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Sérendipité.

Érasme, l’Europe et moi.

L'auberge espagnole, film français de Cédric Klapisch, 2002.

Image1Ce film est fondé sur une double métaphore, poussée jusqu’à l’allégorie : la diversité de l’Europe comme expression de celle de l’individu, la construction européenne comme image de la construction de la personnalité.

Passant un an à Barcelone dans le cadre d’échanges « Erasmus », un étudiant français découvre, en partageant un appartement avec des étudiants venus de plusieurs pays européens, l’importance de l’altérité dans la création d’une identité forte. Cette thématique est d’autant plus claire qu’elle est assénée de façon répétée et manifeste par une voix off à laquelle l’image ne fait parfois qu’offrir un contrepoint. La naïveté apparente du propos est renforcée par l’usage de techniques rendues possibles par le choix de la vidéo (hd), telle que l’incrustation de plusieurs images ou d’autres astuces qui donnent parfois à ce long-métrage une tonalité de clip. Ces différents éléments ont fait classer par certains critiques ce film comme un peu « facile », trop transparent pour offrir les multiples plans de lecture qu’on attend d’une œuvre d’auteur.

Il s’agit en effet d’un film « populaire » dans le sens où, d’une part, la lecture en est toujours aisée et où, d’autre part, il présente un message cognitif et éthique (autrement dit non esthétique) tout à fait explicite. Ce film voudrait appartenir (et je pense qu’il y parvient) à une famille typiquement nord-américaine du film liberal (c’est-à-dire, dans ce sens, progressiste), un genre auquel Frank Capra a donné toute sa force dans les années 1930-1940 et qu’on tente de retrouver de temps en temps aujourd’hui (voir par exemple le film américain de Stephen Frears, Unexpected Hero, Héros malgré lui).

Simple à découvrir, ce film n’en montre pas moins une significative complexité et la candeur des images et du texte se situe le plus souvent au « premier degré et demi », ayant ainsi pour effet de prendre, en douceur, le spectateur à contrepied. Ainsi se retrouve-t-on parfois à la limite du documentaire – comme lorsqu’on nous explique que la Catalogne n’est pas simplement l’Espagne – et à cet égard on entrevoit certaines potentialités du recours aux moyens de la fiction pour produire et diffuser de la connaissance : Klapisch s’y était essayé avec succès dans Riens du tout.

À propos de l’Europe, le spectateur s’aperçoit peu à peu que, à partir du cliché de la diversité hétéroclite et du désordre ingérable, il est poussé vers une autre vision, celle d’une véritable identité commune, fondée sur la gestion intégrée des différences accueillies (et ce, malgré la tentation « atlantique » qui habite l’étudiante anglaise : un Américain intellectuellement limité mais sexuellement éblouissant). La métaphore du réfrigérateur de l’appartement commun, à la fois société d’individus et fédération de nations, est ici emblématique. Ce qui réunit ces étudiants, c’est une certaine manière de s’approprier le nouveau, qui n’est pas inventé mais découvert, car il était déjà là. Celui-ci est, au moins autant que par les personnes, constitué par Barcelone elle-même, ville européenne où l’on se déplace à pied ou en métro, constellation d’espaces publics – rues, places, cafés, plages – qui opèrent comme des sas bienveillants pour accéder à l’altérité des langues, des pratiques, des sociétés. En ce sens, ce film n’est pas « français » car il ne transforme pas le référent en décor : il le traite en contexte, c’est-à-dire en un élément actif – dans ce récit, en personnage, le principal du film, à égalité avec le « héros » officiel. Et ce personnage, comme dans certains films de Wim Wenders (Der amerikanische Freund, Lisbonne Story, par exemple) ou de Theo Angelopoulos (Paysage dans le brouillard, Le pas suspendu de la cigogne,…) est constitué par l’espace extérieur, « objectif », qui s’impose à l’acteur en même temps qu’il constitue un enjeu de ses actions.

Du côté de l’individu, on trouve d’abord une dichotomie entre l’étriqué, le convenu, le prévisible, associés à ce qui est uniquement français (mère, père, ami du père, ambiance au Ministère, « ménage à trois »), et l’ouvert, le désordonné, le créatif, renvoyant à l’expérience individuelle et sociétale barcelonaise. On rencontre aussi une valorisation du voyage comme observation participante, qui va au-delà de l’idéologie du Guide du routard, notamment sur un point : l’injonction à comparer ce qu’on découvre à ce qu’on connaît sur la base de critères plus généraux que ceux liés soit au lieu connu, soit au lieu découvert. Ainsi de la scène où Barcelone et Paris sont confrontés sur le thème de la « saleté » et du « tiers-monde ». Les stéréotypes sur les « peuples » (Allemand organisé, Italien « bordélique »,…) ne sont pas frontalement contestés mais décalés : ils deviennent un socle, pour ne pas dire un patrimoine sur lequel, à partir duquel, autre chose se fabrique. Ici le rôle du frère de l’étudiante britannique est décisif : par la brutalité de son classement des individus dans des cases ethniques, il permet au spectateur de différencier identité statique et identité en mouvement. On retrouve alors la trajectoire de l’européanité, et ce n’est pas le moindre mérite de ce film de réussir de constants allers-retours entre les deux plans de l’allégorie.

Film diffusant une image positive de la société européenne en émergence et de l’auto-construction de soi, L’auberge espagnole a sans doute eu le défaut de présenter une vision du monde plutôt optimiste sous ces deux aspects, ce qui on le sait, est antinomique avec la posture eschatologique de l’intellectuel, posture qui ne peut être abandonnée sans risquer de perdre son capital politique lui assurant une légitimité auprès de classes populaires dont nul ne peut ignorer qu’elles sont projetées par les porteurs de capital économique dans une misère toujours plus profonde. Concrètement, l’itinéraire de l’étudiant français, promis à devenir un économiste besogneux, prêt à tout pour obtenir un emploi stable, qui décide in fine de devenir écrivain, exprime la conviction d’un possible accès non aristocratique à la culture et à la création. Plus qu’à certains critiques, ce « film d’apprentissage » aura sans doute parlé, si l’on en croit son succès populaire, à ces cohortes d’étudiants de première génération qui entrent à l’Université pour avoir une formation débouchant sur un job sûr et, parfois, découvrent quelque chose d’autre. Des « classes moyennes » qui ne feraient plus, seulement, preuve de « bonne volonté » ? Où va-t-on ?

L’auberge espagnole, film français de Cédric Klappisch, 2002. 2 heures.

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Ce film est fondé sur une double métaphore, poussée jusqu’à l’allégorie : la diversité de l’Europe comme expression de celle de l’individu, la construction européenne comme image de la construction de la personnalité. Passant un an à Barcelone dans le cadre d’échanges « Erasmus », un étudiant français découvre, en partageant un appartement avec des ...

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