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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Poste.

Poste à moustache.

Image1Le 27 février a été publié au journal officiel l‘arrêté du 16 février 2007 portant déclaration de vacance d’emplois du supérieur pour la rentrée 2007. La chasse aux postes est donc ouverte.

Petit rappel pour le lecteur non averti. En France, le parcours d’un docteur aspirant chercheur ou enseignant-chercheur est celui d’un marathonien, qui dure, en cas de recrutement immédiat, un an, mais peut se poursuivre de nombreuses années. Pour concourir, il faut avoir soutenu honorablement une thèse de doctorat et être qualifié au moins dans une discipline. Que signifie être « qualifié » ? La qualification est attribuée sur dossier par les commissions disciplinaires du Conseil National des Universités (Cnu). Toutefois, pouvoir déposer un dossier en janvier nécessite de s’être pré-inscrit en septembre ou en octobre. Les distraits et ceux qui étaient trop affairés à boucler leur thèse pour se souvenir de ce détail sont par conséquent disqualifiés avant même de commencer à concourir. Une deuxième vague sera refoulée par le Conseil National des Universités. Pour les rescapés, les choses sérieuses commencent donc en mars avec la publication au journal officiel des postes mis au concours.

À l’instar de ceux du Cnrs [1], les postes d’enseignants-chercheurs sont plus ou moins explicitement « profilés », c’est-à-dire que l’annonce comporte une description du poste qui va du plus général (ex : « anthropologie sociale et culturelle ») au plus précis et spécialisé (ex : « histoire économique et sociale de la Méditerranée arabe ou ottomane des 19e et 20e siècles »). Certains ne comportent qu’un numéro. Mais, quelle que soit sa formulation, le jeu (et l’enjeu) consiste à trouver qui se trouve derrière le « profil », pour qui a été crée ou est gardé au chaud le « poste à moustache », « moustachu » ou « moustaché ». Vague ou précise, la description peut en effet répondre à deux stratégies pour le même objectif : soit le poste est tellement spécialisé que seul le prétendant officiel peut y répondre, soit la description vague cache une demande précise mais connue des seuls initiés. Chacun va donc mobiliser l’ensemble de ses réseaux et de son capital social pour obtenir les clefs des messages cryptés que constituent les profils publiés au jo. S’il n’y a personne, alors on a sa chance. Viendront alors la course aux photocopies, les caddies d’enveloppes et les files d’attente à la poste de la rue du Louvre ― celle qui ferme à minuit ― le jour limite pour la candidature. Puis, pour ceux qui ne sont pas éliminés sur dossier, le tour de France ruineux des auditions. Celui des choix cornéliens où l’on est convoqué le même jour à Brest, à Toulouse et à Strasbourg. Et lorsque l’on ne veut pas choisir, le sort de l’âne de Buridan éliminé car coincé dans un aéroport ou une gare de transit. Le tour de France des commissions qui ont déjà choisi et ont besoin de vous comme figurants.

Le problème dans ce système n’est pas l’existence d’une sélection, mais la longueur et le coût de la procédure, le caractère humiliant de certaines auditions, l’opacité totale des critères de choix des jurys. Haut les cœurs : pour les éliminés du premier ou du dernier tour, il restera la session de septembre, avant de se réinscrire pour rejouer l’année suivante. À moins que d’ici là, l’on ait traversé la Manche ou l’Atlantique. Histoire de se refaire une dignité scientifique et/ou une santé financière.

La course aux emplois de la recherche et de l’enseignement n’existe évidemment pas qu’en France, mais les choses se passent très différemment dans le monde anglo-saxon. La publicité des emplois par exemple : les abonnés des sites ou de listes de diffusion spécialisées relaient de nombreuses annonces anglo-saxonnes [2], alors que, lorsque la saison des postes arrive en France, seul le journal officiel en fait la publicité, même si la transparence est devenue beaucoup plus grande avec la généralisation des sites internet des Universités. L’on conviendra que le fait qu’il s’agisse d’emplois à vie n’est pas un facteur explicatif, bien plutôt une circonstance aggravante. Sans publicité des annonces, on élimine les bons chercheurs et/ou enseignants peu habiles au décrytage ; on écarte le candidat potentiel qui n’a pas besoin d’un poste mais qui, « tombant » sur une annonce en parcourant, par exemple, un magazine culturel, pourrait être tenté par une mutation, un détachement, une reconversion… C’est dommage pour l’université car les candidatures portées par le désir et non seulement la nécessité sont sans doute stimulantes pour tout le monde.

Les auditions programmées le même jour dans plusieurs universités sont aussi problématiques car elles éliminent de facto les candidats dénués du don d’ubiquité, alors qu’il serait aisé de s’organiser par discipline pour que les auditions ne se chevauchent pas. Étant donné le ratio nombre de candidats/nombre de postes, c’est sans doute un moyen de restreindre le nombre de dossiers à traiter. Ce qui pose problème, c’est que, dans cette configuration, la sélection semble se faire plus sur la capacité de mobilisation du capital social que sur les compétences scientifiques ou pédagogiques.

Aux États-Unis, l’économie du recrutement n’obéit pas aux mêmes règles. Le cas de la discipline économique, justement, est intéressant à évoquer. Le recrutement se déroule en trois phases : après publication des postes (postes au profil très généraliste), chaque université sélectionne sur dossier les personnes à qui donner rendez-vous au congrès annuel des économistes américains, the American Economic Association. L’énorme avantage pour les candidats est qu’au lieu de courir d’une université à l’autre, ils rencontrent tous les jurys en même temps. S’ensuit un balai « d’interviews » dans les chambres d’hôtels réservées par chaque université pendant le Congrès (la taille de la chambre dépend de la fortune de l’Université, certaines reçoivent dans des suites). L’on s’installe où l’on peut et chaque candidat est très sérieusement interrogé, pendant une demi-heure, sur sa thèse et ses recherches. Les candidats retenus (la moitié) sont ensuite invités (tous frais payés) à venir donner une conférence à l’Université, visiter les lieux et rencontrer les professeurs. Une dernière sélection et les rôles s’inversent : c’est désormais les candidats qui vont choisir leur université, et chacune va déployer ses charmes scientifiques et financiers devant ceux dont l’on pense qu’ils apporteront crédits de recherche et notoriété [3]. Il est évidemment impossible de comparer la situation de la science économique américaine et celle de l’anthropologie française, le décalage étant déjà total en France, ne serait-ce qu’en nombre de postes : soixante-cinq postes d’économie à pourvoir cette année en France contre huit pour l’anthropologie sociale, l’ethnologie et la préhistoire réunis. Simplement, une meilleure connaissance des autres habitudes nationales et disciplinaires me semble indispensable pour (re)penser l’organisation de la recherche, particulièrement en sciences sociales.

Et toi, ami lecteur ? Comment cela se passe-t-il dans ton pays, ta discipline ?

Post-it.

La Poste : nom féminin commun devenu propre. Ex : La Poste du Louvre.

Institution autrefois publique d’où l’on pouvait envoyer du courrier et qui était présente partout sur le territoire, même si l’égalité devant le service publique est relative aux critères retenus : en 1997, il y avait un établissement postal pour 990 habitants en Lozère et un pour 15 000 habitants en Seine-Saint-Denis. Mais que l’on ne s’inquiète pas, La Poste travaille à aligner la Lozère sur la Seine-Saint-Denis. La Poste désigne aujourd’hui moins un service public qu’un réseau de boutiques ou de banques. Mais boutique, banque ou service public, elle est de plus en plus rarement implantée là où l’on en a vraiment besoin, c’est-à-dire dans les quartiers populaires où, en début de mois, l’on fait la queue plusieurs heures pour retirer salaire, allocation chômage ou revenu minium d’insertion. Certains vont l’envoyer immédiatement au pays, dégraissé de la commission westernunion. Puis, après avoir effectué les opérations susdites, l’agent devenu commercial tentera de vendre au client divers produits et services, le dernier en date étant une carte de mise en relation avec des « services à la personne ». On plaint les agents car ces cartes ne sont pas aisées à placer quand la clientèle n’a pas les moyens de subvenir à ses premiers besoins. Mais comme la petite bourgeoisie cultivée (catégorie bourdieusienne désignant principalement les enseignants) est en train de passer le périph’, chassée par la baisse de son pouvoir d’achat et la hausse de l’immobilier, les choses pourraient s’arranger (pour les commerciaux, certainement pas pour les habitants repoussés encore plus loin des centres). Par contre, la fermeture ou la fin du traitement du courrier dans certains bureaux de Poste (ne subsiste, à l’extérieur, qu’une petite boite avec une levée à 14h30), est très préjudiciable à la petite bourgeoisie cultivée qui justement cherche un poste. Heureusement, il reste encore La Poste parisienne de la rue du Louvre fermant à minuit, la poste des aspirants chercheurs et enseignants chercheurs, et de tous les retardataires en quête de cachet faisant foi. Si la compétition intellectuelle est sans doute stimulante pour la recherche, on ne peut que constater que la mise en concurrence ― et la privatisation ― sont pour le moins préjudiciables au bon fonctionnement des services publics. La poste américaine est, paraît-il, déplorable.

Le poste, nom commun masculin. Ex : le poste de police.

Selon le Dictionnaire historique de la langue française, en 1298, Marco Polo utilise déjà le participe passé féminin du terme italien porre, posta, pour nommer la place d’un cheval dans l’écurie. Le mot désigne, par extension, un relais de chevaux pour voitures et courriers. L’évolution du mot poste a par suite suivi l’histoire du courrier. Mais le participe passé masculin posto a pris dès l’origine un tout autre sens. Il désigne à partir de 1550 l’emplacement où un soldat ou une petite unité militaire est placé en vue d’une opération. Le poste de police est donc le premier sens du poste masculin, c’est aussi ce lieu où l’on peut passer la nuit en cas d’ivresse, par exemple parce que l’on a trop bien fêté son recrutement à l’université de Metz ou de Clermont-Ferrand. Ou, hypothèse moins drôle, le lieu où l’on va faire une déclaration parce que l’on s’est fait piquer son portefeuille et son portable à La Poste du Louvre, car harassé de fatigue, l’on a oublié de fermer son sac. Les deux ne sont pas incompatibles, et dans les deux cas, l’on peut en profiter pour observer l’état de dégradation des postes de police, autre service public, non encore privatisé.

À vos postes, prêts, partez !

Plusieurs sites peuvent aider les impétrants à se (re)lancer dans l’aventure française avec quelques réflexions sur le sujet et quelques conseils de base, comme par exemple la guilde des doctorants, ou les blogs de Caroline Legrand et Baptiste Coulmont. Surtout, l’on ne peut que conseiller de conserver le sens de l’humour, bouclier indispensable en cas de situations désespérantes [4]. Désespérantes mais non désespérées : il ne faut pas oublier tout de même que les bonnes surprises n’arrivent pas qu’aux autres, qu’il existe des postes imberbes (sans « moustache »), des commissions vraiment à la recherche d’un candidat qui recrutent d’illustres inconnus parce que leur dossier, leur motivation et leur audition remportent l’adhésion.

Bon courage à tous.

Réaction à cet article

Bonjour,

Travaillant au bureau de poste de Paris Louvre, je me permets de réagir à votre article (trouvé en suivant un lien depuis le « portail des copains », rezo.net).

Tout d’abord, vous remercier d’indiquer les références de l’arrêté qui précise la date limite de dépôt des dossiers. Cette annonce est essentielle puisque, transmise à notre direction, elle permettra de justifier l’attribution de personnel supplémentaire ce soir-là. Je ne souhaite pas m’étendre dans les détails mais, comme vous le pressentez dans votre article, la situation est tendue dans notre entreprise et le nombre de guichets à votre service, à celui de vos concurrent(e)s, des Parisiens et Franciliens, toujours réduit. Il nous faut donc « piloter ».

Il m’est aussi agréable de vous apporter une précision. Nos guichets permanents ont la particularité d’être ouverts toute la nuit, ce qui permet au bureau de Paris Louvre de ne fermer que 40 minutes par jour (entre 6h20 et 7h du matin). À ma connaissance, seule la poste centrale de New York (usa) offre la même amplitude d’ouverture au public. Une rumeur dit Moscou… À Berlin, ils ferment à 1h.

Il me reste à vous souhaiter bonne chance pour la constitution des dossiers et à vous assurer du désir que notre équipe a de vous servir au mieux*.

Cordialement,

PYC

* Il vous faudra sûrement patienter, alors merci de retenir (et pourquoi pas partager auprès de vos collègues) ce principe répété chaque soir : pas de panique ou de mouvements d’impatience, toutes les personnes présentes dans la salle du public à minuit verront leur courrier oblitéré à la date de la veille si elles le désirent.

Résumé

Poste à moustache.Le 27 février a été publié au journal officiel l‘arrêté du 16 février 2007 portant déclaration de vacance d’emplois du supérieur pour la rentrée 2007. La chasse aux postes est donc ouverte. Petit rappel pour le lecteur non averti. En France, le parcours d’un docteur aspirant chercheur ou enseignant-chercheur est celui d’un marathonien, ...

Bibliographie

Notes

[1] Toutefois, cette année, pour la première fois, les postes du Cnrs en anthropologie sociale n’étaient pas profilés.

[2] Les économistes ont même un wiki special emploi. En France, certaines grandes écoles font toutefois désormais la publicité de leur poste.

[3] Le recrutement des professeurs ne s’opère pas de la même manière : on recherche un nom, une carrière, on recrute donc des individus.

[4] Sur ce sujet, voir le moyen-métrage Candidature, d’Emmanuel Bourdieu, sorti en 2001.

Auteurs

Saskia Cousin

Saskia Cousin est docteur en anthropologie, et maître de conférence en sociologie à l’Iut de Tours où elle enseigne l’anthropologie et la sociologie des sciences et des rapports Nature/Culture. Ses travaux de recherche portent sur le tourisme, plus particulièrement sur les enjeux politiques, institutionnels et identitaires du tourisme culturel. Depuis 2005, elle anime un séminaire de recherche interdisciplinaire sur le tourisme, avec Bertrand Réau, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Derniers articles scientifiques publiés : « De l’Unesco aux villages de Touraine : les enjeux politiques, institutionnels et identitaires du tourisme culturel », in Autrepart n°40, 2006, pp. 17-32. « Le tourisme culturel, un lieu commun ambivalent », in Anthropologie et Sociétés n°2, vol. 30, 2006.

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