Entre tourisme et éthique.

La politisation de l’expérience du voyage solidaire.

Jeremy Ward

Pagna_tep, « Cambodge – Kep », 13.08.2011, Flickr (licence Creative Commons).

Si l’appartenance d’un individu à une société est souvent aisément constatable à partir des éléments objectifs de sa pratique quotidienne, cette appartenance objective ne s’en accompagne souvent pas moins d’une certaine réflexivité critique au fondement de l’expérience du politique. On ne choisit jamais totalement la société dans laquelle on évolue. Le tourisme est un thème riche pour l’analyste intéressé par le rapport critique que les individus peuvent entretenir vis-à-vis de la société dans laquelle ils évoluent et se construisent[1].Ceci est dû à l’importance de l’idée d’altérité au cœur de cette pratique et de l’enchantement attendu du contact avec l’autre (Réau et Poupeau, 2007). Récemment, un tourisme spécifique qui cristallise cette dimension a émergé en France : le tourisme équitable et solidaire. Si cette pratique est aujourd’hui très marginale, elle représente la plus forte croissance de l’industrie du tourisme. Ainsi, avec 6000 départs annuels en 2010, l’Association pour un tourisme équitable et solidaire (Ates) ne représente qu’une infime proportion du marché des vacances à l’étranger. Néanmoins, ce tourisme a connu une croissance de près de 30 % par an[2] et une expansion très rapide de la couverture médiatique de ses associations, avec de nombreux articles et dossiers parus dans des magazines à grand tirage (Marie-Claire, Figaro Madame, Le Monde, Alternatives économiques, etc.[3]). Cette évolution témoigne de la concordance entre cette forme de tourisme et l’évolution des mentalités dans un contexte dominé par le développement durable, l’écologie et une défiance vis-à-vis des politiques et des grandes entreprises (Bréchon, 2003 ; Brechon, Galland, 2010).

L’appellation tourisme équitable et solidaire désigne un ensemble d’associations qui participent du mouvement Vers un tourisme durable tel qu’il a été défini par l’Organisation mondiale du tourisme à Lanzarote en 1995 dans sa Charte du tourisme durable. Ces associations se sont placées dans la lignée de cette charte qui insiste à la fois sur la prise en compte des effets environnementaux du tourisme et sur « la reconnaissance (des) facteurs locaux et le soutien de leur identité, de leur culture et de leurs intérêts ». Contrairement aux associations d’écotourisme, elles se concentrent davantage sur le versant social du développement durable que sur son versant écologique, établissant très tôt des liens avec les réseaux liés au commerce équitable (Cravatte, 2006). Elles fonctionnent à la fois comme des organisateurs de voyages et comme des associations d’aide au développement. D’un côté, elles construisent une offre de voyage et en assurent la promotion. De l’autre, elles mettent en place des partenariats avec des associations de développement (ou communautés) locales visant à financer des projets. Ce versant solidaire se retrouve de deux façons dans les voyages proposés. Premièrement, une partie du prix du voyage, de l’ordre de 3 à 6 %, est versée sur le fonds de chaque association servant à financer les projets de développement dans le pays visité. Deuxièmement, les lieux où ces projets sont mis en place sont visités, ce qui permet à ces populations de bénéficier d’un supplément de revenu lié au tourisme et d’instaurer une forme de dialogue entre populations du Nord (les touristes) et du Sud. L’objectif des associations de l’Ates est donc double. Il s’agit à la fois d’aider les « populations locales » et de sensibiliser les voyageurs à des formes plus égalitaires de rapport entre Nord et Sud[4].

Le tourisme équitable et solidaire s’ancre dans le versant social du registre du développement durable. Sylvie Brunel le résume ainsi : « La valeur des réseaux de solidarité, du lien social, discrédite le concept de développement, héritage matérialiste, purement occidental, historiquement et culturellement daté » (Brunel, 2009, p. 16). Ce discours se décline à la fois à l’échelle internationale dans une réflexion sur la mondialisation et à l’échelle locale sur des questions de qualité de la vie, de consommation et de solidarités locales (Agrikolansky, Fillieule et Mayer, 2005 ; Couvrat, 2007). L’enjeu de la reconnaissance et du respect de l’altérité constitue la trame sous-jacente à cette pensée et se retrouve au cœur de la définition même du voyage solidaire. Cette forme de tourisme se présente donc comme une forme d’engagement de nature politique à la fois du fait du contenu même de cette charte, et de par un attachement à la forme associative (Cravatte, 2006), en opposition au concurrent direct, l’Association pour un Tourisme Responsable. Si l’on ajoute le fait significatif que le mode d’action qui caractérise ces actions relève de la consommation engagée (Dubuisson-Quellier, 2009), alors on comprend à quel point ces initiatives cristallisent les transformations de la forme de l’action politique subsumées sous la catégorie de nouveaux mouvements sociaux (Neveu, 1996).

Nous irons même plus loin. En utilisant la consommation comme mode de mobilisation, et surtout, la consommation d’un service qui se définit comme une expérience personnelle, le tourisme équitable et solidaire se pose comme une innovation majeure dans le domaine de l’engagement politique. En plaçant l’expérience et l’attitude de l’engagé au centre de la pratique de la solidarité, cette forme de participation à la vie publique exacerbe la question du rapport entre individualisme et engagement dans la sphère publique. Le sens attribué à l’expérience du voyage par ces touristes solidaires sera donc révélateur des transformations que les notions de politique et de politisation des individus ont connues au cours de la deuxième moitié du 20e siècle.

Les formes d’engagement dans la vie publique qui caractérisent les nouveaux mouvements sociaux ont posé problème aux sociologues. La représentation classique de la politique comme sacrifice[5] à une cause publique se voit remise en question (Sommier, 2001). Or, la nature sacrificielle constitue un prérequis pour que l’engagement concerne la sphère publique, pour qu’il soit de nature politique. Nous utiliserons la définition suivante du politique : il s’agit du projet de refonder, ou en tout cas de changer, d’améliorer le monde dans lequel vivent les individus. L’engagement doit donc s’affranchir de l’intérêt individuel pour être qualifié de politique[6]. Or, ces mouvements s’appuient aussi sur des modes de mobilisation plus flexibles, moins coûteux en temps et qui permettent donc à l’individu de les concilier avec d’autres formes d’engagement. Ils donneraient donc lieu à une forme de militantisme plus distancié (Neveu, 1996 ; Micheletti, 2003). L’individu cherche aussi à se réaliser dans la cause, ce qui impose de repenser le rapport entre cause, intérêt personnel et engagement collectif et de reposer à nouveau frais la question du sacrifice (Sommier, 2001). La question devient cruciale lorsque l’on aborde le cas de la consommation engagée, comme nous le montre Claire Lamine à propos du bio. Ainsi, la consommation du bio en France relèverait davantage d’une satisfaction individuelle (la santé et le goût) que d’une cause collective (Lamine, 2008). La question des motifs et du sens attribué par l’individu devient alors centrale pour déterminer si l’acte est de nature politique ou non. C’est d’autant plus le cas ici que l’attitude du touriste vis-à-vis de l’autre est intégrée par les membres des associations de l’Ates comme un rouage essentiel d’une pratique politique de solidarité internationale (Chabloz et Cravatte, 2008). Le tourisme équitable et solidaire est donc une pratique de solidarité redistributive mais aussi une forme de regard sur le monde, une culture politique particulière, activement promue par les producteurs de culture que sont les associations de l’ates. La question se pose donc de l’adéquation entre la culture politique de l’ates et le regard que les consommateurs de voyages ates[7] portent sur leurs voyages.

Paul DiMaggio, dans son article fondateur pour la sociologie cognitive « Culture and Cognition » (1997), avance l’idée que pour comprendre la dynamique de la production de la culture dans les sociétés modernes, il faut porter une plus grande attention à comment la culture est vécue et appropriée par les individus. La question qui se pose est donc : quels sont les contenus cognitifs (espaces culturels, concepts) à travers lesquels les voyageurs appréhendent la diversité des moments que constitue le voyage ? Nous nous inspirerons donc du concept d’idéologie, non pas entendu en son sens boudonnien de croyance fausse (Boudon, 1986), mais dans son acception plus traditionnelle et psychosociale de perception sélective à partir d’un ensemble de dispositions a priori (Deschamps et Moliner, 2008 ; Deschamps et Beauvois 1996).

La question qui nous intéresse est donc celle de la politisation cognitive de ces voyageurs. Ce voyage constitue-t-il une expérience politique au-delà de l’égoïste enchantement touristique ?[8] Pour traiter de cette question, nous nous appuierons sur les discours recueillis au cours d’une campagne d’entretiens réalisés auprès de voyageurs partis avec une association de l’Ates en 2009. Trois associations sont concernées pour quatre circuits différents : Vision du Monde (vdm) au Cambodge (4 personnes) et au Laos (11 personnes), Rencontres au bout du monde (rbm) au Ladakh indien (3 personnes) et Arvel entre Delhi et Calcutta (4 personnes).

Pour choisir les destinations à privilégier, nous avons maximisé ce que les géographes du mit appellent l’ « horizon d’altérité » (mit, 2002), afin de saisir au mieux la place de l’altérité dans cette expérience de voyage. Le choix s’est donc porté sur les pays non européens et « en développement ». Nous avons exclu les pays d’Amérique du Sud (proximité culturelle par le socle judéo-chrétien et langue proche), les pays musulmans et la Chine (objets de débats âpres dans les médias au moment de l’étude susceptibles de parasiter les discours des touristes). Nous avons donc interrogé des personnes parties au Cambodge (vdm : 4 personnes), au Laos (vdm : 11 personnes), en Inde du Nord (Arvel : 4 personnes) et au Laddhak (rbm : 3 personnes), dans la mesure où ces destinations satisfont les critères définis ci-dessus tout en étant des destinations encore peu visitées, mais en pleine expansion.

Les voyageurs Arvel auront une place intéressante dans notre travail. Arvel est le plus gros voyagiste membre de l’Ates. Cette association transporterait plus de 10 000 voyageurs par an[9]. Mais, alors qu’il s’agit d’une association membre de l’Ates, tous ses voyages ne bénéficient pas du label équitable et solidaire. Ce n’est donc qu’une petite partie de ce total qui est comptée. Néanmoins, l’ensemble de ses voyages suit une charte d’éthique du voyageur proche de celle définie dans le cadre de l’Ates, plaçant chaque voyage dans la démarche du « tourisme responsable ». Le circuit effectué par les quatre personnes interrogées n’est donc pas à proprement parler un voyage solidaire et n’est pas indiqué sur le site de l’Ates, contrairement à 19 autres circuits que cette association propose. De plus, le voyage étudié adopte un format différent de ceux de vdm et rbm. Chez ces deux derniers, le voyage est « guidé », l’individu est pris en charge, tout est compris dans la prestation achetée. Le « voyage expédition » est une des formules que propose Arvel. Nous avons choisi d’ajouter ce voyage pour mettre en perspective les deux premiers. Ce point de comparaison, extérieur au tourisme équitable et solidaire stricto sensu mais proche dans le champ général du tourisme, permettra de mettre à l’épreuve la spécificité du voyage ates. L’utilisation d’une perspective faiblement cognitiviste en terme d’idéologie implique de tourner le regard vers les représentations ayant présidé aux choix relatifs au voyage (avant le départ et sur place) mais aussi aux catégories d’interprétation de la réalité sur place. L’objectif des entretiens a donc été de faire émerger ces représentations sans imposer les catégories de l’enquêteur. La stratégie discursive de l’enquêteur devient alors typique de l’entretien compréhensif (Kaufman, 2011) et consiste à s’astreindre à ne reprendre que les termes employés par l’interlocuteur. Les seules questions figurant ainsi dans la grille d’entretien semi-directive couvrent les motifs du choix du voyage et ce qui a été marquant dans celui-ci. Demander ce qui a plu et déplu a constitué une solution de dernier recours. La focalisation sur la perception et les choix des voyageurs permet de laisser le champ ouvert à toute la variété des catégories possibles de légitimation et de cadrage de l’expérience touristique (culturelle, existentielle, artistique, professionnelle et… politique), rendant significatives la présence ou l’absence de telle ou telle catégorie.

Les entretiens se sont déroulés au téléphone. Ce mode de recueil de données présente certaines limitations. Ainsi, la richesse du matériau à la disposition de l’enquêteur se voit significativement limitée (Blanchet et Gottman, 2007). Il limite aussi les outils expressifs à sa disposition pour mettre l’interlocuteur à l’aise, notamment lorsque celui-ci ne vit pas sa parole comme légitime. Ces limitations ont participé à la définition d’une approche focalisée sur les contenus cognitifs, soit les représentations, matériau principal véhiculé par cette parole téléphonique. Cette approche est rendue possible par la forte propension à la narration, à la production de discours, associée à la pratique du tourisme. Ainsi, un seul des interviewés est apparu désemparé par la situation d’entretien. La durée moyenne des entretiens (deux heures) témoigne de cette facilité à la production de discours. Le fait aussi que la pratique du tourisme solidaire soit vécue par ces personnes comme particulièrement légitime a aussi permis d’établir facilement un échange pacifié. Dans ce contexte, il a été très facile de faire émerger spontanément des représentations fortes au cours d’échanges structurés par la parole de l’interviewé plutôt que par les questions de l’intervieweur.

Nous montrerons d’abord que le discours politique entendu en son sens traditionnel, comme discours fondé sur des catégories sociales et orienté vers l’action publique, occupe une place marginale dans le discours que ces touristes développent sur leur voyage. Néanmoins, nous verrons que les propos sur l’autre y occupent une place prépondérante, rendant ainsi l’enjeu de la politisation plus problématique. Nous détaillerons ensuite ce point de vue sur l’autre pour enfin établir son inscription dans certaines traditions récentes de la pensée politique critique et envisager les problèmes que pose cette posture quant à la définition de ce que s’engager veut dire.

Les thèmes structurant l’expérience du voyage solidaire.

Les touristes se sont spontanément focalisés sur six objets devenant des thèmes de discussion. Nous avons procédé à une analyse à partir de ces thèmes qui constituent les espaces culturels donnant sens à leur voyage. Ces thèmes ont été classés en fonction de leur importance relative dans le discours de chacun de ces voyageurs. Ensuite, les discours des voyageurs ont été comparés entre eux. Nous avons aussi distingué les récits d’événements marquants et autres discours construits et relativement longs, des références courtes et générales. Cela nous a permis d’identifier et de hiérarchiser trois cadres de référence, ou frames (Goffman, 1974), donc d’approcher ce qui donne sens à l’expérience du voyage solidaire. La similarité des discours et des hiérarchies thématiques s’est révélée très forte, les variations par rapport à ce que nous présentons étant minimes.

Monuments et Paysages : indicibles pour des raisons différentes.

On peut d’abord identifier l’ensemble des thèmes les plus marginaux dans le discours de ces voyageurs. Cet ensemble comprend le thème de la ville et des monuments et le thème des paysages. Ces deux thèmes occupent une place minime dans le discours de la très grande majorité de ces voyageurs (tous sauf Arvel) et sont portés essentiellement par des phrases courtes et générales telles que « on a visité Angkor », « on a vu Phnom Penh » ou « les paysages étaient magnifiques ». Les monuments ne donnent lieu à aucun discours long ou anecdotique. Il est aussi remarquable que l’importance des monuments et de la ville dans l’expérience du voyage soit explicitement euphémisée par ces voyageurs. Les voyageurs Arvel constituent une exception dans la mesure où ils évoquent très souvent le bâti et la vie des urbains. Cependant, eux aussi euphémisent l’importance des monuments, comme Georgette, 68 ans, qui nous permet de mieux comprendre le ressort commun à ces deux démarches :

Bon le Taj Mahal bien sûr ça époustoufle, mais non moi je pense que ce qui m’a le plus impressionnée c’est la vie. D’abord, c’est Bénarès qui m’a le plus laissé de souvenirs, le plus marquée. De par la vie, simplement la vie des gens. Dans les rues, sur les ghâts, dans l’eau, c’est la vie des gens simplement.

Les références aux paysages ou à des éléments naturels occupent aussi une place marginale dans le discours de ces personnes, mais beaucoup moins problématique. Les paysages sont présentés en grand nombre (îles paradisiaques, cascades, ballades en foret, rizières, cols vertigineux etc.) et comme un élément très positif du voyage (« c’est magnifique », « on y va aussi pour ça »). De plus, des lieux naturels ont été le sujet d’anecdotes parfois longues. Le Mékong et ses activités liées à la navigation (dormir sur le bateau, découvrir la vie des pêcheurs), par exemple, ont donné lieu à quelques descriptions emphatiques. Il semblerait donc qu’il n’y ait pas la même réticence envers les paysages comme symbole du tourisme classique. Néanmoins, les références à ces éléments restent générales et rapides, si ce n’est quelques rares propos de plusieurs phrases, qui concernent d’ailleurs le plus souvent des rencontres ou des « aventures » liées au déroulement du voyage.

Ici, nous touchons à un enjeu fondamental de l’approche sociologique du tourisme. L’expérience du voyage se fait sur un fond d’indicible. En réclamant une représentation par la parole d’une expérience qui ne passe pas totalement par cette médiation, l’interviewer se voit confronté à des sphères d’indicible. Si les paysages sont clairement affectés par cette difficulté, cette remarque ne s’applique pas aux monuments qui sont explicitement rejetés. Ce rejet est intéressant en ce qu’il permet de situer la légitimité de ce type de voyage. Il est distinctif par opposition au tourisme de masse qui se caractérise par une bonne volonté culturelle (Lanfant, 1991 ; Réau et Poupeau, 2007). Le registre du tourisme alternatif est davantage celui de l’authenticité de la relation à l’autre comme nous allons le voir.

Le politique classique est marginal.

Le thème des projets de développement et les propos sur l’état économique, social et politique du pays visité, sont aussi essentiellement portés par des remarques courtes et générales et peu propices aux anecdotes. Néanmoins, ils occupent une plus grande partie du discours. Les projets de développement donnent ainsi lieu à certains récits de visites ou à des listes d’actions locales qui sont menées (coopérative, commerce équitable, dispensaire, installation de pompes à eau, financement de motoculteurs). Cependant, on remarquera qu’aucun voyageur n’a formulé de long discours portant sur les projets eux-mêmes. Il est remarquable que les seuls propos relatifs à ce thème dépassant une minute ont toujours été relatifs à la rencontre des acteurs locaux et de leurs qualités personnelles. Un découpage par association montre des différences. Les voyageurs arvel n’évoquent pas de projets de développement dans la mesure où ils n’en ont pas vu. Ceux partis avec rbm et ceux partis avec vdm au Laos les évoquent très peu, même si ces derniers le font significativement plus souvent. Cela peut être rapporté au fait que ces projets sont inscrits dans des communautés villageoises et non des associations clairement dissociables de leur communauté. Les projets, quand ils sont évoqués, sont surtout présentés comme une occasion de rencontrer les locaux. La référence aux projets est toujours accompagnée de références aux qualités humaines des locaux. Cette marginalité du thème du développement est paradoxale dans la mesure où il s’agit du point sur lequel l’association, les guides locaux et les brochures insistent le plus[10].

Le voyage donne aussi lieu à une multitude de remarques isolées concernant l’état du pays. Sont donc commentés : l’état des infrastructures, la pollution, la déforestation, les inégalités de revenu, la pauvreté des villes ou des campagnes, la place de la femme dans ces sociétés, les différents types de choses auxquelles ils n’ont pas accès, l’ensemble des denrées importées ou produites sur place et la situation économique générale du pays. À cela il faut ajouter un certain nombre de commentaires concernant le régime démocratique ou non du pays, les injustices que celui-ci commet, la place de la religion et son effet sur le développement du pays, etc. Si ces propos à teneur politique sont nombreux, ils sont aussi dispersés, éparpillés au cours des entretiens et ne font que très rarement l’objet d’un développement. Ils restent des constatations générales indépendantes les unes des autres.

Conçue classiquement comme rapport de force économique et politique et comme volonté de transformer le système social en vue d’en réduire les injustices, la thématique politique est étonnamment marginale dans le compte-rendu que ces personnes font de leur voyage. Ceci est clair si l’on ajoute que les diagnostics dont nous avons dressé une liste succincte ci-dessus, ne sont que très rarement accompagnés de propos (toujours très courts et allusifs) concernant l’amélioration de la situation. Si une forme de constat sociopolitique concernant le pays visité est inhérente à l’expérience du voyage, il n’en est qu’une composante marginale.

Ce qui a marqué ces touristes : les locaux et les villages.

On constate que les « populations locales » occupent la plus grande partie du propos sur le voyage lui-même des touristes rbm et vdm. Qu’il s’agisse de propos succincts et généraux ou de récits détaillés d’événements, la référence à des personnes habitant les pays visités est placée au cœur du vécu du voyage. Ceci n’est pas étonnant si l’on se fie à nouveau au guide pour guides élaboré par vdm et à l’objectif endossé par les associations de l’Ates de « donner la parole aux populations locales ». Les guides sont donc censés inciter les voyageurs à entrer en contact avec les locaux rencontrés. Ils sont censés présenter systématiquement ces personnes et expliquer leur métier ainsi que leur situation familiale pour qu’ensuite les voyageurs leur posent des questions. Les programmes remis aux voyageurs mettent aussi en avant les locaux dans la mesure où ils proposent une présentation détaillée de la vie de chaque guide. Cette façon de donner sens à son voyage est donc clairement favorisée et portée par l’encadrement.

Un des enjeux du compte-rendu de ces voyages est de qualifier moralement la population visitée dans son attitude vis-à-vis des étrangers. Les voyageurs proposent un ensemble de qualificatifs visant à caractériser les personnes en tant qu’elles appartiennent à un peuple partageant des conduites et non en tant qu’elles se trouvent dans des situations qui justifient une aide[11]. En plus d’être évoqués par tous les voyageurs, plusieurs touristes formulent ces qualificatifs en très grand nombre. Certains les présentent comme étant ce dont ils se souviendront principalement de leur voyage : le comportement de la population locale (chaleureux, souriants, proches de la nature). Les villages et les activités qui s’y sont déroulées occupent également une très grande partie du discours de ces touristes. Les anecdotes et moments marquants se déroulent très souvent dans un village pour ces touristes, sauf pour ceux partis avec arvel. Les villages se caractérisent par la présence d’enfants, par la tenue de cérémonies d’accueils et de rituels, de pique-niques et surtout de discussions avec les locaux.

De la même façon, un autre type de considérations occupe une grande partie des réponses. Il s’agit des propos spécifiques à la sphère d’activité qu’est le tourisme. Un très grand nombre de ces références — significativement plus élevé que celui relatif aux associations et au diagnostic portant sur la situation économique, sociale et politique du pays visité — est ainsi dédié aux jugements portant sur l’organisation du voyage, sur la qualité des hôtels et le confort du voyage, sur le programme, les modalités de transport, ou encore les visites. À ces références relativement rapides s’ajoute un ensemble d’anecdotes et de jugements portés sur les autres membres du groupe. Ces anecdotes s’inscrivent pleinement dans les analyses habituelles de l’univers touristique, où la déroutinisation (notamment dans les villages) produite par la diminution du confort est vue comme procédant d’une esthétique de l’aventure (Réau et Poupeau, 2007). Les péripéties qu’implique prendre le train en Inde relèvent par exemple de cette esthétique, tout comme prendre sa douche froide avec une cruche en public. Les récits de moments de peur procèdent de cette même inspiration, comme la fois où un serpent s’est glissé sur la terrasse de la Guest House pour la famille de Marie et Jean-Paul, ou encore la référence faite aux repas inhabituels (mygales et autres insectes).

Si cette dimension n’est pas celle qui nous intéresse dans cette étude, dans la mesure où elle a déjà très bien été étudiée par ailleurs (Réau et Poupeau, 2007 ; Girard, 1996 ; Elsrud, 2001 ; Cousin et Réau, 2009), sa forte présence chez chacun de nos voyageurs nous permet de les situer dans l’espace touristique (Girard, 1996, 2001). L’Ates se présente comme une fédération proposant un tourisme alternatif, seulement, les voyages concernés dans cette étude prennent la forme classique du circuit de visite, même si ce qui est visité est présenté comme « différent ». Cette différence d’avec le tourisme d’immersion étudié par Chabloz et Cravatte (Chabloz et Cravatte, 2008) semble avoir eu un impact fort sur l’expérience des voyageurs qui reste ancrée dans les codes culturels spécifiques au tourisme. Des deux éléments essentiels de l’idéologie politique du tourisme solidaire, l’aide au développement et le dialogue égalitaire Nord/Sud, le second est celui qui prend nettement le dessus dans l’expérience de ces voyageurs. Cette occultation de la dimension inégalitaire de l’aide n’est pas anodine, surtout lorsqu’elle s’accompagne, comme nous l’avons vu plus haut, d’une relégation au second plan de la dimension classique de la cognition politique.

Les voyageurs arvel se distinguent en ce qui concerne le sens attribué au voyage. Ils ne parlent pas des populations locales mais plutôt de l’atmosphère culturelle et présentent un portrait de la population (indifférenciée) plus ambivalent (pauvreté, violence sociale). Or, deux éléments distinguent ce voyage des trois autres. Premièrement, il n’est pas à proprement parler équitable et solidaire (pas de financement de projets). Cependant, étant donné que le thème des projets de développement est marginal chez les autres touristes, nous sommes amenés à penser que cette différence structure peu l’expérience du voyage. Deuxièmement, et plus fondamentalement, il s’agit d’un voyage essentiellement urbain centré sur l’architecture, alors que les trois autres sont plutôt ruraux et donc centrés sur des groupes de locaux et les paysages. L’intégration des voyageurs arvel nous permet ainsi de mettre en évidence le facteur structurant qu’est la dichotomie urbain/rural.

Ce qui se raconte : comprendre le sens du voyage.

Le thème sociopolitique entendu en son sens traditionnel ne participe donc que marginalement au sens attribué au voyage solidaire chez ces touristes. Néanmoins, il serait abusif d’en conclure une absence de politisation de cette expérience du voyage. Ainsi, l’analyse plus précise de ce qui fait l’objet d’un récit, c’est-à-dire des anecdotes constituant une partie des propos englobés dans le troisième groupe identifié ci-dessus, met en évidence l’importance qu’y revêt la seconde dimension de l’idéologie des associations de l’Ates : le rapport à l’autre. Deux idées émergent de ces anecdotes et participent d’une critique de la société moderne occidentale, donc d’une redéfinition des enjeux de la politique chez les voyageurs en milieu rural.

Relativiser en vivant la vie des locaux.

Les voyages solidaires donnent l’occasion de voir comment la population locale vit, et même de vivre un temps comme eux. Les activités organisées par vdm et rbm donnent accès à cette vie locale, comme le pique-nique en forêt pour Marine, 59 ans :

On a fait un pique-nique au bord d’une petite rivière où ils ont tout fait, ils ont taillé des verres, des assiettes dans du bois de bambou, ils ont fait tout ça devant nous. […] On était avec les gens et en plus si vous voulez on a vu comment ils préparaient à manger. Écoutez ce qui était extraordinaire c’est de les voir tailler des bambous pour faire des ustensiles pour qu’on puisse tous manger. (…) Et c’est là qu’on se rend compte que le bambou c’est vital pour eux, ils l’utilisent pour tout. C’est une véritable manne. C’est vrai qu’en Occident on s’en rend pas compte.

Ou Francine, 34 ans :

J’ai bien aimé aussi le côté tranquille (rire)… niveau des douches, on n’a pas eu toujours des douches et c’était bien de vivre un petit peu justement ce que vivent les gens de là-bas. Se laver dans les mêmes conditions qu’eux ou ne pas se laver d’ailleurs, c’était ouais. C’était marrant quoi. C’est assez rigolo de, de vivre un petit peu comme eux quoi.

La comparaison avec l’Occident et la société française est cruciale car ce qui donne sens au voyage dans « ces pays » est qu’ils donnent l’occasion de relativiser le mode de vie occidental, de se rendre compte « qu’on n’a pas besoin de tout ce confort », d’être « moins matérialiste ». Cette critique implicite du consumérisme au nom de valeurs postmatérialistes, pour reprendre la typologie d’Inglehart (Inglehart, 1977) est développée explicitement par 12 des 18 voyageurs vdm et rbm et apparait, comme un leitmotiv, à de nombreuses reprises chez la plupart d’entre eux. Le propos de Raymonde, 51 ans, sur une marche suivie d’un pique-nique nous permet d’approcher la façon dont s’opère cette « relativisation » à partir de l’expérience de cette vie locale :

Donc nous on est montés avec nos baskets, notre pantalon, notre petit K-way. Et eux sont montés avec tous les ustensiles de cuisine, les choses comme ça. Donc bon quand on arrive là-haut et qu’on voit ça, on relativise. On se dit, ben oui c’était difficile, mais j’avais rien à porter. […] Ce qui m’a plu c’est voir, vivre comme eux finalement. Mais je vivrais pas là-bas, au Laos. Parce que la vie est trop rude. Mais c’est vrai que j’ai vu comment ils vivaient.

À la lumière des anecdotes que ces voyageurs évoquent, on comprend que l’expérience des conditions de vie locales se construit à partir du manque de confort. La renonciation au confort n’est donc pas de principe, mais en vue de faire l’expérience des conditions de vie locales plutôt que de simplement l’observer. On voit comment ils vivent, mais surtout, on ressent leur quotidien à travers certaines de ces difficultés.

Pour tous les voyageurs rbm et vdm, si le voyage a toutes ces vertus, c’est avant tout parce que sa démarche est fondée sur la valeur qu’est la différence. Il permet de « comprendre les différences », d’ « apprendre à être plus tolérant », de « voir qu’on n’a pas toujours raison », de « revoir ses a priori », ou d’apprendre à « ne pas avoir l’esprit conquérant ». Léa, 25 ans, parle ainsi de ses deux voyages au Ladakh :

Ils t’apprennent à arriver en disant ouhla je suis pas chez moi, c’est plutôt à moi de m’adapter à eux plutôt que demander aux autres. Ben voilà t’accueilles un touriste donc tu fais à la touriste. Voilà moi c’est pas ma philosophie de voyager. Je préfère m’adapter aux gens qui sont là-bas plutôt que l’inverse.

Or, ces discours se déploient sur fond d’opposition entre urbain et rural, comme nous l’avons évoqué précédemment. Le travail d’Hubert Billemont sur l’idéologie du développement durable permet d’expliciter le lien culturel entre cette dichotomie de l’urbain et du rural et l’opposition entre nous et eux formulée par les voyageurs. Billemont nous permet ainsi de faire le lien entre ces discours touristiques et l’écologie et le développement durable. Il montre que le rejet particulier de l’individualisme et du consumérisme s’inscrit pleinement dans la nébuleuse actuelle des pensées du développement durable :

Dans le contexte contemporain, la fonction idéologique jouée par ces nouvelles représentations de la nature participe en fait de l’élaboration pacifiste d’une éthique de fraternité humaine qui se construit dans l’opposition structurale avec les pratiques économiques dominantes (“l’appât du gain”, la “marchandisation”, les “logiques de profit”, la “rentabilité à tout prix”) contre lesquelles les fractions intellectuelles dominées de la petite bourgeoisie salariée tentent de lutter. » (Billemont, 2007, p. 146)

La représentation de l’autre comme solidaire et altruiste exerce exactement la même fonction que celle mise en évidence par Billemont. Cette conception du bon rapport à l’autre, définie contre l’arrière-plan des certitudes de la modernité, s’accomplit donc dans la place assignée au contact dans l’architecture du sens attribué au voyage.

Voir l’autre idéal grâce au contact vrai.

Cette idée de remise en question de soi, en tant que membre d’une culture occidentale, se prolonge ainsi dans le sens que ces touristes attribuent au contact avec la population locale. Le contact a pour but l’émancipation à travers la découverte de l’autre agissant comme un miroir, une critique de soi. Cela nécessite la satisfaction d’un préalable : que le contact avec l’autre soit un contact authentique.

L’accueil doit donc être authentique. Ce terme prend ici le sens de procéder d’une affinité plutôt que d’une éthique professionnelle. Ce ressenti de l’envie chez l’autre est crucial à l’expérience de l’accueil. La chaleur et l’accueil sont donc à connotation émotionnelle, comme le manifestent clairement les propos de Marie, 53 ans :

Le lendemain matin, quand on a déjeuné, quand il a fallu partir du village pour aller dans un autre, c’est vrai il y a eu des pleurs, ils ont pleuré, moi aussi. Cela m’a beaucoup plu.

Ce désintéressement est une vertu essentielle dans les configurations touristiques. Les personnes en voyage ont toujours peur de se faire « arnaquer » et souffrent toujours du fait que les contacts sont essentiellement économiques. Ce ressenti est un des phénomènes de base de l’activité touristique. Le fait que les habitants ne cherchent pas systématiquement à vendre quelque chose permet d’occulter la configuration traditionnelle de la rencontre touristique. Cette idée de désintéressement permet aussi de marquer une rupture avec le tourisme de masse en distinguant le contact basé sur l’obligation professionnelle (hôtels, restaurants) et le contact authentique qui est fondé sur l’idée d’une réciprocité d’envie de découvrir l’autre. Il s’agit donc d’un deuxième sens latent à l’idée d’ouverture de ces populations. Cela transparait clairement dans le récit que nous propose Flore, 27 ans :

Une belle rencontre aussi : on a eu un petit jeune qui nous a accompagnés en moto et puis ensuite, on a bien sympathisé avec lui, on a bien essayé de comprendre son quotidien. Du coup, le soir on est allés au resto avec lui. On l’a invité pour discuter un petit peu et le lendemain il nous a invités chez lui. Une maison hyper rudimentaire, mais il voulait juste qu’on partage un repas avec lui. Sa femme était là. Elle parlait pas un mot de français ni d’anglais, mais bon tous les deux ont été très contents et nous aussi de partager un repas avec eux.

Cela se traduit aussi par la forte présence de récits ou de propos généraux vantant la « curiosité », l’intérêt, que portent les populations à la vie des touristes. Le contact authentique est en soi une expérience significative et distinctive dans l’espace du tourisme (Cravatte, 2009). Mais, dans le cas présent, il permet surtout la découverte d’un autre présenté comme idéal. On constate, ainsi, que lorsque les personnes font des références générales au contact avec la population locale[12], ces références se matérialisent dans les anecdotes illustrant ces vertus. Le constat de la joie de vivre des locaux est central. Il est le support principal du « relativiser », qui caractérise le but du voyage. Chez Francine, 34 ans, le lien entre rencontre, relativisation et valeur de la population locale est présenté de manière très claire :

Moi c’est vraiment cette rencontre humaine qui m’importait, j’y allais pour ça. (Comment ça ?) Eh bien, un petit peu comme au Burkina, on se rend compte que les gens vivent quasiment avec rien et ils sont heureux. Et puis c’est cette solidarité qu’il y a entre eux, cette humanité tout simplement. Ouais vivre heureux avec rien alors qu’en France finalement on court toujours après le matériel. Et ça je, c’est toujours celui en France qui aura la plus belle maison, la plus belle voiture, etc. et on s’aperçoit que plus les gens en ont, est-ce qu’ils sont plus heureux pour autant, je crois pas. Alors que là, ça remet en question tout ça. Et on s’aperçoit que finalement le bonheur ça tient pas à grand-chose.

La solidarité ou l’altruisme des Asiatiques se retrouve dans nombre d’éléments de leur quotidien. Par exemple, leur façon de manger est révélatrice selon Domitie, 27 ans :

C’est pas comme chez nous où quand vous commandez on vous amène une entrée un plat un dessert. Là, ils posent tout sur la table et puis chacun se sert dans les plats. Donc tout le monde mange en même temps, tout le monde mange ce qu’il veut. Ça, on a trouvé ça super. On mange par terre la plupart du temps. C’est un réel échange et les gens qui sont en train de manger proposent systématiquement aux passants, aux gens qu’ils connaissent, qu’ils saluent, qu’ils viennent partager la table. Donc c’est vraiment un échange… c’est l’altruisme des populations là-bas.

Mais c’est surtout l’accueil de ces personnes qui a marqué ces voyageurs. Il témoigne de cette ouverture vis-à-vis des étrangers. Marie, 53 ans :

Ils nous confectionnaient des repas, simples, avec des petits poissons, du riz, mais vraiment ce qu’ils avaient quoi. On aurait dit un petit festin, avec des nappes en plastique, tout pour essayer qu’on soit bien, qu’on soit heureux. C’est vrai qu’ils nous ont considérés comme si on était de leur village. On peut pas dire qu’on était des étrangers, et on a même fait une soirée avec le chef du village, mais vraiment sympa, c’était vraiment très très fort, cette soirée-là.

Cette représentation idéalisée du « eux » s’oppose clairement à une représentation du « nous ». En cela, on retrouve l’intuition fondamentale à la construction d’un des principaux concepts de la psychologie sociale de l’idéologie : le schème (Rouquette, 1996). La perception de la réalité se ferait par grandes oppositions binaires. La représentation d’un élément serait tributaire et indissociable de ce qui lui est opposé. Cette idéalisation est paradoxale. Comment est-il possible d’idéaliser le groupe des autres ? Les études classiques du rôle des stéréotypes dans les relations intergroupes ont plutôt mis en évidence l’importance des stéréotypes négatifs pour constituer une identité de groupe (Avigdor, 1953 ; Sherif, Harvey, White et Hood, 1961). Néanmoins, la représentation de l’autre se rapporte aux modalités d’interaction avec cet autre. À l’opposé des cas classiques, ici l’interaction n’implique pas le conflit mais une volonté de reconnaissance. C’est donc une démarche de différenciation qui préside au voyage (Deschamps et Moliner, 2008). Le « nous » n’englobe donc pas vraiment le locuteur. Il n’y a pas dépréciation de soi mais des autres membres de son groupe d’origine. Le voyageur se place donc dans un entre-deux. Le monde de l’autre agit comme un miroir dans lequel le voyageur perçoit sa différence vis-à-vis de son monde d’origine. La représentation sous-jacente du monde d’origine de ces voyageurs est fortement marquée par la diffusion dans la culture politique des critiques de gauche de l’impérialisme culturel occidental (Agrikoliansky, Fillieule et Mayer, 2005 ; Keucheyan, 2010). On la retrouve ainsi au cœur des discours sur le développement durable dont l’idéalisation du mode de vie des populations pauvres et rurales des pays en voie de développement est une des expériences au fondement de ce courant de pensée[13] (Brunel, 2006).

Si la dimension de redistribution n’est pas niée[14], elle ne constitue pas un prisme d’interprétation de l’expérience du voyage. Pour comprendre ce phénomène, il faut réinsérer ces discours dans le contexte des transformations du politique évoqué en introduction. L’analyse d’Isabelle Sommier permet de comprendre ce phénomène. Fondé sur le registre de la souffrance, le développement des nouveaux mouvements sociaux est

concomitant à la fois du déclin des idéologies de transformation sociale, en particulier socialistes, et de la montée d’un désenchantement à l’égard de la capacité d’action du politique, c’est-à-dire d’un sentiment d’impuissance politique. La défiance croissante à l’égard d’une grammaire du monde axée sur les classes sociales et l’exploitation, puis son obsolescence, a laissé vacant le régime d’imputation des malheurs sociaux, tandis qu’était ébranlée, notamment sur le terrain de la lutte contre le chômage, la croyance dans l’efficacité de l’action politique. (Sommier, 2001, p. 81)

Or, avec ces discours influencés par la pensée de Marx, c’est un ensemble d’outils cognitifs de compréhension des enjeux de société qui disparaissent de la pensée politique commune. Ce phénomène a eu pour conséquence de laisser la place à une perception morale et personnalisante des enjeux politiques concomitante à une individualisation croissante de la société (Sommier, 2001 ; Giddens, 1991). Jean-Marc Salmon définit ainsi cette transformation de l’engagement politique :

Les nouveaux citoyens se réfèrent non plus à cette morale civique qui ordonnent les relations du citoyen et de l’état, mais à l’éthique qui règle les rapports de soi avec les autres. L’atténuation de la médiation étatique permet l’affirmation des valeurs d’authenticité dans une relation concrète à autrui. (Salmon 1998, p. 23)

Dans le cas présent, les associations s’efforcent, à travers les réunions de préparation au voyage, le travail des guides et les plaquettes distribuées, de mettre au cœur de l’expérience des voyageurs la problématique de l’aide au développement. Les résultats que je viens de présenter doivent donc être compris comme mettant en lumière la difficulté à susciter un enchantement fondé sur la pensée de l’aide au développement. Cet enchantement est la condition sans laquelle l’expérience du voyage ne peut refléter qu’une partie tronquée de l’idéologie de l’ates, comme ce fut le cas pour nos voyageurs.

Une politisation ambigüe et problématique.

Si l’on peut bien parler de politisation des touristes solidaires, cette nouvelle forme de politisation individuelle n’en pose pas moins à nouveau frais la question de l’engagement. Ainsi, l’engagement traditionnel trouvait sa sanction dans les externalités positives que l’acte politique engendrait. Or, en redéfinissant la politique comme une attitude individuelle, le degré d’engagement se voit ramené à l’effort réalisé par la personne pour se « dépasser ». Dans le cas présent, lorsque l’on considère ce qui est présenté comme relevant de cette différence culturelle, on ne peut que constater une forme de prédominance de la satisfaction liée à la pratique de consommation sur la politisation. Ainsi, nous avons vu que la différence culturelle, le « vivre comme eux », était essentiellement constituée de la condition matérielle de la pauvreté rurale, du manque de confort et de loisirs technologiques. Les éléments mis en avant ne sont absolument pas spécifiques aux cultures visitées. Cette expérience est limitée par de fortes contraintes : le voyage est court, le circuit implique de ne rester que peu de temps dans chaque lieu et ces visites n’impliquent pas de travail avec les personnes visitées. Les contraintes du circuit cadrent la forme d’engagement avec « les locaux ». Si Chabloz a montré, à partir de l’exemple du tourisme chamanique, que la déception pouvait être au rendez-vous des rencontres (Chabloz, 2007), les contraintes pesant sur les rencontres dans le cas présent semblent faire présider la déroutinisation immédiate à la perception de l’autre. Parce que les conditions du désenchantement recensées par Chabloz et Cravatte (Chabloz et Cravatte, 2008) sont limitées par le format du voyage, le ressort de la satisfaction, de l’enchantement touristique, peut prendre le pas sur les éléments proprement culturels du voyage. Or, l’objectif politico-moral assigné au voyage est l’expérience de l’altérité. Les conditions nécessaires à la réalisation de cet idéal politique ne sont donc pas réunies.

Pour conclure, un parallèle peut être dressé avec le mouvement dit des « établis ». Ces intellectuels marxistes partaient s’ « établir », c’est-à-dire se faire embaucher dans des usines et travailler à la chaîne pour s’intégrer à la classe ouvrière et œuvrer à leur prise de conscience de la nécessité de la lutte sociale. Ceux qui ont réalisé ces voyages sociaux dans le monde du prolétariat semblent avoir adopté la même démarche que ces touristes solidaires, mais sans les contraintes temporelles. Ils vont vivre une autre vie, une vie plus en accord avec leurs convictions propres même si cette vie implique d’abandonner un certain confort (Linhart, 1981). La fonction de l’autre est donc la même. Il est un révélateur des vices du monde moderne. Néanmoins, la comparaison s’arrête là. La principale différence qui crée un fossé entre ces deux expériences de voyage, soit l’établi et le type de voyage solidaire étudié ici[15], est que l’expérience du premier est marquée par la déception. Les établis, après une longue enquête, n’ont pas trouvé le prolétaire héroïque et sont revenus de ce monde perclus de doutes[16] alors que ces touristes solidaires, après un court séjour, ne peuvent que revenir pleins de certitudes qu’ils s’étaient pourtant décidés à remettre en question.

Documents annexes

Échantillon.

Il n’existe pas de base de données générales référençant les caractéristiques démographiques et socioéconomiques des personnes ayant voyagé en 2009 avec les associations de l’Ates. Néanmoins, nous avons pu avoir accès au fichier de vdm et ainsi échantillonner, à partir de l’hypothèse, que cette association est représentative de l’Ates. Néanmoins, notre échantillonnage ne visait pas la représentativité mais plutôt la variété des profils.

Nous avons ainsi pu interroger pour l’ensemble de ces destinations 9 hommes âgés de 52 à 71 ans et 13 femmes âgées de 23 à 68 ans (moyenne d’âge des voyageurs vdm : 49 ans pour les hommes et 48 pour les femmes).

Les personnes interrogées occupaient des positions très différentes dans leur carrière de voyageur : 6 de ces personnes étaient parties hors de l’Europe moins de 5 fois, 11 entre 5 et 10 fois (inclus), et 5 plus de 10 fois. De ces 22 personnes, 9 avaient déjà voyagé avec des associations membres de l'Ates, total auquel il faut rajouter 2 femmes parties en voyage alternatif. 14 étaient déjà parties en voyage organisé par un organisme non associatif (voyagiste, tours-opérateurs, clubs ou croisières). Les parcours professionnels sont aussi très diversifiés : 9 personnes ont quitté l’école avant d’entamer des études supérieures, 6 personnes ont poursuivi des études supérieures de 3 ans ou moins (licence, bts), et 7 détiennent un diplôme équivalent à Bac+4 ou plus (école d’ingénieur, doctorat…).

Cette variété des profils sociaux rend remarquable la grande homogénéité des représentations mobilisées pour donner sens à cette expérience du voyage.

Par contre, le groupe interrogé est politiquement relativement homogène. Seules 4 personnes avouaient voter pour une formation non affiliée à la gauche (ump et Modem), 5 personnes ont déclaré ne pas voter ou voter blanc, 9 personnes évoquaient « les verts » ou « écolo », et 12 évoquaient « la gauche », « le PS » ou « le PC ». L’homogénéité est encore plus flagrante en ce qui concerne l’orientation religieuse : 16 personnes sur 22 déclaraient ne pas croire en Dieu et l’une d’entre elles déclarait ne plus savoir.

Cette homogénéité politique n’est pas étonnante et corrobore la circonscription de l’espace culturel de ce tourisme solidaire à la critique de gauche de la modernité que nous avons effectuée dans cet article.

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Note

[1] L’échelle de cette société vécue comme d’origine ou comme point de référence peut être très variable et dépendre de la socialisation politique de l’individu : classe sociale particulière, société française, monde mondialisé, etc.

[2] Ces chiffres non officiels nous ont été communiqués par le coordinateur de l’ates et confirmés par certaines de ses associations. Il convient donc de ne les considérer que comme des ordres de grandeur. Ils sont néanmoins compatibles avec les chiffres propres de l’association Vision du Monde (vdm) suivie dans le cadre de cette enquête.

[3] Voir le site de l’Ates pour une revue de presse plus exhaustive.

[4] Ce champ restreint du tourisme français a entamé une démarche d’institutionnalisation au début des années 2000 pour déboucher, en 2006, sur une charte propre et une fédération (l’Association pour le tourisme équitable et solidaire). Cette charte spécifie un double objectif, à savoir que les locaux doivent participer à l'accueil des touristes et que la rencontre et l'échange avec eux sont au cœur de ce type de tourisme.

[5] Deux formes de sacrifice sont les plus communes : le sacrifice de son bien privé (temps et moyens financiers) aux luttes pour le bien public et l’effacement de son positionnement politique particulier au profit d’une ligne définie par le parti lors de la participation à ces luttes. La dimension sacrificielle de l’exercice politique découle donc en partie de l’opposition entre bien privé et bien public et des nécessités stratégiques de la lutte en commun.

[6] Ceci se fait par la mobilisation de registres de justification.

[7] Cette distinction entre producteurs et consommateurs de culture est au cœur de la démarche de sociologie cognitive culturaliste de DiMaggio.

[8] Cette étude se place dans la lignée des travaux de Nadège Chabloz et de Céline Cravatte et notamment de leur article de 2008 paru dans Tourist Studies. Nos résultats concordent en partie avec ceux de cette étude. Par contre, les voyages étudiés diffèrent dans leurs conditions effectives de réalisation (immersion versus circuit) ce qui semble avoir eu un impact sur la survenue de désenchantement.

[9] Estimations données par le coordinateur de l'ates.

[10] Un guide pour les guides a été élaboré pour chaque destination par vdm. Or, les références aux programmes de développement y sont prépondérantes. Si l’on fait l’hypothèse que les guides restent fidèles à ce document et insistent sur les programmes de développement, on ne peut que constater que ce domaine est sous-représenté dans le discours des voyageurs.

[11] Les principaux qualificatifs sont : souriants, heureux, accueillants, spirituels, etc. Pour une liste exhaustive et une analyse de l’ensemble de ces qualificatifs, voir Ward, 2010.

[12] Les références générales prenant la forme de « ils sont… » sont extrêmement nombreuses comme nous avons pu le voir dans notre première partie.

[13] Ainsi, Sylvie Brunel résume de la façon suivante les représentations de l’autre largement diffusées par les associations de développement durable : « Les sociétés traditionnelles sont encensées pour leurs valeurs propres, en un relativisme culturel qui rend superflue, voire néfaste, l’entrée dans le développement, perçu comme synonyme d’occidentalisation, d’accumulation des biens matériels, de destruction de la nature, des cultures et des ressources. La valeur des réseaux de solidarité, du lien social discrédite le concept de développement, héritage matérialiste, purement occidental, historiquement et culturellement daté » (Brunel 2009, p 16).

[14] La totalité de ces voyageurs affirme que cela a été un des motifs (mineurs cependant) dans leur décision de partir avec une association de l’ates.

[15] Le format du circuit itinérant implique de fortes contraintes sur les échanges touristes-locaux et un contexte de rencontre assez différent du format « immersion » étudié par Nadège Chabloz (Chaboz, 2007).

[16] Voir notamment la trajectoire personnelle de Robert Linhart.

Résumé

L’auteur approche le tourisme équitable et solidaire comme une forme d’action politique cristallisant les enjeux relatifs à l’engagement et à la politisation qui ont émergé dans le sillage de ce qu’il est commun d’appeler les nouveaux mouvements sociaux. L’étude du discours des voyageurs lui permet d’identifier les cadres de référence (frames) de cette expérience. Ceux-ci sont en nette rupture avec la conception traditionnelle du politique fondée sur des catégories sociales et l’idée d’aide au développement. Par contre, ces touristes placent leur voyage dans le sillage d’un certain nombre de pensées critiques de la modernité et de la société de consommation et d’un mouvement plus large et politiquement situé de contestation de l’impérialisme occidental. Ce déplacement des enjeux du politique dans le registre de l’éthique pose problème dans la mesure où la frontière de l’engagement et du non-engagement devient plus difficile à tracer et dans la mesure où l’action solidaire redistributive se voit reléguée au second plan.

Pour faire référence à cet article (ISO 690)

Jeremy Ward, « Entre tourisme et éthique. », EspacesTemps.net [En ligne], Travaux, 2012 | Mis en ligne le 8 octobre 2012, consulté le 08.10.2012. URL : https://www.espacestemps.net/articles/entre-tourisme-et-ethique/ ;