage institutionnel équivoque entre « mondes de l’art » et politique de la ville. Ils sont intégrés dans le programme des Biennales internationales de Lyon, bien que le statut artistique de ces créations collectives ait toujours donné lieu à des débats extrêmement vifs dans les milieux artistiques. Le comité de pilotage intègre par ailleurs des acteurs de la politique de la ville qui financent ces projets dans une optique de développement social et territorial, bien que l’impact de ces expériences en termes de démocratisation culturelle ou d’insertion sociale ait également toujours fait polémique. Dans les coulisses institutionnelles, les différents partenaires et financeurs publics se sont régulièrement opposés sur les coûts et les profits de ces manifestations au regard de leurs propres missions. Mais il est un objectif sur lequel mondes de l’art et de la politique de la ville se sont rapidement accordés : la valorisation de la diversité.

Depuis l’origine du projet, les discours des organisateurs, financeurs publics, artistes, médiateurs et travailleurs sociaux sont sur ce point à l’unisson. Guy Darmet (Directeur de la Maison de la Danse et Directeur artistique de la Biennale de la Danse) présentait ainsi le premier Défilé :

En invitant à Lyon sur le parcours symbolique des Terreaux à la place Bellecour des milliers d’adolescents, d’hommes et de femmes venus souvent de ces espaces urbains dits sensibles, nous avons choisi de donner la parole à ceux que l’on entend peu pour qu’ils nous transmettent un message de tendresse et d’espoir. Des propos lucides qui ne sont pas tenus pour oublier quelques heures seulement la réalité mais pour ouvrir des portes, susciter des rencontres, inventer de nouveaux comportements, à partir du travail que font tout au long de l’année les acteurs sociaux. (Livret du Défilé de la Biennale 1996)

Déplacer les corps, redistribuer les places, rendre visibles ceux qui ne le sont pas, audibles ceux que l’on n’entend pas, ouvrir l’espace public du centre-ville aux habitants de la périphérie… L’esthétique de ces projets est explicitement mise au service d’une politique du sensible, visant à transformer l’ordre de la « police » — « cette logique des corps à leur place dans une distribution du visible et de l’invisible, de la parole et du bruit » (Rancière 2008, p. 66). Ces déplacements artistiques ont-ils une quelconque portée politique ? Pour Philippe Dujardin, spécialiste des fêtes lyonnaises, le Défilé est à la fois « une parade citoyenne » et un « rituel d’agglomération » (Dujardin 2002). Dans « un même élan éthique, artistique et politique » (Dujardin 2000, p. 37), la ville s’y donnerait à voir de manière inédite dans sa diversité : « Bellecour, lieu commun, lieu public, haut lieu, puisqu’agrandi de ce jamais-vu, ennobli, non d’une royale statue équestre, mais de la présence de ce nous-tous-chacun, faisant l’agglomération » (ibid.). L’historien analyse cet événement comme un équivalent contemporain des « fêtes révolutionnaires » qui visaient à construire de nouvelles identités en ouvrant des espaces au peuple (Corbin 1994). A contrario, Sophie Wahnich affirme que le régime politique de ces manifestations relèverait davantage d’une « biopolitique mâtinée de constitution policière de la cité » (2006, p. 100). Elle a étudié l’édition 2003 de l’Art sur la Place et le Défilé de 2002 en historienne du présent, transformé en archive un recueil de témoignages conçu par des acteurs de ces manifestations afin d’analyser les conceptions de la démocratie à l’œuvre dans ces politiques culturelles — qui présentent les pratiques participatives artistiques comme un équivalent de pratiques de démocratie participative. Si ces projets jouent sur « un répertoire d’imaginaires et d’actions qui relèvent indéniablement de la politique participative en tant qu’elle a partie liée avec la possibilité de “prendre la parole en public”, de “faire entendre sa voix”, de “devenir visible” » (Wahnich 2006, p. 89), ils n’engendrent pourtant que des simulacres, conclut-elle. N’ayant pas de débouchés politiques dans un rapport à la production de la loi, ils restent dans le paradigme du « faire voir » et du « faire parler » qui n’est pas le logos politique (ibid., p. 100).

Dans les pages qui vont suivre, nous proposons de rouvrir le débat sur la portée politique de ces projets artistiques participatifs en questionnant l’impact de cette valorisation artistique de la diversité de la cité sur l’esthétique — ce système de découpage et de distribution des formes sensibles que Jacques Rancière situe au fondement du politique. En anthropologue, j’analyserai l’évolution du sens et de la portée de ces deux manifestations. S’ils partageaient un même objectif, le Défilé et l’Art sur la Place ont fait l’objet de traitements institutionnels différents. La variation du sens fixé sur ces deux projets par les représentants d’institutions et les acteurs politiques lyonnais est importante à analyser en ce qu’elle révèle une transformation profonde des politiques culturelles au fil des quinze dernières années. Nous proposerons enfin de nous rapprocher des ateliers où se préparaient ces événements pour saisir le sens de ce qui s’y réalisait du point de vue des participants. J’ai suivi au quotidien différents projets en 1998, 2000 et 2003. Cette ethnographie a été complétée par des entretiens formels et informels avec des participants, des artistes, des travailleurs sociaux et des représentants d’institutions, réalisés de 1999 à 2007. À partir de ce corpus de données, constitué dans la durée par une démarche d’observation participante, ce papier propose d’analyser « l’entrelacement des logiques hétérogènes » (Rancière 2008, p. 71) de cette politique de l’art et son évolution dans le temps.

Le Défilé de la Biennale de la danse de Lyon ou les métamorphoses de la « diversité ».

Une politique de reconnaissance des cultures urbaines.

Guy Darmet a coutume de raconter que l’idée d’ouvrir la Biennale par un Défilé lui est venue alors qu’il découvrait l’effervescence de la préparation du carnaval, associant des cariocas de toutes catégories sociales, dans une école de Samba au Brésil. Pour mettre en place cet événement à Lyon, il s’est appuyé dès la première édition sur de jeunes chorégraphes majoritairement issus du mouvement Hip Hop. La connexion entre cette institution culturelle prestigieuse et cette danse de rue avait été réalisée quelques années plus tôt par l’entremise de Benoit Guillemont, représentant de la Direction régionale des Affaires culturelles. Il faisait partie d’un réseau de représentants d’institutions et d’associations qui s’était constitué quelques années plus tôt pour mettre en œuvre une politique de reconnaissance du Hip Hop [2]. Ils furent à l’initiative des rencontres « Danse, Ville, Danse », dont l’objectif était d’ouvrir un espace de formation et de valorisation pour les groupes de danseurs de Hip Hop qui fleurissaient dans les banlieues de la région. Ce projet initiait des collaborations professionnelles et institutionnelles inédites entre les mondes du travail social, de l’action culturelle et de la culture [3] qui ne se sont pas réalisées sans résistances. Les premières rencontres eurent ainsi lieu à Villefranche en 1992 dans un gymnase, parce que le directeur du théâtre de la ville avait refusé d’accueillir l’événement. Les secondes devaient avoir lieu à Valence sur la scène du théâtre le Bel Image, mais le Maire a annulé la manifestation en décembre 1992 de peur de voir sa ville envahie par des jeunes venus de toutes les banlieues de la région [4]. C’est alors que Benoit Guillemont est allé à la rencontre de Guy Darmet, qui a immédiatement accepté d’ouvrir les portes de la Maison de la Danse à ces rencontres [5]. Conquis par l’énergie des jeunes danseurs, il est ensuite resté en lien avec ce mouvement et a joué un rôle de passeur entre ces groupes — qui ne connaissaient alors que le sol des MJC et de la rue pour danser — et les mondes de la danse contemporaine. Il a accueilli les rencontres européennes du Hip Hop en 1997, les a mis en lien avec des chorégraphes professionnels et des institutions culturelles prestigieuses, a fortement soutenu des trajectoires de danseurs comme Mourad Merzouki [6]. Il a ainsi contribué à ouvrir un espace de ressources matérielles et symboliques pour les danseurs de Hip Hop. Nombreux sont ceux qui ont signé leur premier contrat de chorégraphe et touché leur premier cachet à l’occasion du Défilé. Cette manifestation s’inscrit donc dans un projet politique — fortement soutenu par les Ministères de la Culture de gauche et de droite [7], qui se sont succédé à l’époque — dont l’objectif était d’ouvrir sur le terrain artistique un espace de reconnaissance positive pour les jeunes des banlieues populaires. Dix ans après les premières explosions urbaines des Minguettes à Vénissieux, la région avait de nouveau été le théâtre de violences en 1990 à Vaulx-en-Velin. Et, comme le note Jacques Donzelot,

symboliser à ce point la question urbaine ne pouvait qu’inciter les responsables communaux ainsi que ceux de la communauté urbaine à démontrer, plus fortement qu’ailleurs, leur détermination à y apporter des solutions, à réintégrer ces cités dans l’agglomération, à faire en sorte que toutes les parties de celle-ci battent au même rythme. Une unification que va symboliser on ne peut mieux la Biennale de la danse de Lyon qui rassemble des troupes venues de tous ces quartiers. (Donzelot, 2011 p. 1)

Il ne s’agissait pas pour autant, comme pourraient le supposer des observateurs pressés, d’une opération de légitimation des cultures minoritaires. Pas de défis, de performances ou de « free-style », le Hip Hop qui défile au cœur de Lyon s’est déjà en partie détaché de ses propres conventions artistiques. L’une des particularités du Défilé est en effet de présenter des déplacements entièrement chorégraphiés. Les danseurs recrutés ici en tant que chorégraphes, avaient, dans leur grande majorité, été formés à la chorégraphie dans les stages de danse contemporaine mis en place par le réseau « Danse, Ville, Danse ». L’intérêt des acteurs institutionnels pour ce mouvement s’est en effet systématiquement doublé d’une exigence « d’ouverture sur l’universel » (voir Milliot 2006). Ce mouvement leur apparaissait comme un bon outil d’acculturation — en ce qu’il permettait à ces jeunes de se créer une identité commune au-delà des diverses cultures d’origine de leurs parents — et un bon levier de socialisation — en ce qu’il permettait d’impulser, à partir d’une situation positive, une dynamique d’apprentissage. Mais ils n’accordaient pas de légitimité artistique au Hip Hop en tant que tel. Ils ne soutenaient, par conséquent, que les projets qui visaient une ouverture sur d’autres langages chorégraphiques. S’il prend l’allure d’un carnaval des cultures urbaines, ce Défilé renvoie donc au moment de sa création, à un projet d’intégration par métissage de la jeunesse d’origine immigrée porté à différentes échelles, du ministère de la Culture aux différentes collectivités territoriales.

Photo 1 : La ville en chantier. Défilé de la Biennale de la danse 2006. Photographe : Stéphane Rambaud.

Photo 1 : La ville en chantier. Défilé de la Biennale de la danse 2006. Photographe : Stéphane Rambaud.

En 2012, Mourad Merzouki, enfant prodige de cette politique, a proposé de clore le Défilé (dont il a assuré la codirection artistique) par une revisite de Récital. Ce spectacle, créé en 1998 sur commande de la Maison de la danse pour la Biennale, confrontait avec humour Hip Hop et concerto classique. Il a été joué près de 500 fois dans le monde entier et a eu des répercussions importantes dans le monde de la danse contemporaine et du Hip Hop.

Je suis très fier que cette pièce ait eu cet impact dans le monde, parce qu’aujourd’hui à New York, enfin les théâtres s’intéressent à quelques chorégraphies Hip Hop américaines parce que quand on a été présenter Récital, il n’y avait jamais eu de connections entre la rue et l’institution, on est en 98 et les premières connections avec les institutions à l’époque c’était 92, 91 […] En France en 92, 93, il commençait à y avoir de vrais liens avec les institutions, les mondes de l’art. Aux États-Unis, alors que le Hip Hop est né là bas, en 98, c’était impensable d’imaginer une résidence au Danse Théâter Workshop. Et c’est après le passage de Récital que David Wright le directeur de l’époque dit OK y’a quelque chose dans le Hip Hop, donc tu vois la fierté quand tu rentres en France, pour nous le Hip Hop, New York, c’était… (Mourad Merzouki, entretien avril 2009)

Cette politique a donné naissance à une danse de scène à la croisée du Hip Hop et du contemporain aujourd’hui considérée comme une spécificité française. Elle a permis de raccorder cette danse de rue aux mondes de la danse contemporaine et ainsi de l’inscrire dans l’histoire de l’art. Ces déplacements artistiques de la banlieue au centre ont de ce point de vue été fortement instituants. En rejouant cette pièce avec quarante danseurs de toutes les générations du Hip Hop lyonnais — dont les anciens de Traction Avant, Melting Pot, et les jeunes du Pokemon Crew — en clôture du Défilé 2012, Mourad Merzouki a rendu visibles les liens inextricables qui existent entre cette histoire institutionnelle — à laquelle participe le Défilé — et celle de la danse Hip Hop en France.

Conflits idéologiques.

À la fin des années 90, des tensions idéologiques se sont cristallisées sur le terrain culturel. La politique de reconnaissance des cultures urbaines soutenue par le gouvernement socialiste donnait lieu à une controverse politique nationale. La presse de droite et d’extrême droite dénonçait l’idéologie du Ministère Lang et le projet sous-jacent d’une société multiculturelle qu’ils percevaient derrière les opérations de reconnaissance du Hip Hop (Dubois 1999).

Les élus du Front National (F.N.) accédaient au pouvoir régional par les urnes — et à la tête de l’exécutif suite à un accord avec Charles Million, UDF — en 1998. Ils investirent le champ culturel et s’opposèrent très vite au financement du Défilé ayant pour thème « La Méditerranée, un cercle ouvert sur le monde ». Pierre Vial, premier vice-président F.N. de la commission culture, dénonçait « derrière l’apparence festive, un message idéologique au cœur de la biennale », une manière de « tirer la France vers le Sud » [8] retient, pour chaque édition, une vingtaine de projets associant un chorégraphe et un opérateur local (théâtres, centres sociaux, MJC ou associations culturelles). La compagnie Zanka s’est, par exemple, associée aux foyers de travailleurs migrants ARALIS en 1998, Mourad Merzouki a fait quatre Défilés avec l’Espace Albert Camus puis le centre chorégraphique Pôle Pik de la ville de Bron, Jean Claude Carles d’Air Compagnie s’est associé en 2012 avec la MJC de Villeurbanne. La composition des groupes reflète en grande partie les liens que ces structures entretiennent avec leur territoire. Certains projets mobilisent un réseau dense d’associations locales et d’habitants, d’autres ont des difficultés à trouver des participants dans la localité [10]. À chaque édition, des projets labellisés « insertion » [11] mobilisent également une centaine de personnes envoyées par l’Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE) ou les Missions locales sur la base de contrats de formation ou de conventions de stages.

Deux sociologues, Pierre Alain Four (2003) et Pierre Merklé (voir Detrez 2005), ont montré, le premier par une analyse qualitative de six ateliers et le second par une étude quantitative de 1600 questionnaires, que le profil des participants ne correspondait pas exactement à ce qui était mis en avant dans les discours des organisateurs et des financeurs publics. Si le catalogue de la diversité intégré à tous les documents de communication du Défilé correspond bien à la réalité des quelques projets « insertion », il est loin d’être représentatif de l’ensemble des participants. Dans les faits, affirment les sociologues, les jeunes, les femmes et les catégories favorisées et moyennes sont surreprésentés, les néophytes très peu nombreux. Si l’on peut légitimement s’interroger sur les méthodes mises en œuvre par les sociologues de l’ENS [12], il existe de fait une étonnante distorsion entre la composition effective de ces collectifs et les discours cadrant leur visibilité. Il s’agit moins de groupes porteurs de cultures minoritaires que de réseaux d’individus hétérogènes constitués par des structures institutionnelles réalisant, sous la direction de chorégraphes, des marches dansées sur des thèmes imposés, moins d’un carnaval de la diversité que d’une parade d’agglomération. Si Maurice Charrier (maire de Vaulx-en-Velin) se félicitait de constater que 50 % des participants du cortège de sa ville n’y résidaient pas, rappelant ainsi que l’un des objectifs de la politique de la ville était de décloisonner les « quartiers » en amenant les habitants du centre de Lyon en périphérie, ce décalage entre l’image publique du Défilé et sa composition effective reste à analyser.

Les conclusions de l’étude ont alimenté un débat dans la presse locale, mais n’ont pas conduit les élus à remettre en question leur investissement dans cet événement. Le comité de pilotage a commandité une contre-étude à l’Agence d’Urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise afin de prouver la représentativité du Défilé [13]. L’événement est en effet fortement soutenu par les élus et de plus en plus par les acteurs de la vie économique locale. La ville s’est progressivement muée en métropole et « une part notable de sa visibilité internationale tient aux événements culturels qui rythment la vie lyonnaise depuis les années 90 » (Authier 2010, p. 111). Le Défilé a contribué au rayonnement touristique de Lyon. Lionel Arnaud (2008) a montré, par une comparaison entre le carnaval de Notting Hill à Londres et le Défilé de la Biennale de la danse à Lyon, comment une logique économique a redéfini le sens de ces événements festifs. Dans un contexte de décentralisation et de désengagement de l’État, ils sont progressivement devenus l’instrument d’un « marketing de la diversité » (Arnaud 2008). La part des financements privés et celle de la communauté urbaine du Grand Lyon n’ont cessé d’augmenter à mesure que l’État se désengageait. Le Défilé est désormais fortement soutenu par les entrepreneurs publics et privés du Grand Lyon, parce qu’il contribue au « développement du territoire » et rend la ville plus attractive pour les touristes (Largeron 2010). Dans le jeu concurrentiel des « villes marchandises » (Garnier 2008), la diversité de l’agglomération lyonnaise est finalement devenue un produit d’appel et le défilé s’est mué en « simulacre festif » (ibid.).

En 16 ans, le sens de ce Défilé s’est profondément transformé à mesure que se construisait la métropole lyonnaise. Élément d’une politique de reconnaissance, il a contribué à déplacer le Hip Hop des banlieues au centre et de la rue à la scène. Révélateur et acteur d’un « dissensus » [14] politique, il a été la cible des élus de Front National à la fin des années 90, ce qui a finalement généré un consensus républicain sur la question de la mixité. En tant que spectacle et arène de débats, le Défilé a ainsi constitué une scène de problématisation de la question de diversité de la cité. Au tournant des années 2000, cette diversité — dont le sens a fini par se diluer à force d’être décliné — s’est muée en valeur marchande. C’est moins la démocratisation culturelle et l’insertion par la culture que le développement économique du territoire que visent désormais les politiques culturelles du Grand Lyon.

L’Art sur la Place partageait avec le Défilé un même projet d’art participatif, auquel les organisateurs ont finalement renoncé. Nous proposons, dans cette deuxième partie, d’exposer l’histoire de cet échec et de nous rapprocher des ateliers d’art participatif pour analyser ce qui s’y jouait du point de vue des participants.

L’Art sur la Place, reconnaître « la créativité de l’homme de la rue ».

Une expérimentation hésitante entre art et société.

La première édition de l’Art sur la Place a eu lieu en écho au Défilé en 1997 :

La thématique développée par la 4e biennale de Lyon, « l’autre », imposait d’imaginer un événement au cœur des expressions artistiques autres. Aussi, après la réussite du Défilé de la Biennale de la Danse où chacun a pu découvrir les expressions artistiques urbaines autour de la danse et de la musique, l’Art sur la Place souhaite montrer ce dimanche 7 septembre leurs résonances dans le domaine des arts plastiques,

écrivaient Thierry Prat et Thierry Raspail (directeurs artistiques) dans le premier livret de présentation de l’Art sur la Place. Le jour de l’événement, une quarantaine de graffeurs (venus de New York, Amsterdam, Stockholm, Paris, Marseille, Toulouse, Grenoble et Lyon) ont réalisé, place Bellecour, des performances sur des panneaux en bois. Ce « festival des trottoirs » incluait également une exposition des travaux de quinze plasticiens missionnés dans le cadre de ce projet pour animer des ateliers d’expression collective dans différents quartiers [15].

En 1998, une nouvelle édition de l’Art sur la Place est organisée avec douze artistes — dont un seul graffeur. Les cultures urbaines ne sont plus à l’affiche. Le sens du projet n’est pas encore très clair. Dans la continuité d’une politique menée depuis des années par le musée sur « l’esthétique de la réception », l’idée est de travailler la continuité entre « art » et « culture visuelle ». Les directeurs artistiques ont des difficultés à qualifier ce qui est produit dans le cadre de l’Art sur la Place. Il est question « d’interventions hybrides nées d’un processus de création », de « procédures » et «  méthodes conduites par des artistes » (Livret de présentation de l’Art sur la Place) sans que la dimension de création collective ne soit clairement mentionnée. Les organisateurs avaient imaginé une alternance entre une année Biennale, où le projet serait exposé sur une place centrale de Lyon, et une année Musée, où il donnerait lieu à des expositions dans les quartiers de résidence des populations avec lesquelles les artistes avaient travaillé. Ce fut le cas cette année-là pour les douze plasticiens impliqués. Le musée d’art contemporain a également organisé un forum de trois jours et une exposition dans ses murs. Quelques projets considérés comme aboutis par les directeurs artistiques et des vidéos, photographies ou dessins témoignant du processus à l’œuvre dans les autres ateliers ont été présentés au musée. Mais l’espace avait été délimité par un marquage au sol, signalant une différence de statut entre ce qui était exposé dans le reste du musée et cette expérimentation entre art et politique de la ville. Cette séparation a soulevé de telles polémiques — les artistes impliqués se sentant dévalués par la logique d’exposition — que cette expérience de restitution intra-muros ne fut pas renouvelée. Les thématiques du forum — où sont intervenus Christian Ruby, Richard Shusterman, Vera L. Zolberg, des artistes comme Krzysztof Wodiczko ou Nicolas Bourriaud — reflètent les interrogations des milieux artistiques et culturels face à l’ouverture de cet espace d’art participatif (voir Saez 2001). La troisième journée fut consacrée aux expériences menées dans le cadre de l’Art sur la Place. Des chercheurs missionnés par le Musée pour observer ces ateliers ont restitué l’état de leur réflexion. Les débats entre artistes, experts en sciences humaines, et institutionnels furent particulièrement vifs ce jour-là, sur la question des frontières — entre art et action culturelle — de la légitimité artistique, de l’implication sociale de l’art et de ses enjeux citoyens. Les artistes ont exprimé avec véhémence leur refus d’être considérés comme des « pompiers » du social et leur désir de reconnaissance.

Photo 2 : Une ville d’O, Défilé de la Biennale de la danse 2006. Photographe : Stéphane Rambaud.

Photo 2 : Une ville d’O, Défilé de la Biennale de la danse 2006. Photographe : Stéphane Rambaud.

En 2000, la troisième édition de l’Art sur la Place fut organisée dans le cadre de la Biennale d’Art contemporain « partage d’exotismes ». Le cadrage institutionnel de l’événement semblait moins hésitant. Pour les acteurs de la politique de la ville qui le présentent comme un accueil esthétique de la banlieue au centre [16], comme pour les responsables de la Biennale, qui affirment l’objectif « de conforter le rôle de l’artiste dans sa fonction d’ensemblier » (livret Art sur la Place 2000). À la fin du livret, les directeurs artistiques, qui n’hésitent plus à parler « d’œuvres » et de « créations collectives », concluent un historique de l’Art sur la Place en ces termes :

Cette association volontaire d’acteurs sociaux et d’agents professionnels de l’art est évidemment une contrainte car elle impose aux uns et aux autres un objectif unique : la création d’un projet commun pour lequel les uns espèrent plus d’intégration sociale et les autres plus de qualité artistique. Comme si l’art n’avait rien perdu de son emprise culturelle, ni de sa capacité à forger le monde.

Si l’équilibre entre le projet de la politique de la ville et celui de la Biennale semble s’être stabilisé dans les documents de communication de l’événement, le sens de ce dernier fait pourtant continuellement l’objet de questionnements et de débats. L’Art sur la Place reste, pour ses directeurs artistiques, une expérience problématique, aux frontières des mondes de l’art et la question du statut de ces œuvres collectives ne cesse de faire débat (Milliot 2001). Le jour de l’exposition sur la place Bellecour, dix-huit artistes ont restitué le travail réalisé pendant dix mois avec « des publics d’âge et d’origine socioculturelle divers » (livret 2000) de toute la région. Quatre collectifs invités dans le cadre de la Biennale réalisaient, dans le même périmètre, des performances requalifiées dans ce contexte d’artistiques : des femmes aborigènes (Mona Chungune et Ngarta Jinny Bent de Fits Roy Crossing), des hommes du Kerala (Parameswara Kurup Kallate Cherukote, Nallaparambath Radhakrishnan, Unnikaishman Kallate et Manikanthan Kavingal Kallate Shankara Kurup), des moines bouddhistes (congrégation Dashang Kagyu Ling), et des Haïtiens (Patrick Vilaire et Adely Adnord). Si, du point de vue des directeurs artistiques, ce choix se justifiait en raison de la thématique de l’Art sur la Place — le territoire —, il n’a pas manqué de soulever de vives polémiques au niveau local et national dans les milieux de l’art contemporain.

Ça pose quand même des questions d’un point de vue politique : comment on considère les gens de la périphérie quand on les associe aux ethniques. Mais aussi d’un point de vue artistique, parce que finalement ce qu’on fait, comme ce qu’ils font, ça reste à la périphérie de l’art ! (entretien, juillet 2000)

affirmait un artiste.

En 2001, l’Art sur la Place a choisi pour thème « connivence » et invité les artistes à travailler avec un complice musicien, costumier, danseur, paysagiste, réalisateur, metteur en scène, écrivain, etc. afin d’imaginer une « œuvre éphémère participative » (Livret 2001) avec des « amateurs, jeunes ou vieux, résidant en banlieue ou au centre-ville » (ibid.). Les directeurs affirmaient avec optimisme : « L’Art sur la Place ; Connivence, 2001, c’est 14 collectifs travaillant 6 mois avec 42 artistes, pour 24 heures d’exposition et 100 000 visiteurs » (ibid.). Mais ce fut la dernière édition sur la place Bellecour. La connivence entre artistes avait donné au projet une dimension spectaculaire dans laquelle les directeurs artistiques ne se retrouvaient pas. Pour les deux éditions qui suivirent, en 2003 et 2005, la Biennale opta, par conséquent, pour une autre logique d’exposition. Les artistes furent désormais invités à exposer le résultat du travail des ateliers dans la coque de bus désaffectés, installés pour un week-end rue de la République. Les effets de dérive spectaculaire et de dispersion de l’attention des précédentes éditions étaient corrigés par ces contenants recréant un « dedans » et une relation plus intime entre les spectateurs et les propositions artistiques. La Biennale a édité deux livres de témoignages, photos et réflexion sur cette expérience en 2003 et 2005. L’Art sur la Place y est finalement défini comme la « face expérimentale de la Biennale de Lyon » :

ce que vise l’Art sur la Place, c’est un processus de conscientisation incarné collectivement dans une forme, qu’elle soit éphémère ou définitive. Sa réussite n’est pas esthétique mais discursive. Elle formalise un processus de pensée, cristallise des énergies collectives souvent très éloignées et s’expose sans filets aux regards. (Raspail 2003, p. 11)

Au terme de plusieurs années d’hésitations terminologiques, de tâtonnements de définition, de changements multiples de logiques d’exposition, l’Art sur la Place finit par affirmer sa spécificité dans un rapport clair à la Biennale [17] :

On peut se demander pourquoi, parmi les 50 biennales qui désormais se répandent dans le monde, seule la Biennale de Lyon cherche, avec l’Art sur la Place, à rendre compte des formes de créativité parmi les plus essentielles qui soient, celles de notre double, ni héros, ni démiurge, l’homme de la rue. (Raspail 2003, p. 12)

Ce projet d’art participatif semblait ainsi avoir trouvé son identité et sa légitimité à l’interstice entre politique de la ville et monde de l’art.

« Ça fait cher l’art-thérapie ».

Le sens du projet fut régulièrement remis en question par les membres du comité de pilotage. La question de la représentativité n’était pas ici au cœur des critiques. Les procédures de participation de l’Art sur la Place sont identiques à celle du Défilé et les mêmes limites peuvent être observées. La réalité sociologique des collectifs rassemblés ne correspond pas toujours au discours public qui cadrent leur visibilité. Mais l’Art sur la Place a mobilisé des opérateurs que l’on ne retrouve pas dans le Défilé : foyer Sonacotra, centre d’hébergement de demandeurs d’asile, hôtel social, centre d’hébergement pour femmes, etc. Parce que les arts plastiques induisent un travail plus intime que la danse, avec un collectif plus limité, ce projet a pu être plus facilement mis en place par des structures d’accueil de personnes en grande difficulté.

C’est pas les mêmes publics que pour le Défilé, même s’il y a aussi ces gens-là dans le Défilé, ils sont noyés dans la masse, on ne les voit pas, là on est au cœur de publics qui ne sont nulle part, on arrive à travailler avec les invisibles, que même la politique de la ville n’arrive pas à toucher, et c’est pas très politiquement correct de les mettre place Bellecour et en plus ils font de l’art ! Pour les plus cyniques qui sont paillette, rayonnement de la ville, etc. c’était un peu le furoncle. (Xavier Phélut, chef de projet Art sur la place et Défilé, entretien 2006)

L’Art sur la Place a été remis en question non parce qu’il ne réussissait pas à toucher ce public « empêché », à faire participer les « sans voix », les « sans droits », mais parce qu’il les rendait trop visibles. En 2006, lors d’une réunion de préparation de l’événement, un représentant du Grand Lyon a ouvert le débat en affirmant qu’à l’inverse du Défilé, cette manifestation ne permettait pas un retour sur investissement. Son argumentaire, qui m’a été rapporté par plusieurs membres du comité de pilotage présents, était le suivant : le Défilé coûte 800 000 euros, mobilise 4500 personnes et attire 300 000 spectateurs, alors que l’Art sur la Place coûte 300 000 euros pour seulement 630 participants et 80 000 spectateurs supposés — chiffre remis en question par un calcul du nombre de personnes pouvant stationner sur la place Bellecour multiplié par le nombre d’heures de l’exposition. Et l’urbaniste du Grand Lyon concluait « ça fait cher l’art-thérapie ». En réponse, un acteur de la politique de la ville lui a opposé un autre calcul comparant le coût de la prise en charge d’une personne en hôpital psychiatrique multiplié par le nombre de participants pendant six mois, pour finalement conclure : « l’Art sur la Place n’est pas si cher »… Dans un article paru en 2000, Thierry Raspail écrivait « L’Art sur la Place, ce n’est pas, d’abord, une exposition mais un comité de pilotage, et cela c’est extrêmement important » (Raspail 2000, p. 18). Au sein de ce groupe constitué de professionnels de la culture, de représentants d’administration de l’État, d’institutions régionales et d’acteurs associatifs, le couperet n’est tombé ni des acteurs impliqués dans le volet social de la politique de la ville, ni des acteurs des mondes de l’art où l’expérimentation nourrissait pourtant des débats animés, mais des professionnels mettant en œuvre la politique d’agglomération du Grand Lyon. Une dernière critique a contribué à ébranler les plus fervents défenseurs du projet : les ateliers révélaient des populations et des problématiques locales peu visibles, mais ce travail n’avait pas d’impact ultérieur sur le territoire. Aucun relais n’était assuré par les acteurs politiques et ces mises en lumière se dissipaient au lendemain de la manifestation. À partir de 2007, la Biennale a par conséquent décidé de redéfinir son projet pour se recentrer sur le travail de quelques artistes dans un territoire défini. Le concept a fait des émules au Québec [18], mais les Lyonnais ont finalement renoncé face à la tyrannie du chiffre et de l’audience, à ce projet de création collective.

Si le Défilé correspondait aux critères d’évaluation qui se sont progressivement imposés dans le comité de pilotage — privilégiant la dimension spectaculaire et événementielle pour le rayonnement touristique et économique de la ville —, le travail invisible de médiation réalisé dans le long terme auprès des « désaffiliés » sans résultats garantis d’insertion était, au regard de ces mêmes critères, devenu trop coûteux.

Des médiations artistiques complexes.

Nous proposons, pour finir, de nous rapprocher des ateliers où se préparaient l’Art sur la place et le Défilé pour comprendre le sens que les participants eux-mêmes donnaient à cette expérience d’art participatif, devenue trop coûteuse pour les entrepreneurs de la métropole.

Un peu plus de cent artistes ont participé à cette manifestation. Selon leurs modes d’engagement et les formes artistiques qu’ils ont inventées dans la rencontre, ces ateliers ont donné lieu à des processus très différents [19]. On retrouve, dans ces projets, des héritiers du mouvement d’action culturelle, comme Anne Marie Naudin ou Yves Henri, qui se définissent comme des artisans du réel. Leur objectif est de tisser des réseaux de solidarité, de créer collectivement l’image d’un autre monde possible et de dégager, grâce à la création, des espaces de respiration par le rêve. D’autres, comme Slimane Raïs, ont investi ces ateliers d’un projet personnel « d’esthétique relationnelle ». Ils redéfinissent la sphère des relations humaines comme espace et/ou objet de leur création. Et puis d’autres enfin se sont positionnés en pédagogues de l’art contemporain. Selon ces postures, les artistes ont inventé des formes artistiques dans lesquelles les participants n’avaient ni la même place ni le même statut. Ils pouvaient concevoir l’œuvre collective comme un espace d’hospitalité. L’artiste propose une forme vide de contenu, mais pas d’intentionnalité, pouvant être habitée de divers témoignages — comme les mille et un bocaux de Marie Claude Quignon où des femmes ont formalisé le positif et le négatif de leur expérience migratoire, après un long travail d’accouchement de leurs histoires. L’œuvre collective pouvait au contraire être définie comme une forme protocolaire. Les participants ne pouvaient dès lors inférer ni sur la forme ni sur le contenu de l’œuvre — comme les cabines de séduction où Slimane Rais invitait les participants à répéter la même phrase, découverte au dernier moment, devant une caméra. Elle pouvait enfin donner lieu à un processus collectif. La forme et le contenu de l’œuvre étaient dès lors élaborés et négociés collectivement — comme le « territoire d’avant » d’Yves Henry, thème pensé comme une « phrase enceinte », suffisamment elliptique et évocatrice pour éveiller les imaginaires individuels et ouvrir le chemin d’une création collective. Certains projets, comme celui de Patrice Mortier à Vaulx-en-Velin ou de Franck Bonnefoy à Saint-Priest, ont dérapé par rapport à l’intention initiale et les artistes se sont laissés embarquer dans un processus créatif sur lequel ils n’avaient plus qu’une prise technique. Des artistes — comme Mireille Batby — ont travaillé avec rigueur les passages de l’intime au public par le biais de la fiction, du personnage, pour donner aux participants l’assurance du masque de l’anonymat. D’autres ont laissé les individus s’exposer dans l’intimité de leur histoire personnelle. La place donnée aux participants selon ces différentes conceptions artistiques allait du signe au vis-à-vis, de l’image au message, du témoin à l’invité. Il y a certes, au-delà de ces différences, des constantes dans le travail artistique : une conception partagée, mais pas toujours explicitement revendiquée, de l’art conduit bien souvent les artistes à privilégier la forme, le style sur le contenu, l’individualité, « l’authenticité » sur les récits collectifs, « l’universalité » sur les expériences particularistes (Pryen 2004). Il est clair que ce dispositif, même quand il prend la forme d’un processus créatif, ne participe pas à la reconnaissance de cultures minoritaires, de collectifs inaudibles. Le travail de l’art dans ces ateliers participatifs porte essentiellement sur l’individu.

Au terme de ces médiations artistiques complexes, certaines paroles individuelles et collectives restaient totalement inaudibles. Mais d’autres perçaient incontestablement l’espace public. Dans les espaces-temps neutralisés par cette artification, le visiteur pouvait rencontrer Bariza — une jeune femme envoyée par la mission locale pour suivre un stage d’insertion dans le cadre du projet « Fil de soi(e) » en 2000 — sur le « jeu de l’oie » imaginé par Anne-Marie Naudin, dans la chambre noire de ses révoltes et de ses rêves d’avenir ; entendre des histoires de vie d’immigrés à Lyon diffusées par deux haut-parleurs dans un coin de la place Bellecour ; être confronté aux récits des demandeurs d’asile dans le bus de Natacha Mégard en 2003 ; il pouvait « entendre comme de la parole discutant sur le commun ce qui n’était entendu que comme le bruit des corps » (Rancière 2008, p. 67). Suite au travail d’Ilana Salana Ortar à la Duchère en 2003, un élu a affirmé s’être rendu compte des erreurs qu’ils avaient commises dans la démolition des tours de ce quartier. Il avait été saisi par les témoignages recueillis et par la métamorphose artistique proposée des grues en rapaces. Certains visiteurs sont sortis énervés de la chambre noire de Bariza (« vous n’aimez pas la vie vous », « le monde n’appartient pas aux Arabes ! »), d’autres ont exprimé le sentiment d’avoir compris le sens d’une révolte. Rien n’est prévisible dans ces rencontres qui permettent une confrontation de perspectives. Pour les participants, l’expérience de cette visibilité publique est souvent très forte. Elle peut susciter des comportements totalement inattendus par les artistes. Un des participants du stage « le Fil de soi(e) » appréhendait le jour de l’exposition : « ça va être genre zoo d’exclus sur la place Bellecour, venez les regarder, ceux-là sont gentils, après on les range une année dans leurs banlieues ». Pour se protéger des regards, il s’est amusé le jour dit à rendre toute identification impossible, en s’inventant des personnages — les demandeurs d’asile ayant travaillé avec Natacha Mégard ont développé les mêmes tactiques spontanées en 2003. Un des stagiaires de la friche du « Fil de soi(e) » a passé son temps à l’arrivée du Défilé à rentrer et sortir de l’espace réservé au staff. Chaque fois que les vigiles l’arrêtaient, il montrait sa carte d’accès et pénétrait avec jubilation dans le « village » ; « Les mecs à l’entrée, les vigiles, je voulais rentrer, ils m’ont dit tu passes pas si t’as pas de backstage. Moi, je fouille dans ma poche, doucement, lentement, genre c’est une feinte, et au dernier moment je lui sors, le mec, il était vert, il me dit, allez, passe, passe !”. Abdel s’est amusé pendant plus d’une heure à passer et à repasser ce barrage pour savourer cette accessibilité privilégiée qu’il expérimentait pour la première fois. Un des participants du groupe de Vaulx-en-Velin est allé taper dans le dos du directeur du musée d’art contemporain pour lui proposer une exposition personnelle, ce qui a rendu l’artiste responsable du collectif furieux et déclenché de vives polémiques sur la différence entre artiste et amateur. L’expérience de cette visibilité paradoxale nourrissait ainsi des sentiments ambivalents de reconnaissance et de dénégation.

Les participants investissaient généralement ces manifestations d’un projet de revalorisation de ce qu’ils pensaient représenter (leur ville, la banlieue, leur nationalité d’origine) : « Je suis fière de pouvoir montrer le 9 juillet place Bellecour, c’est pas rien, ce qu’on a été capable de faire, si ça peut contribuer à faire changer un tout petit peu l’image que les gens ont dans la tête, pour moi on aura gagné » (membre du collectif de Vaulx-en-Velin 2000). Mais, passée l’euphorie de l’événement, ils exprimaient fréquemment un sentiment de déception et de dénégation. Pendant plusieurs mois, au contact d’un artiste, ils avaient été amenés à exprimer leurs subjectivités et à se réinventer, à extérioriser leur ressenti et à le symboliser dans une forme lui donnant une autre objectivité. L’activité de création est un processus d’apprentissage à la fois moral et pratique, par l’intermédiaire duquel les individus peuvent apprendre à se reconnaître comme des sujets de l’action grâce à l’expérience qu’ils font d’eux-mêmes dans le produit de leur travail, aux capacités cognitives et aux compétences pratiques qu’ils concrétisent et reconnaissent dans le produit de leurs actes. Dans les stages d’insertion de ces manifestations, les participants font souvent pour la première fois l’expérience d’un usage esthétique de leur propre corps, de la distance du masque ou de la forme. Au sortir des ateliers, ils ont des mots forts pour dire ce que cette expérience leur a apporté : ils parlent de sursaut, de réveil, du sentiment d’être « propulsés dans la vie ». Mais, au lendemain de cette « exposition », c’est un sentiment de trahison et d’abandon qui prenait fréquemment le dessus. Ils ne sont plus, le jour J, acteurs d’une création, mais objets de rhétoriques institutionnelles, et disparaissent après la manifestation dans l’invisibilité de leur quotidienneté.

L’infra-politique de l’art participatif.

Lorsque l’on croise, quelques années plus tard, les participants des ateliers « insertion » de l’Art sur la Place, ils affirment pourtant avoir été changés par cette expérience de création collective :

Ma vie, elle n’a pas changé, après la friche, ça a été dur de se retrouver avec les mêmes merdes… Retour au réel ! Mais tu vois, je le vis pas pareil, je sais pas… Ça m’engloutit pas comme avant, c’est comme si je regardais de plus loin, comme si j’étais pas que là, que ça,

me confiait, en 2003, une stagiaire de la friche « le Fil de soi(e) » (2000). Le monde n’a pas changé, mais cette expérience a modifié son appréhension sensible. Les témoignages recueillis par Joss Dray (Bensayag, Dray et Jouandon 2004), quatre ans après l’expérience de la friche, confirment les entretiens que j’ai réalisés. Les stagiaires parlent de confiance retrouvée, du sentiment d’être « épaulé intérieurement », d’une ouverture d’esprit… Ces petites métamorphoses individuelles sont certainement à mettre en lien avec l’apprentissage de l’agir créatif et l’acquisition des ressources politiques du jeu et du déguisement (Scott 2008) mais elles résultent également de l’expérience sociale de ces ateliers. S’y côtoyaient pendant plusieurs mois des personnes issues de différents horizons : artistes, travailleurs sociaux, habitants des « marges », personne « en panne », mais aussi élus, institutionnels, journalistes, chercheurs en sciences humaines et habitants du centre-ville. Dans le quotidien se nouaient des échanges sur un autre mode que celui des relations formelles, asymétriques et normatives qui les lient d’ordinaire à l’en-dehors de leurs mondes. Si l’espace n’était pas égalitaire, le partage du quotidien contribuait à brouiller les statuts et les identités professionnelles et une pluralité de points de vue pouvait s’exprimer. Cette confrontation produisait des décentrements réciproques, chacun s’étonnant que « l’autre » — le « jeune », « l’immigré » mais aussi le « bourgeois », le « politique » — ne corresponde pas au stéréotype attendu. Des liens ont souvent perduré et permis aux stagiaires de mobiliser au sortir de cette expérience, une forme de capital social qualifié par Robert Putnam (1995) de « bridging ». Cette confrontation était bien souvent conflictuelle. Des différends donnaient fréquemment lieu à des discussions virulentes dans le quotidien des ateliers sur le racisme, l’exclusion, les rapports homme-femme, l’islam, mais aussi sur l’art légitime et l’art populaire. Sur la friche « le Fil de soi(e) », cette confrontation a permis aux participants de découvrir et de comprendre d’autres perspectives, mais aussi d’apprendre à voir le monde en termes de clivages plus généraux. De ce point de vue — si l’on accepte la conception élargie de la politisation proposée par Eliasoph (2010) comme « conflictualité et montée en généralité — l’expérience des coulisses de ces ateliers d’art participatif a eu, pour les participants, une portée politique.

Carnet de terrain. Friche « le Fil de soi(e) ». Août 2000.

Difficiles, conflictuels, ces moments de vie partagée s’entremêlaient aussi de rires et de plaisir. Des fêtes étaient régulièrement organisées. Comme cet anniversaire d’été… Les stagiaires s’étaient cotisés pour préparer un bon repas. Deux tables avaient été installées dans la cour, un barbecue couvait de belles braises. Intervenants sociaux, artistes, stagiaires, représentants d’institutions, amis des uns et des autres ont passé une bonne partie de la nuit à rire et à danser. Lela s’est amusée à imiter tout le monde, devant un public hilare. Elle mimait, à tour de rôle, Bibi l’animatrice d’Aralis en train de répéter le Défilé, Catherine la coordinatrice traversant la cour de son pas chaloupé, un stagiaire toujours en retard d’un rythme dans le groupe de percussions, Anne Marie l’artiste stressée, le jour le l’Art sur la Place… Personne ne fut épargné. Distribution de cadeaux. La plupart avaient été fabriqués dans les ateliers de la friche. Émotions. On s’embrasse, on pleure un peu et on repart dans un beau rire. Autour de la table se forment des petits groupes de discussion. Francis raconte son expérience d’ouvrier : « dans le plastique d’abord, j’ai travaillé à Oyonnax, après je suis venu dans la chimie, saloperie ce que j’ai pu respirer ! »… Un des responsables municipaux de Villeurbanne envoie un tendre « espèce de sonak » à une artiste hilare : « Pourquoi vous parlez comme moi ? Sérieux, sonak c’est devenu l’insulte de la friche ! » s’exclame Bariza. Éclat de rire général. La discussion continue à bâtons rompus, on passe d’un sujet à l’autre, du coq à l’âne, à la mémoire… « Moi j’ai des moyens momotechniques pour me rappeler les choses » lance un stagiaire un peu grisé. L’assemblée hurle de rires, les vannes fusent… Cécile, l’éducatrice convertie le temps du projet en couturière, danse collé-serré avec un résident. Bibi se déhanche en riant avec « Abdel Jackson »… Tard dans la nuit, un stagiaire est arrivé avec un fourgon-camionnette duquel sont descendus des Comoriens magnifiquement vêtus : « J’étais à leur mariage. On avait une toute petite salle au foyer, alors je les ai amenés ». Les femmes ont dansé et chanté « comme au pays », dans cette école désaffectée au bord de l’autoroute, devant une assemblée hétéroclite qui, par ce partage émotionnel et affectif, réussissait temporairement à faire corps…

Ces ateliers d’art participatif reconstituaient artificiellement un espace public ouvert à une diversité de perspectives dont l’expérience a eu des effets socialisants sur les participants. Ces ateliers leur ont permis d’apprendre à évaluer une situation à partir d’une pluralité de perspectives et d’acquérir des compétences communicationnelles. Ces processus de création collective ont ainsi pu « ouvrir des passages possibles vers de nouvelles formes de subjectivation politiques » (Rancière 2008, p. 1991) en reconfigurant le cadre des perceptions et le dynamisme des affects des participants.

L’histoire du Défilé et de l’Art sur la Place nous raconte l’évolution des politiques culturelles. Les polémiques idéologiques qui configuraient le sens de ces événements dans les années 1990 se sont muées en batailles de chiffres et d’audience. Les débats publics n’épuisent pas le sens de ce qui se vivait dans les coulisses de ces projets. Les politiques de l’art sont un entrelacement de logiques hétérogènes, affirme Rancière (2008), et ces « stratégies métapolitiques » ne doivent pas nous empêcher d’appréhender la dimension micro-politique des fictions artistiques de re-description de l’expérience produites dans ce cadre, ni la dimension infra-politique, mais néanmoins instituante, de l’expérience publique de ces ateliers.

Ces manifestations artistiques n’ont plus désormais de légitimité qu’en tant qu’elles participent au développement touristique local. Une manière de penser économiquement la ville dans la concurrence des métropoles s’est imposée face à une vision politique de la société urbaine. L’objectif d’intégration par la culture, de démocratisation culturelle a progressivement laissé place à un objectif de développement économique du territoire. Le spectacle touristique et le simulacre festif ont supplanté les projets d’art participatif dans la durée.

Abstract

L’Art sur la Place and the parade closing the Biennale de la Danse in Lyon can be considered as participative art happenings, designed to welcome the cultural diversity of the city. Several analyses and critiques presented these events as “political shams” or as “rituals of urban areas”. By using a corpus of data collected in the course of long term participant observations, I propose to reopen the debate about the political consequences of these projects. In order to analyse the politics of arts as “the interweaving of heterogeneous logics” (Rancière 2008, p. 71) evolving over time, this paper takes into account the public controversies brought about by these urban entertainments and the internal debates they have generated among the members of their executive comitees. This article also focuses on the meanings that the participants gave to these social and artistic experimentations.



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Notes

[1] Le Défilé de la Biennale de la Danse et l’Art sur la place sont organisés par une association 1901 « La Biennale » en lien avec les directeurs généraux de la Maison de la Danse et du Musée d’Art Contemporain qui en assurent la direction artistique. Le Défilé est financé par le Grand Lyon, le Conseil Régional Rhône-Alpes, la Préfecture du Rhône, le Ministère de la Culture (DRAC), l’Agence pour la Cohésion Sociale et l’Égalite des chances, le Conseil Général du Rhône, la Caisse des Dépôts et des Consignations. L’Art sur la Place par les cinq premiers. La première édition de l’Art sur La Place a eu lieu en 1997 et s’est reproduit en 1998, 2000, 2001, 2003 et 2005 pour être remplacé en 2007 par un autre projet, « Veduta », tandis que le défilé se reproduit avec régularité tous les deux ans depuis 1996.

[2] Jack Lang — Ministre de la culture — s’était engagé au début des années 1990 à verser d’importantes aides pour le développement du Hip Hop qu’il définissait comme « un véritable phénomène de civilisation ». Dans les années qui suivirent, des opérations de légitimation de ces pratiques artistiques ont été mises en place par les institutions culturelles (Direction des Musées de France, Théâtre Contemporain de la Danse, etc) et des projets de concerts de rap, de spectacles de Hip Hop, de démonstrations de graf, ont été développés dans toutes les banlieues populaires françaises. Ce mouvement a ainsi été érigé comme un symbole d’une nouvelle politique d’intégration par la culture. La région Lyonnaise est celle qui a reçu le plus de subventions pour ce type de projets.

[3] Fond d’Action Social, DRAC, Inter Service Migrant, Maison des Jeunes et de la Culture, Théâtres, Centres Sociaux, etc.

[4] Voir à ce sujet Marie-Christine Vernay, « Valence refuse d’entrer dans la danse » in Libération, jeudi 3 décembre 1992.

[5] Selon la méthode des doublons mise en œuvre par ce réseau, l’association ISM s’est chargée de la sélection des groupes amateurs, de l’accueil des jeunes danseurs et du public, des relations entre mondes de l’art et de l’action culturelle, la Maison de la Danse a, quant à elle, pris en charge la programmation des groupes professionnels et des master-class.

[6] Membre du groupe Accrorap, créateur du groupe Käfig, aujourd’hui directeur du Centre Chorégraphique National de Créteil.

[7] Les Ministres de la culture qui ont succédé à Jack Lang, Toubon et Douste Blazy, ont diminué les budgets mais n’ont pas opéré de rupture radicale avec la politique culturelle mise en place par les socialistes.

[8] Pour les échos dans la presse nationale et internationale, voir Marie-Christine Vernay, « Lyon sur Méditerranée. Ouverture de la biennale de la danse sur fond d’attaques F.N » in Libération, 10 septembre 1998 et Anna Kisselgoff, « When Warmth rises above Hatred » in The New York Times, 17 septembre 1998.

[9] Présidé par le Vice-Président du Grand Lyon délégué à la Politique de la ville, il réunit les représentants de la biennale de la danse, de la Préfecture du Rhône, de la DRAC Rhône Alpes, du Conseil Régional, du Conseil général, de la Ville de Lyon, de la Caisse des Dépôts, de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi, de la Maison de l’Emploi et de la Formation de Lyon.

[10] Ces dernières années, le Défilé connaît un tel engouement que les organisateurs luttent pour que les chorégraphes ne se contentent pas des amateurs de danse lyonnais qui se présentent spontanément lors de la première répétition et s’efforcent d’aller chercher ceux qui sont définis comme le public « cible ».

[11] Onze en 2000, quinze en 2002, onze en 2004.

[12] Les questionnaires déposés dans les lieux de répétition étaient laissés à la libre participation, ce qui induit un biais dans la constitution du corpus de données : les personnes préparant les costumes et les chars n’ont pas été sondées et l’on peut supposer que ce dispositif a touché en priorité les individus les plus dotés en capital scolaire.

[13] L’étude a sondé 90 % des participants de l’édition 2010 du Défilé. Elle montre que 22 % des participants du grand Lyon résident dans un quartier CUCS (Contrat urbain de Cohésion Sociale), que les femmes sont majoritaires (79 % et 73 % dans les quartiers CUCS) et que les jeunes de moins de 26 ans représentent 34 % des participants (55 % dans les quartiers CUCS).

[14] « Art et politique tiennent l’un à l’autre comme formes de dissensus, opérations de reconfiguration de l’expérience commune du sensible » (Rancière 2008, p. 70).

[15] La logique de constitution des collectifs est la même que pour le Défilé : un artiste travaille avec un opérateur local, chargé de mobiliser des participants. Pour cette première édition, on trouvait, par exemple, le Conseil Culturel Communal de Bron, l’association Conciliabules et un foyer d’hébergement pour femmes à Villeurbanne, une association de toxicomanes, la Condition des Soies dans le 1er arrondissement de Lyon, la MJC du 7e, du Vieux Lyon, de Rillieux-la-Pape, le Centre social de Gerland, de Mermoz, de Vaise, etc.

[16] « Le 9 juillet place Bellecour, le cœur d’une agglomération vibrera à la lueur de multiples propositions artistiques venues des périphéries urbaines » (François Demonet, sous-préfet chargé de la politique de la ville, in Livret Art sur la Place 2000).

[17] En mars 2006, une étude de Bench Marking, réalisée par ALGOE sur les Biennales de Lyon, caractérise la spécificité de la Biennale d’art contemporain lyonnaise non seulement par le choix d’une entrée thématique forte, mais également par les liens qu’elle a développés avec les amateurs et le public dans le cadre de l’Art sur la Place.

[18] En 2006, la ville de Montréal a organisé, dans le cadre des journées de la culture, une manifestation inspirée du processus de l’Art sur la Place : Les convertibles, création et diffusion d’œuvres collectives réalisées par des artistes professionnels en interaction avec des citoyens et exposées dans 10 autobus.

[19] Pour une analyse détaillée de ces modes d’engagement et de leur implication sociale et artistique voir Milliot 2001.

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