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Sérendipité.

Multilatéral.

Il est assez commun d’observer que les personnes, les marchandises ou les informations parcourent à une vitesse croissante l’ensemble de l’étendue terrestre, inégalement, mais intensément. Le Monde est un système dont les liens se multiplient et se renforcent de jour en jour. Si ce constat est une évidence d’un point de vue écologique, bien avant l’apparition de l’homme, c’est aussi une réalité sociale dont la fin du 19e et la deuxième partie du 20e siècle ont exacerbé le potentiel. Alors, comment penser le Monde sans prendre en considération la complexité des interactions qui l’animent. Les acteurs de sa dynamique sont multiples, au point d’être parfois inconsidérés. Il est convenu d’identifier des centres et des périphéries, des nœuds et des confins. Au terme du 20e siècle, ce modèle perdure, mais ses interprétations diffèrent. Depuis la fin d’un monde que l’on a qualifié de bipolaire, se pose la question de la polarisation du Monde actuel. Est-il unipolaire ou multipolaire ?

Cette question, en apparence triviale, trouve toute sa pertinence lorsque l’on considère la majeure partie des préoccupations contemporaines. La dégradation de l’environnement, le chômage, le terrorisme, le risque nucléaire, ou les progrès de la biotechnologie posent des problèmes sociétaux dont la dimension politique est actuellement lacunaire et peu adaptée aux réalités considérées. Tous ces phénomènes ont un point commun : leur dynamique et les enjeux qu’ils représentent sont supranationaux. De là à dire que l’État, à son échelle, est impuissant à résoudre ce type de problème, il n’y a qu’un pas que nous n’hésitons pas à franchir. La résolution de tels phénomènes ne peut être envisagée qu’à une échelle adaptée à leur fonctionnement. Une politique nationale de l’environnement, de lutte contre le chômage, de lutte contre le terrorisme, de réduction des armes de destruction massive ou de veille sur les recherches en biotechnologies est structurellement vaine.

L’État, ne répondant que partiellement aux préoccupations de nos contemporains, perd ainsi de sa légitimité. Pourtant, cette impuissance n’enlève rien à son statut privilégié de représentant d’une nation, lorsque l’on considère les États dont le régime est démocratique. Ce n’est pas l’État qui doit être remis en cause, mais le rapport de l’État au Monde. Il manque, manifestement, une gouvernance mondiale, seule échelle pouvant rendre à la politique toute sa pertinence. Finalement, ce constat est assez banal. Là encore, c’est non pas le constat qui pose problème, mais les divergences de points de vue sur les moyens à mettre en œuvre pour s’y adapter.

À première vue, au regard de la dimension systémique des phénomènes considérés et de la multiplicité des acteurs impliqués, une gouvernance mondiale devrait nécessairement être appréhendée sur la base d’accords multilatéraux. C’est, à l’échelle du Monde, la transposition aux États de la démocratie appliquée aux individus. Ce processus, à l’échelle régionale, est celui des États-Unis et, plus difficilement, de l’Union européenne. Jusqu’à présent, seuls les problèmes techniques parviennent à être résolus de la sorte, et non sans difficultés (normes de l’aéronautique ou des réseaux de télécommunication). Par contre, l’environnement ou le terrorisme se prêtent mal à ce genre de considération. Peut-être, devrions-nous revenir sur la question précédente. Le monde actuel est-il unipolaire ou multipolaire ?

Il est aisé de constater que les États-Unis valorisent l’unicité de la polarisation, à savoir eux-mêmes, alors que l’Union européenne valorise la pluralité des pôles, se positionnant ainsi d’un point de vue éthique et surtout géopolitique. Par continuité, on peut aussi observer que les États-Unis, seule puissance pouvant défendre, sans perdre de sa souveraineté, la thèse d’un monde unipolaire, est aussi le seul pays à mettre en œuvre des politiques unilatérales, alors que l’Union Européenne, au nom du pluralisme et de l’État de droit, valorise les politiques multilatérales. Mais si l’on considère l’Union Européenne dans sa diversité, force est de constater que, finalement, la plupart des États qui la composent ont une conception duale de la polarisation du Monde.

Il est aisé, en ces termes, de critiquer la position des États-Unis. Leur politique, pour résoudre les problèmes supranationaux, serait de se soustraire au consensus et de nier la souveraineté des autres États en agissant selon leurs propres intérêts. Défenseurs de la décolonisation au début du siècle, lorsqu’elle représentait les restes de la toute-puissance de l’Europe vaincue, ils seraient aujourd’hui colons, au nom, à leur tour, de la responsabilité qui leur incombe, en tant que grande puissance, de diffuser leur modèle dans le Monde. Leur refus de signer le protocole de Kyoto, de mettre réellement en pratique leur doctrine libérale dans le cadre d’accords multilatéraux au sein de l’Omc (FarmBill, Foreign Sales Corporation, Acier), d’attendre l’aval de l’Onu pour intervenir en Irak, de réduire leur production d’armes de destruction massive ou d’ouvrir un débat sur le brevet du génome humain, confirme leur penchant pour la résolution unilatérale des problèmes mondiaux.

Cette approche est pourtant bien réductrice. Est-il raisonnable d’attribuer aux États-Unis le monopole de l’unilatéralisme, et plus généralement, des accords bilatéraux ? La position de l’Union Européenne et particulièrement de la France, qui repose sur la défense du multilatéralisme, n’est pas non plus si adaptée que cela à la réalité du monde contemporain. Dans la pratique, le multilatéralisme repose sur le consensus. Or, sur des problèmes d’envergure tels que le chômage ou le terrorisme, la diversité des points de vue et l’implication des acteurs sont telles, que le consensus est généralement impossible. De plus, la majeure partie des accords multilatéraux est toujours accompagnée d’exceptions permettant à chaque pays d’adapter les règles communes à son propre fonctionnement. Ces accords sont finalement un ensemble d’accords bilatéraux convergents. La position des États-Unis, qui est aussi une position de force, repose finalement sur la démarche inverse. La somme des accords bilatéraux tend vers un accord multilatéral. Enfin, il est rare que les accords multilatéraux impliquent l’ensemble des parties concernées par un accord. L’échec du cycle de Doha à Cancún est particulièrement significatif de l’ambiguïté des positions sur l’action de l’Omc. Tantôt, on lui reproche son multilatéralisme (Accords Multilatéraux sur l’Investissement), tantôt, on dénonce la possibilité de faire échouer les accords lorsqu’il n’y a pas de consensus. En cela, le multilatéralisme présente suffisamment de faiblesses pour laisser, faute de faisabilité dans le temps de l’action, une porte ouverte aux approches unilatérales.

Manifestement, les États-Unis ont souvent le dernier mot, ce qui conforte la thèse de leur unilatéralisme croissant. Dans le cadre de leur intervention en Irak, du protocole de Kyoto, du désarmement ou du protectionnisme, ils ne renoncent généralement pas à leur intérêt. Or, lorsque le consensus est impossible, ils rappellent leur quasi-monopole de la puissance et agissent en leur nom, accompagné de ceux qui veulent bien les suivre. Ce fut le cas en Yougoslavie et bien entendu, plus récemment, en Irak. Pourtant, il est fréquent que le consensus ne soit pas possible du seul fait de l’opposition des États-Unis. C’est le cas, par exemple, du protocole de Kyoto. En somme, s’il est assez raisonnable de penser que le Monde est multipolaire, la position des États-Unis, qui repose sur l’unipolarité, n’en reste pas moins très efficace. Ses pendants, qui poussent au manichéisme (avec ou contre moi), ont le mérite de structurer le Monde comme le firent de grands monarques en leur temps. Il est difficile de juger objectivement de la valeur morale d’un tel acte puisque l’on n’observe manifestement pas de consensus sur ce qu’il est bon de faire ou de ne pas faire. Les États-Unis imposent donc leur action sur un monde qui ne leur oppose ni force, ni politique consensuelle. Si une forme de gouvernance mondiale est identifiable aujourd’hui, elle s’apparente à une monarchie, et l’on sent qu’elle pourrait rapidement devenir une oligarchie, puis, avec le temps, une démocratie. Le multilatéralisme n’est peut-être pas de ce siècle.

Résumé

Il est assez commun d’observer que les personnes, les marchandises ou les informations parcourent à une vitesse croissante l’ensemble de l’étendue terrestre, inégalement, mais intensément. Le Monde est un système dont les liens se multiplient et se renforcent de jour en jour. Si ce constat est une évidence d’un point de vue écologique, bien avant ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Boris Beaude

Géographe, il est spécialisé dans la géographie d’Internet et enseigne à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il prépare une thèse sur la dimension spatiale d’Internet et plus particulièrement sur le piratage de ressources musicales. Il fait partie de la Rédaction d’EspacesTemps.net, où il est responsable du Site du mois.

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Sérendipité.

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