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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Courts traités d’économie de la participation.

Michel Falise, La démocratie participative. Promesses et ambiguïtés, 2003 ; Association France Qualité Publique, La participation des usagers / clients / citoyens au service public. Guide pratique, 2004.

« Participation », « implication », « empowerment », « concertation » « politisation »… toutes sortes d’expressions, dont la multiplication récente traduit tant l’émergence de l’individu acteur spatial et politique que des formes de recomposition de l’action publique, et qui requièrent une certaine stabilisation de leur contenu. Brève analyse critique de quelques ouvrages s’inscrivant dans cette perspective.

Pour une autre analyse de l’ouvrage de Michel Falise, sur la démocratie participative, par Vincent de Briant.

Il n’est pas rare que les analyses contemporaines du phénomène politique en milieu urbain, lorsqu’elles évoquent la question de la participation, produisent des discours en soi sur la démocratie urbaine ou transforment des expériences participatives réussies en exemples idéalisés partout reproductibles. Ce foisonnement de sens et de contresens sur lequel peuvent également se greffer des versions militantes très imprégnées d’une opposition binaire entre « habitants » et « institutions », ne rend néanmoins pas facile la tâche de clarification du phénomène participatif en tant que tel.

À la question minimale, qui pourrait être même l’objet d’une interrogation d’éducation civique dans l’enseignement secondaire, du « quand on dit “participation”, de quoi parle-t-on ? », deux publications apportent de manière différente plusieurs éléments de réponse sans pour autant que l’éclairage proposé soit pleinement satisfaisant. Sans avoir la moindre prétention de parvenir en quelques lignes à réaliser un bilan critique de cette question, on profitera néanmoins de l’occasion pour souligner un des paradoxes propres à la « participation », ayant trait à la définition des « biens commun localisés ».

Image1Le premier ouvrage, celui de Michel Falise, consacré aux promesses et ambiguïtés de la démocratie participative, est perturbant parce qu’il mêle en permanence les registres scientifique, normatif, idéologique et militant qu’explique la position sociale de l’auteur. Sa trajectoire révèle en effet un bien curieux mélange entre une idéologie catholique (recteur de l’université catholique de Lille, entre autres) se traduisant à plusieurs reprises par un propos à forte tonalité irénique voire paternaliste, une pratique d’enseignement (économiste), ainsi qu’un engagement politique (adjoint à deux maires socialistes successifs de Lille), activités auxquelles il faut ajouter celle de l’expert, propre à cet ouvrage, jugeant ce qui est de l’ordre de la « bonne » et de la « moins bonne » démocratie participative.

[1]. Il faut ici renvoyer à la clarification importante qu’a réalisée Rosanvallon sur le fait que le politique se situe au-delà de la simple expression des individualités respectives, que le délibératif n’épuise pas le politique : « c’est peut-être d’ailleurs là le nœud du problème : la gestion de la tension entre le progrès pratique de l’activité civique et la difficulté plus grande à exprimer un point de vue de la généralité dans la société » [2].

L’enthousiasme démocratique de Falise, pour aussi respectable qu’il soit, le mène à réaliser un oubli préliminaire étonnant ; définir la question du politique en tant que telle autour de laquelle, tout au long du texte, subsiste un flottement constant, notamment lors de propositions déconcertantes de naïveté : « comme le bon sens dont parlait Descartes : “le bon sens est la chose du monde la mieux partagée”, la compétence politique s’avère beaucoup plus largement partagée qu’on l’imagine le plus souvent » (p. 43).

En fait, le politique est considéré comme une relative évidence à partir du moment où l’on prend conscience qu’il rend les termes de démocratie et de politique substituables l’un à l’autre, sans contrepartie. Or, en suivant par exemple Jacques Lévy, c’est oublier que « le politique est méthodologiquement antérieur à la démocratie », ou que « la démocratie ne réside pas dans la constitution de la société politique mais dans sa gestion » (Lévy, 2002, p. 171), la technologie étant saisie par Falise comme étant forcément à même de traduire un contenu en train de se réaliser.

L’économiste réalise également une autre confusion en usant du terme de gouvernance pour remplacer celui de gouvernement —trop connoté de rigidité ?— parfois à travers des phrases un peu obscures, réduisant ou incluant l’activité politique au sens large à celle de sa gestion : « en même temps qu’elle en ternit l’image, la société de complexité pose au politique un deuxième défi : celui de la difficulté de la gouvernance. Gouverner, certes, n’a jamais constitué une tâche simple, aisément couronnée de succès et unanimement applaudie. Mais aujourd’hui et du fait même de l’accélération du changement, l’exercice du pouvoir devient plus délicat, incertain […] Simultanément sans doute —et fort heureusement—, cette même société offre à la gouvernance de nouveaux outils, encore faut-il s’en saisir » (p. 29). Il ne s’agit pas uniquement d’un effet de style lié au fait que la phonétique du verbe « gouvernancer » risquerait de paraître un peu étrange, mais surtout d’une assimilation d’un tout, la gouvernance, à sa partie, le gouvernement, et, en fait, d’un tout sans sa partie (Lévy, op. cit.). Ce que n’évoque pas Falise et qu’oblitèrent le plus souvent les discours les plus revendicatifs ou militants sur la démocratie participative, est précisément lié à cette confusion et à ses conséquences souvent non mesurées notamment quant à l’imputabilité des décisions.

La démocratie participative et le paradoxe des biens communs localisés.

Le second problème de fond se pose à travers l’ensemble des expériences restituées du cas lillois et soulève bien des questions quant à la réelle pertinence de ces dispositifs. On aurait pu s’attendre à que cette pertinence soit rappelée lorsque leurs limites et de leurs ambiguïtés sont évoquées, limites et ambiguïtés dont on a par ailleurs une certaine difficulté à identifier précisément les traits après ces deux lectures. « Attention : une association peut représenter un seul individu, elle peut être instrumentalisée » prévient fort judicieusement le guide de la concertation en direction du « concerteur ». Une mise en garde sans doute bien involontairement teintée d’ironie qui permet précisément de souligner ce que peut aussi révéler la participation : une dissémination des enjeux collectifs en une multitude de petits biens communs localisés.

On suit bien sûr le fonctionnement des instances de concertation à l’échelle de la ville, mais il y a de quoi être frappé par les conclusions technologiques qui peuvent en être tirées : le premier élément de bilan sur le conseil communal de concertation, c’est le fait que « le dispositif a tenu » (p. 131), condition minimale, certes, on en conviendra. Deuxième bilan, de taille, qui lui est lié, celui d’être un lieu « promoteur d’ouverture mutuelle et de citoyenneté », ce dont on peut être également tout à fait convaincu. Mais de quoi y parle-t-on précisément, sur quels sujets y débat-on exactement ? À quels types de productions ce comité donne-t-il lieu hormis le fait qu’il permette aux professionnels de la culture d’organiser leurs stratégies par rapport à l’ensemble de l’agglomération (p. 132) ? La seule réponse se situe sans doute dans l’annexe 3 qui liste les thèmes abordés de 1997 à 2003, faisant apparaître un traitement sectoriel des questions. L’absence apparente de contenu est telle qu’on s’en prend à se demander si la raison d’être d’un dispositif de ce type ne se limite précisément pas à… être, à exister, bref à assurer une simple fonction de présence. Le bilan des instances à l’échelle du quartier ne donne pas tellement d’éléments rassurant en ce sens, bien au contraire, via la voix citée d’un de ses membres : « parfois aussi les conseillers regrettent l’absence de débats et de vision globale dans les choix budgétaires » (p. 116).

Par contre, les forums citoyens et les ateliers urbains de proximités, assez similaires au système des réunions publiques ou des comités de pilotages dans d’autres villes françaises, apparaissent beaucoup plus actifs, et les enjeux correspondent à l’échelle : « je rêvais d’arbre et d’eau sous mes fenêtres”, dit une habitante. Il y a aura à la fois les arbres et l’eau, et les fleurs…. à la place d’un parking sauvage, véritable cloaque les jours de pluie, traversé par onze voies de circulation ! » (p. 157). La définition de biens communs localisés telle qu’elle s’articule autour des débats sur les objets de l’environnement du quotidien immédiat exprime ici ce paradoxe et sans doute une des limites assez nettes de la démocratie participative. Le travail de Falise pousse de fait à considérer que les enjeux de la société urbaine lilloise se disséminent dans des objets urbains sans que leur correspondent simultanément de véritables réflexions sur un devenir collectif. Cet état de choses que met en exergue sa présentation soulève bien des questions de fond sur le politique, notamment celle consistant à s’interroger pour savoir si ce « bien commun », qu’il évoque à de nombreuses reprises, est à même de se constituer comme simple somme des intérêts particuliers ou, en l’occurrence, très localisés, ce dont on s’autorisera ici à douter.

Au final, plus qu’à se trouver avec le livre de Falise en présence d’un cours magistral de démocratie urbaine en fait de philosophie morale et politique appliquée, on aurait sans aucun doute apprécié une réelle restitution d’expérience (auto)biographique. Par exemple celles qui sont réalisées avec des acteurs-clés de la Politique de la Ville (Devismes, Pasquier, à paraître fin 2004), retraçant à la fois l’émergence d’un thème et la transformation de formes d’action à travers le prisme du parcours singulier d’individus. Or, l’expérience de terrain, impressionnante, de Falise à la fois acteur, organisateur et observateur se prêtait pourtant parfaitement à l’exercice. Simple jugement particularisé d’un lecteur déçu ? Certainement, mais pas seulement : par rapport à cette saturation normative à laquelle elle donne lieu, à toutes les productions narratives qui peuvent s’articuler autour d’elle, la démocratie participative gagnerait aussi à être mise en énigme, à que soient rendues davantage visibles des situations dans leur nudité comme matières à penser et non déjà pré-interprétées à l’aune de principes moraux dont on n’est d’ailleurs pas si sûr, finalement, qu’ils soient partagés.

« Le problème n’est plus de faire que les gens s’expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire » déclarait Gilles Deleuze. Sans doute un peu radicale, cette phrase incite pourtant à réfléchir comment à sa manière, et pour aussi paradoxal ou hétérodoxe que cela puisse paraître, il serait peut-être également profitable que la participation fasse à son tour une certaine expérience du silence : économiser de la participation pour laisser place à l’apprentissage et au déploiement d’un véritable « parler politique », pas forcément cantonné aux lieus dans lesquels on voudrait l’y assigner, voilà sans doute l’un des enjeux fondamentaux que celle-ci semble aujourd’hui poser.

Laurent Devisme, Élisabeth Pasquier, Daniel Asseray et la question urbaine, Paris, Délégation Interministérielle à la ville (à paraître fin 2004).

Jacques Lévy, « Dix propositions sur le gouvernement urbain » in Thérèse Spector, Jacques Theys (dir.), Villes du 19e siècle. Entre villes et métropoles, rupture ou continuité ?, Paris, Certu, 1999.

Daniel Cefaï, Isaac Joseph (coord.), L’héritage du pragmatisme. Conflits d’urbanité et épreuves de civilités. Colloque de Cerisy, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2002.

Résumé

Il n’est pas rare que les analyses contemporaines du phénomène politique en milieu urbain, lorsqu’elles évoquent la question de la participation, produisent des discours en soi sur la démocratie urbaine ou transforment des expériences participatives réussies en exemples idéalisés partout reproductibles. Ce foisonnement de sens et de contresens sur lequel peuvent également se greffer des ...

Bibliographie

Notes

[1] Falise étant sur ce point nettement « participaliste » comme d’autres peuvent être « spatialistes » lorsqu’ils pensent qu’agir sur l’espace matériel en créant par exemple des équipements, c’est agir sur la société.

[2] Pierre Rosanvallon, « Le mythe du citoyen passif », dans Le Monde, édition datée du 19 juin 2004.

Auteurs

Marc Dumont

Ater à l’Université d’Orléans, il est l’auteur d’une thèse consacrée à la dimension politique des phénomènes spatiaux qui privilégie l’observation ethnométhodologique de situations spatiales (Espaces, langages et procédures d’organisation. Une analytique de la dimension politique des pratiques d’aménagement en milieu urbain). Recherches en cours : normes et qualifications sensibles des espaces urbains, les transformations de l’urbanisme opérationnel, l’épistémologie critique des sciences sociales. Publications : « Langages et structures d’échange en recherche urbaine : proposition pour la généalogie d’un marché de l’interdisciplinarité », Cahier du Laua, n°7, Nantes, février 2004 ; « Image(s) et spatialité(s) des phénomènes sociaux », Art Sciences et Technologie, Mshs La Rochelle, 2003.

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