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Sérendipité.

Les équations temporelles et spatiales des familles périurbaines.

« Alors que nous entrons dans le 21e siècle, nous sommes témoins de changements temporels tant au niveau macro pour ce qui concerne le temps total dédié au travail qu’au niveau micro pour ce qui touche au fonctionnement temporel de la famille » (Presser, 2004, p. 245). La diversité des emplois du temps est le reflet concret des pratiques sociales, des évolutions sociétales, mais plus fondamentalement des structures sociales. Les temporalités quotidiennes, individuelles ou collectives, sont le résultat d’un construit social subtil et complexe à la fois. Croisée avec les caractéristiques des modes de vie périurbains, cette question des temporalités familiales prend tout son sens dans la structuration de spatialités et de modes d’habiter spécifiques. Cet article souhaite explorer la complexification croissante des modes de vie des populations résidant dans les espaces sous influence urbaine, en portant son attention sur les contraintes d’organisation quotidienne des ménages périurbains, directement liées à l’individualisation des rythmes familiaux. L’articulation de plus en plus délicate des temporalités familiales, professionnelles, scolaires et sociales, associée aux caractéristiques propres des espaces périurbains encourage en effet le développement de mobilités quotidiennes et de pratiques spatiales multiples et croisées.

Le choix du terme « équations » renvoie très clairement aux contingences quotidiennes imposées par les modes de vie des familles résidant en milieu périurbain. Les contours de la vie quotidienne sont aujourd’hui largement influencés par une conjonction de facteurs socio-économiques, démographiques et technologiques, dont les impacts sont perceptibles sur les modalités d’organisation des familles. Tous ces facteurs entrent inévitablement en relation conditionnelle les uns avec les autres et s’expriment dans une double dimension temporelle et spatiale. Les formes récentes de la vie quotidienne des familles ont ainsi considérablement évolué. D’une part, la diversification des sphères d’activité de leurs membres (liées au travail, à l’école, aux loisirs…) a engendré un éclatement des espaces de vie, aboutissant à un assemblage de diverses territorialités, vécues différemment par les parents et les enfants. D’autre part, l’individualisation des emplois du temps à l’intérieur de la cellule familiale conduit à une véritable tension temporelle qui peut avoir des répercussions en matière de qualité de vie, et nécessiter des modalités de gestion subtiles de la vie quotidienne (Javeau, 2003).

La réflexion proposée souhaite donc décrire et comprendre le quotidien des familles, dans ses dimensions temporelle et spatiale, en l’articulant avec les modes d’habiter périurbains. À partir d’une recherche récente sur le temps libre des enfants et des jeunes (David, 2010), nous souhaitons explorer les formes de relation que les familles développent avec l’espace géographique. Les conséquences sur l’agencement des lieux et des espaces pratiqués, sur les mobilités et sur les sociabilités, observées au filtre de chacun des membres de la famille (parents et enfants), permettent d’appréhender avec précision les routines quotidiennes (Giddens, 2005, p. 109) et leur complexité en milieu périurbain. Notre raisonnement s’appuiera sur l’exploitation d’une enquête réalisée auprès de 503 familles résidant en Ille-et-Vilaine, dont l’objet portait sur les pratiques de loisirs des enfants et des jeunes dans le cadre de leur temps libre.

Pour appréhender cette question, la première partie propose une réflexion théorique sur le temps et les temps sociaux, en s’intéressant tout particulièrement aux formes et aux caractéristiques de la vie quotidienne. Cette première approche permettra de mettre en exergue les spécificités des temporalités de la famille. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux contextes périurbains et à leur diversité. L’analyse des pratiques spatiales des familles, révélatrices entre autres des modes d’habiter, éclaire sur l’hétérogénéité des espaces sous influence urbaine, mais apporte aussi de nombreuses informations sur les contraintes et les exigences temporelles qu’impose la résidence en milieu périurbain. La dernière partie, centrée sur les pratiques enfantines et juvéniles dans le cadre du temps libre, révèle l’impact du contexte spatial de résidence sur les temporalités et les spatialités déployées et met en avant certaines spécificités des configurations périurbaines.

Temps et famille, une articulation complexe.

Au cœur du fonctionnement des sociétés, le temps se distingue par une double dimension. La première est essentiellement quantitative et renvoie à la durée des évènements, à leur mesure et à leur articulation. La seconde est beaucoup plus qualitative et fait appel à l’usage et au vécu du temps par les individus et les groupes sociaux, où se combinent valeurs, représentations et conditions de l’existence. À la fois reflet de l’organisation sociale, en tant que norme et structure, le temps est aussi une expérience subjective et complexe.

Temps, temporalités et temps sociaux.

La construction du rapport au temps est liée à la fois aux parcours de vie des individus et au fonctionnement des sociétés. Cette double caractéristique est une constante dans la fabrique du temps et des temporalités. Le temps est d’abord et avant tout une expérience individuelle très subjective, différente selon les étapes et les cycles de la vie. Les temps sont concrètement vécus par les individus et le sens qui leur est donné dépend d’équations très personnelles. La relation aux autres, la relation aux lieux et aux espaces, le rapport à la mémoire et aux souvenirs constituent des paramètres qui sous-tendent la subjectivité et la plasticité du temps. Ainsi, la durée de vie, la position dans les cycles de vie, les capacités individuelles construisent un rapport au temps très individualisé. « La difficulté ou la facilité de l’existence n’en donne pas la même perception » (Di Méo, Buléon, 2005, pp. 18-19). En d’autres termes, que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, parent ou enfant, en bonne santé ou malade, actif ou au chômage, valide ou en situation de handicap, l’expérience du temps est radicalement différente.

D’autre part, l’expérience individuelle et sensible du temps peut être vécue de façon très ambivalente. Les sentiments de contrainte ou de liberté sont particulièrement importants et produisent des comportements sociaux différents. Comme l’individu est amené à exercer simultanément plusieurs rôles sociaux, dans des cadres temporels diversifiés, la conciliation de ces différents temps implique des stratégies, résultat concret d’arbitrages entre des exigences individuelles et des exigences imposées par la société. La notion de temporalité renvoie donc à l’expérience vécue du temps et non à la simple succession chronologique des évènements. « La temporalité fait l’objet d’une socialisation spécifique » (Javeau, 2003, p. 12), où les âges de la vie, la position et le statut social sont déterminants, car ils conditionnent les individus à choisir en fonction de leurs intérêts et de leurs objectifs.

De fait, la diversité et l’hétérogénéité des temps constituent le cœur de tout système social, et les interactions qui en découlent ont des conséquences directes sur l’expérience temporelle des individus et l’organisation des sociétés. La vie sociale s’écoule dans des temps multiples qui sont repérables par le contenu des activités et des pratiques qui s’y développent. La cohabitation et l’interaction des différentes temporalités sociales engendrent d’importantes contraintes organisationnelles, voire des tensions considérables dans l’articulation des différents rôles sociaux exercés à titre individuel. Ainsi, la participation à une pluralité de mondes sociaux, qui ne mobilisent respectivement qu’une partie du temps de tout un chacun, produit des emplois du temps très individualisés et implique des stratégies temporelles subtiles pour assumer à la fois ses différents rôles sociaux et articuler ses différentes temporalités. De fait, la diversité des emplois du temps individuels s’avère également difficile à concilier à l’échelle micro que représente la famille, où la pluralité des temporalités des différents membres du foyer (parents, enfants) dépend étroitement des temps prescrits par les institutions qu’ils fréquentent (employeurs, école, université, structures de loisirs…) et des groupes ou réseaux sociaux auxquels ils appartiennent (amis, collègues, pairs…). Cette association de pratiques et de cadres temporels structure inévitablement le quotidien des familles.

Temps et vie quotidienne.

La vie quotidienne peut être vue comme la participation à différents espaces sociaux et aux temps auxquels ils sont associés. […] Le rythme de la vie quotidienne serait déterminé dans une large mesure par les rythmes associés aux positions successives occupées dans les différents champs de l’espace social. (Lesnard, 2009, p. 10).

Ces positions sont inévitablement différentes selon l’âge, le genre, la structure familiale et la situation socioprofessionnelle. La vie quotidienne est ainsi le fruit d’équilibres et d’arrangements minutieux, qui mêlent à la fois la nature des activités humaines, les normes sociales et culturelles, mais aussi leur agencement temporel.

Au sens littéral du terme, le quotidien est ce qui revient tous les jours. Pour autant, dans le champ des sciences humaines et sociales, la description des pratiques sociales ordinaires est encore trop souvent négligée, si bien que les cadres et les situations temporels les plus fréquents restent invisibles, sans doute victimes de leur banalité aux yeux du plus grand nombre. Les éléments retenus pour caractériser les temporalités quotidiennes sont souvent les mêmes et renvoient à la définition simultanée de cadres temporels, définis par un horaire, une durée dont la mesure est universelle, et d’un contenu ou d’une substance, matérialisés par des activités et des pratiques. L’articulation de ces deux dimensions produit une importante diversité de temporalités, rendant compte de la complexité des organisations sociales. Celles relevant du quotidien se distinguent de surcroît par leur régularité et leur rigidité.

La régularité renvoie tout d’abord au caractère répétitif et routinier, c’est-à-dire à la réitération des cadres temporels. La programmation des activités quotidiennes suppose la répétition qui, elle-même, en retour, scande la vie des individus et des groupes sociaux en leur imprimant une assez forte structuration et des formes de périodisation. D’autre part, la rigidité qualifie davantage la substance et suppose des contenus d’activités et des pratiques très figées et redondantes. Ces deux dimensions n’enlèvent en rien l’importance et la richesse de la vie quotidienne. Claude Javeau qualifie même le quotidien de « ciment de la vie et sa carapace […] au point de rencontre du sociétal (ce que nous faisons) et du social (ce que l’on nous fait faire) » (Javeau, 2003, p. 18). Ces activités de tous les jours présentent donc un réel intérêt, parce qu’elles permettent la compréhension et l’analyse du système d’activités sociales.

Pour toutes ces raisons, les temporalités du quotidien se caractérisent par une planification plus ou moins contraignante. L’exercice individuel de différents rôles sociaux et l’agencement de morceaux de temps socialement liés impliquent une organisation. La vie quotidienne constitue donc un ensemble ordonné et objectif, qui règle nos manières de faire et nos tactiques et qui synchronise la vie de tous. Ces régularités génèrent une structure normative nécessaire à l’organisation sociale. Elles peuvent même, le cas échéant, être inscrites dans le droit, comme c’est le cas pour la durée légale du travail ou le temps scolaire hebdomadaire…

Toutefois, les limites entre ce que les individus répètent chaque jour et ce qu’ils font plus rarement, entre le banal et l’extraordinaire, entre le routinier et l’exceptionnel sont assez difficiles à établir. L’analyse des pratiques sociales révèle au contraire une forme de continuum (Lévy, 2008), où les limites deviennent de plus en plus floues entre ce qui est fréquent et ce qui est plus rare, sous l’effet d’une complexification croissante et une plus forte interpénétration des activités. Cette évolution génère des pratiques sociales extrêmement riches qui rendent l’objet beaucoup moins monolithique qu’il n’y paraît, et dont l’analyse implique la référence à des grandes catégories de temps, récurrentes dans les études portant sur l’organisation de la vie quotidienne.

En effet, même « si le quotidien s’invente avec mille manières de braconner » (De Certeau, 1980, p. 10), la diversité des activités quotidiennes repose sur des pratiques et des associations de pratiques récurrentes, qui participent à la définition de grands types de journées et de semaines. La vie sociale des individus se structure autour de temps multiples et diversifiés, mais il est d’usage de distinguer plusieurs périodes structurantes : le temps physiologique, le temps de travail professionnel ou d’étude, le temps domestique et le temps de loisirs. Cette forme de catégorisation montre que les grands prescripteurs de temps restent le travail, les loisirs et la famille.

Temporalités familiales.

Pour poursuivre cette réflexion, il apparaît intéressant de comprendre maintenant comment s’organisent et s’agrègent les rythmes des différents individus à l’échelle de la cellule familiale. Cette configuration est un élément clé de la compréhension de la vie quotidienne des familles et de leurs modes de vie. Le temps familial est assez complexe à appréhender car il intègre à la fois les temporalités individuelles et les modes d’organisation de la vie collective au sein de la sphère familiale. Le temps passé en famille a néanmoins connu une progression importante depuis plusieurs décennies, reposant sur la réunion quotidienne de ses membres. La démocratisation des relations entre parents, mais aussi entre parents et enfants, a nourri cette sociabilité familiale.

« La famille se construit à partir d’activités et de circulations d’activités qui ne sont pas intrinsèquement familiales » (Kaufmann, 1995, p. 4). Dans la mesure où elles organisent la vie quotidienne dans des cadres temporels multiples, aux exigences parfois contradictoires selon la nature des activités réalisées et en fonction des membres concernés, elles s’entrechoquent obligatoirement au sein de la cellule familiale. Les emplois du temps n’en sont que plus complexes et sont déterminés par des logiques très différentes. Cette complexité se révèle particulièrement dans l’articulation des temporalités parentales et enfantines (Figure 1).

Figure 1 : la construction complexe de l’emploi du temps familial.

 Ainsi, le temps parental est défini par la conjonction des cadres temporels respectifs des parents et des enfants. Il se décline en quatre temps distincts : le temps domestique lié au soin des enfants, le temps-taxi lié aux déplacements des enfants vers leurs différents lieux d’activité, le temps d’accompagnement scolaire et le temps de sociabilité propre à la famille. L’articulation de ces différentes temporalités est la résultante d’un jeu complexe entre différentes logiques. Les familles doivent concilier à la fois les contraintes du monde professionnel des parents, l’exercice des responsabilités éducatives, les charges domestiques et les aspirations individuelles. Force est de constater que c’est le temps familial qui souffre de cette concurrence, jouant sur le fonctionnement temporel de la famille et plus largement sur le bien-être de chacun de ses membres. D’autres évolutions sociétales interviennent également sur la recomposition des temporalités familiales. L’accroissement de la mobilité, corollaire de la dissociation de plus en plus fréquente entre le lieu de travail et le lieu de résidence, voire entre le lieu de scolarité et le domicile pour les enfants, a des conséquences sur le quotidien des familles. Ces déplacements ajoutent du temps contraint, associé au travail, et réduisent le temps familial et le temps libre. Dans ce contexte, où les sphères d’activité se multiplient et se diversifient au sein de la journée, les parents et les enfants ne pratiquent plus systématiquement les mêmes espaces, ni les mêmes trajets, ce qui complexifie également l’organisation des ménages, à la fois dans le temps et dans les espaces du quotidien. Ainsi, l’analyse des rapports à l’espace des groupes familiaux et de leurs membres constitue une autre dimension importante des nouvelles pratiques temporelles.

La compréhension des pratiques familiales en matière d’organisation temporelle est soumise à plusieurs variables qui interagissent sur la plus ou moins grande capacité à articuler les différentes contraintes de la vie quotidienne. Au-delà des rythmes et formes d’organisation du travail, il s’agit de la forme des ménages, de la position dans le cycle de vie, du type de composition socioprofessionnelle et, enfin, du lieu de résidence. Cette dernière dimension sera concrètement examinée dans la seconde partie de cette réflexion, en s’appuyant sur l’analyse des modes d’habiter en milieu périurbain et de leurs conséquences sur les temporalités et spatialités familiales.

Un effet de contexte périurbain sur les temporalités ?

Le vocable « périurbain » suggère lui-même une tension temporalisée entre deux espaces. En effet, les rapports que nouent les habitants des périphéries résidentielles avec leur ville-centre produisent inévitablement des modes de vie, des pratiques spatiales, des mobilités structurant les temporalités familiales quotidiennes. C’est à travers l’analyse des modes d’habiter que nous souhaitons mettre en évidence l’impact du contexte périurbain sur les modalités d’organisation des familles qui y résident. Cette réflexion repose sur une enquête quantitative réalisée auprès de ménages résidant en Ille-et-Vilaine. Elle s’est attachée à décrire précisément les pratiques de loisirs des enfants et des jeunes, en les articulant notamment aux caractéristiques et aux modes d’organisation internes à la cellule familiale. Une série d’entretiens individuels auprès de parents a permis de compléter les résultats par une lecture plus compréhensive et qualitative des modalités d’organisation des familles.

 L’objet de l’enquête portait sur la description des comportements et pratiques de loisirs des enfants et des jeunes dans le cadre de leur temps libre. Pour mesurer l’impact des contextes territoriaux sur la structure des pratiques d’activités et de services socio-éducatifs, il était nécessaire de construire une base de données originale, en croisant à la fois des variables spatiales (en fonction des lieux de résidence, des lieux de scolarisation et d’activité…), des variables socio-économiques (déterminants sociaux, socioprofessionnels) et des variables culturelles (valeurs, représentations, perceptions…). Ensuite, pour appréhender la vie quotidienne des populations, il semblait nécessaire de repérer les pratiques enfantines et juvéniles au sein de la cellule familiale. L’enquête s’est attachée à prendre en compte la place des différents membres de la famille, pour décrypter les différences liées au genre, au statut et à l’âge.

La constitution d’un échantillon aléatoire rigoureux s’appuyant sur une base de sondage exhaustive des familles d’Ille-et-Vilaine était impossible. L’échantillonnage a donc été construit en respectant la méthode des quotas, définis en fonction de caractéristiques simples (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle…). La population de référence était celle des ménages ayant des enfants âgés de 6 à 24 ans révolus. La fiabilité de l’enquête impliquait enfin une sélection de communes représentatives de la diversité des espaces urbains, périurbains et ruraux. Pour garantir la diversité des situations territoriales, le choix des communes enquêtées a croisé les différents types du zonage en aires urbaines et en aires d’emplois de l’espace rural (ZAUER-INSEE), la desserte routière et l’éloignement aux pôles urbains. Au total, 503 familles avec enfants de moins de 25 ans ont été enquêtées, regroupant 1231 enfants différents, dont 42,8 % résidaient dans une commune périurbaine. Dix entretiens complémentaires ont été réalisés après le dépouillement et l’analyse des résultats de l’enquête.

Des modes de vie et d’habiter spécifiques ?

Les modes d’habiter (Stock, 2004) s’appréhendent à partir des pratiques des acteurs, ici les familles et leurs membres, dans leur relation à l’espace, contexte et condition de leurs actions. La notion de pratiques renvoie inévitablement aux modes de vie dans la mesure où elles concernent toutes les actions liées à la vie quotidienne, l’ensemble des activités habituelles, les « routines » et leurs implications spatiales. Elles génèrent en effet des agencements spatiaux, constructions produites par les acteurs sociaux, des formes d’appropriation, des marquages.  Dans cette perspective et à partir d’une analyse qualitative précise des mobilités, des sociabilités et des temporalités individuelles, Laurent Cailly propose de rassembler les spécificités et les singularités des modes de vie des espaces sous influence urbaine dans ce qu’il appelle un « pack périurbain » (Cailly, 2008, p. 3). Certaines de ces caractéristiques peuvent être retenues pour éclairer notre réflexion.

En effet, il faut tout d’abord rappeler que l’éloignement de l’emploi et des services rend la mobilité inhérente à la résidence en milieu périurbain. La vie quotidienne des familles est ainsi scandée à la fois par les navettes domicile-travail des parents mais aussi par les déplacements liés à la scolarité des enfants.

Le travail et l’école gardent un rôle primordial dans la définition des temps sociaux qui prédominent dans le périurbain. Les emplois du temps individuels sont souvent très contraints par ces deux activités sociales déterminantes, conduisant à un fonctionnement spatial de type pendulaire. (Dodier, 2007, p. 306)

Cette mobilité nécessite même des formes de rationalisation des déplacements pour articuler le plus efficacement possible les contraintes des adultes avec celle des enfants, et concilier des emplois du temps aux horaires de plus en plus individualisés. Le temps parental taxi en constitue une traduction concrète, particulièrement chronophage pour les parents quand il s’agit de répondre aux besoins de mobilité des enfants, que ce soit pour accéder aux services scolaires ou aux activités pratiquées dans le cadre du temps libre et des loisirs.

La deuxième dimension importante concerne les spatialités associées à cette intense mobilité. Les espaces fréquentés par les parents et les enfants contribuent à une forme d’éclatement des territoires vécus, en fonction des lieux d’activité professionnelle, des lieux de scolarisation, des lieux de pratiques de loisirs, des lieux de consommation et plus généralement de l’ensemble des services fréquentés. Cette réalité produit des configurations territoriales très complexes et différentes d’une famille à l’autre, voire d’un individu à l’autre, influencées par les modes d’organisation internes à chaque foyer. Ainsi, l’espace de vie familiale en milieu périurbain apparaît très éclaté, et donne lieu à des formes de « zapping territorial » (Cailly, 2008, p. 5) en fonction des emplois du temps et des lieux fréquentés chaque jour.

L’enquête réalisée en Ille-et-Vilaine conforte ces grandes tendances. Une série de questions permettait d’explorer assez finement les conditions d’existence des familles et les pratiques spatiales liées à leur contexte résidentiel, ainsi que leurs conséquences sur le plan temporel. Les familles enquêtées portent tous les stigmates de la vie périurbaine. Le premier d’entre eux révèle les stratégies d’implantation des ménages en milieu périurbain, qui associent généralement le choix de la commune d’implantation à l’acquisition d’une maison individuelle. Interrogés sur leur lieu de résidence, 72 % des familles déclarent vivre dans un lotissement, ce qui constitue une caractéristique majeure du mode de vie périurbain, notamment dans l’ouest de la France où cette forme urbanistique est particulièrement développée. L’Ille-et-Vilaine n’échappe pas au processus d’étalement urbain et l’accession à la propriété en périphérie des principales villes du département a encouragé le processus de construction de lotissements (David, Séchet, 2010).

Ces zones résidentielles attirent particulièrement les jeunes ménages avec enfants, car elles peuvent y trouver des logements adaptés à la configuration familiale. Dans cette enquête, les familles périurbaines affichent un profil démographique plus jeune que sur l’ensemble de l’échantillon, avec un âge médian de 38 ans pour les femmes et de 40 ans pour les hommes. La structure par âge de la population enfantine et juvénile y est également plus jeune qu’en milieu urbain ou rural. L’âge moyen est de 10,8 ans et la moitié des effectifs a plus de 10 ans. Ce sont les classes d’âge comprises entre 5 et 14 ans qui sont les plus fournies. La plupart de ces familles se sont installées durant les 15 dernières années, et les parents ont en moyenne entre 3 et 4 ans de moins que ceux qui résident en ville. Les communes périurbaines se caractérisent aussi comme celles où l’homogénéité des fratries est la plus forte, puisque près de 9 familles sur 10 ont deux ou trois enfants. Cela s’explique par la relative jeunesse des parents, dont les projets de naissances restent encore plausibles.

Des contraintes évidentes sur la vie quotidienne.

Symbole de la norme résidentielle dans les aires périurbaines, le lotissement renvoie également à un mode de vie très synchronisé, caractérisé par des rythmes quotidiens et hebdomadaires spécifiques, qui concourent également à l’homogénéisation des modes d’habiter. Ces ensembles d’habitations ne semblent animés qu’en matinée et en soirée, à l’heure où les parents accompagnent leurs enfants à l’école, et lorsque les actifs quittent leur domicile pour se rendre au travail ou inversement. Les week-ends, et dans une moindre mesure les mercredis, laissent la place à beaucoup plus d’activités et d’interactions entre familles et enfants, avec des relations de voisinage plus denses.

Cette particularité s’explique en grande partie par l’éloignement relatif des lieux de l’activité quotidienne (travail et scolarité) : 85 % des parents interrogés travaillent sur une commune différente de celle où ils résident, contre 62 % en milieu rural et 25 % seulement en milieu urbain. Les différences de genre sont assez sensibles, bien qu’elles soient moins fortes en milieu périurbain où la bi-activité domine largement, qu’en milieu urbain ou rural. Ainsi, 79,6 % des femmes déclarent travailler sur une autre commune que celle de leur domicile en milieu périurbain contre 89,3 % des hommes. Lorsque l’on compare le lieu d’activité des deux parents au sein d’une même famille, dans plus de 3 ménages sur 4 (76,6 %) le père et la mère travaillent sur des communes différentes, autres que celle de résidence. Cette réalité engendre donc des navettes quotidiennes entre le domicile et le lieu d’activité, dont la distance moyenne déclarée est de 20,7 km pour les pères et de 12,9 km pour les mères. Ces mobilités ont également des répercussions temporelles sur l’organisation de la vie quotidienne, dans la mesure où elles sont chronophages, s’ajoutant de fait au temps quotidien de travail. Les actifs se déplaçant déclarent un temps moyen de trajet (aller simple) de 21 minutes pour les pères et de 14 minutes pour les mères.

Pour les enfants, les contraintes d’accès aux services scolaires se surajoutent aux mobilités professionnelles des parents. Les résultats de l’enquête montrent que 46 % des enfants résidant en milieu périurbain sont scolarisés hors de la commune du domicile. Cette proportion est beaucoup plus élevée qu’en milieu urbain (4,6 % seulement) où les services sont plus nombreux, mais demeure assez proche des valeurs observées en milieu rural (47,4 %). Il convient de souligner une forte distinction en fonction de l’âge, calée sur la scolarité des enfants et la sectorisation des établissements scolaires. Les enfants d’âge primaire sont fréquemment scolarisés sur leur commune de résidence, alors que l’entrée au collège et la poursuite des études au lycée engendrent des déplacements vers le pôle de services ou le centre urbain le plus proche.

Des équations complexes à l’échelle micro.

Les résultats de l’enquête ont permis d’envisager un travail cartographique à plusieurs niveaux d’échelles. La constitution de la base de données offrait ainsi la possibilité de cartographier les pratiques au niveau de la cellule familiale. Ceci nous a permis de montrer combien l’organisation des spatialités quotidiennes des adultes comme celles des enfants vivant dans les espaces périurbains se cale sur les contraintes liées au lieu d’activité professionnelle ou scolaire. Pour l’illustrer, nous avons sélectionné plusieurs cas de figure, en croisant les configurations familiales, les contextes résidentiels et les mobilités associées à l’activité professionnelle des parents, au lieu de scolarité et aux activités pratiquées dans le cadre du temps libre. Le choix de certaines familles induit un biais dans l’analyse, mais nous avons cherché à être le plus exhaustif possible pour couvrir l’hétérogénéité des situations. Les critères de sélection retenus ont été le nombre d’enfants, leur âge, leur sexe, la commune de scolarité, les communes d’activités de loisirs, les communes de travail des parents (Figure2). 

Figure 2 : les spatialités quotidiennes des familles périurbaines. Source : Olivier David

L’examen comparatif de ces différentes cartes permet de dégager quelques conclusions structurantes sur l’assemblage des spatialités des différents membres de la famille. Lorsque l’on s’intéresse aux mobilités engendrées par la scolarité des enfants et l’activité professionnelle des parents, force est de constater que les pratiques familiales sont complexes. Ainsi, l’espace familial en milieu périurbain apparaît éclaté et structuré par différentes polarités. Les lieux d’activité professionnelle des parents sont fréquemment situés sur les pôles d’emplois les plus proches, parfois distincts d’un parent à l’autre. D’autre part, en fonction de l’âge des enfants, le passage au collège ou au lycée génère le même type de contraintes eu égard aux lieux de scolarité. Les activités pratiquées par les enfants dans le cadre de leur temps libre impliquent à leur tour des pratiques extérieures à la commune, avec des mobilités supplémentaires pour les familles. Cela contribue donc à façonner des spatialités individualisées complexes qui auront un véritable impact sur l’organisation quotidienne et hebdomadaire de la famille.

Les cartes produites permettent aussi de révéler la diversité des situations périurbaines. La famille résidant à Val-d’Izé se caractérise par le déplacement quotidien des deux parents vers les pôles urbains les plus proches (Rennes et Vitré), alors que les enfants sont scolarisés sur la commune de résidence et y pratiquent leurs activités de loisirs. Dans cette situation, les contraintes temporelles des deux parents exigent le recours à des services de garde ou d’accueil de loisirs sur l’ensemble des temps extra-scolaires pour faire coïncider les emplois du temps. La famille résidant à La Gouesnière, composée d’un mono-parent et de son enfant, présente des modalités similaires. Si la mère travaille à proximité du domicile, l’enfant se déplace tous les jours vers Saint-Malo (à 7,5 km) pour sa scolarité et à Cancale pour ses activités de loisirs. Les contraintes quotidiennes sont directement liées aux mobilités enfantines, générant du temps parental taxi quasiment tous les jours de la semaine. La situation peut être encore plus complexe lorsque le nombre d’enfants est plus élevé et que les lieux de scolarité se diversifient. C’est le cas de la famille demeurant à Bains-sur-Oust, où les parents travaillent sur le pôle d’emplois le plus proche (Redon). Le lieu de scolarité des enfants est situé sur la même commune. En revanche, la pratique d’activités de loisirs exige le recours à des services localisés sur trois communes différentes, engendrant de nouvelles mobilités. Ces trois exemples révèlent la diversité des configurations familiales et les équations spatiales et temporelles qu’elles nécessitent en fonction du nombre d’enfants, de leur âge, de leur lieu de scolarité, mais aussi de la nature des activités pratiquées dans le cadre du temps libre. La dernière partie de cette réflexion s’y intéressera plus précisément.

Les loisirs des enfants et des jeunes périurbains.

Contrairement à sa dénomination, le temps libre n’échappe pas à une très grande diversité de cadres temporels vécus de manière plus ou moins contraignante par les individus. Comme tous les autres temps de la vie sociale, il est soumis à la régulation de l’horloge ainsi qu’à des formes de régularité et de périodicité, variant au gré des activités qui le structurent. La réduction du temps de travail et la diminution du temps scolaire en ont fait un temps important de la vie quotidienne des enfants et des jeunes, mais aussi de leur famille. Il convient donc de montrer les traits de sa quotidienneté, avant de repérer les contraintes qu’il génère au sein de la cellule familiale.

Des pratiques relevant du quotidien.

Le loisir occupe une place de première importance dans l’organisation de la vie familiale. « Les activités autour desquelles se retrouve quotidiennement la famille n’ont rien de proprement conjugales ou familiales, mais se composent des principales occupations de tous les jours liées au loisir » (Lesnard, 2009, p. 67). Apprécié pour le desserrement temporel qu’il offre à chacun des membres de la cellule familiale, le temps libre devient un cadre propice à la construction du lien familial. Dans le flot régulé des activités professionnelles ou scolaires, il est aussi un moment pour soi, une fenêtre propice à la découverte et à l’épanouissement, impliquant aussi bien les parents que leurs enfants. Il permet d’articuler les activités individuelles et collectives de la famille et c’est aussi à travers elles que le lien familial se construit. Les parents comme les enfants peuvent mettre à profit cette conjonction d’emplois du temps pour développer la sociabilité familiale et les relations interpersonnelles au sein du foyer.

De fait, par leur fréquence, ces activités constituent un élément de base de la vie sociale de tous les jours. En ce sens, elles répondent parfaitement à la définition qu’Anthony Giddens (2005) donne de la routine, qui englobe les actions accomplies de façon habituelle et récursive. Elles ont donc un effet structurant sur l’activité sociale. La routine est aussi une dimension importante dans la compréhension des pratiques sociales, car elle est « essentielle aux mécanismes psychologiques qui assurent le maintien d’un sentiment de confiance, une sécurité ontologique dans les activités quotidiennes de la vie sociale » (Giddens, 2005, p. 33). De ce fait, la routinisation de la vie de tous les jours participe directement à la construction de la cohésion familiale, notamment dans le développement des liens entre parents et enfants. Elle offre simultanément un cadre propice au développement personnel. Toutes ces activités journalières interfèrent sur le fonctionnement général des systèmes sociaux et permettent de comprendre les agencements spatiaux et les configurations territoriales qui en découlent. C’est en partie sur ces considérations que Torsten Hägerstrand (1970, p. 8) a structuré le courant de la géographie temporelle (time geography), pour décrire et analyser les effets structurants de la vie quotidienne sur l’organisation de la vie sociale.

L’enquête que nous avons réalisée permet d’objectiver l’importance quantitative des activités et des services pratiqués par les enfants et les jeunes dans le cadre des loisirs quotidiens. Ils y consacrent une part importante de leur temps journalier et hebdomadaire, comprise entre le temps physiologique incompressible et le temps consacré aux activités scolaires. Néanmoins, la quantification précise des durées est très délicate et la méthodologie des budgets-temps présente de réelles limites de ce point de vue, notamment en ce qui concerne les occupations ludiques informelles et les relations entre pairs. La diversification et la spécialisation des pratiques augmentent avec l’âge. L’accroissement progressif de la durée du travail scolaire, à partir du lycée notamment, ainsi que l’élargissement des réseaux de sociabilité en sont les principaux éléments explicatifs. Ainsi, les formes d’activités encadrées (centre de loisirs, activités sportives et culturelles…) concernent les tranches d’âge les plus jeunes sur des fréquences quotidiennes assez régulières. La prise d’autonomie dans les choix personnels et dans la mobilité, l’élargissement des centres d’intérêt et des réseaux sociaux caractéristiques des adolescents génèrent au contraire des pratiques beaucoup plus diversifiées et largement moins encadrées, à des rythmes très différents d’un individu à l’autre. Tous ces éléments ont d’inévitables conséquences sur l’organisation temporelle de la cellule familiale et de ses différents membres (parents et enfants).

L’inscription spatiale des pratiques.

Notre enquête s’est intéressée très concrètement aux lieux de pratique des activités de loisirs, et les taux de réponse (97 % en moyenne) nous garantissent une information assez fiable. Si cette question de la localisation et des mobilités engendrées par la pratique d’activités est majeure dans l’organisation de la vie quotidienne des familles, c’est aussi une dimension essentielle dans l’appréhension de la spatialité des enfants et des jeunes (Tableau 1: Lieu de pratique des activités selon la commune de résidence).

 Ainsi, les résultats révèlent que les enfants vivant dans les communes périurbaines sont les plus fréquemment amenés à pratiquer leur activité en dehors de leur commune de résidence. Ils ne sont que 58,9 % à fréquenter une structure locale, contre 91,4 % des enfants vivant en ville ou 68,2 % des enfants vivant en milieu rural. Ces différences sont évidemment liées à l’offre de services, beaucoup plus riche et diversifiée en ville qu’elle ne l’est sur les autres communes du département d’Ille-et-Vilaine. Dans une certaine mesure, les enfants vivant en campagne sont aussi contraints à pratiquer leur activité en dehors de leur commune de domicile. Toutefois, il faut bien distinguer les pratiques périurbaines des pratiques rurales. Dans le premier cas, le choix d’une activité hors commune est beaucoup plus fréquent qu’en campagne. Les familles n’hésitent pas à choisir un club sportif ou une activité sur les communes voisines, si la qualité ou la nature des prestations fournies est différente. Les mobilités engendrées par de tels choix sont en effet importantes. Il ne faut donc pas penser l’offre à l’échelle de la seule commune de résidence, mais dans un espace beaucoup plus vaste, plus proche du bassin de vie des familles périurbaines. Par contre, en milieu rural l’offre d’activités et de services est beaucoup moins riche et diversifiée. Les populations sont souvent contraintes à choisir localement. La pratique hors lieu de résidence est beaucoup moins élevée (24 %), d’autant plus que les communes voisines (ou dans un périmètre restreint) n’apportent pas davantage de choix.

La comparaison entre la commune de résidence et la commune de scolarité révèle également d’importantes différences dans la structuration des spatialités quotidiennes des enfants et des jeunes. Le changement d’établissement scolaire induit en effet un élargissement spatial progressif des enfants et des jeunes dans leur vie quotidienne, avec une dissociation croissante entre lieu de résidence et lieu de scolarisation au fur et à mesure de l’âge des enfants, ou de la spécialisation de leur parcours de formation (notamment dans le cas des filières professionnelles et de l’apprentissage). Cette réalité peut générer des modalités d’organisation spécifiques des temps comme des mobilités au sein de la cellule familiale, pour gérer au mieux les contraintes des enfants en fonction de leurs pratiques socio-éducatives.

Ainsi, en milieu périurbain, les pratiques hors commune de résidence sont beaucoup plus importantes, et nécessitent parfois de se déplacer sur d’assez longues distances. Cependant, la polarisation vers le centre urbain le plus proche est le comportement dominant. Les familles vont ainsi chercher les services vers les villes-centres. Ces différentes analyses confirment l’impact des contextes territoriaux sur la qualité des ressources éducatives mobilisables par les enfants et les jeunes au plan local, mais aussi sur la nature des spatialités et des mobilités induites. Non seulement l’offre de services n’offre pas partout les mêmes opportunités, mais en plus elle peut engendrer des déplacements importants, qui contraignent fortement l’organisation de la cellule familiale. De ce point de vue, l’espace périurbain apparaît clairement comme un entre-deux, un tiers-espace ayant « le plus souvent des besoins de services collectifs et d’équipements qui le rapprochent de choix de type urbain » (Vanier, 2000, p. 109), impliquant des configurations temporelles complexes associées à des pratiques spatiales éclatées.

Des contraintes clairement exprimées par les familles.

Dans de telles conditions, le fonctionnement quotidien de la cellule familiale implique des modes d’organisation complexes pour pouvoir coordonner l’ensemble des activités des enfants mais aussi des parents. Les contraintes sont très lourdes, et qualifiées comme telles par les familles que nous avons enquêtées, car elles mobilisent beaucoup de temps parental, après les journées de travail ou les week-ends, pour accompagner les enfants et pour assumer des déplacements multiples vers les lieux de pratique. Un certain nombre de paramètres reviennent fréquemment dans la description des familles. La situation est d’autant plus difficile que le nombre d’enfants est élevé, car les lieux d’activité et les déplacements associés se multiplient. Les contraintes de transport et les programmations horaires sont parfois des éléments d’arbitrage dans l’inscription des enfants aux activités et aux services socio-éducatifs. Les contraintes professionnelles ne permettent pas toujours de répondre aux souhaits des enfants, par simple incompatibilité d’emploi du temps. D’autres éléments non négligeables interviennent, tels que l’organisation des services de transports collectifs et l’existence d’un réseau social de proximité. En effet, ce sont deux modalités qui peuvent réduire les tensions et faciliter l’articulation des différents temps de vie au sein de la famille, en permettant aux enfants de se rendre de façon autonome sur leur lieu d’activité (quand ils sont en âge de le faire) ou en se déchargeant de certains déplacements sur d’autres parents ou amis. Enfin, l’âge des enfants constitue un dernier paramètre important. En effet, l’analyse des enquêtes « Emploi du temps » (INSEE) montre qu’au fur et à mesure qu’ils grandissent, la sociabilité conjugale diminue. Le temps passé avec les enfants augmente car les contraintes progressent au gré de l’élargissement des réseaux sociaux, mais aussi de la diversification des lieux de pratiques des activités de loisirs.

Les déplacements liés aux activités de loisirs dans le cadre du temps libre sont apparus très importants. Lors des entretiens individuels, tous les parents ont souligné le temps important consacré à l’accompagnement des enfants vers les structures d’accueil, ainsi que les difficultés à articuler les mobilités de chacun d’entre eux, en cas de fratrie. Le questionnaire a permis non seulement d’apprécier les modalités d’organisation, mais aussi les modes de déplacement retenus et la qualité des accompagnateurs le cas échéant. Les résultats confirment la place centrale des parents dans l’accompagnement des déplacements liés aux activités socio-éducatives. Sur l’ensemble de l’échantillon, plus de deux enfants sur trois se déplacent le plus souvent avec leur père ou leur mère, alors qu’ils ne sont que 51 % à le faire seuls. Le croisement des résultats avec le lieu de résidence révèle une fois de plus la spécificité du milieu périurbain. Les enfants y sont beaucoup plus fréquemment accompagnés par leurs parents ou par une autre personne. Ainsi, en milieu périurbain, le réseau social et amical est très largement mobilisé. La plus grande homogénéité sociale des ménages explique sans doute le recours à d’autres parents (31,6 %). Dans ces communes où les familles sont récemment installées, le réseau social se structure souvent autour des enfants, par l’intermédiaire de l’école ou d’autres activités. L’organisation collective des déplacements est plus facile à imaginer. Ensuite, les amis et les voisins viennent également en renfort dans 34,2 % des cas. Les grands-parents et la famille, qui ne résident pas forcément à proximité, sont en revanche beaucoup moins sollicités (15,7 %).

Le questionnaire a été construit pour mesurer, autant que faire se peut, les contraintes des familles en matière d’organisation des déplacements associés à la pratique d’activités socio-éducatives. Les résultats globaux ne montrent pas d’insatisfaction majeure, puisque 66,3 % des parents jugent facile l’organisation des déplacements. Cette appréciation générale ne doit pas masquer une part d’insatisfaits et de très insatisfaits beaucoup plus importante en milieu périurbain. Ce constat nous renvoie aux caractéristiques de l’offre en milieu périurbain, beaucoup moins structurée et moins diversifiée, obligeant les familles à recourir à des services extérieurs à leur commune de résidence, ce qui génère des mobilités beaucoup plus contraignantes. Ceci mobilise davantage les parents dans les déplacements vers les lieux d’activité. Ce temps taxi est très contraignant, notamment lorsque la taille des fratries est importante. Les parents exprimant des difficultés à organiser les déplacements évoquent essentiellement des problèmes d’articulation des temps des différents membres de la famille, en soulignant une conciliation difficile avec leurs horaires professionnels (25,3 %) et une gestion contraignante de l’emploi du temps de chaque enfant (13,1 %). Ils évoquent également la lourdeur des déplacements et la longueur des trajets (13,2 %). Ces familles résident majoritairement sur des communes périurbaines et affichent un nombre moyen d’enfants plus élevé que la moyenne de l’échantillon.

« Saisir la complexité sociale et spatiale, c’est tout à la fois analyser précisément la relation de l’individu à ses groupes et à ses espaces d’appartenance, c’est décrypter la cohérence d’une organisation générale à ses différentes échelles, de l’individu au global » (Di Méo, Buléon, 2005, p. 10). En posant l’espace comme cadre et support de l’action des sociétés, nous avons cherché à mettre en lien les modes de fonctionnement des familles avec les caractéristiques des espaces de vie dans lesquels elles évoluent. L’espace s’inscrit inévitablement dans la praxis. Il est obligatoirement pris en compte par les acteurs (enfants, jeunes, parents…), consciemment ou non, dans la mise en œuvre de leurs actions et de leurs stratégies. La compréhension de l’organisation familiale en dépend en partie.

Cet article a montré à la fois les spécificités des modes d’habiter périurbain et leurs conséquences en matière d’organisation quotidienne des familles, imposant des spatialités éclatées et des temporalités complexes. Simultanément, elle a mis en évidence la diversité des configurations familiales, inhérentes au lieu d’activité des parents, au lieu de scolarité, au nombre et à l’âge des enfants. Si le « pack périurbain » se confirme dans sa globalité, la description précise des modalités de fonctionnement quotidien à l’échelle micro de la cellule familiale permet d’appréhender une très grande diversité des situations. « Au final, la multiplicité des facteurs de différenciation et l’hétérogénéité des contextes individuels déterminent une large gamme de choix et de comportements spatiaux » (Cailly et Dodier, 2007, p. 78). De ce point de vue, le lieu de résidence en constitue une variable importante.

De fait, les espaces vécus et pratiqués sont différenciés et dépendent à la fois des activités, des usages des lieux et des déplacements qui les accompagnent. Il est donc particulièrement intéressant d’analyser les pratiques sociales en les croisant avec les caractéristiques individuelles (âge, sexe, lieu de résidence, de travail, de scolarité…). La dissociation entre le domicile et les lieux de pratiques, caractéristique majeure des espaces périurbains, implique des déplacements qui structurent fortement l’organisation familiale pour répondre aux besoins éducatifs et sociaux des enfants et des jeunes. Cette question des mobilités est très importante dans le quotidien familial et l’appréciation des familles sur les modalités d’organisation qu’elles génèrent est révélatrice de la place qu’elles occupent dans le temps parental. L’inscription spatiale des pratiques est lourde de conséquences dans le fonctionnement quotidien des ménages. Non seulement elles interfèrent sur les choix d’activités et le recours aux services socio-éducatifs, mais elles peuvent parfois produire des contraintes sur l’organisation temporelle et spatiale de la vie quotidienne.

Résumé

Cet article s’intéresse à la complexification croissante des modes de vie des populations résidant dans les espaces sous influence urbaine. La réflexion porte plus précisément sur les contraintes d’organisation quotidienne des familles périurbaines. L’articulation de plus en plus délicate des temporalités professionnelles, scolaires et sociales encourage en effet le développement des mobilités quotidiennes et la pratique de territorialités multiples et croisées. Cette analyse implique une approche temporelle, faisant écho aux évolutions sociétales en cours, telles que la dissociation croissante entre lieu(x) de résidence et lieu(x) d’activité(s), la désynchronisation des temps sociaux, le développement des mobilités... La diversification des sphères d’activité des membres de la famille (liées au travail, à l’école, aux loisirs...) a engendré un réel éclatement des espaces de vie, aboutissant à un assemblage de diverses territorialités, vécues différemment par les parents et les enfants.

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