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Le tournant proxémique : de la représentation à la spatialité cartographique.

Image1« Et pourtant, elle tourne ! » Telle est la phrase qu’aurait prononcée Galileo Galilei après avoir dû abjurer l’héliocentrisme face au Tribunal de l’Inquisition. En effet, si les théories héliocentriques qu’il avait enseignées comme étant vraies n’étaient en réalité que des hypothèses mathématiques qui pouvaient être sacrilèges, l’appareil d’intuitions et d’observations suggérait leur véracité, comme cela fut scientifiquement démontré ultérieurement.

Une prise de distance s’impose afin d’éviter tout irrévérence à l’égard d’un modèle scientifique inégalable de par son importance. Toutefois, ce qui est en train de se produire dans le domaine de l’expérimentation cartographique est comparable à l’attitude intellectuelle galiléenne : la manière de construire des cartes capables d’exprimer les espaces de la mondialisation n’a pas encore été définie avec précision ; et pourtant, la route est désormais tracée, le but est atteignable. Il ne s’agit pas d’une conviction reposant sur la foi, mais d’une conviction fondée sur un appareil de théories et d’observations provenant de l’histoire de la cartographie et, en particulier, de l’interprétation cartographique.

L’histoire de la cartographie nous enseigne que la carte topographique fondée sur l’espace euclidien, n’est ni la seule, ni la meilleure option. Au cours du temps la cartographie a évolué dans la forme, son support et son langage, toutes caractéristiques qui ont donné lieu à des configurations variées ; de même a évolué son usage : instrument d’appropriation, de valorisation, d’application mnémonique, outil militaire, politique, administratif ou autre.

Pourtant, le fait majeur que nous livre l’histoire de la cartographie est que, au cours du temps, se sont succédé différentes métriques qui ont structuré la représentation cartographique et que ces métriques dérivent des différentes conceptions spatiales présentes dans les diverses cultures : celle d’écoumène en Grèce ancienne, alors que la terre était identifiée avec le monde habité ; celle d’espace odologique dans la période romaine et médiévale, cohérente à la pratique d’un espace linéaire tracé par les itinéraires routiers ou nautiques ; la conception créationiste, lorsque, au Moyen Âge, le monde était conçu comme un projet divin ; celle bidimensionnelle, à la Renaissance, lorsque la maîtrise du territoire, sanctionnée par les seigneuries, fut associée à sa connaissance extensive ; la métrique topographique, à l’âge des Lumières, quand l’exactitude de la mesure s’imposa comme élément capable de restituer la configuration des États.

Et pourtant, le fait qui a amorcé la réflexion sur la possibilité de construire de nouvelles cartes n’est pas imputable exclusivement à ces aspects structurels de la cartographie (culturels, techniques, pragmatiques). Il concerne plutôt l’évolution à laquelle a été soumise l’interprétation cartographique. Une fois abandonnée la perspective objectale selon laquelle la carte était un outil justifié par lui-même et devant être interprété de la même manière que n’importe quelle autre représentation, on commença à aborder la carte sous un autre angle : suite au déplacement du point d’application de l’analyse, la carte n’est désormais plus considérée comme une médiation du territoire, mais comme un opérateur à même de déterminer les actions à mettre en œuvre sur le territoire. La traiter comme un “opérateur symbolique” qui exprime une conception du monde très particulière en tant qu’interface entre la réalité et la société signifie reconnaître que la carte constitue un dispositif métamorphique puissant, qui réalise l’équation “carte = territoire”. Celle-ci n’est pas définissable objectivement, mais comme une virtualité qui se porte garante du fait que le rapport société-espace s’accomplit au moyen de cette virtualité, et à travers elle. La carte se reconnaît ainsi dans sa nature de système communicationnel complexe, qui se développe au sein même des informations autoréférentielles qui étayent son pouvoir de représentation. On peut résumer ce processus par la capacité de réguler la complexité de l’espace géographique à travers une métrique qui conduit à percevoir ce dernier comme espace cartographique.

Tenir compte de ces frontières interprétatives favorise, aujourd’hui, la compréhension des raisons pour lesquelles un groupe consistant de chercheurs, dans le monde entier, s’implique dans l’expérimentation de cartes à même de restituer la spatialité de la mondialisation. La carte topographique est alors considérée absolument inadaptée à cette re-figuration : elle est statique, se fonde sur une espace euclidien, exclut le changement, ne prévoit pas de dimension pluriscalaire, en bref, elle s’éloigne irrémédiablement des caractéristiques réticulaires et dynamiques du monde contemporain. Nous avons besoin d’une métrique topologique qui envisage une substance sociale du monde dont la trame de base soit capable d’enregistrer les transformations des rapports entre les acteurs. L’expérimentation vise donc à restituer cartographiquement une spatialité sociétale, c’est-à-dire un monde non plus constitué par la terre, les mers, les continents, les États…, mais par des êtres humains, par des collectivités, qui métamorphosent les éléments d’immanence en espace habité.

En agissant justement sur ce que la critique a identifié comme la limite radicale de la carte — celle de ne pas représenter la réalité mais d’en constituer le modèle — la carte est assumée en tant qu’opérateur symbolique en mesure de nous exposer la modélisation de la spatialité mondialisée.

Une telle spatialité est, en première instance, un système proxémique, c’est-à-dire un milieu communicationnel et anthropologique concerné par la perception, l’organisation et l’usage de l’espace, de la distance entre les acteurs. L’échange communicationnel ne vise pas le niveau purement sémantique du message, mais ouvre sur l’exigence d’une vision du monde universellement partagée, exprimée grâce à des métriques qui saisissent l’essence d’un tel échange. En outre, telle spatialité est à la base de la mobilité généralisée, de la naissance de nouvelles formes de citoyenneté, de l’émergence de critiques des sociétés complexes, comme le sont les nôtres. C’est à ce niveau que la cartographie fait irruption sur la scène comme étant l’unique opérateur symbolique à même d’agir pour sa propre compréhension montrant le monde, non pas tant comme cela est fait, mais plutôt comme sa fonction sociétale doit être interprétée.

Afin de conforter de telles affirmations, il suffit de se souvenir que l’informatisation et l’insertion de la carte dans le Web conduisent à la création de multiples formes cartographiques dont la diffusion montre la dépendance que le monde contemporain manifeste vis-à-vis des cartes. Ces dernières s’imposent en tant qu’instruments en mesure de montrer les flux et les relations des objets, des informations, des individus ; le multiculturalisme, qui requiert des pratiques de gestion urbaine et des processus décisionnels au moyen de formes et de pratiques de gouvernance et de participation ; la gestion de situations critiques comme celles du risque ou de l’urgence, consécutives aux catastrophes naturelles, aux problèmes environnementaux, aux désordres sociaux ou politiques, aux actes terroristes.

Mouvement, participation et risque, interprétés en clé cartographique, ont été les trois axes thématiques autour desquels s’est déployé le congrès international, organisé par l’Université de Bergame[1] et promu par un ensemble de structures scientifiques : le Laboratoire Chôros[2] de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne; le Centre de Recherche en Géomatique[3] du Crg de l’Université Laval au Québec; le Laboratorio Cartografico Diathesis[4] de l’Université de Bergame. À ceux-ci est associé un organisme international qui soutient l’innovation scientifique – le Comittee on Data for Science and Technology[5] (Codata) de Berlin.

Cette Traverse comprend quelques-unes des contributions présentées à cette occasion, mais engage surtout l’esprit de la rencontre : la pluralité des pensées, des épistémologies, des choix théoriques, des stratégies communicationnelles qui sont propres à ce à quoi le colloque s’était promis : non pas créer un moment d’échange interdisciplinaire qui recueille des savoirs produits de façon sectorielle, mais, plutôt, exposer une méthode indisciplinaire sur la représentation de l’espace, au sein de laquelle la cartographie représente une plateforme — une plateforme où ancrer la construction d’une théorie sociale qui affronte les défis de la mondialisation sous le signe de la transdisciplinarité.

Illustration : Bowman, « Maps and maps in the land before Google », 24.08.2009, Flickr[6], (licence Creative Commons[7]).

Endnotes:
  1. l’Université de Bergame: http://www.unibg.it/
  2. Laboratoire Chôros: http://choros.epfl.ch/
  3. Centre de Recherche en Géomatique: http://www.crg.ulaval.ca/
  4. Laboratorio Cartografico Diathesis: http://www.unibg.it/struttura/struttura.asp
  5. Comittee on Data for Science and Technology: http://www.codata.org/
  6. Flickr: http://www.flickr.com/photos/8444209@N07/3908982248/
  7. Creative Commons: http://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/

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« Et pourtant, elle tourne ! » Telle est la phrase qu’aurait prononcée Galileo Galilei après avoir dû abjurer l’héliocentrisme face au Tribunal de l’Inquisition. En effet, si les théories héliocentriques qu’il avait enseignées comme étant vraies n’étaient en réalité que des hypothèses mathématiques qui pouvaient être sacrilèges, l’appareil d’intuitions et d’observations suggérait leur véracité, ...

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