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Sérendipité.

Notre urbaine condition.

Olivier Mongin, La condition urbaine. La ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2005. 325 pages. 22 euros.

Ce compte-rendu a été publié dans la revue Pouvoirs Locaux n°68 de mars 2006. La rédaction d’EspacesTemps.net remercie Pouvoirs Locaux pour l’autorisation de publication de cet article.

Image1La lecture de ce livre, qui est le second qu’Olivier Mongin consacre à la ville après Vers la troisième ville (1995), est fort impressionnante par la culture de l’auteur. Il ne s’agit pas seulement d’un état de la question, au demeurant fort honorable en lui-même, mais aussi et surtout d’un travail personnel orienté vers la réflexion et l’action. Ce parcours transdisciplinaire se situe dans la « maison commune des sciences sociales », ce qui est encore loin d’être la norme dans un domaine pourtant aussi évidemment transversal que la ville. Philosophe, Mongin ne se limite pas à un angle d’approche, mais cela ne l’empêche pas de lire sérieusement, sans les prendre de haut, les contributions de chercheurs qui se donnent la contrainte de mettre en tension l’empirique et le théorique. Dans ce parcours « diagonal », l’espace peut être vu comme un fil conducteur qui relie les différentes thématiques et les paysages variés de la planète urbaine. Plus que maints géographes, l’auteur sait faire communiquer les différentes spatialités du social, du corps au Monde. Il nous convainc même de l’idée que, parlant des villes et de l’Urbain, il ne peut en être autrement si l’on veut comprendre quelque chose à ce qui se passe.

Il s’agit en fait d’une double synthèse, de l’histoire urbaine et de la pensée sur la ville, présentée dans un langage aisément accessible au « grand public cultivé ». En ce sens, c’est une introduction utile au domaine des sciences de la ville qui pourrait profiter aux étudiants qui veulent découvrir ou approfondir ce domaine.

Ainsi, Mongin rouvre-t-il le chantier de la relation individuelle, et plus précisément phénoménologique et sensorielle, à la ville. Après Maurice Merleau-Ponty, Michel de Certeau, Georges Perec et Italo Calvino, nous manquons de travaux sérieux en la matière. Il faudrait rebattre les cartes, peu compatibles mais pourtant en partie convergentes, que nous ont livrées des auteurs aussi différents que Martin Heidegger et Henri Lefebvre, et le livre avance dans cette direction de manière stimulante. Le jeu qui s’instaure, tout au long du livre, entre condition urbaine et expérience urbaine vaut programme de recherche. Dans le « selon » de Jean-Toussaint Desanti (p. 232), on peut voir une façon d’entrer dans une notion utile, car puissante dans l’actif comme dans le passif : celle de l’habiter.

Deux processus à l’œuvre.

On appréciera également la prise de recul critique vis-à-vis d’une conjoncture contemporaine qui engendre la tentation de se raconter des histoires, notamment en France, où les basculements d’une ambiance idéologique à une autre sont particulièrement brutaux et où la vigilance s’impose d’autant plus. Ce faisant, Mongin joue pleinement le rôle de l’intellectuel, qui, au risque d’être accusé de jouer les Cassandre, s’adresse sans peur à la société pour lui dire des choses désagréables.

On aurait pourtant pu parfois formuler l’analyse un peu différemment, en articulant autrement certains traits de la situation que l’ouvrage met en évidence. L’observation systématique des espaces urbains conduit en effet à l’idée que les composantes de l’urbanisation favorables à l’urbanité et celles qui lui sont défavorables sont coprésentes, non seulement dans les mêmes lieux, mais aussi dans les mêmes registres du discours et de l’action. Le ver est dans le fruit mais, si l’on ose cette métaphore insolite, le fruit est dans le ver. On a vraiment le sentiment, difficile à exprimer dans un répertoire cartésien, que, tout en se combattant, des conceptions antinomiques de l’Urbain progressent simultanément au cœur même de nos sociétés. Si cette hypothèse est juste, cela signifie que, pour une part au moins, ces deux processus se déroulent sur deux plans différents et orthogonaux l’un à l’autre, sans que l’un d’entre eux ait le monopole, ou le quasi-monopole, du « réel », quand l’autre règnerait sur le monde des « représentations ». Ce n’est d’ailleurs pas ce que dit Mongin, mais l’introduction, en forme de dévoilement d’une illusion, peut laisser penser au lecteur que le parcours cognitif adéquat est celui du réveil douloureux et de la douche froide.

En ce sens, la vision des États-Unis aujourd’hui (pp. 189-196 ; 261-264), vision en partie démentie par les belles pages de comparaison avec le cas français (pp. 275-279), est sans doute trop pessimiste. L’Amérique du Nord est peut-être l’endroit du Monde où, discrètement, sans que, pour le moment, le monde universitaire s’y intéresse beaucoup, on discute le plus de la ville compacte, du modèle européen, des transports publics et des espaces publics. On en discute, et on passe à l’acte ! Cette dynamique ne porte pas seulement sur le traitement des quartiers en difficulté, mais aussi sur les retrouvailles d’une partie des « classes moyennes » avec la ville dense, un processus qu’on ne peut résumer par le terme, réducteur, de gentrification. On peut en tout cas rejoindre Mongin, sur ce constat : c’est bien cela, cette immense contradiction en mouvement, qui rend passionnante la recherche sur la ville aujourd’hui.

Dans l’ensemble La condition urbaine est un livre cultivé et engagé, honnête et ouvert au dialogue. Son titre résume aussi une partie du propos de l’auteur et appelle à la réflexion : l’Urbain définit désormais notre « condition », la ville est devenu notre environnement « naturel » et les enjeux de société possèdent, inévitablement, une forte dimension urbaine. La « question urbaine » ne définit plus un domaine isolable. Elle n’est pas tout, mais elle est partout.

Olivier Mongin, La condition urbaine. La ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2005. 325 pages. 22 euros.

Résumé

La lecture de ce livre, qui est le second qu’Olivier Mongin consacre à la ville après Vers la troisième ville (1995), est fort impressionnante par la culture de l’auteur. Il ne s’agit pas seulement d’un état de la question, au demeurant fort honorable en lui-même, mais aussi et surtout d’un travail personnel orienté vers la ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Jacques Lévy

Professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, conseiller scientifique de Pouvoirs Locaux.

Partenariat

Sérendipité.

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