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Sérendipité.

La démocratie participative, sous quelles conditions ?

Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, 2008.

Image1La participation des citoyens aux affaires publiques semble s’inscrire dans un mouvement cyclique. Promue par la démocratie athénienne, « refoulée » par la démocratie représentative contemporaine, la participation des citoyens à la vie de la cité revient depuis ces dernières décennies au cœur de l’actualité. Le politiste Loïc Blondiaux s’interroge dans son dernier ouvrage sur les raisons de cette résurgence contemporaine de l’idée de participation, en France comme dans la plupart des autres pays occidentaux régis par des systèmes politiques représentatifs (p. 13). En référence au Nouvel esprit du capitalisme, ouvrage dans lequel Luc Boltanski et Eve Chiapello « ont pu montrer comment les structures du capitalisme avaient su, à partir du milieu des années 1970, se renouveler en intégrant les critiques dont elles faisaient l’objet », l’auteur s’intéresse aux effets politiques supposés de ce « nouvel esprit de la démocratie », autrement dénommé démocratie participative (p. 11).

[1]), revient à considérer que « les conséquences produites par la diffusion de cette norme de participation sur le fonctionnement ordinaire de nos démocraties sont réelles et dignes d’être prises en considération » (p. 38). Annoncée dans le deuxième chapitre, elle s’appuie notamment sur l’idée d’une « nouvelle conception des relations politiques dans nos sociétés » (p. 38).

Quand la participation s’institutionnalise.

Dans les années 1960, la montée des mouvements sociaux urbains remet assez largement en cause les décisions prises par le gouvernement, en particulier dans le cadre de projets d’aménagement ou de projets environnementaux qui, dans les deux cas, ont des répercussions importantes sur le cadre de vie de la population. La mobilisation s’inscrit ici dans un mouvement ascendant de la participation, initié par les citoyens. Par ailleurs, à partir des années 1980, les autorités locales et leurs administrés ont été amenés à se rapprocher pour différentes raisons. Retenons l’idée que l’acceptabilité sociale est devenue un enjeu majeur dans le domaine de l’aménagement du territoire, ou encore que le contexte législatif sur les politiques environnementales a rapidement évolué. Par conséquent, le système décisionnel en matière d’action publique s’est ouvert à l’ensemble des parties prenantes, des institutions aux citoyens. Le mouvement ascendant de la participation laisse ainsi la place à un mouvement descendant, initié par les autorités. Cette tendance à l’ouverture du système décisionnel est caractéristique de ce que l’on appelle la démocratie participative, notamment si l’on se réfère à la définition proposée dans cet ouvrage, à savoir l’« ambition politique de faire participer à la prise de décision l’ensemble de ceux qu’elle est susceptible d’affecter » (p. 96).

Ce « nouvel impératif participatif » s’opérationnalise de différentes manières. Il peut prendre la forme de conseils, de forums, de débats, ou encore d’ateliers. Trois principaux modèles de participation sont présentés par l’auteur pour illustrer ces « versions plurielles de l’idéal participatif ». Parce que « la France ne fait preuve d’aucune originalité ni d’aucun dynamisme particulier en la matière » (p. 18), ces modèles sont issus d’expériences étrangères. Premier modèle, le budget participatif de Porto Alegre devenu un exemple de démocratie participative en France comme à l’étranger. Deuxième modèle, les jurys de citoyens allemands et américains qui ont inspiré les conférences de citoyens françaises. Troisième modèle, le débat public en référence au bureau d’audience public québécois. La description des modèles et des formes de participation que dresse l’auteur l’amène à considérer que « l’idéal participatif est polysémique » (p. 61).

Si la démocratie participative s’opérationnalise de manière diverse, c’est aussi parce que les obligations législatives n’incitent à aucun formalisme. En effet, « tout se passe comme s’il s’agissait de faire droit à cette participation au niveau des principes sans préciser véritablement le contenu de cette obligation » (p. 17). Par conséquent, même si les autorités publiques ne sont plus seules pour élaborer leurs décisions, elles gardent une assez grande liberté quant au formalisme à donner à leurs procédures participatives. Cette notion de démocratie participative est décrite par Loïc Blondiaux comme une notion indéterminée dont la force « tient précisément à son flou, à sa diversité des usages possibles dont elle peut être l’objet, à sa capacité d’ancrage dans des registres d’action et des systèmes de références très disparates » (p. 24).

Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique [2].

Si le « nouvel impératif participatif » est controversé, c’est bien parce que l’exercice de la participation fait difficilement ses preuves. C’est donc le principe même de participation qui fait l’objet de critiques. Ces critiques s’appuient, selon Loïc Blondiaux, sur une « rhétorique réactionnaire » fondée sur trois reproches, mis en exergue notamment par Albert O. Hirschmann (1991) : « l’effet pervers » de la notion de démocratie participative qui « ne ferait qu’instaurer un régime d’oppression et de tyrannie populaire » ; « l’inanité », qui suppose que les rôles resteront inchangés du fait que le partage de pouvoir n’est qu’un simulacre ; « la mise en péril » due à une remise en cause du système politique et social (p. 63).

C’est afin de prendre le contre-pied de ces critiques que Loïc Blondiaux prend le parti dans cet ouvrage de considérer avec « sérieux les efforts accomplis pour expérimenter véritablement l’idéal d’un public démocratique actif » (p. 65).

S’interrogeant sur les rapports entre participation et démocratie, il identifie, dans un premier temps, quatre grandes limites à la démocratie participative. Première limite : « le piège de la proximité » renvoie au fait que la participation des citoyens à la vie de la cité s’effectue pour l’essentiel à des échelles micro-locales. En référence à la notion de démocratie de proximité, la participation s’apparente alors davantage à une gestion urbaine très localisée et focalisée sur les différents problèmes environnementaux que rencontrent les habitants. À cette échelle, c’est bien d’habitant dont il est question et plus véritablement de citoyen. Cette participation de proximité présente selon l’auteur deux conséquences. D’une part, Loïc Blondiaux parle de rapport de force dans la mise en délibération de l’intérêt public. D’autre part, l’espace de participation risque de devenir un espace déconnecté des problèmes et de la décision (p. 67) Deuxième limite : « le renforcement des inégalités politiques » renvoie notamment aux problèmes liés à la représentativité des participants. Bien que la participation soit une manière d’ouvrir le processus décisionnel à l’ensemble des acteurs, il n’en reste pas moins que les dispositifs participatifs conservent certaines inégalités. Inégalités qui opposent assez généralement les jeunes aux retraités, les classes populaires aux classes moyennes, les citoyens français aux étrangers. Cette question de la représentativité soulève deux inquiétudes. L’auteur parle de « privatisation d’un espace public donné comme représentatif au profit de quelques-uns, généralement des mieux dotés et des plus forts » mais aussi de l’émergence d’une nouvelle figure, celle de « l’habitant professionnel », censé porter un discours au nom de toute une population (p. 73). Troisième limite : « la tentation de l’instrumentalisation » fait référence à la gouvernance performative de Robert Futtrel (2002) qui insiste sur l’idée que ce ne sont pas tant les impacts de la discussion qui importent mais l’adhésion des publics. L’acte de participation devient ainsi plus un exercice de communication qu’un exercice de production collective. C’est en ce sens que l’auteur parle d’instrumentalisation, qu’il caractérise concrètement par le biais de différentes techniques : cooptation de citoyens amenés à participer, maîtrise de l’agenda et de la discussion, pilotage et encadrement des dispositifs. Loïc Blondiaux fait d’ailleurs référence aux travaux sur la psychologie des petits groupes pour rappeler l’influence que peuvent avoir des caractéristiques telles que la composition des dispositifs ou encore le contexte de délibération, sur la dynamique de ces groupes. Quatrième limite : « l’absence d’influence sur la décision » pose la question de « la traduction de la discussion en pouvoir » (p. 79). Le citoyen peut-il avoir le dernier mot, ou peut-il juste faire des propositions, alors que l’autorité n’a aucune obligation de prise en considération des remarques issues d’une démarche participative ? Cette critique, a fortiori portée par les citoyens, remet en cause l’intérêt des dispositifs participatifs et permet de s’interroger sur les éventuels mécanismes qui relient la procédure de participation à la délibération et la décision.

Après avoir mis en exergue quatre grandes limites de la participation, l’auteur identifie dans un deuxième temps « les raisons d’espérer » dans la concrétisation de cet idéal participatif. La première raison, dénommée par l’auteur sous le terme des « arts de la résistance », renvoie à l’idée que les espaces participatifs sont des lieux de controverses où les avis se confrontent, pour s’inscrire in fine dans une démarche délibérative. La deuxième raison porte sur « l’impossible argument d’autorité » et se focalise sur l’émergence de nouvelles expertises. L’auteur parle ainsi d’un « processus de désacralisation de l’expertise » (p. 89), marqueur de changements dans le contexte de la décision. Aussi, « les experts ne sont plus à même d’imposer leur définition de la rationalité par le seul affichage de leur autorité présumée » (p. 87). Cette idée renvoie notamment aux travaux de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe sur la démocratie technique dans l’essai intitulé « Agir dans un monde incertain » (2001). De cette raison en découle une troisième, celle de « la reconnaissance d’une compétence citoyenne ». Concrètement, il s’agit de reconnaître aux citoyens une capacité à juger les affaires publiques, à produire un avis raisonné et à mobiliser des compétences qui leur sont propres. Cette raison se fonde notamment sur les expériences de jurys de citoyens et conférences de consensus qui ont révélé les capacités d’apprentissage et d’appropriation des dossiers publics par des citoyens. Loïc Blondiaux suppose que la reconnaissance d’une compétence citoyenne permet de révéler une expertise d’usage ou une expertise profane. La quatrième raison porte sur « les transformations de l’action publique » issues de l’ouverture de la décision publique aux citoyens, que l’auteur caractérise comme un rapprochement entre l’autorité publique et les administrés, rapprochement permettant de gagner en transparence. Concrètement, il s’agit pour l’auteur de légitimer les services publics auprès des citoyens qui leur offrent notamment un accès aux informations ou introduisent des garanties pour l’usager (p. 94). La dernière raison invoquée est celle d’« une nouvelle approche de la décision politique ». L’auteur recense plusieurs types d’effets de la participation, portant sur « l’attitude et les comportements des autorités politiques face à la critique, l’identité des acteurs susceptibles de participer à la discussion des choix collectifs en démocratie, la nature et la qualité du débat public en démocratie ». Les principes de la démocratie participative supposent donc une « autre conception de l’exercice du pouvoir » (p. 99) s’opposant « à la représentation héroïque de la décision qui prévaut dans la France de la Ve république. » (p. 99), où seul l’élu est maître de la décision.

Loïc Blondiaux considère ainsi que la formation d’un « nouvel esprit » de la démocratie est d’une certaine manière l’enjeu de cette notion de démocratie participative, considérée comme un « programme politique encore flou et hésitant » (p. 100) mais qui suppose que tous ceux qui sont susceptibles d’être affectés par une action publique doivent s’impliquer dans le processus de décision.

Un intérêt plus prononcé pour la procédure que pour la substance.

Au final, si Loïc Blondiaux dresse un bilan plutôt nuancé des expériences de démocratie participative, son optimisme reste tangible, comme en témoigne la visée prescriptive de sa conclusion. À partir d’une interrogation sur les facteurs pouvant expliquer les succès inégaux de différentes expériences de participation à travers le monde, l’auteur propose sous forme de quelques préceptes « ce que peuvent être les conditions d’une véritable démocratisation de la représentation par la participation » (p. 101).

Adoptant la focale d’analyse classique des travaux de sciences politiques appliqués à la démocratie participative, l’intérêt général de cet ouvrage, ainsi que le souligne sa conclusion, se concentre avant tout sur les « arts de faire », et cherche à définir la bonne manière de faire de la participation. Ainsi les recommandations faites par l’auteur en conclusion se concentrent pour la plupart sur la procédure, sur les conditions d’une participation plus effective : « Il importe de considérer avec le plus grand sérieux les procédures, les dispositifs techniques, l’ensemble des équipements et des formes matérielles au travers desquels la participation est censée se déployer. » (p. 102). « Il convient aussi d’institutionnaliser la participation par l’intermédiaire de pouvoirs neutres […] garants du bon déroulement des opérations de participation. » (p. 104). Il s’agit également de concevoir la participation sous différentes formes : « un exercice permanent d’un pouvoir informel de critique […] décrit sous le nom de contre-démocratie [3] » (p. 105) et une institutionnalisation de la participation telle qu’elle a lieu dans les modèles participatifs comme ceux décrits dans l’ouvrage (budget participatif, jurys de citoyens, débat public). Ou il importe encore de ne pas oublier « la complémentarité des dispositifs » (p. 107).

On peut également déplacer le questionnement, et s’intéresser davantage à la production d’une procédure participative en termes de contenu (Louvet, 2002).

Car si l’intention est bien de tendre vers une « participation effective », ne faut-il pas justement s’interroger sur cette productivité substantielle de la participation de la population, pour comprendre in fine quels sont les impacts de la participation de la population sur les orientations ou les solutions choisies au profit d’une décision publique ? Cette mise en exergue de la productivité substantielle permet notamment de s’interroger plus spécifiquement sur les compétences citoyennes, évoquées par Loïc Bondiaux dans son ouvrage. Qu’il s’agisse d’expertise profane ou encore d’expertise d’usage, cette approche permet d’appréhender les effets de la participation des citoyens sur l’action publique en s’interrogeant par exemple sur les objets et les thématiques sur lesquels les citoyens interviennent. Dans cette optique, le regard ne porte plus sur les pratiques de la concertation en termes d’intensité démocratique (information/ consultation/ négociation) mais sur le processus de concertation ouvert à la société civile. Il ne s’agit plus que considérer les citoyens pour ce qu’ils sont mais bien pour ce qu’ils apportent.

Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Seuil, Paris, 2008.

Résumé

La participation des citoyens aux affaires publiques semble s’inscrire dans un mouvement cyclique. Promue par la démocratie athénienne, « refoulée » par la démocratie représentative contemporaine, la participation des citoyens à la vie de la cité revient depuis ces dernières décennies au cœur de l’actualité. Le politiste Loïc Blondiaux s’interroge dans son dernier ouvrage sur ...

Bibliographie

Loïc Blondiaux, « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique », in Mouvement 2007/2, n°50, pp. 118-129.

Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999.

Albert O. Hirschmann, Deux siècles de rhétoriques réactionnaires, Fayard, Paris, 1991.

Robert Futtrel, « La gouvernance performative. Maîtrise des impressions, travail d’équipe et contrôle du conflit dans les débats d’une City Commission » Politix, 15 (57), 2002.

Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil, Paris, 2001.

Nicolas Louvet, « La concertation publique dans les Pdu. Une production d’expertise ? », Métropolis n°108-109, Projets et politiques de transports : expertise en débat, 2002, pp. 88-90.

Notes

[1] Ndlr : une recension de cet ouvrage est disponible sur EspacesTemps.net au lien suivant.

[2] En référence à Loïc Blondiaux, « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique », Mouvement 2007/2, n°50, pp. 118-129.

[3] En référence à Pierre Rosanvallon, La contre démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Seuil, Paris, 2006.

Auteurs

Sabrina Moretto

Sabrina Moretto est doctorante en aménagement à l’école des ponts et chaussée (LATTS) et chargée d’études pour 6T ― bureau de recherche. Elle réalise une thèse sur la concertation dans les politiques de transports urbains et s’interroge plus précisément sur la question de l’expertise d’usage.

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Sérendipité.

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