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Sérendipité.

La cartographie, ça sert d’abord à faire la grève.

Image1La carte présentée ici est le produit d’un contexte, celui de la grève des étudiants contre le cpe (Contrat de Première Embauche). Elle est actuellement affichée à l’université de Rennes II, qui fait figure de pionnière dans le mouvement. Lorsqu’on s’interroge sur les auteurs et les lecteurs de la carte, on saisit très vite les enjeux : c’est une carte pour convaincre, un instrument de persuasion, comme le confirme le titre : le mouvement s’étend ! Tous en grève !

De facture simple, cette carte en points sur fond schématisé, établit un état des lieux du mouvement de contestation à l’échelle nationale. Il ne s’agit pas d’une carte de diffusion, mais elle exprime une dynamique spatio-temporelle. Elle sous-entend le changement dans certaines universités, et la valeur prospective en laissant au lecteur le soin d’imaginer le scénario à venir, celui d’une mobilisation d’ampleur nationale. Le choix du figuré (un point représente une ville universitaire), ainsi que la légende (le rouge exprime la grève avec blocage, le bleu, les universités actuellement en mouvements), permettent néanmoins de mettre en évidence l’extension du mouvement. La carte est instrumentalisée, pour emporter la conviction, et sa simplicité a d’autant plus d’impact sur le lecteur.

L’arrangement des signes élémentaires sur la carte ainsi que leurs significations, permettent d’identifier les processus spatiaux en cours. La localisation approximative des villes universitaires, que le cartographe a d’ailleurs retouché (Orléans), met en évidence une opposition ouest-est à l’échelle nationale, selon une ligne allant de Caen à Nice. La mobilisation est très variable d’une académie à l’autre mais elle est plus forte à l’ouest, dans les villes qui ne sont pas actuellement en congés (Rennes, Nantes, Poitiers, Toulouse, …). À une échelle plus fine, on observe en Bretagne une diffusion du mouvement à partir du foyer émetteur rennais. Les pôles universitaires indiqués en rouge (Rennes, Nantes, Brest) sont déjà en grève avec blocage, tandis que les universités secondaires (en nombre d’étudiants : Vannes, Lorient, Saint-Brieuc…) indiquées en bleu, sont pour le moment en mouvements, et risquent donc de passer à l’action très prochainement. Cela peut s’interpréter comme un processus de diffusion hiérarchique avec des effets de voisinage (ou de contagion).

Et comme le précise l’auteur de la carte : et encore y’a pas les lycées !!!

La technique cartographique (au sens stricte) simple, contraste fortement avec le titre, les mentions périphériques, les repentirs (Orléans), qui sont porteurs de messages forts sans rapport avec la carte ou que l’on ne voit pas sur la carte. La carte ne montre par exemple, aucunement « tous en grève », ni les lycées, mais elle les laisse imaginer. C’est une carte paradoxale, quasiment un prétexte cartographique pour faire passer un message. L’effet de vérité intrinsèque de la carte crédibilise en quelque sorte les assertions contextualisées qui l’entourent (le titre, etc.), même si elle ne les prouve pas directement. La carte est une « image », quelle que soit la technique utilisée, et sa logique iconographique (et iconique, vu le fond simplifié) joue indépendamment de la qualité technique au plan cartographique. Cette carte est une banderole, un slogan, avant d’être un outil d’analyse ou de démonstration. Une chose est d’ailleurs amusante : il semblerait que dans le langage des syndicats étudiants, l’aboutissement du mouvement soit le blocage…

La carte prend toute son importance par sa dimension (1m x 1m) et une localisation stratégique, car elle est affichée au cœur de l’université de Rennes II (21 500 étudiants en Lettres et sciences humaines selon Le Monde du 13 février 2006), dans le hall B. Elle est donc facilement repérable et susceptible d’être lue par un très grand nombre d’étudiants. En effet, ce hall est le centre (Reynaud, 1981) du mouvement, là où se tiennent les assemblées générales, ainsi que du réseau de grévistes, là où les étudiants viennent prendre la relève pour assurer le contrôle des flux en périphérie (porte d’entrée du bâtiment, entrée d’amphithéâtre, issue des secours). L’accès aux cours est donc interdit, sauf pour les étudiants préparant le Capes ou l’agrégation. L’espace universitaire est territorialisé par les grévistes, qui se l’approprient et le contrôlent (barrage des entrées par des chaises et des tables), le socialisent (ils débattent et vivent en permanence sur place), et y concrétisent leur fixation au sol (barricades, sac de couchage, affichages…). Territoire de résistance en autoreproduction depuis plus d’une semaine, l’université gréviste cherche à étendre le mouvement à l’échelle nationale, et espère que d’autres villes prendront le relais dans « une ola des universités » (Le Monde, 16 février 2006), jusqu’à la journée d’action du 7 mars. La carte et l’espace demeurent bien dans ce contexte un enjeu politique, un enjeu de pouvoir.

Image : Frédéric Damato ©.

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La carte présentée ici est le produit d’un contexte, celui de la grève des étudiants contre le cpe (Contrat de Première Embauche). Elle est actuellement affichée à l’université de Rennes II, qui fait figure de pionnière dans le mouvement. Lorsqu’on s’interroge sur les auteurs et les lecteurs de la carte, on saisit très vite les ...

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