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Sérendipité.

Gosnay, l’expérience artistique au goût d’inachevé.

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Contexte géographique et historique.

Le site de Gosnay dans la communauté d’agglomération de Béthune est extrêmement riche d’un point de vue matériel. Les visiteurs du lieu peuvent facilement détecter les quatre différents usages du site: religieux (entre le 14e et le 19e siècle, le site abritait une Chartreuse pour nonnes (Photographie 1 : Le site de la Chartreuse), agricole (de la Révolution à la fin de 19ème siècle), industriel (du début du 20e siècle jusqu’aux années 1970), avant que le site ne soit voué à l’abandon. Aujourd’hui, la Communauté d’Agglomération de l’Artois et des associations locales cherchent à réinvestir ce site, le réhabiliter, avec des bureaux, des logements, un musée de la Chartreuse [1].

Reprenons : dès le 14 ème siècle, le site de Gosnay abrite une Chartreuse pour femmes, la Chartreuse du Mont Sainte-Marie. Ce lieu, investi aujourd’hui par un groupe d’artistes, est situé à l’orée de deux bois, l’un, ancien, au nord et en surplomb, l’autre, récent, au sud. La Chartreuse est proche du site d’Emmaüs Artois, qui se trouve à l’ouest, au bout d’un espace nu en friche. En arrière-plan, on voit le bois ancien avec des arbres bien développés ; c’est le Bois des Dames, qui appartenait aux Chartreuses. Pour rejoindre la Chartreuse des femmes, aujourd’hui, il faut traverser un terrain vague, vestige d’une tentative d’ouverture au village par percement du cavalier de chemin de fer. Cela contribue à renforcer le sentiment de désolation. À l’est se trouve la Chartreuse des hommes (la Chartreuse du Val Saint-Esprit) [2], restaurée il y a quelques années, qui abrite aujourd’hui un complexe hôtelier bien enserré dans le tissu urbain.

Mahaut d’Artois a été à l’initiative de la construction de ce site [3]. Les Chartreuses ont créé leur désert, ce qui explique que cette zone soit mise à l’écart du village. À la révolution, la Chartreuse est annexée et achetée par la famille Taffin qui en fait une ferme. Les fouilles sur ce site ont montré qu’entre les 18e et 19e siècles, cet espace a été restructuré en espace agricole. Puis, en 1899, la Chartreuse est rachetée par la Compagnie des Mines de Bruay pour la transformer en coron à usage de gens qui pouvaient avoir des velléités syndicales. Ils ont été coupés du reste de la population par la mise en place d’un cavalier de chemin de fer [4]. Cette période marque le début de l’utilisation industrielle du site. Située sur une langue du bassin houiller, Béthune se développe avec une organisation tant ferroviaire que fluviale qui permet l’acheminement et l’exportation des matériaux d’extraction de sites miniers comme Bruay, Divion, etc. Gosnay est alors un village d’un peu plus de 1000 habitants qui fait partie de la communauté d’agglomération au sud-ouest de Béthune (Photograhie 2 : Les différents lieux du site). La cité de Gosnay faisait partie des réseaux de cité minière : une zone de traitement minier, avec des matériaux que les installations industrielles traitaient et transformaient, passant de la houille au charbon. Germinal d’Émile Zola puise pour partie son drame dans la région [5]. C’est dans ce contexte que naît « Carbolux et sous-produits » en 1931 [6]. En 1947 c’est une unité de production et de distribution de combustibles gazeux qui prend place sur le même site. Carbolux va également fabriquer des produits chimiques, créant des bassins de décantation et des lieux de stockage des goudrons et d’autres sous-produits de la cockerie qui vont polluer durablement le sol du site (Photographie 3 : Carbolux).Toutes ces activités disparaissent en 1969 avec l’arrêt de Carbolux [7], et laissent apparaître une friche lourdement polluée. Le site est aujourd’hui encore bordé par un chemin de conduites de gaz enterrées de Gazonor [8] qui circule dans Gosnay. Les puits ayant été fermés, une série de recyclages a été initiée. En outre, au sud du site, une centrale électrique — dont il ne reste aujourd’hui que le transformateur et des pylônes électriques — alimentée par les produits présents sur ce site industriel a fonctionné de 1912 jusqu’en 1981 [9]. Le terril plat où se trouve aujourd’hui le bois planté par l’Epf [10] est un sous-produit de la centrale. La station d’épuration qui était de l’autre côté du village a été fermée en 1997 pour être reconstruite à l’emplacement de cette centrale, à côté du terril plat.

Parallèlement à la cessation progressive des activités industrielles sur le site, les Houillères Nord-Pas-de-Calais, établissement public d’exploitation minière du bassin Nord-Pas-de-Calais, veulent se débarrasser en 1976 du « Château des Dames », appellation commune de la cité ouvrière qui abritait des corons [11]. Celles-ci commencent alors la démolition de la Porterie, bâtiment d’entrée du site du 17e siècle. Le maire arrête cette démolition et entame en 1978 des démarches pour la réhabiliter en logements sociaux via un organisme public, la Sarhnord, société Hlm de Roubaix [12]. Ce bâtiment réhabilité présentait de tels défauts de remontées capillaires d’humidité qu’il a très vite été abandonné pour cause d’insalubrité [13]. Sur le reste du site du Château des Dames, des ayant-droits des Houillères restent encore malgré une rénovation en 1983 de la Cité voisine des « trois mousquetaires » à Gosnay [14]. Seulement trois familles quitteront le site pour le village. En 1986 les deux Chartreuses sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Dès lors, la Sa Calais, société Hlm héritière des biens de Sahrnord dans le Pas de Calais [15] accueille une population en très grande précarité et les derniers « ayants droits » des Houillères. La cité s’en trouve considérablement dégradée. En 2006, date de début du travail artistique, il ne reste que deux familles dans ces anciens corons. L’une des deux quittera les lieux pendant l’intervention. L’autre assure à sa manière la surveillance du site en échange d’une occupation gracieuse de son logement. Le reste du site a donc été démantelé et replanté en partie ; une dépollution importante dénoncée par la Drire est réalisée entre 1998 et 2003 sur le site de stockage des sous-produits, devenant ainsi la « friche Carbolux » [16]. La Communauté d’Emmaüs Artois, quant à elle, a repris une partie du site et des bâtiments depuis 1982, y ajoutant des bâtiments à son usage.

En résumé, aujourd’hui, cinq ensembles sont reliés au village par un terrain vague. Un premier ensemble comprend la Chartreuse abandonnée, les bâtiments agricoles et les logements qui la prolongent. Un deuxième ensemble est constitué d’un reste des bâtiments Gdf qui ont été étendus par le Relais, en lien avec la Communauté d’Emmaüs, à son propre usage. Un « terril plat » qui a fait partie d’un programme requalification-reboisement par l’Epf constitue le troisième ensemble. Une partie centrale officiellement dépolluée offre un terrain vague à la vue. Enfin, il y a une station d’épuration jouxtant une zone d’épandage des boues.

Une intervention et des acteurs en présence.

C’est dans ce contexte que Philippe Massardier, de la communauté d’agglomération de Béthune, d’Artois Comm, fait appel à Gilles Bruni dans l’optique de poursuivre une politique de résidence artistique à Gosnay. Il souhaite mener une politique culturelle et artistique en lien avec la valeur historique et architecturale de ce territoire. Reconstituer l’histoire de la « friche Carbolux » permet de réinvestir la géographie des lieux [17]. Pour ce projet, Philippe Massardier s’appuie depuis 2004 sur l’association « Ça gère » ! [18] qui s’intéresse à la Chartreuse et cherche à développer des activités liées à l’art. L’action artistique est donc présentée comme un élément préfigurant de la reconquête du site. Centrée sur le site de la Chartreuse, le projet laisse cependant la possibilité aux artistes d’évoluer sur le site dans son ensemble. Dès janvier 2007, l’investissement artistique commence officiellement. Les pourtours du site sont explorés progressivement, des acteurs sont rencontrés, des photographies prises. L’éco-garde Michel Abdellah [19]. Gilles Bruni a utilisé ces « cassons » pour faire ressurgir le passé de Carbolux en renvoyant à la phase de démantèlement, avec des restes émergeant de la friche. Leur installation sur le site va de surcroit protéger les plantes des moutons [22] tout en créant des « maisons » au sens écologique, des habitats pour les plantes en favorisant le stockage d’humus, la rétention d’humidité. Gilles Bruni récupère également des bouteilles abandonnées, des bois morts et autres matériaux jonchant le sous-bois en périphérie du site [23]. Avec la déconvenue d’avril 2007, un premier compte-rendu sous forme d’exposition intégrant des documents de travail (plan de plantation sommaire et chronologie patiemment dressée des actes significatifs qui stigmatisèrent les lieux), des photographies et des témoins matériels (une sélection de pierres récoltées sur le site et des arbustes arrachés) est réalisé au numéro 10 de la Chartreuse pour les journées du patrimoine en septembre 2007. Cette manifestation est l’occasion pour le public de réinvestir le site. En conclusion aux journées du patrimoine des 15 et 16 septembre 2007 à la Chartreuse, Arnaud Debève qui s’est occupé de la scénographie de l’exposition (Photographie 9 et Photographie 10 : Exposition 2007 Gilles Bruni : photos et reliquats), y écrit :

Cet ensemble, né de la constatation de l’artiste que la friche se définissait par son pourtour, — constitué par Emmaüs, le Relais, une sablière, l’ancienne Chartreuse des Femmes, un site de transformation électrique Edf, une station d’épuration, le village de Gosnay et des champs — invite d’un côté le visiteur (avec les photographies) à appréhender le site de l’intérieur vers l’extérieur et de l’autre (avec le plan) à avoir une lecture synthétique des lieux avec la friche en noir au centre. En définitive, la « coulée végétale », l’exposition et l’ensemble des sept panneaux constituent un dispositif permettant de cerner/de dresser un état des lieux de la friche Carbolux.

Au cours de ce processus d’investissement du site, Gilles Bruni prend conscience d’un principe général de recyclage alentours. Emmaüs ou le Relais recyclent les vêtements. La station d’épuration recycle l’eau. La plantation réalisée par Epf recycle les pollutions des sols du terril plat. Ainsi les gravats et les cassons rapportés participent de cet esprit du recyclage ambiant en étant ramenés sur le terrain Carbolux : nouveaux constituants, ces « exotiques » poursuivent le processus de brassage du site.

La rencontre de Gilles Bruni avec Nathalie Blanc et Amaury Bourget décide ensuite de l’ouverture du site à d’autres approches permettant d’enrichir le projet. Début mars, Nathalie Blanc visite le site et propose de travailler avec les propos des habitants. Au retour de la première prise de contact en avril 2008 avec l’installation, Amaury Bourget et Nathalie Blanc mettent en place un protocole de recueil des prises de sons et entretiens. L’objectif commun est dessiné : il s’agit bien de dresser le paysage sonore du site. Le travail est donc double : un travail sur les entretiens et un travail sur la bande son. Certes, le site est globalement inhabité, mais il est peuplé de fantômes, d’ombres, de gens disparus ou qui l’investissent de manière ponctuelle. En termes d’usages, cela permettait de faire travailler l’histoire et la mémoire du site. Les paroles recueillies sont un prétexte pour voir la manière dont le langage travaille l’environnement. L’enquête, peu conforme aux méthodologies de sciences sociales, possède ses enjeux propres : comment témoigner du vécu des lieux ? Quelle en est l’expérience esthétique ? La langue, les langues, les langages et les récits font partie du quotidien du lieu, de son inscription dans le territoire : ils évoquent des paysages, des ambiances… Travailler la langue, ses ressources, ses modalités de description du lieu et de son histoire c’est mettre en évidence l’écologie mentale d’un territoire. Les récits ordinaires traduisent-ils un vécu alternatif des lieux ?

Des niveaux d’enregistrement des récits ordinaires des habitants ou passants dans les lieux avaient été préalablement définis : un premier temps a été employé, microphone en main, à accompagner les gens qui se baladent, jouent ou trouvent à venir sur le site en leur demandant de décrire le paysage autour d’eux. Quels sont leurs itinéraires ? Ces gens sont surtout des promeneurs. Il aurait été intéressant, en même temps, de relever sur une carte les itinéraires accomplis et peut-être, le jour de l’exposition, de les proposer à la promenade casque sur la tête… Un deuxième niveau d’enregistrement a consisté à demander aux acteurs du site ce qu’ils y voient : quels sont les enjeux relatifs à ce site actuellement et en quoi ces enjeux ont évolué ? Comment imaginer la nouvelle ville à partir de la transformation du site tant sur le plan topographique (la levée du chemin de fer va-t-elle rester, par exemple), que d’un point de vue social. Il faut notamment aller voir les archéologues, les interroger sur le site de la Chartreuse : comment voient-ils celle-ci, et la manière dont on vivait là, dont les femmes se déplaçaient… Il semble important d’obtenir de nombreux récits tant ceux-ci sont producteurs d’imaginaires. Le troisième et dernier niveau de l’enregistrement concerne les acteurs de l’espace public hors du site. Il s’agit alors d’élaborer une petite enquête auprès des tenanciers de bistrot, de librairie, d’hôtel de luxe, de ferme : comment se représentent-ils cet espace ? Est-il ou non en rupture avec le leur ?… Est-ce un espace dangereux, sauvage, sale ou, au contraire, cet espace est-il considéré comme une zone de développement de la commune ? Qui se rend là-bas, et pourquoi ?

Le travail sur les entretiens résulte en un découpage des phrases et séquences sonores enregistrées. Le travail sur la bande son s’opère par un choix dans la captation : les sons sont captés plutôt en périphérie, à partir d’un tour complet du site, plutôt qu’à l’intérieur de la friche. Les différentes zones du site sont représentées par des extraits sonores. Le travail consiste à agencer ces extraits sonores et le « cut up » réalisé à partir des entretiens. Une bande sonore en trois morceaux est ainsi réalisée qui sera diffusée lors d’une exposition installée dans le bâtiment de la Chartreuse. Cette bande sonore présente un aspect musical et poétique plus que documentaire proprement dit du fait du décalage perçu entre l’appréhension sensible du site, sa présentation par Gilles Bruni et celle réalisée à partir des entretiens avec les gens présents sur le site qui ne le voient pas de manière aussi sombre ou négative. Rendre compte de ce décalage dans la pièce sonore semble essentiel : l’apport des cymbales dans la première partie (Écouter la pièce sonore « Crash Recovery » : Crash Recovery #1, Crash Recovery #2, Crash Recovery #3) vise à faire émerger ce sentiment d’un site déstructuré. La dernière pièce plus douce et récitée accompagnée de musique pop restitue la dimension plus « ordinaire » et joyeuse des occupations du site par la population. La deuxième pièce qui vient s’imprimer auditivement est un morceau de réconciliation de ces deux aspects du site. Les pièces ont fait l’objet d’un long travail de post-production pour mettre en cohérence l’aspect documentaire et l’aspect sensible. Des sons ont été ajoutés, issus des premiers enregistrements ; une matière a été créée, poussant le volume et mettant à l’épreuve les haut-parleurs pour symboliser un moment fort pour le musicien : celui de la rencontre avec Ramon le berger espagnol, pierre angulaire du site.

Des éléments pour un bilan.

Lors de l’inauguration des journées du patrimoine en 2008, il est décidé de mettre en œuvre une nouvelle installation en parallèle de l’exposition artistique présente sur le site. Dans un esprit de va et vient, la nouvelle exposition propose un éclairage (au sens propre comme au sens figuré) de l’histoire de l’intervention artistique sur le site. (Photographie 11 : Exposition 2008 Gilles Bruni, 12 : Public et 13 : Peaux et totems). L’utilisation de lampes solaires pour illuminer l’ensemble confère au site une esthétique renouvelée rappelant tantôt une constellation lumineuse tantôt une « piste d’atterrissage »… L’idée d’utiliser l’énergie solaire, stockée et restituée sous forme lumineuse la nuit, participe de l’idée du recyclage du site, apparaissant comme le fantôme d’une vocation disparue de ce haut-lieu de la production énergétique et énergivore. Mais l’intervention du radiesthésiste Michel Abdellah enrichit le dispositif initial. Ces lampes plantées sur des tiges métalliques deviennent les signaux d’un repérage de pollutions électromagnétiques, chimiques provenant de composés organiques, nappes, failles naturelles, cavités, veines, boyaux, etc. (Photographie 17 : De nuit). Une façon de mettre en lumière des zones possibles de pollutions subsistantes après la dépollution de la friche Carbolux. Ce travail sera très peu visité et ne profitera que peu aux visiteurs venus essentiellement pour la fête de la Chartreuse. Sans doute il y eut l’erreur de mettre ensemble des événements qui n’étaient pas forcément compatibles sur une durée trop brève de deux jours.

L’exposition relative au travail artistique occupe quant à elle, dans le bâtiment de la Chartreuse, une enfilade de trois pièces ; la première concentre des reliquats du site, des photographies, des plans et autres documents concernant l’installation elle-même et permettant de la documenter. La deuxième pièce, un couloir, est une collection de photos d’acteurs présents sur le site ; la dernière pièce rend compte de la bande sonore diffusée tout au long de ces journées par une installation à deux niveaux (un niveau plafond avec les prises de sons et un niveau sol avec les voix) et la présentation des poèmes « cut-up » sous forme de rouleau et drapeaux reposant sur les murs (Photographie 14 : Exposition 2008 Amaury Bourget, installation sonore ; Photographie 15 : Exposition 2008 Nathalie Blanc, Kakemono et Photographie 16 : Drapeaux en mouvement). Ces journées d’inauguration ont été très fréquentées par des visiteurs de proximité et un public de la communauté d’agglomération (690 visiteurs sont venus pour le chantier ; 250 ont profité de l’installation paysagère ; 45 ont profité des visites des éco-gardes ; 900 personnes ont participé au spectacle de Mémoire des Baleines proposé par la Compagnie des Prototypes). De notre point de vue, le travail de médiation n’a pas permis l’optimisation d’un travail réalisé sur plusieurs années. En outre, des éléments laissés sur le site ont été dérobés et les interlocuteurs présents au début de l’opération disparaissent. Il en a résulté une déception proportionnelle à l’ampleur du travail.

Plus généralement, les perspectives ouvertes par cette collaboration résident dans le travail sur le décalage entre la perception du site (sensible) par les artistes engagés et la narration qu’en font les habitants. D’un point de vue sonore, l’écart réside entre paroles/documentaire et musique — de la musique comme traduction de notre sensibilité dans la pièce 1 qui dérive peu à peu en musique plus pop/instrumentale dans la pièce 3 — en donne la mesure. Il s’agit donc de dresser un portrait sonore d’un site géographique sans passer uniquement par le « field recording ». En terme de bilan, pour la restitution du travail, il aurait fallu préparer autrement la manière dont la création existe aux yeux et aux oreilles des visiteurs. L’idée de le faire lors d’une exposition temporaire à proximité du site n’est pas mauvaise en soi, mais le lieu et le moment n’étaient sans doute pas les meilleurs. On peut se demander si une exposition dans un lieu dédié à l’art avec des allers-retours organisés sur le site n’aurait pas eu meilleure réception.

Le travail s’est donc arrêté avec l’exposition qui s’est tenue lors de la Fête de la Chartreuse de septembre 2008 [24]. Il en est donc ressorti un sentiment d’inachèvement frustrant. Il était utopique de penser que la publication du « Chemin Faisant » (Photographie 18 : Chemin faisant) annoncerait la poursuite de l’action de « recolonisation » de la friche, une recolonisation mentale autant que physique du lieu, par une forme de réappropriation d’un milieu qui avait été déserté. Mais sans suivi désormais, le site ne pouvait que retourner à son état de friche… Si nous comparons l’équipe engagée à Don Quichotte, nous pouvons néanmoins nous estimer satisfaits de l’action entreprise !

Résumé

En mai 2007 se tenait à Paris un colloque international intitulé « Environnement, engagement esthétique et espace public » [1] qui rassemblait une centaine de participants issus de disciplines différentes (artistes, activistes, paysagistes, philosophes…). Ce colloque voulait examiner la place de l’esthétique dans le domaine de l’environnement. À l’occasion de ce colloque, Gilles Bruni, artiste, rencontre Nathalie Blanc, l’un des promoteurs, avec Jacques Lolive [2], du programme de recherche (en partie financé par le Ministère français de l’Écologie et du Développement Durable), dans lequel ce colloque s’inscrit et responsable d’une association ayant pour objectif de rapprocher esthétique et environnement par différents moyens artistiques et théoriques. C’est à l’occasion de ce colloque que se nouent les liens des auteurs du présent article qui relate l’une de leurs actions entreprises dans le cadre d’une résidence artistique à Gosnay dans la communauté d’agglomération de Béthune dans l’optique d’un croisement entre esthétique et environnement.

Notes

[1] Artois Comm acquiert le site en 2005. En 2006, la communauté d’agglomération adopte un projet Architectural et Paysager pour la Chartreuse et la friche industrielle attenante. En 1995, un projet global de restructuration et de valorisation avait déjà vu le jour. Il avait réuni plus de 20 services différents qui s’étaient entendus pour une approche globale du site y intégrant tant le traitement social des populations qui y vivaient que l’animation touristique qui pouvait être développée à partir d’approches historiques.

[2] Construite en 1320 par Thierry d’Hireçon sous Mahaut D’Artois.

[3] La Chartreuse du Mont-Sainte-Marie avait été envisagée par Thierry d’Hireçon qui avait acheté la petite seigneurie de Gosnay au début du 14ème siècle. Cette Chartreuse faisait partie d’un programme architectural de grande ampleur, à la fois civil et religieux : château, hôpital, chartreuse d’hommes puis cette chartreuse de femmes en 1328. Thierry d’Hireçon mourant cette même année, la chartreuse des femmes sera achevée par son exécutrice testamentaire, la comtesse Mahaut d’Artois, dont il avait été le conseiller privé.

[4] Les cavaliers de chemin de fer reliaient autrefois les usines Carbolux et la Centrale électrique des Houillères au réseau national de la Sncf à Fouquereuil.

[5] En référence à grande grève d’Anzin de 1884.

[6] À la veille de la deuxième guerre mondiale la Compagnie des mines de Bruay produit 3 161 000 tonnes de charbon. Elle emploie alors 16 157 ouvriers, possède un lavoir central, une usine de distillation à basse température (Carbolux), une usine à boulets, une centrale électrique, 160 kilomètres de chemins de fer.

[7] Dans les années 1970-80 Charbonnage de France procède à la « remise à zéro » du site. On assiste au démantèlement progressif des installations Carbolux sur La Buissière et Gosnay et à l’arrêt progressif, jusqu’en 1981, de l’exploitation de la ligne de chemin de fer liée à fermeture des mines de Bruay. Cette dernière finira d’être démantelée en 1984.

[8] Ex-filiale de Charbonnage de France — dissoute le 1e janvier 2008 — s’occupant de la valorisation du gaz de mine.

[9] Elle finira d’être démantelée en 1986.

[10] L’établissement public foncier (Epf) procède au traitement paysager du terril plat en 1993 et en 1994. Le terril plat n° 257 contenant 120 000 t de schistes est exploité avec un lavoir sur le site de la future friche. Les stériles sont utilisées en remblaiement de toute la zone des anciennes activités de la Carbochimie avant d’être mis en forme pour son boisement.

[11] L’État avait mis en place des crédits immobiliers — Girzom — pour faciliter la rénovation progressive des corons miniers, mais à Gosnay la direction des Houillères de France avait déclaré ce château impossible à rénover, il était donc voué à la démolition.

[12] Il est inauguré en 1982.

[13] Tout était désormais à refaire mais la Sahrnord était mise en liquidation judiciaire et l’architecte avait engagé devant les tribunaux une procédure de recours contre les entreprises pour malfaçons. Pendant une dizaine d’année le dossier de la Porterie fût dès lors bloqué.

[14] Cette rénovation fut permise par la modification du classement des cités minières par les Houillères. La cession de la « cité 17 » (appellation officielle des corons du Château des Dames) par les Houillères date de la même époque.

[15] En 1995, deux propriétaires se partagent le bâti, et les terrains : la Société Hlm de Calais pour la partie dite de « la Porterie » et les accès anciens, et la Soginorpa pour le reste des logements, terrains, voirie et jardins.

[16] 1998/1999 : 1ère phase de dépollution, ouverture du chantier par Apinor. Phase d’excavation et de triage des terres (168 533 t), lavage des gros blocs et gravats souillés par du goudron (9 731 t) ; 2000/2002 : 2ème phase de dépollution, traitement biologique par A.T.E. : mise en andains des terres sur membrane imperméable et arrosage avec mélange bactérien avant remise en place (23 836 t) ; 2001/2002 : incinération de terres par Pollution service à la centrale thermique d’Hornaing (18 102 t) ; 2003 : 3ème phase de dépollution, décontamination de terres polluées stockées sur le site (13 000 t) par résorption thermique (Hap légers) avec la société hollandaise deep green à Sotteville-lès-Rouen. Les terres n’ayant pu être traitées sont mises en décharge autorisée par la Drire.

[17] Outre l’importance accordée aux bâtiments historiques religieux, le lieu est l’objet de fouilles archéologiques. Martine Valdher, responsable des fouilles de l’Université d’Artois, mène un travail historique et archéologique sur le site depuis 1997.

[18] « Ça Gère ! » nait à l’occasion de la première fête de la Chartreuse en 2004.

[19] Membre de l’équipe d’éco-garde de la communauté d’agglomération, en charge du site, sa mission étant de relayer sur le terrain les politiques environnementales engagées au niveau local, départemental, régional et national, exerçant un rôle de surveillance, de prévention voire d’alerte par rapport à l’observation des milieux. Il diagnostique leur état et identifie les dysfonctionnements et les nuisances (déséquilibre des écosystèmes, dégradation du paysage et des aménagements, pollutions). Il donne des conseils sur la préparation et la réalisation des interventions sur les milieux naturels, et sensibilise le public au respect de l’environnement.

[20] Voir le plan qui résume et synthétise les explorations menées sur le terrain et les données collectées concernant ce bassin de la Lawe.

[21] La Sablière appartenant à Stb a cessé d’être exploitée en 2003. Elle est depuis en reconversion, pour une remise en état du site. Elle intègre les gravats et autres déchets de matériaux inertes issus des chantiers environnants et de la communauté d’agglomération.

[22] L’encombrement tend à compliquer l’accès aux pousses et donc gêne les moutons, les lapins, les lièvres et les chevreuils qui seraient tentés…

[23] Récoltes dans la plantation de l’Epf : branches et arbustes morts, gaines de protection des actions des lapins et chevreuils, inutiles, vides, restes de plantation, et des bouteilles de vin abandonnées par les acteurs d’Emmaüs Artois…

[24] Exposition qui s’est soldée par une autre déception. Il était convenu d’ouvrir l’exposition à la demande jusqu’au mois d’octobre 2008, ce qui ne fut pas fait. Et lors du passage de Gilles Bruni en 2009, celui-ci constata que non seulement l’exposition n’avait jamais été démontée comme convenu, mais que la plupart des documents photographiques et les plans avaient été volés.

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